•             Très tôt arrivés à Pourville-sur-Mer où se tient le vide-grenier annuel, la pêche est bonne. Elle emporte pour une broutille une dizaine de gouges, je pioche pour des picaillons deux cédés : Paco Ibanez canta Brassens et For the beauty of Wynona de Daniel Lanois, un disque que j’achète en premier lieu pour la photo qui l’illustre :The Knife, une image signée Jan Saudek, photographe dont je suis particulièrement friand. Ce cédé l’an dernier valait auprès du vendeur pas moins de cinq euros, cette année je l’emporte, en l’absence du même vendeur, occupé à discuter pas loin, pour deux euros seulement, après petite discussion avec celle qui garde son bric-à-brac, les prix baissent il n’y a pas de doute.

                L’après-midi, c’est le grand déballage de Criel-sur-Mer qui nous requiert. S’y trouve une mine de catalogues de ventes aux enchères d’œuvres d’art dont certains en forme de véritables livres. Je repars avec deux d’entre eux, édités par la maison du commissaire-priseur Binoche, un premier entièrement consacré à Picasso, un second dans lequel se côtoient, entre autres, Simon Hantaï, Pierre Bettencourt, Pierre Alechinsky, Karel Appel, Eduardo Arroyo, Gérard Fromanger, Georg Baselitz, Roberto Matta, avec un cahier central dédié à Keith Haring.

                Entre ces deux vide-greniers, la route côtière avec sa centrale nucléaire qui essaie de se cacher derrière quelques éoliennes et le port de Dieppe où nous déjeunons d’insipides pizzas réchauffées au Cactus Café, une mauvaise adresse du quai Henri-Quatre, pas loin de la plaque commémorative évoquant le retour de déportation de Louise Michel.

                Considérant avec étonnement la façon dont sont vêtus les passants qui déambulent sur ce quai, j’improvise un Concours d’Inélégance. Elle m’aide à constituer les catégories de participants : couples, esseulé(e)s, familles, vétérans, branlotins, enfants et cætera. On cherche les mécènes nécessaires à l’opération. Naille Que, Adi Dasse, Béné Thon et La Coste répondent présents. Difficile de décerner chacun des prix tant le nombre des mal habillés est grand mais vraiment cela aide à terminer les abominables pizzas du Cactus Café.

    Partager via Gmail Yahoo!

  •             Jeudi dernier, anniversaire de ma fille. Cela se passe à Evreux où elle a invité ses amis ou collègues. Elle me présente à l’une de ses collègues. Celle-ci s’étonne :

                -C’est ta mère alors qui est…

                -Noire, tu veux dire ? Non, pas plus ma mère que mon père, je suis une fille adoptive, je ne t’en ai jamais parlé ?

                Le lendemain, visite à l’une de mes nièces ayant donné naissance à sa deuxième fille à la maternité des Feugrais à Elbeuf.

                Aujourd’hui, comme hier, une seule pensée me traverse qui m’a empêché, m’empêche, m’empêchera toujours d’être père biologique: Le monde tel qu’il est n’est pas un cadeau à faire à un enfant.

    Partager via Gmail Yahoo!

  •             La chasse à l’enfant continue. A Amiens, Ivan, douze ans, tombe du quatrième étage pour avoir voulu, à la suite de son père, Andreï, trente-trois ans, fuir par les balcons la police venue les arrêter. Encore un exploit de Brice Hortefeux, ministre de l’Immigration et de l’Identité Nationale, surnommé avec justesse « le ministre de la Conjonction de Coordination » par l’écrivain algérien Salah Guemriche.

                Ivan, enfant russe, est entre la vie et la mort.

                Deux cents Amiénois défilent silencieusement du commissariat jusqu’à l’hôpital derrière le père d’Ivan et sa mère, Natalia, vingt-neuf ans, pendant que le Tout Puissant de la République, patron d’Hortefeux, défile bruyamment devant la dépouille d’une célébrité parisienne avant de foncer rejoindre son semblable, le mal inspiré Bush fils, avec qui il a envie de faire ami ami (il a déjà un ami ami, Kadhafi père, dictateur).

                De son côté, celui qui fait figure de Premier Ministre, un certain Fillon, témoigne de sa « compassion » pour les parents d’Ivan. C’est un bon catholique.

    Partager via Gmail Yahoo!

  •             Enfin, elles sont installées et en service les caméras de surveillance chères à Albert (tiny), maire de Rouen. Le panneau réglementaire m’en avise lorsque je m’approche du cœur de la ville, c’est-à-dire du sous-sol où prospère la Fnaque, magasin, paraît-il, culturel.

                Bien heureux que désormais Albert (tiny), maire, puisse savoir à quelle heure je descends en ville (comme on dit) et que l’œil de ses municipaux, posé sur moi par caméras interposées, m’empêche de faire des bêtises.

                Encore un effort, Albert, et Rouen ressemblera à Londres. J’espère un jour connaître la caméra qui parle et qui me rappellera à l’ordre si je laisse tomber un papier par terre.

                Une qui est vraiment vernie (et là Albert n’y est pour rien), c’est la petite vendeuse de ma boulangerie préférée, trois caméras rien que pour elle, l’une plongeant sur la caisse pour surveiller la monnaie, les deux autres la prenant en tenaille et munies d’un micro, ce qui permet à la demoiselle de dialoguer avec l’arrière-boutique. Ça donne à peu près ceci :

                Elle (se tournant vers l’une des caméras) :

                -Hé, tu peux me faire un sandouiche campagnard avec de la moutarde ?

                Un mitron (surgissant de l’arrière-boutique) :

                -Hein quoi, qu’est-ce t’a dit ?

    Partager via Gmail Yahoo!

  •             Je quitte Rouen en sa compagnie à destination de Notre-Dame-de-Bondeville où se trouve l’un des dépôts de la communauté des chiffonniers d’Emmaüs. Elle espère y trouver encres et pinceaux, j’espère y trouver armoire, étagères et pourquoi pas aussi quelques livres.

                Où donc est-il ce dépôt ? J’avise deux indigènes chenues. Elle baisse sa vitre et les interroge :

                -Emmaüs ? Il faut faire demi-tour et puis passer le casse-gueule…

                -Le quoi ?

                -Le casse-gueule, comme on dit chez nous, enfin la côte quoi… et puis passer la demi-lune, comme on dit aussi chez nous, et puis au rond-point à gauche sous le pont de chemin de fer, après il faut tourner à droite et c’est par là.

                Le casse-gueule, la demi-lune, le rond-point, le pont de chemin de fer, à droite, et maintenant c’est où ? Un jeune fille grimpe la côte à pied, elle aussi cherche Emmaüs, on l’embarque et heureusement parce qu’elle était en train de se perdre. La côte redescendue, avec l’aide de deux branlotins, je finis par trouver le chemin de la Chesnaie où se cache le dépôt-vente.

                Et là, pas de pinceaux, pas d’encres, pas d’étagères, pas d’armoire potable et des livres sans intérêt. Tout ça pour ça.

                -On ne va pas rester sur cet échec, au moins pour les livres, lui dis-je, je t’emmène à la bouquinerie de Quévreville-la-Poterie.

                Nous retraversons Rouen et après douze kilomètres arrivons à la frontière de l’Eure. Deux cent cinquante mille livres nous attendent en pleine campagne. Bien propres, bien rangés et peu chers. Quatre-vingt-quinze pour cent d’entre eux sont sans intérêt pour nous mais cinq pour cent de deux cent cinquante mille livres, ça fait encore beaucoup.

                On cherche, on trouve et quand on a enfin fait le tour de la boutique, je l’invite à me suivre dans la réserve.

                Pour cela, je vais demander l’autorisation à la jeune fille caissière.

                -Oui allez-y, me dit-elle, c’est la porte marquée « Interdit au public ».

                Je pousse cette porte et nous voici dans un immense hangar empli de livres et revues sur tous les thèmes. Cet environnement lui donne envie de faire l’amour, me dit-elle.

                -Je crains qu’il n’y ait des caméras ici, lui dis-je, quelque peu pusillanime.

                Nous ressortons prudemment et payons nos achats respectifs.

                Je suis maintenant propriétaire du Livre des superstitions d’Eloïse Mozzani, un énorme dictionnaire publié chez Bouquins/Laffont. Le feuilletant rapidement, j’apprends qu’il est dangereux pour une jeune fille de poser pour un peintre comme modèle d’une Vierge à l’Enfant, risque de stérilité future. Que c’est une bonne chose de croiser une prostituée le matin dans la rue, cette dame porte bonheur. En revanche, la même prostituée sur un bateau attire la foudre. Les marins anglais, gens pratiques, les jetaient par-dessus bord au dix-septième siècle. Quoi encore ? Tiens, habiter une maison où est mort un prestidigitateur porte malheur. Evidemment, je ne suis pas superstitieux mais je vais quand même me renseigner pour savoir si mon appartement n’aurait pas été loué autrefois à l’un d’entre eux.

    Partager via Gmail Yahoo!

  •             Ce matin, je fais mes courses chez Intermarché. A l’heure de l’ouverture, je consulte ma montre, parmi celles et ceux que je côtoie régulièrement, qui comme moi attendent le lever du rideau et pour qui, semble-t-il, c’est la seule sortie du jour, je ne les croise jamais ailleurs.

                Il est neuf heures, le rideau s’enroule. On dirait le départ d’une course à pied pour vétérans. Certaines et certains se servent de leur chariot comme déambulateurs. Il s’agit de ne pas trop se faire distancer. Le classement se fait à la caisse et comme il n’y en a qu’une d’ouverte (Intermarché fait des économies de caissières) plus tu es mal classé plus tu attends.

                Ça va je suis troisième. Je demande à la caissière d’ôter de ma note l’avoir de ma carte de fidélité, car, oui, je suis fidèle à Intermarché, pour la raison que c’est le seul supermarché près de chez moi. Mon ticket de dix-sept euros soixante-dix-neuf est réduit à cinq euros vingt-et-un, un économie de douze euros cinquante-huit. Les quatrième et cinquième de la course à la consommation me considèrent, un peu envieux, ils pensent qu’Intermarché me fait un petit cadeau.

                Que nenni, brave gens. Pour financer cette carte de fidélité, Intermarché commence par augmenter ses prix de dix ou vingt centimes puis il rend ces centimes uniquement à celles et ceux qui font l’effort de s’inscrire pour obtenir sa fichue carte (carte qui permet par ailleurs à ce marchand de faire des études fines sur les habitudes d’achat de sa clientèle). C’est tout bénéfice pour le gros commerçant. Jamais il ne te fera de cadeau, au mieux il te rendra un peu de l’argent qu’il t’a volé.

    Partager via Gmail Yahoo!

  •             A l’écoute quotidiennement de ma radio préférée, je suis déçu des programmes proposés cet été par France Culture, une quantité de rediffusions (ça coûte moins cher) et pas des meilleures (impossible pour moi de subir une deuxième fois les entretiens complaisants de Frédéric Mitterrand, « l’ami des têtes couronnées » et neveu du Mythe Errant, dégoulinant de flatterie envers ses invités), des tunnels de trois heures trente le matin consacrés à un sujet unique chaque semaine (impossible de passer autant d’heures en compagnie d’une auteure aussi lassante que la sentencieuse Marguerite Yourcenar) et la retransmission de colloques sur des sujets aussi usés que l’avenir du livre (je sais déjà qu’il est moribond mais qu’on aura du mal à avoir sa peau).

                Je suis donc souvent contraint d’arrêter la radio et, dans l’état d’un drogué à qui il manque sa dose, je me rabats sur un produit de substitution, j’écoute quelques-uns de mes cinq cents cédés qui dorment le plus souvent sur mes étagères.

                Sauf le samedi soir et le dimanche soir, car ces soirs-là France Culture campe dans les années soixante du siècle précédent à l’aide d’archives sonores idoines, une année par soirée, la dernière émission, dimanche, c’est mil neuf cent soixante-trois, j’ai une nouvelle fois douze ans, Edith Piaf et Jean Cocteau viennent de mourir, Kennedy est assassiné et Colette Magny chante Melocoton : Viens, donne-moi la main... /Pour aller où ?/- J'en sais rien !

    Partager via Gmail Yahoo!

  •             Quelques journées passées avec L’Anti-Justine de Restif de la Bretonne dont l’avertissement est clair :

                Blasé sur les femmes depuis longtemps, la Justine de Sade me tomba sous la main. Elle me mit en feu. Je voulus jouir, et ce fut avec fureur : je mordis les seins de ma monture, je lui tordis la chair des bras… Honteux de ces excès, effet de ma lecture, je me fis à moi-même un Erotikon savoureux, mais non cruel, qui m’excita au point de me faire enfiler une bossue bancroche haute de deux pieds. Prenez, lisez, et vous en ferez autant.

                L’Anti-Justine publiée en mil sept cent quatre-vingt-dix-huit « chez feue la Veuve Girouard, très connue » est un texte inachevé, Restif ayant eu peur des ennuis s’est arrêté au milieu d’une phrase. Sorti de l’Enfer de la Bibliothèque Nationale, exactement deux cent ans après sa parution initiale, par Jean-Jacques Pauvert pour sa collection Lectures amoureuses, publiée par La Musardine, il est maintenant accessible à chacun(e) pour quelques euros dans toutes les bonnes librairies, comme on dit.

                Les avis divergent sur ce livre : « L’Anti-Justine, un des ouvrages les plus obscènes qui existent dans toute la littérature. » pense John Rives-Childs, « Un des rares chefs-d’œuvre de la littérature obscène et peut-être l’ouvrage le plus saisissant de Restif. » ajoute Gilbert Lely, avis que conteste Charles Monselet « C’est une éruption de désirs odieux, où l’on trouve cyniquement dramatisés les épisodes de sa propre vie. »

                Cette dernière critique m’a donné, plus que les deux autres, l’envie d’aller y voir.

                Eh bien, cette Anti-Justine décrit abondamment une série d’épisodes orgiaques dans lesquels les filles le font avec leur père, les frères avec leurs sœurs, les fils avec leur mère et les oncles avec leurs nièces,

                Ce qui est savoureux, c’est que si un quelconque auteur de ce début de siècle prend le risque d’envoyer un manuscrit dans ce genre aux éditeurs, il le verra refuser bien vite et peut-être même s’en trouvera-t-il un pour le signaler comme individu suspect au Procureur de la République.

                On peut écrire ce qu’on veut, à condition d’être mort depuis quelques siècles, me dis-je en reposant l’ouvrage à l’issue de ma lecture.

                Je vais faire un tour en ville mais je ne croise pas de bossue bancroche haute de deux pieds alors j’entre dans la Maison de la Presse pour y acheter le numéro d’été des Inrockuptibles, entièrement consacré au sexe.

                J’ajoute, pour aggraver mon cas, que c’est le seul numéro des Inrockuptibles (le niouze culturel, comme ils disent) que j’achète dans l’année.

    Partager via Gmail Yahoo!

  •             Où trouver un peu de fraîcheur en ce dimanche cuisant ? Le Musée de la Ferronnerie est là, et gratuit en plus aujourd’hui. Une exposition temporaire y montre moult clefs et serrures sous le titre La fidèle ouverture. Qu’on ne voie là aucun sous-entendu érotique, ce musée est bien plus sage que son cousin le Musée de la Céramique.

                De bien belles pièces évidemment, réalisées entre le quinzième siècle et le dix-neuvième, en France et dans divers pays étrangers, mais j’ai du mal à m’y intéresser. Trop de  termes techniques et je n’ai pas envie de savoir ce que sont orbevoie, vertevelle, auberon, étoquiau ou moraillon bien que je trouve ces mots plutôt excitants. Et aussi trop de pièces exposées à mon goût, je suis vite noyé par la quantité, comment regarder vraiment chaque serrure et chaque clef ? Ce que je constate, une fois de plus, avec cet art de la serrurerie, c'est que l'art de se compliquer la vie ne date pas d'aujourd'hui.

                Je quitte l’église désaffectée qui abrite le Musée de la Ferronnerie et retrouve la chaleur accablante. Choisissant les rues ombragées, je suis bientôt devant ma porte que j’ouvre à l’aide de la clef du verrou supérieur. Par temps chaud, je ne peux compter sur la clef de la serrure principale. Cette ouverture n’est pas très fidèle.

    Partager via Gmail Yahoo!

  •             Je ne sais toujours pas à quoi ça sert mais ça fait un moment que j’ai ouvert un espace personnel dans la maison MySpace.

                De temps à autre, des filles parlant anglais me contactent pour que je sois leur ami, c’est-à-dire que j’achète des photos ou des vidéos d’elles dans des poses alliant la souplesse à la nudité. Pourquoi payer pour ce que je trouve, autant que je veux, gratuitement ? Je les clique hors de chez moi.

                Là, c’est un Haut-Normand de quarante-cinq ans qui me contacte pour « être mon ami ». Il n’a rien à me vendre apparemment. Bon, pourquoi pas. Je l’agrée. Si ça lui fait plaisir.

                Je connais quelques personnes avec qui j’ai de réelles relations amicales mais l’amitié, même en vrai, je n’y crois pas.

                La démonstration de son inexistence m’a été donnée il y a pas mal d’années quand j’ai quitté Le Bec-Hellouin, charmant village où ceux qui se disaient mes amis n’hésitaient pas à me visiter surtout lorsque le soleil était de la partie, pour aller vivre à Val-de-Reuil, ville nouvelle mal réputée, où plus aucun n’a répondu à mes invitations.

                C’est dire si je prends au sérieux cette amitié virtuelle que m’offre MySpace.

                Il y a heureusement l’amour, bien vivant celui-là, et depuis que j’ai quitté Le Bec-Hellouin, sur ce plan, je ne suis pas déçu.

    Partager via Gmail Yahoo!