• Je crois qu’elle m’aime bien, madame Télé Deux. Elle me téléphone souvent. Elle s’inquiète pour moi. Un jour, elle se demande pourquoi je n'appelle plus aussi souvent à Paris qu’autrefois. Elle s’étonne de devoir m’envoyer des factures moins élevées que le prix du timbre sur l’enveloppe. Je crois que je lui coûte cher mais malgré tout elle n’a pas envie de rompre.

    Un autre jour, elle m’interroge sur mon entêtement à ne pas vouloir de téléphone portatif (elle appelle ça un portable). Elle m’écoute attentivement quand je lui explique que je suis un homme libre, que je ne veux pas avoir de fil à la patte. Elle n’insiste pas. Elle respecte mon choix.

    Hier, elle m’invite à quitter France Telecom et mon fournisseur d’accès à Internet, pour remplacer tout ça par son offre unique et mirifique. C’est beaucoup plus simple et bien moins cher, m’explique-t-elle. Je lui dis que personnellement j’aime ce qui est cher et compliqué. On a du mal à se comprendre tout les deux. Mais elle est très patiente et gentille avec moi, madame Télé Deux. Elle me rappellera bientôt, j’en suis sûr.

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  • A la Halle aux Toiles, hier soir, pour y entendre au clavecin Les Variations Goldberg de Johann Sebastian Bach par le jeune Benjamin Alard, il y a peu élève du conservatoire de Rouen et aujourd’hui, à vingt-et-un ans, titulaire du grand orgue de l’église Saint-Louis en l’Ile de Paris.

    La file d’attente s’allonge dans le grand escalier. L’accordeur n’en a pas fini avec l’antique instrument. Chacun se plonge dans le programme. Derrière moi, on se gausse en lisant le rapprochement hardi entre ces Variations Goldberg, les Cathédrales de Claude Monet et les Exercices de style de Raymond Queneau :

    -C’est sûr, Bach a dû y penser quand il composait ses variations !

    Benjamin Alard est en route pour une heure quinze de jeu effréné et termine l’épreuve en s’essuyant le visage à grands coups de mouchoir.

    On applaudit bien fort et longtemps. Il salue le public en pliant en deux son grand corps avant de disparaître dans les coulisses.

    En rentrant, je songe au livre de Nancy Houston, Les Variations Goldberg, romance, l’histoire d’une claveciniste invitant chez elle trente personnes aimées pour leur faire entendre l’œuvre de Bach, chacune monologuant intérieurement le temps d’une variation. Un livre que j’ai beaucoup aimé à l’époque de sa lecture. Nancy Huston écrit-elle toujours des livres aussi intéressants ? Je l’ignore n’ayant pas lu les plus récents. Ce qui est sûr, c’est que le dernier a obtenu le prix Femina, et ça c’est quand même la pire des choses qui puisse arriver à une écrivaine.

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  • En début d’après-midi, devant la Préfecture à l’appel du Réseau Education Sans Frontières (airheuesseffe), l’heure est grave et donc un peu plus de monde que d’habitude, et des élus de gauche du Conseil Général. Le préfet a rompu le dialogue, ne recevra plus l’association avant avril prochain. Des courriers de reconduite à la frontière sont prêts à être envoyés à plusieurs familles de l’agglomération de Rouen. Un étudiant, une lycéenne, un lycéen, des élèves d’élémentaire et de maternelle sont menacés. La résistance est en train de s’organiser dans les écoles et les lycées. Mais on craint le pire, qui pourrait se produire quand le Français moyen sera gonflé de dinde aux marrons, pendant ce que les journalistes appellent la trêve des confiseurs.

    Pendant ce temps, à Paris, « le fils de Hongrois qui veut devenir chef des Gaulois », comme on le chante en Afrique, reçoit du jeune de banlieue.

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  • «Il tombe sous le sens qu’il y a quelque chose de malsain dans l’accumulation domestique des livres.» constate Annie François dans Bouquiner, parlant d’elle, mais aussi de moi, envahi par les centaines de livres non encore lus qui s’empilent autour de mon escalier au risque de me tomber sur la tête et ne sachant comment ranger les milliers d’autres déjà lus qui font exploser mes bibliothèques, il est vraiment temps d’en vendre et de cela je m’occupe depuis quelques semaines, une annonce publiée dans un journal gratuit, d’autres scotchées à Mont-Saint-Aignan à la faculté de lettres et à celle de psychologie, tout cela pour rien, pas un appel, à croire que plus personne n’achète de livres.

    Marcel Lévy a bien raison dans La Vie et moi d’écrire : « ...il suffit d’essayer de revendre des livres pour constater que la trouvaille la plus mirifique devient une mauvaise affaire quand nous cherchons à en tirer profit. C’est la revanche de l’esprit sur la matière.»

    Ce matin, après avoir passé un bon moment à trouver des cartons pour contenir tous les ouvrages que je veux revendre, en route pour la bouquinerie Le rêve de l’escalier, au risque, malsain comme je suis, d’acheter encore un livre, j’ai croisé deux filles devant l’étalage de Maxi Livres dont l’une disait à l’autre :

    -D’ailleurs, bientôt, les livres, ça n’existera plus.

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  • C’est la Sofres qui m’appelle, c’est pour un sondage commandé par l’Agglomération de Rouen, à propos de l’environnement, sujet à la mode. Je décide d’être aimable et de répondre à quelques questions.

    L’enquêtrice, la voix dégoulinante de sourire, me demande mon âge et ma profession. Changement de ton. Elle n’a plus besoin de mon avis. Apparemment, je n’entre pas dans la catégorie de ceux dont l’avis importe aux politiciens en charge de l’Agglomération de Rouen.

    Je proteste, lui indique qu’il n’est pas correct de solliciter une opinion pour ensuite n’en plus vouloir. La Sofresseuse bredouille que ce n’est pas elle qui refuse mon avis, c’est son ordinateur qui est réglé comme ça.

    La prochaine fois qu’on m’appellera pour connaître mon opinion sur quoi que soit, je refuserai d’emblée de répondre à l’enquêtrice et l’inviterai à transmettre à l’institution commanditaire mon souhait de voir celle-ci se sonder elle-même et profond.

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  • Ce n’est pas d’aujourd’hui, ni même d’hier, que le jeune est accusé de tous les maux. Le vieux a toujours eu le souci de se consoler de ses échecs en dénigrant le nouveau venu, comme le montrent ces deux penseurs antiques :

    «Je n’ai plus aucun espoir pour l’avenir de notre pays si la jeunesse d’aujourd’hui prend le commandement demain. Parce que cette jeunesse est insupportable, sans retenue, simplement terrible... Notre monde atteint un stade critique. Les enfants n’écoutent plus leurs parents. La fin du monde ne peut être loin.» écrivait Hésiode dans Les travaux et les jours au huitième siècle avant Jésus-Christ. 

    «Les jeunes d’aujourd’hui aiment le luxe, ils sont mal élevés, méprisent l’autorité, n’ont aucun respect pour leurs aînés et bavardent au lieu de travailler. Ils ne se lèvent plus lorsqu’un adulte pénètre dans la pièce où ils se trouvent. Ils contredisent leurs parents, plastronnent en société, se hâtent à table d’engloutir les desserts, croisent les jambes, et tyrannisent leurs maîtres.» ajoutait Platon en trois cent quarante-huit avant Jésus-Christ.

    Deux citations mises en exergue sur le site de l’Institut Universitaire de Formation des Maîtres (hihuheffème) de Paris, à la page des conseillers principaux d’éducation (cépéheux). C’est dire.

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  • Triste aspect de ma rue depuis plus d’une semaine, jonchée de journaux gratuits et de dépliants publicitaires jetés devant les portes par des distributeurs désinvoltes, crottée de déjections canines oubliées par leurs propriétaires, parsemée de bouteilles en verre et en plastique abandonnées par les buveurs nocturnes, graffitée des peintures rouges et noires de ceux qui écrivent leur nom sur les murs et sur les portes. Un téléphonage au service municipal ad hoc s’impose.

    Je suis reçu mollement. On fera le nécessaire.

    Le lendemain, coup de peinture sommaire sur les graffitages. Pour la chaussée, on verra plus tard.

    Aux touristes de toutes nationalités que l’on mène en troupeaux dans ma ruelle, prétenduement du Moyen Age, prétenduement la plus étroite de la ville, il n’est pas utile de dire que c’est l’une des plus sales de Rouen. Ils le constatent eux-mêmes, quotidiennement, et repartent dans leurs pays avec de la propreté des Français une méchante opinion.

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  •            Avis de tempête sur l'agglomération rouennaise. Albert (tiny), maire de Rouen, fait fermer le Marché de Noël. Un arrêté est signé, la police municipale est sur place, les commerçants sont régulièrement informés. Le montage du village du Téléthon, place du Vieux Marché, est  différé. Les services techniques de la ville se tiennent en alerte prêts à intervenir pour d'éventuelles chutes d'arbres ou de pierres. Bref, pas une journée à laisser son violon sur le toit.

    Et pourtant il s’agit bien d’affronter les bourrasques et les averses, bien moindres d’ailleurs que celles prévues par les services météorologiques, pour aller voir et écouter Un violon sur le toit au théâtre des Arts qui s’ouvre cette année à la comédie musicale. Bonheurs et malheurs de la communauté juive bousculée par ses filles et tourmentée par les antisémites. Humour, danses et musique pour échapper à la misère et à l’injustice. Des rires et des larmes et une bonne soirée dont on revient content et sans avoir reçu sur la tête arbre, pierre ou violon.

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  • Miossec, je t’aime trop pour te reprocher les fautes de syntaxe dans les chansons de tes disques précédents mais là vraiment tu exagères en t’appropriant dans La facture d’électricité le « Ne me secouez pas, je suis plein de larmes », d'Henri Calet, ce propos désespéré que l’on trouve à la fin de Peau d'ours, son dernier livre, inachevé.

    Non, ne me dis pas, Miossec, que tes auditeurs l’entendront comme une citation et la rendront d’eux-mêmes à son propriétaire. Combien, crois-tu, connaissent Henri Calet, combien savent que c’est l’un des meilleurs écrivains français du vingtième siècle.

    Allez, tu peux encore payer la facture, Miossec, qu’attends-tu pour distribuer à l’issue de tes concerts, les livres d’Henri Calet : La Belle Lurette, Le Tout sur le tout, L’Italie à la paresseuse, Rêver à la Suisse, Monsieur Paul et bien d’autres. Gratuitement bien sûr. Tu verras, tu te sentiras mieux quand tu te seras libéré de ta dette.

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  • Discussion au bar de la Tonne entre un consommateur et la patronne alors que je lis La Vie et moi de Marcel Lévy, un ouvrage sous-titré Chronique et réflexions d’un raté.

    Je suspends la lecture, la patronne disserte sur l’osmose et la symbiose, je n’entends pas tout, me rends compte que j’aurais du mal à expliquer clairement la différence de sens entre ces deux mots, bien que je pressente la symbiose plus forte que l’osmose, si je puis dire ainsi.

    De retour à la maison, plongée dans le dictionnaire. C’est bien ça. L’osmose, influence réciproque et la symbiose, étroite union.

    Me regarde un peu le nombril pour constater que suis bien plus enclin à la symbiose avec quelques êtres choisis, au féminin s’entend, qu’à l’osmose avec le premier venu, que c’est pour cela qu’au bar de la Tonne ou ailleurs suis toujours fourré dans un livre ou occupé à écrire, évitant de parler avec le voisin sauf si c’est une charmante voisine.

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