•             Au lever du soleil, direction les Petites Eaux du Robec, en évitant de trop respirer rue Saint-Hilaire où s’agglomèrent les voitures embouteillées par les travaux du futur rond-point. Ouf, me voilà derrière la clinique, le ruisseau à ma gauche, canards et jonquilles, un semblant de nature, vieux bâtiments industriels, certains en voie d’éboulement, au-dessus de ma tête les trains pour Paris, un peu plus loin à droite le dépôt des bus bleus de l’agglomération. C’est paisible, juste quelques clochards qui reviennent d’on ne sait où et qui vont au même endroit. Une fois, on a trouvé là le cadavre dénudé d’un photographe mais cela n’arrive pas tous les jours. Je m’arrête au magasin Lideule, spécialiste du discompte, où vont les pauvres qui pensent que c’est moins cher qu’au supermarché traditionnel, une erreur qui leur coûte quelques picaillons supplémentaires. Un couple de vieux navigue entre les gondoles, elle qui dépose chichement des fruits et légumes dans le chariot, lui qui emplit de divers fromages les poches de son grand manteau, pourvu qu’ils ne se fassent pas gauler.

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  •             Sarko, ce fat sot, comme il commence à avoir peur, son score de premier tour qui stagne et le troisième candidat qui fait des progrès, qui sera peut-être deuxième le jour du vote et qui le battrait au second tour, alors le voilà qui puise un peu plus dans la fosse à purin de Jean-Marie Le F-Haine, celui qui pue de la tête, avec la proposition de ce ministère de l’immigration et de l’identité nationale, délétère ministère, bien dans sa manière.

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  •             Une grande boucle d’une semaine avec pour principales étapes Arras, Lille, Gand, Bruges, Malo-les-Bains et Wissant, le soleil de Rouen au retour, parfait pour le premier vide-grenier de l’année à Pîtres, chez les sous-développés de l’Eure (j’en ai fait partie, je suis même né par là-bas), je fends le brouillard et j’arpente longuement les rues, quatre cents exposants, de quoi faire, tout l’inutile du monde bradé sur les trottoirs, j’en reviens avec les Journaux intimes de Frank Wedekind, bonne pioche, déjeuner rapide et hop, le premier café du dimanche en terrasse au Son du Cor, exactement la même clientèle que l’an passé, le type retour du marché, avec bouquets de jonquilles qui fanent au soleil sur les tables pendant que papa maman boivent des bières et la marmaille des sirops avec des pailles abandonnés bien vite pour aller faire des âneries près du ruisseau, des hommes seuls vont bientôt se grouper et sortir leurs boules pour les jeter au plus près d’un cochonnet, des garçons mal inspirés parlent de quitter des jeunes filles à quatre heures pour aller « mater le match à la télé », une femme sur le déclin prend soin de son compagnon, Chouchou tu veux une place au soleil ?, le chouchou, barbe de deux jours, lunettes noires, bonnet enfoncé jusqu’aux oreilles, lui répond que non, non, ça ira comme ça. Oui, ça ira comme ça, je suis de retour en terrain connu.

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  •             Un lecteur s’inquiète après avoir lu mon billet intitulé « Galerie Duchoze, antépénultième » : …je te trouve plein d'une compassion inhabituelle pour un commerçant qui se plaint, tu m'avais habitué à un regard plus critique envers la chose marchande et ses tics. Il a peut-être raison. Il était temps que je prenne des vacances. Voilà, c’est fait et j’en suis revenu très très méchant.

                J’ai revu un peu le billet en question, écrit vite fait avant mon départ pour le Nord, l’ai rendu plus conforme aux circonstances de l’échange avec le galeriste. Ça m’arrive parfois de redresser ou de gauchir tel ou tel billet les jours suivant son écriture et sa mise en ligne. Je ne me refuse rien.

                Ce lecteur pense que la quasi fermeture de la galerie Duchoze n’est pas forcément une triste nouvelle, qu’elle pourrait être suivie par l’ouverture de quelque chose de mieux. C’est aussi ce que m’a dit l’employée de ladite galerie alors que je m’inquiétais auprès d’elle de son sort futur et de celui des artistes du coin. On verra bien. Ce sera ailleurs de toute façon.

                La librairie Van Moé remplacée par une compagnie d’assurances, la librairie Lépouzé par un marchand de chaussures, le café de Rouen par une succursale de banque, pour la galerie Duchoze les paris sont ouverts.

                Quoi qu’il en soit, je le répète, je serai triste quand c’en sera fini des vernissages chez Duchoze, cela pour une raison toute personnelle et qui n’a rien à voir avec le marché de l’art.

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  •             Un peu en avance hier soir pour le vernissage de l’exposition Jean-Michel Solvès chez Duchoze. Je referme mon parapluie sous le porche au moment où Daniel Duchoze sort de sa galerie.

                Je lui dis bonjour et il me répond qu’il va chercher de l’eau puis me confie, à moi qu’il ne connaît pas, dont il ignore tout des activités, avec juste l’envie de passer ses nerfs :

                -C’est fini la galerie, C’est vendu. Terminé les vernissages où il me faut nourrir trois cents personnes et où il n’y a plus rien à manger quand arrivent mes vrais clients, ceux qui me font vivre. Je suis un privé moi. Je n’ai pas de subventions ; Alors c’est fini, j’en ai marre, j’arrête. C’est signé. Le nouveau propriétaire prendra possession des lieux en juin. Je garde juste la petite galerie à côté pour les vrais clients. Soixante-cinq ans, il est temps de se mettre en semi-retraite.

                Il file chercher son pack d’eau. Arrive celle que j’attends à qui j’apprends la nouvelle. Ça nous attriste, on aime tellement les vernissages chez Duchoze. Celui d’aujourd’hui et encore deux ensuite et c’en sera terminé, la seule véritable galerie d’art de Rouen sera en demi-sommeil.

                Ce jour, pas énormément de monde, bien moins que trois cents personnes, en raison des vacances et puis les oeuvres de Jean-Michel Solvès, empreintes à l’africaine et sculptures en terre cuite sur le même thème, munies de bougies chauffe-plat, pas très intéressant, décoratif, sans véritable raison d’être.

                Peu importe, on est bien dans le profond canapé, à observer les déambulations des vernisseurs, parmi lesquels une très jolie jeune fille asiatique.

                Hélas, plus de cendrier sur la table basse, constate celle qui m’accompagne. La loi médico-puritaine s’exerce ici aussi. Les fumeurs sont contraints d’aller se livrer à leur plaisir sous le porche.

                Voici qu’arrivent les cubes de vin et les saladiers colorés, l’heure de la dînette a sonné et comme le dit une ex-responsable de l’ancienne librairie L’Armitière « il faut en profiter, c’est bientôt fini. »

                Du piano, sis dans la réserve au milieu de centaines de toiles de dizaines d’artistes qui vont bien regretter la mise en veilleuse de la galerie, proviennent quelques notes, nous nous approchons. Au clavier se trouve la jolie jeune fille asiatique, couvée du regard par celle qui doit être sa mère adoptive.

                -Je peux ? demande timidement  la demoiselle.

                -Oui, lui dis-je, vous avez le public alors il faut y aller.

                Elle se lance, et nous éblouit du brio avec lequel elle joue.

                -Vous avez vu, elle ne demandait que ça, nous dit la maman. Un petit verre de vin, ça aide bien.

                D’autres vernisseurs arrivent, attirés par la mélodie, et entourent le piano. La pianiste d’un instant achève sa prestation sous les applaudissements.

                Dire que bientôt on ne pourra plus jamais vivre des moments comme celui-là.        

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  •             Une vernissage en deux temps pour les deux gardiens de nuit du musée Gustave Moreau, Alain Sonneville et Pierre-Claude De Castro qui montrent leurs Appendices jusqu’au vingt mai deux mille sept au musée Flaubert et d’Histoire de la Médecine et au musée des Beaux-Arts de Rouen.

                Alain Sonneville et Pierre-Claude De Castro font ça à deux depuis dix ans et l’un de leurs plaisirs, sorte de déformation professionnelle, est de dormir dans les musées, ce qui permet d’échapper à l’hôtel lorsqu’on voyage. Evidemment, il faut apporter son lit pour pratiquer ce qu'ils appellent plaisamment une contre-performance. Les deux leurs sont en bonne place au musée Flaubert et de l’Histoire de la médecine, musée double lui aussi. Deux lits pliants à roulettes recouverts de splendides couvertures écossaises, tout à fait le style vieux garçons, Bouvard et Pécuchet. Des lits munis pour la circonstance d’électrodes car le sommeil des deux garçons a été analysé par les médecins et enregistré sous la forme d’un hypnogramme, graphe qu’un logiciel approprié a transformé en une petite musique de nuit sobrement intitulée Nocturne qui sonorise maintenant le musée.

                D’autres œuvres doivent tout à la radiographie, sous la forme de vidéos : ce sont les Films Ixe que l’on peut voir grâce à de petits moniteurs disposés un peu partout dans les vitrines, et sous la forme de photos. Quelques titres pour donner envie : Vis-à-vis, d(os) à d(os), La mort de rire, Pompes funèbres (une très belle radiographie des pieds des artistes dans leurs chaussures).

                Dans un placard, Emma Ixe femme multiple récite à plusieurs voix un extrait du roman le plus célèbre de Gustave.

                Je profite de tout cela à grand peine car il y a foule dans les petites salles, il faudra revenir.

                La suite se déroule une heure plus tard au Musée des Beaux Arts où l’on est encore plus nombreux, les fainéants n’ayant pas eu le courage d’aller chez les Flaubert ne voulant pas manquer le buffet.

                Alain Sonneville et Pierre-Claude De Castro fendent timidement la foule pendant que s’exprime Laurent Salomé, directeur des musées de Rouen. Ici se trouvent deux œuvres des deux loustics : une nouvelle vision de L’Origine du monde de Courbet, qui en montre encore plus grâce à un hologramme lenticulaire, et une série de photos issues de diapositives prétendument oubliées dans un grenier et rongées par de prétendus microorganismes, les paysages plus beaux que ceux d’origine qui en auraient résultés sont ici exposés cependant que les prétendus microorganismes sommeillent dans un incubateur bien réel. Laurent Salomé invite la foule à jeter également un œil sur l’exposition consacrée à Alain-Guillaume Démarest, cousin d’André Gide, dont on montre les œuvres, dans une autre salle, sous le titre La morosité délectable, exposition pour laquelle aucun vernissage n’est prévu, « ce peintre étant mort depuis longtemps ».

                Une bonne partie de la foule préfère se jeter sur le champagne et les petits fours offerts par le Céhachu, partenaire privilégié d’Appendices, l’hôpital au service de l’art ça se fête. Les cheveux gris font alors preuve d’une pugnacité à toute épreuve pour s’emparer des amuse-bouches à l’indignation de quelques jeunes gens affamés que j’invite à un peu de retenue :

                -Soyez indulgents avec les vieux, c’est peut-être leur dernière exposition.

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  •             Deux soirées à lire le Voyage à motocyclette d’Ernesto Guevara, ce jeune homme indécis et paresseux, usurpant de la qualité de médecin qu’il n’était pas encore pour se faire ouvrir les portes, à lui et à son compagnon de voyage, un peu plus médecin et tout aussi glandeur, tous deux profiteurs et sans scrupules : « En sortant, le préposé nous enjoint d’emmener le chien. Devant notre étonnement, il nous montre un chiot qui vient de faire ses besoins sur le tapis du vestibule et qui mordille le pied d’une chaise. Le chien nous a probablement suivis, attiré par notre allure de vagabonds, et les gardiens l’ont pris pour un attribut supplémentaire de notre accoutrement bizarre. Résultat : le pauvre animal, privé des liens qui nous unissaient, reçoit une bonne série de coups de pied et part en hurlant. C’est toujours une consolation de savoir qu’il y a des êtres dont le bonheur dépend de nous. »

                Boire et courir les filles, se faire offrir à manger et jouir de toutes les bonnes occasions (« Ce n’est pas que nous soyons si fauchés que ça, mais pour des routards de notre espèce, plutôt mourir que payer le confort bourgeois d’une pension de famille. » écrit Ernesto à sa mère au cours de ce voyage.), voilà le programme.

                Une longue virée du sud vers le nord, de l’Argentine aux Etats-Unis, en moto jusqu’à ce qu’elle rende le moteur, puis de camion en camion, à dos de mule et en radeau, de décembre mil neuf cent cinquante et un à l’été mil neuf cent cinquante-deux, rêvant de l’île de Pâques « cet endroit merveilleux où le climat est idéal, les femmes idéales, le travail idéal (dans sa béatifique inexistence). On peut rester un an là-bas sans se soucier des études, des salaires, de la famille… » mais où aucun bateau ne pourra le mener, s’apitoyant sur le sort des exploités mais pas encore contaminé par le virus du communisme : « On verra bien si le mineur, un jour, prend son pic avec plaisir pour aller s’empoisonner les poumons, conscient de sa joie. On dit que là-bas d’où vient la flambée rouge qui éblouit aujourd’hui le monde, on dit que c’est comme ça. Moi je ne sais pas. »

                Le malheureux finira par y croire à la flambée rouge et loin de l’idyllique île de Pâques accostera quatre ans plus tard à Cuba, on connaît la suite et les mauvais livres qu’il a écrits sur la révolution et le socialisme.

                Heureusement qu’il s’est bien rattrapé ensuite, Ernesto, devenant le champion de la sérigraphie, le premier vendeur de ticheurtes et de postaires pour branlotins rêvant d’un autre monde. (« C’est toujours une consolation de savoir qu’il y a des êtres dont le bonheur dépend de nous. »)

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