•             Un dimanche après-midi en corbeille à l’Opéra de Rouen, comédie musicale à l’affiche (l’affiche du spectacle, je ne sais qui en est l’auteur, vraiment pas réussie, laide et triste, pas vraiment une incitation à prendre sa place) avec le Candide ou l’optimisme de Voltaire mis en musique par Léonard Bernstein. Au fond, un père et ses enfants, deux semi-branlotins qui râlent :

                -T’es chiant, papa, tu nous avais dit une heure et demie et ça dure deux heures vingt, tu nous mens toujours.

                Le père proteste sourdement en menaçant d’instituer l’usage restreint d’une console de jeux. Soudain s’installe dans les parages une femme mûre à l’allure de travesti ou un véritable travesti, je ne sais, ce qui est certain c’est que cette personne dégage une odeur nauséabonde qui écœure le voisinage. Jamais vu ça à l’Opéra, ou plus précisément jamais senti ça. C’est donc en évitant de respirer que je regarde se lever du rideau.

                Vite emporté par la musique, j’oublie les contingences pour ne plus penser qu’au plaisir. Quel talent chez Lionel Peintre, le narrateur (chantant également Pangloss et Martin), chez Mélanie Boisvert chantant et jouant Cunégonde, chez James Oxley chantant et jouant Candide. Quelle bonne prestation pour le chœur de l’Opéra de Rouen, pour l’orchestre dirigé par Giuseppe Grazioli. Quelle intelligence dans la mise en scène et la création vidéo (si pertinente) de Fabio Massimo Iaquone. Et la musique de Bernstein, si enjouée si imagée. Et le conte de Voltaire aux savoureuses piques contre la religion. L’une des belles réussites de la saison pour l’Opéra de Rouen, je ne suis pas le seul à le penser à entendre le tonnerre d’applaudissements à l’issue de la représentation.

                Et peut-être que les deux semi-branlotins auront trouvé ça trop court.

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  •             Encore une exposition bien intéressante, me dis-je en découvrant, dans les locaux de l’Aître Saint-Maclou, les œuvres d’Antonio Gallego et de Samuel Bianchini, tous deux parisiens et invités par Jason Karaïndros, professeur de multimédia en cette Ecole des Beaux-Arts rouennaise.

                Je fais d’abord le tour des photos d’Antonio Gallego (connu pour être l’instigateur des « flash mobs », rendez-vous de couples qui s’embrassent tous au même moment dans le même lieu), un ensemble de tirages numériques édité par l’école et présenté sous le titre Visite d’atelier. J’apprécie particulièrement celles d’un très beau calvaire phallique, d’un troupeau de Céhéresses vus de dos (c’est plus prudent) et d’affiches de Mai soixante-huit plongées dans l’eau.

                Contestation et Céheresses que je retrouve en jouant avec les deux installations interactives de Samuel Bianchini :

                Tous ensemble, sur un écran d’ordinateur une quarantaine d’images simultanées propose la même vue d’un rue dans laquelle défilent, un par image, des manifestants ou des véhicules syndicaux, chacun est invité à faire avancer son manifestants ou son véhicule en cliquant sur l’une des cinq souris, comme il n’y a qu’un seul curseur sur l’écran, c’est aussi tous ensemble pour faire fonctionner le bazar, ou alors chacun pour soi, j’ai un faible pour la deuxième solution.

                uniform présente une image murale panoramique totalement floue dont le visiteur dévoile le sujet au gré de ses déplacements et de ses mouvements, on voit alors apparaître une belle bande de virils Céhéresses grandeur nature, l’occasion pour moi de regarder dans les yeux un de ces représentants de l’ordre établi sans risquer le coup de matraque.

                Le mois dernier, l’Ecole des Beaux-Arts, anticipant l’élection de Sarkozy, proposait une double exposition sur le thème du pouvoir autoritaire. Ce mois-ci, en ce temps de combat de rue entre manifestants et police anti-émeute, c’est au tour des Céhéresses d’être les vedettes du nouvel accrochage. On sait être raccord avec l’actualité dans cette maison.

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  •             Sous le parapluie, je rejoins aux aurores la rive gauche de Rouen pour pas moins de trois heures de manifestation, ce samedi matin, devant l’école des Pépinières Saint-Julien. Il s’agit de soutenir, à l’appel des parents et du Réseau Education Sans Frontières, deux des élèves, Baya et Romaïssa, et leurs parents menacés de reconduite à la frontière, suite au rejet de leur demande de régularisation, cela au prétexte que cette famille a deux enfants majeurs restés en Algérie (d’autres familles dans la même situation ont été autorisées à rester en France, dans ce domaine c’est l’arbitraire qui est de mise).

                Je discute avec des parents et des enseignants (mais pas ceux de l’école restés jusqu’à présent très discrets), bravant un temps incertain durant un certain temps. Successivement passent les journalistes : celui de Paris Normandie (au goût du jour : jeune homme bien mis, photographiant lui-même avec un simple numérique les manifestants installés en rang d’oignons), celui de Liberté Dimanche (à l’ancienne : apparence baroudeur, accompagné d’un photographe quêtant la photo d’ambiance) et celle, munie d’un enregistreur, de Hachedéherre, le radio des Hauts de Rouen, cette radio recevra par ailleurs les parents de Baya et Romaïssa ce lundi matin à huit heures trente pour un entretien. D’une fenêtre ouverte de l’école, les camarades de Baya mettent un peu d’animation :

                -Baya, on est avec toi.

                Une réunion aura lieu à l’école lundi soir avec l’objectif d’obtenir la régularisation de cette famille. Rien n’est perdu : Grigori et Leïla, les deux lycéens menacés eux aussi d’expulsion et pour qui un pique-nique a eu lieu il y quelques semaines devant la préfecture de Rouen ont finalement été autorisés à rester en France.

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  •             Danse au Hangar Vingt-Trois, Un champ de forces par la compagnie Heddy Maalem, douze interprètes, quatre Asiatiques, quatre Africains, quatre Européens, un homme et trois femmes dans chaque groupe. Sur le programme des déclarations assez nuageuses du chorégraphe d’où il ressort que « s’il y a une urgence dans le siècle c’est bien celle du ralentissement de la ruée générale vers le Rien », je ne peux qu’être d’accord, mais je ne trouve pas grand-chose non plus dans son spectacle. C’est joliment bougé.

                On passe du groupe dans son entier aux quatre Asiatiques puis aux quatre Africains puis aux quatre Européens puis aux trois garçons puis aux neuf filles et retour au groupe dans son entier, aucune surprise, aucune vraie nécessité dans tout cela, je m’ennuie un peu.

                Après les applaudissements, je me retourne pour voir à quoi ressemblent les deux femmes qui, au tout début, alors que la scène était plongée dans une quasi obscurité et que le premier danseur s’y déployait, gloussaient en se demandant s’il était tout nu. Avoir plus de quarante ans et ricaner à l’idée d’un homme nu sur une scène, ces deux femmes doivent avoir (ou avoir eu) une sexualité épanouie.

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  •             Je crois que le rôle documentaire, et même psychologique, du roman est terminé, voilà mon impression. Et alors, qu’est-ce qui lui reste ? Eh bien, il ne lui reste pas grand-chose, il lui reste le style, et puis les circonstances où le bonhomme se trouve. C’est Louis-Ferdinand Céline qui écrit ça et c’est une bonne chose à rappeler à quiconque se mêle d’écrire.

                C’est extrait d’un entretien de mil neuf cent cinquante-sept publié dans un recueil, incluant préfaces, articles et entretiens divers, paru aux éditions Complexe et intitulé Le style contre les idées, on y trouve notamment le célèbre pamphlet anti-Sartre À l’agité du bocal.

                Je viens d’en terminer la lecture. J’ai noté ça aussi, dans un autre entretien de mil neuf cent cinquante-sept, à mettre dans les dents des partisans du raisonnable : La raison ! Faut être fou. On peut rien faire comme ça tout émasculé. Ils me font rire. Regardez ce qui les contrarie : on n’a jamais réussi à faire « raisonnablement » un enfant. Rien à faire. Il faut un moment de délire dans la création.

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  •             Mon téléphone sonne. Je décroche :

                -Oui ?

                -Bonjour monsieur, c’est Emmanuel Blanc de Paris Normandie, je vous appelle pour savoir si vous lisez notre journal.

                -Non.

                -Pour une raison particulière ?

                -Oui, parce que je le trouve creux.

                -Ah bon, vous vous informez par d’autres moyens, télévision, radio, Internet, journaux nationaux ?

                -Télévision, non, pour la même raison. J’écoute France Culture et lis parfois Libération.

                -Bon, eh bien, je vous remercie.

                Emmanuel Blanc raccroche, espérant sans doute au prochain appel tomber sur un lecteur de son journal qui lui fera connaître son avis sur la nouvelle formule. Il y a quelques temps, je côtoyais dans un lieu que je m’abstiens de préciser, deux des principaux rédacteurs de Paris Normandie peu optimistes sur l’avenir de leur journal et l’un d’eux de conclure :

                -Bon, à l’âge qu’on a, on n’a plus rien à attendre et ça tiendra bien encore jusqu’à ce qu’on arrive à la retraite.

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  •             Sur le flayeur invitant au vernissage de l’exposition Peinture/Ecriture à l’étage de la boutique Harmonia Mundi de Rouen, l’un des plus consternants poèmes d’Aragon : On ne peint pas que ce qu’on peint/ Voir c’est penser peindre c’est dire/ L’œil rêve ah de toutes parts m’assaillent/La métaphore du peintre et sa lumière/ inondant l’avenir… Au secours ! Et pour ajouter au découragement, l’association invitante se nomme « Les fleurs de l’art ». Que fais-je ici alors ?

                Eh bien, c’est qu’à côté des trois peintres locaux exposés dont je m’abstiens de parler, un espace est ménagé pour Jean-Pierre Turmel, créateur en mil neuf cent soixante dix-neuf du label Sordide Sentimental dédié à la musique et à l’art souterrains (production et diffusion de cédés et de dévédés), le catalogue est visible sur Internet, on y trouve notamment un hommage à Pierre Molinier.

                Jean-Pierre Turmel, je le connais depuis l’après soixante-huit, c’est la science fiction à laquelle je m’intéressais alors qui m’avait amené à lui écrire (il a encore la lettre, il garde tout) et je suis l’un des heureux possesseurs de son éphémère revue One Shot (qui bien sûr n’eut qu’un numéro).

                Chez Harmonia Mundi, il expose quelques-unes des œuvres de Bruce Licher, typographe, photographe et plasticien américain qui réalise entre autres des pochettes de disques et des flayeurs pour les groupes de la scène indépendante californienne.

                Bruce Licher, par ailleurs guitariste et bassiste du groupe Savage Republic, a réalisé diverses créations graphiques pour Sordide Sentimental et Jean-Pierre Turmel a édité en deux mille cinq un dévédé consacré à ses œuvres.

                Le jour du vernissage, une vieille dame a manqué l’une des marches traîtresses de l’ancien appartement transformé en salles d’exposition et a chuté lourdement, sans dommage grave heureusement, mais rien de tel pour plomber l’ambiance. J’ai dû partir très vite, appelé ailleurs.

                J’y retourne donc aujourd’hui en faisant très attention à la marche.

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  •             Eh bien, bon peuple de France, es-tu content ? On t’a fait votailler, pour la forme, tu as choisi ceux qui vont te tondre…écrivait Félix Fénéon en mil huit cent quatre-vingt treize dans La Revue Anarchiste. Et pour avoir bien choisi, il a bien choisi, le bon peuple de France. L’avantage, c’est de savoir d’emblée qu’il n’y a rien à attendre (sauf pour les riches), alors qu’avec la gôche au pouvoir, ce n’est qu’au bout de quelques mois que l’on commence à s’énerver.

                Ce ventre mou de François Hollande, dont le parti a la mauvaise habitude de choisir pour les présidentielles un(e) candidat(e) ne pouvant que mener à la défaite, n’essaie même pas de tout faire pour que les « socialistes » gagnent les législatives, on peut en revanche compter sur lui dès qu’il s’agit d’appeler au calme à la moindre manifestation de rue.

                Je ne suis pas de ceux qui trouvent intéressant de casser des vitrines et de brûler des voitures mais je sais que pendant les cinq ans à venir l’opposition à la politique de l’ami des milliardaires se fera dans la rue et que j’y serai.

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  •             Ce type fait président de la république sur le thème travailler plus pour gagner plus qui se précipite à peine élu sur les Champs Elysées au Fouquet’s au sortir duquel son ami Johnny Hallyday annonce, totalement enivré, qu’il reste en France, les riches n’y étant désormais plus persécutés, ce type donc, chantre du travail, à peine élu, qui s’envole vers Malte pour aller se promener sur le palace flottant d’un autre de ses amis milliardaires, Vincent Bolloré, ce type qui, troisième étape, à peine élu, fait virer tous les clients d’un hôtel de luxe des Baux-de-Provence pour s’y installer bientôt avec ses copains, ce type porte la poisse : deux jours qu’il est élu, deux jours qu’il pleut.

                Et c’est entre les gouttes que je parcours les allées du vide-greniers du quartier Saint-Eloi à Rouen. J’en reviens chargé de l’édition de poche de La Montagne de l’âme de Gao Xingjian, d’une douzaine de bougies vert pâle et du Guide du Routard Belgique édition deux mille deux (ça peut toujours servir), tout cela ne m’ayant coûté que deux euros.

                Ce type et moi, nous risquons assez peu de nous rencontrer.

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  • Un lecteur m’écrit : « Si on suit ta logique « Tout sauf Sarkozy » jusqu'au bout, tu n'aurais pas dû voter Bayrou au premier tour, puisque aucun sondage ne l'annonçait accéder au second tour… ».

                C’est le paradoxe. Mais un paradoxe qui ne prend sa force que si l’on pense que les sondages n’ont aucune influence sur le vote des électeurs. Or Bayrou est passé du faible score où il stagnait en début de campagne à un score quasi égal à celui de Marie-Ségolène précisément au moment de la parution du sondage l’annonçant potentiel vainqueur au deuxième tour, il a baissé après et on connaît la suite.

                Nous voici, paraît-il, revenus à l’avant soixante-huit. Au pays de l’ordre, du travail, de l’autorité et de la morale. Je me réveille ce matin en mil neuf cent soixante-sept. J’ai seize ans. Et dans un an, je vais bien m’amuser.

                Seize ans comme pas mal de celles et ceux rassemblés hier soir devant la mairie, n’ayant donc pas voté, et qui subiront la sarkoze durant toute leur adolescence (ce devait être la dernière fête avant l’ère Sarkozy), des branlotins et des branlotines tristes, la bouteille d’alcool à la main pour certain(e)s, parti(e)s en cortège dans les rues en criant « Sarko enculé ».

                Je les ai regardé(e)s s’éloigner, la place était cernée par la police, j’imagine la suite.

                J’imagine aussi que tout n’est pas perdu, qu’aux législatives l’opposition pourrait l’emporter et qu’au Sarko serait passée ainsi une camisole de force, mais je n’y crois guère, la gauche est très douée pour perdre les élections.

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