•             En route jeudi soir pour le Centre Culturel Marc Sangnier, sis à Mont-Saint-Aignan, afin d’assister à la représentation du Baiser de la femme-araignée, d’après le roman de Manuel Puig. Je suis en voiture, bien obligé, si la pièce dure un peu pas moyen de redescendre à Rouen par le transport en commun (A quand des bus et un métro circulant jusqu’à minuit ?) et donc bientôt pris dans l’embouteillage généré par des travaux près de la gare. Je fulmine mais reste calme, me demandant seulement si ça vaut le coup cette pièce de théâtre.

                J’ai pris un billet car il me fallait un dernier spectacle pour boucler mon abonnement à Automne en Normandie. J’ai lu Le baiser de la femme-araignée de Manuel Puig dans la collection Points des Editions du Seuil vers mil neuf cent quatre-vingt. J’en garde un bon souvenir mais en ai tout oublié, je sais juste qu’il y a deux types dans une cellule de prison en Argentine.

                Parti en avance, je ne peux être en retard et j’attends donc que les portes s’ouvrent, ce qui ne se fait que quelques minutes avant l’heure de début du spectacle, pour la raison que certains acteurs sont déjà en scène. Il y a bien deux types dans une cellule de prison et, côté jardin, un guitariste qui gratouille son instrument. Durée deux heures sans entracte, je choisis une place où je peux étendre mes jambes. Devant moi, deux lycéennes souhaitent réserver cinq places pour leurs semblables. Ce n’est pas du goût d’un quadragénaire qui force le passage.

                -Mais c’est réservé, dit l’une des demoiselles.

                -Comment ça réservé ? Par qui ? Il n’y a pas de réservation ici.

                Les deux filles sont bien désappointées mais ne protestent pas davantage et le noir se fait.

                Je me souviens maintenant, il y a Valentin, le prisonnier politique et Molina, bouclé pour détournement de mineur. Le second raconte des films au premier pour occuper le temps, dont une série bé à l’eau de rose narrant une histoire d’amour et de trahison entre une chanteuse française et un officier nazi. Cette histoire est jouée en arrière-plan par un troisième acteur et une actrice. L’officier nazi se transforme parfois en directeur de la prison. Il incite Molina à trahir Valentin en soutirant à ce dernier des renseignements permettant de faire tomber tout son réseau. Je ne dis pas tout, juste que ces récits partagés changent peu à peu les deux prisonniers et les transforment en héros de cinéma.

                Les quatre acteurs : Bruno Bayeux, Vincent Fouquet, Emmanuel Noblet et Sarah Bensoussan sont parfaits. La mise en scène est adroite, elle est due à Yann Dacosta, ancien élève du Conservatoire de Rouen, devenu, entre autres activités, assistant à la mise en scène des films d’Alfredo Arias. Le recours à la vidéo est particulièrement efficace. S’ajoute à cela la présence envoûtante de celui qui signe la musique : Pablo Elcoq, un talentueux musicien chanteur à la voix étonnante que j’espère réentendre un jour.

                J’ai bien fait de choisir Le baiser de la femme-araignée par la Compagnie du Chat Foin, comme dernier spectacle de mon abonnement à Automne en Normandie.

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  •             Quand on réserve sa place dans le train, on a parfois la chance d’avoir pour voisine une charmante personne ou le désagrément de côtoyer un fâcheux personnage. C’est cette dernière option que j’expérimente ce mercredi matin en chemin pour Paris, un beauf à la Cabu mâcheur de chouine-gomme. Je lis Trains étroitement surveillés de Bohumil Hrabal. Il lit Femme actuelle. Bizarre. Je jette un œil (comme on dit) de côté. Il en est à la page « Vos ados » dont le sujet est « Quatorze ans, elle fait déjà l’amour ». Je comprends tout à coup son intérêt pour la presse féminine. Bien avant que l’on arrive à Paris, il se lève et se porte à l’avant du train, comme beaucoup d’autres, pressé d’aller travailler, ne pouvant ou ne voulant pas perdre une minute.

                J’ai tout mon temps. Je sors du métro à Châtelet sous un ciel uniformément bleu. Le soleil bas éclaire les façades blanches. Paris est une ville magnifique, me dis-je encore une fois. Je traverse la Seine. Devant le Palais de Justice, moult Céhéresses s’agitent protégés par d’épais gilets pare-balles. Un camion cellulaire arrive à grande vitesse. A l’intérieur, sans doute Yvan Colonna, coupable ou innocent du meurtre du préfet Bonnet.

                Boulevard Saint-Michel et rue des Ecoles, j’explore les rayonnages installés sur les trottoirs de mes librairies habituelles, bien content d’en repartir chargé de quelques livres à prix très réduit dont L’Acte pour l’art d’Arnaud Labelle-Rojoux, étude exhaustive de ce qu’on appelle maintenant la performance, un ouvrage publié chez Al Dante. Encore des Céheresses, tout autour de la Sorbonne, ceux-là sont posés ici pour empêcher les étudiants d’entrer dans leur université.

                Assez d’achats de livres, je pique-nique dans le Jardin du Luxembourg, contemplant neuf jeunes filles et un jeune homme qui prennent un cours de tai-chi-chuan. Ici aussi, on a tout son temps.

                Je rejoins la rue Saint-André des Arts. Un café au Malongo puis je rentre au quarante-sept dans la cour de l’hôtel particulier où Kamel Mennour vient d’ouvrir sa nouvelle galerie. Fini le local exigu de la rue Mazarine, ça doit bien marcher pour lui. Une autre preuve, c’est que, pour inaugurer ce lieu, il expose Daniel Buren. Carrés, rayures, miroirs et transparences, parfait. Je n’aime pas la géométrie mais je fais exception pour Daniel Buren. L’exposition a pour nom C’était, c’est, ce sera (Travaux situés in situ). Conjointement, au sous-sol, une présentation des travaux de Damien Odoul sur le thème de la boxe. Pas pour moi. Ce qui me plaît toutefois, c’est que les cris et insultes des boxeurs à l’entraînement dans les vidéos souterraines parviennent au rez-de-chaussée et sonorisent Buren. « Pour toute information complémentaire, contacter Marie-Sophie Eiché et Emma-Charlotte Gobry-Laurencin », dit le communiqué de presse. Elles sont charmantes et quels noms vraiment, surtout la seconde.

                Avant qu’il ne soit dix-sept heures et que j’aille rejoindre celle qui m’amène à Paris certains mercredis, je repasse rive droite, toujours à pied et sous le soleil, pour y visiter trois galeries inconnues de moi jusqu’à ce jour.

                La galerie Nelson-Freeman, rue Quincampoix, expose le photographe Eric Poitevin : végétaux, animaux et portraits. Je m’arrête surtout devant trois images de cerf mort posé sur un socle blanc ensanglanté : efficace.

                Rue Barbette, dans l’Hôtel Missa et rue de la Perle, dans la galerie Libéral-Bruant, c’est hommage à Dado, bombardé enfant dans les Balkans. Je n’aime pas sa peinture. En revanche, ses sculptures, assemblages de cadavres d’animaux desséchés, de têtes de mort et de têtes de baigneur en celluloïd, sont bien intéressantes.

                Encore le temps de parcourir Picasso cubiste à l’Hôtel Salé et de fouiner dans les rayons de la librairie Mona Lisait où l’on diffuse Fip. Il est seize heures. C’est les informations. J’apprends la mort de Fred Chichin, moitié des Rita Mitsuko. Cette nouvelle m’attriste. Je me souviens du concert des Rita au bout du quai, lors de la dernière Armada rouennaise. C’est de cela que je lui parle d’abord quand je la retrouve.

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  •             Mardi soir, à l’Opéra de Rouen, où le festival Automne en Normandie programme Menske de Wim Vandekeybus en création française. Evidemment, ça déménage avec cet ancien élève de Jan Fabre. Les danseurs et danseuses de sa troupe, Ultima Vez, viennent de tous pays et sont aussi comédiens et comédiennes. Cela se joue en anglais. C’est surtitré en fond de décor mais d’où je suis placé (mal), et avec les fumigènes et les décors mouvants, je suis souvent privé de comprendre (j’ai appris l’anglais au collège et au lycée avec des professeurs mauvais).

                Ce que je peux dire, c’est que des individus sont dans un monde perdu et perdus eux-mêmes. C’est exactement comme dans la vie, celle de la plupart des vivant(e)s d’aujourd’hui, mais pas forcément celle que vivent les abonné(e)s de l’Opéra. Ce pourquoi certain(e)s prennent la fuite en cours de spectacle et bien avant le moment où les sacs poubelle volent au-dessus de leur tête. Cela me rappelle le bon temps de la direction de l’Opéra de Rouen par Laurent Langlois et sa programmation des meilleur(e)s chorégraphes contemporains, belges notamment.

                De bien excitants moments dansés dans ce Menske, interprètes attaché(e)s a de câbles et s’entrecroisant à grande vitesse, corps des filles utilisés comme des armes lors de combats  singuliers, je suis de ceux qui sont contents à la fin. D’autres boudent ou trouvent cela « trop sombre ». D’autres encore, jeunes et venu(e)s en groupe crient leur enthousiasme, elles et eux savent bien dans quel monde on vit en ce début de vingt-et-unième siècle.

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  •             Le neuf novembre dernier, à l’Opéra de Rouen, entendant Jane Peters et l’orchestre jouer le premier mouvement du Concerto pour violon, en ré majeur de Ludwig van Beethoven, je me dis : Tiens, cela me fait penser à quelque chose. Je mets en marche tous les rouages de mon cerveau. Avant la fin de ce premier mouvement, je trouve. Cela me rappelle une chanson d’Anne Vanderlove. Oui, mais laquelle ?

                Le dimanche suivant, je consulte la discographie de ladite et j’ai la réponse. Cette chanson s’appelle La Route du Levant. Elle date de mil neuf cent soixante-dix et est signée Gérard Manset pour les paroles et la musique, « tirée d’un thème de Beethoven ».

                Certain(e)s qui connaissent la musique sont capables de déceler dans une chansonnette un thème tiré de la musique classique et de nommer le morceau en question. Je ne sais faire que l’inverse, repérer dans une œuvre classique un thème exploité dans une chansonnette.

                Cet emprunt à Beethoven me pousse à réécouter illico les trois cédés d’Anne Vanderlove que je possède, ceux regroupant ses chansons des années lointaines, des chansons d’une mélancolie bien mélancolique, à commencer par cette Ballade en novembre écrite par elle, paroles et musique, qui fut son premier succès et dont le refrain dit ceci :

                Il pleut

                Sur le jardin, sur le rivage

                Et si j'ai de l'eau dans les yeux

                C'est qu'il me pleut

                Sur le visage.

                Les autres années, c’est sans l’alibi Beethoven que je glisse les cédés d’Anne Vanderlove dans ma platine le onzième mois de l’année.

                Je ne sais pas d’où je tiens ça mais je suis persuadé que le jour où ce sera mon tour d’être mort, cela se passera en novembre, un mois qui, d’une manière générale, me rend morose. J’ai un remède qui vaut ce qu’il vaut : je soigne le mal par le mal en écoutant des chansons tristes. Dans ce domaine, Anne Vanderlove est insurpassable.

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  •             Pas moyen pour moi de bouger en ville sans passer devant la Cathédrale, pas moyen en ce moment, et pour la durée d’un mois, d’échapper au ridicule marché de Noël installé là par Albert (tiny), maire de Rouen.

                Cette année, me semble-t-il, les cabanons sont un peu moins nombreux que l’an dernier. Peut-être est-ce pour cela que le niveau sonore est plus élevé, un véritable tapage diurne. Moins la vraie vie habite un lieu prétendument festif et plus tu mets la musique fort. Dans le cas présent, c’est une musique qui libère le cerveau de toute pensée. C’est favorable à l’achat impulsif.

                Pour échapper à cette nuisance, je passe, quand c’est possible, par un chemin bien pratique, allant de la rue Saint-Romain à la place de la Calende par le transept de la Cathédrale, un raccourci comme je les aime.

                Il en est d’autres à Rouen. La librairie L’Armitière permet de passer de la rue Jeanne-d’Arc à la rue des Basnage ; Le Printemps, de la rue des Carmes à la rue Eugène-Boudin ; Monoprix, de la rue du Gros à la rue aux Ours. Bien commode en cas de grand vent, de pluie, de froid ou si, pour une raison ou une autre, on veut se faire discret. Comme quoi ces boutiques peuvent servir à quelque chose d’utile.

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  •             Je rattrape mon retard de lecture des mails envoyés, ces jours derniers, par l’association Terra (Travaux, Etudes, Recherches sur les Réfugiés et l’Asile).

                Certains racontent des histoires édifiantes. J’en retiens trois :

                La première : Ce lundi vingt-six novembre deux mille sept, à quatorze heures, François Auguste est de nouveau convoqué par le Procureur de la République devant le tribunal correctionnel pour « entrave à la circulation d’un aéronef afin de soutenir des personnes faisant l’objet d’une reconduite à la frontière.» Le deux décembre deux mille six, sur le point d’embarquer, en compagnie de son directeur d’administration, dans un avion pour une mission confiée par le Conseil  Régional, François Auguste, vice-président de la Région Rhône-Alpes, membre du Parti Communiste, a été informé par des membres du Réseau  Education Sans Frontières que la famille Raba pouvait y être embarquée à fin d’expulsion. Il a d’abord demandé au pilote de ne pas faire décoller l’avion, puis devant son refus, il s’est adressé aux passagers très calmement. François Auguste a alors été ceinturé, emmené de force  par trois policiers, et une fois hors de la carlingue, il a été mis à terre brutalement (une côte fracturée), alors même qu’il avait fait valoir son statut d’élu et qu’il ne s’est jamais débattu. Il a ensuite été emmené dans un fourgon  de police et placé en garde-à-vue pendant cinq heures, avant d’être libéré sous l’effet d’une forte mobilisation. La famille Raba n’a pas été embarquée cette fois-là, elle a été expulsée plus tard par un itinéraire détourné, puis est revenue en France. François Auguste encourt cinq ans de prison et dix-huit mille euros d’amende.

                La deuxième : Le vingt-quatre octobre dernier, le Président du Comité local du Mrap de Dunkerque a découvert et photographié sept réfugiés kurdes marqués par la police avec des chiffres au gros feutre vert indélébile sur le dos de leurs mains, une pratique inédite qui en rappelle une autre. Paris Match montre cela dans une vidéo visible sur son site Internet.

                La troisième : Le lundi dix-neuf novembre deux mille sept, le Parquet de Boulogne-sur-Mer fait interpeller, au petit matin à Paris, deux des intervenantes sociales de France Terre d’Asile pour délit de complicité d’aide au séjour irrégulier en bande organisée (ces deux travailleuses sociales avaient donné leurs numéros de téléphone personnels à des Afghans). Arrestation à domicile, perquisition, et transfert menotté vers Calais, tel est le sort qui leur est réservé. Elles sont libérées après plus de douze heures de garde à vue pour l’une, vingt-quatre heures pour l’autre, à trois cents kilomètres de leur domicile, un jour de grève des transports.

                Il fait vraiment bon vivre en Sarkozie.

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  •             Chaque jeudi, j’achète Libération place des Emmurées, après avoir été à la pêche aux livres d’occasion. Je n’ai jamais le temps de le lire immédiatement. Je le découvre les jours suivants. En commençant par le Cahier Livres qui justifie cette dépense hebdomadaire.

                Cette semaine, je suis à la fête car une page est consacrée à la Correspondance générale de Leopardi, que publie Allia ( il écrit à son frère : J’ai besoin d’amour, d’amour, d’amour, de feu, d’enthousiasme, de vie, le monde ne me semble pas fait pour moi.) et une double page présente le volume cinq (le dernier) de la Correspondance de Flaubert, publié dans La Pléiade et dont l’un des maîtres d’œuvre est Yvan Leclerc, bien connu à Rouen.

                Flaubert va bientôt mourir, enferré qu’il est dans Bouvard et Pécuchet. Il écrit à je ne sais qui : Et je ne voudrais pas crever avant d’avoir déversé encore quelques pots de merde sur la tête de mes semblables.

                La lecture du Cahier Livres achevée, je parcours le reste du journal et, dans la rubrique Entre Nous des petites annonces, je trouve ceci : « M. l’inspecteur Jeunesse et Sport, lors d’une évaluation à la colonie de Tillières-sur-Avre (Eure), en juillet mil neuf cent soixante et un, vous avez dit avec beaucoup de violence à la mono stagiaire de dix-neuf ans que j’étais à l’époque : « zéro, vous n’êtes qu’un triple zéro » parce que je n’arrivais pas à chanter devant vous. Je vous restitue cette phrase qui pèse lourdement sur moi depuis quarante-six ans et qui a porté atteinte à ma confiance en moi depuis. », c’est signé Viviane.

                Des inspecteurs et des inspectrices, j’en ai pratiqué plus d’un(e) dans l’Education Nationale. Ce sont des cousin(e)s de ceux et celles de Jeunesse et Sport. Jamais je ne suis tombé sur un(e) abruti(e) comme celui qui a bousillé la vie de Viviane. Certain(e)s étaient des arrivistes qu’il suffisait de caresser dans le sens du poil, d’autres de braves pépères qui assuraient le service minimum.

                Seule ma dernière inspection s’est mal passée. Pour des raisons autres que pédagogiques, la directrice de l’école où j’étais ne pouvait supporter ma présence dans son établissement et elle était amie avec l’inspectrice. Toutes deux faisaient et font toujours partie de l’Association Générale des Institutrices des Ecoles Maternelles (Agiheuhemme), ça en dit long sur elles. Bref, ces deux coches se sont entendues sur mon dos pour que je sois inspecté en musique, domaine dans lequel j’étais quasi incompétent. Cela m’a valu un méchant rapport mais n’a eu aucune conséquence sur la suite de mon parcours professionnel.

                Gustave, tu es mort trop vite, sans avoir pu déverser toute ta merde. Je t’en emprunte plusieurs pots pour la tronche de l’inspecteur Jeunesse et Sport de Tillières-sur-Avre (il est peut-être encore vivant).

                S’il en reste encore un peu, ce sera pour les deux nécessiteuses de l’Agiheuhemme.

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  •             Vendredi soir, je m’approche du parvis de la Cathédrale. Les cabanes sont couvertes de neige synthétique, le sapin illuminé de rouge et les arbres enguirlandés, ça s’appelle marché de Noël. C’est copié des villes du Nord et de l’Est et c’est un bon exemple de l’uniformisation du monde par le petit commerce.

                Demain Albert (tiny), maire, inaugurera ici le championnat rouennais du désir mimétique, si on se faisait tous des cadeaux pour Noël ?

                Pour l’instant, je contourne cette zone sinistrée pour me rendre à l’Opéra qui, période de ce qu’on appelle les fêtes oblige, programme Bach, Rameau et Mozart.

                Kenneth Weiss est l’invité, il dirige l’orchestre tout en jouant du clavecin. La Suite numéro trois en ré majeur de Johann Sebastian Bach pour commencer, suivie du Concerto pour clavecin en ré mineur du même. Je m’ennuie un peu au cours de cette deuxième œuvre, trop de galops de chevaux.

                Après l’entracte, Jean-Philippe Rameau avec des Extraits des suites de danses des Indes Galantes, j’ai du mal encore à m’y intéresser vraiment et pour finir la Symphonie numéro vingt en ré majeur de Wolfgang Amadeus Mozart quand il avait seize ans, comment faire pour ne pas aimer Mozart ?

                Dès la fin du programme, certains spectateurs, proches de la sortie, se précipitent hors de la salle. Je ne pense pas que ce soit par déception. Ils sont juste pressés de récupérer leur manteau, de sortir du parking avant les autres, de retrouver vite fait leur petit chez soi, à se demander pourquoi ils viennent au concert.

                Sur scène, pendant ce temps, c’est le rituel des saluts et des rappels. Saluts et rappels que Kenneth Weiss semble s’attribuer sans en laisser beaucoup aux musiciens de l’orchestre qu’il ne met guère en valeur, notamment ceux qui se sont fait apprécier par un brillant solo, Bertrand Mahieu au violon ou Jean-Christophe Falala (joli nom de musicien) à la flûte traversière par exemple. J’ai l’impression qu’il y a comme une tension entre l’orchestre et son chef claveciniste. Je me trompe peut-être. Quoi qu’il en soit, les musiciens quittent rapidement la scène, sans un dernier salut aux spectateurs, comme il est fait d’ordinaire.

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  •             Acte un : mardi trente octobre, je souhaite prendre une place pour le concert d’Emily Loizeau programmé par le festival Chants d’Elles au Centre culturel Marc Sangnier à Mont-Saint-Aignan. Le programme du festival n’est pas encore publié mais déjà c’est complet. Je me fait inscrire sur la liste d’attente (je suis le trentième). Je m’étonne de ce dysfonctionnement dans ce Journal de Bord.

                Acte deux : dimanche onze novembre, après lecture de mon persiflage, la responsable du festival m’offre une place gratuite. Je la refuse, évidemment.

                Acte trois : lundi dix-neuf novembre, neuf heures et demie, le Centre culturel Marc Sangnier m’appelle. Désolé, me dit-on, nous n’avons pas de place à vous proposer.

                Acte quatre : ce même lundi dix-neuf, midi trente, nouveau téléphonage du Centre Marc Sangnier. Une personne, malade, vient de rendre son billet. Je suis l’unique personne de la liste d’attente à n’en demander qu’un, il est donc pour moi. (Comme quoi, ça sert parfois d’être seul).

                Ce jeudi soir, me voici donc à Mont-Saint-Aignan, et même le premier de la file, à attendre que s’ouvrent les portes. Fort de l’expérience, je l’ai déjà vue deux fois Emily, je me place à l’extrémité de la quatrième rangée côté jardin, c’est à ce niveau qu’est son piano.

                Un solo de violoncelle samplé un peu lourdement ouvre le concert, mais ouf ça ne dure pas trop longtemps, elle arrive. Elle se prend les pieds dans les fils, installe sa petite loupiote au-dessus de son tourne-disque (une caméra vidéo filme ce plateau tournant et l’image est projetée sur un écran blanc) puis s’assoit devant son instrument. Petite robe à volants noire, collant noir, chaussures noires, cheveux châtain mal coiffés ramenés en arrière en un vague chignon, bien malin celui qui la reconnaîtrait assise devant son affiche, où elle figure en superbe rousse. Je ne veux pas dire qu’elle ne soit pas mignonne en vrai.

                Quelle voix, vraiment, me dis-je encore en fois. Elle mêle savamment les chansons bien connues de son unique cédé avec des nouvelles pas encore enregistrées, passant de l’émotion à la blague, de l’insolence à la sensualité, et fait admirablement la fausse timide quand elle cause avec le public.

                Elle a besoin d’être insultée afin de chanter Je suis jalouse de manière suffisamment hargneuse. On n’est pas doué à Mont-Saint-Aignan pour les injures. Un quidam crie :

                -A poil !

                -Oh, mais c’est pas une insulte ça, répond-elle, à poil je n’ai rien contre, faut voir, je veux une vraie insulte.

                Elle finit par se faire traiter d’éléphantesque, va savoir pourquoi.

                -Oh la la, vous devez tous avoir un Déheuha pour trouver des mots pareils.

                Le concert va son chemin, celui qui mène à l’autre bout du monde. Le violoncelliste installe des objets divers sur le plateau du tourne-disque, bouilloire, bougies, dessin fait par lui-même, boule disco et tutti. Des miroirs tournants renvoie de la lumière un peu partout. Ça fait un peu brocante. Il y aussi un batteur qui tape sur sa batterie. Emily est toujours au piano, elle fait aussi bien dans le classique que dans le bastringue, parfois on se croirait dans un saloune.

                Elle en est à Shower. Ce serait bien si quelqu’un(e) venait illustrer la chanson en se douchant, grimpé sur le cube où repose une serviette rouge au centre de la scène. On ne se bouscule pas pour répondre à l’invitation. Enfin, une mère amène son moutard et tente de le doucher, il se sauve en courant (c‘est comme à la maison). Un jeune homme se porte volontaire et, tournant le dos à la salle, fait ça très bien puis s’en va avec la serviette autour de la taille. Une demoiselle en jolie robe rouge arrive tranquillement pour prendre la suite. A peine a-t-elle commencé que c’est la fin de la chanson, cette douche est vraiment trop vite interrompue.

                Une brillante reprise de Ça n’arrive qu’aux autres de Michel Polnareff, un passage obligé par Voilà pourquoi, chanson d’humour surréaliste belge, avec, à la grande joie de la majorité du public, sa petite vacherie contre le président de la république française (précédemment, au Trianon Transatlantique de Sotteville-lès-Rouen, c’était pour Chirac, maintenant, c’est pour Sarkozy, c’est toujours un blaireau qui nous gouverne), un petit tour chez Boby chéri, va-t-il enfin le sortir son Zippo ? et, tiens, la voici grimpée sur le cube à douche jouant du flûteau. C’est maintenant la fin. Emily salue, debout entre ses deux accompagnateurs. Elle est plus petite que la dernière fois ou alors ce sont ses musiciens qui ont grandi.

                Elle est bien obligée de revenir et en rappel nous offre au piano une reprise de La complainte des filles de joie de Brassens puis viens s’installer sur un tabouret de bar devant la scène. Entourée de ses musiciens, elle finit sans micro par Jasseron et Leaving you.

                En principe ça s’arrête là mais conséquemment aux applaudissements qui ne cessent, Emily revient encore une fois, seule, pour une ultime chanson en anglais, au piano.

                Cette fois-ci, c’est vraiment la fin. Dommage, j’aurais bien passé la nuit avec elle.

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  •             En soirée, à l’Opéra de Rouen pour y entendre Ludus Modalis, ensemble vocal polyphonique de création récente. Je suis assis à l’orchestre, devant moi un aussi grand que moi qui me gêne. Je surveille les places restées libres et, quand les portes se ferment, j’opère une translation arrière droite qui me place en premier rang de corbeille, à côté d’un jeune homme brun à lunettes qu’il me semble avoir déjà vu quelque part.

                Dix chanteurs et chanteuses sont sur scène, avec le renfort de sept choristes du Conservatoire de Rouen dont certains très jeunes, pour interpréter des œuvres de Roland de Lassus, musicien wallon du seizième siècle  Leur chef, Bruno Boterf, est parmi eux et chante également, tout en dirigeant face au public, une façon, me dit le programme de « faire perdre à l’interprétation tout caractère ostentatoire ». Ce qui est sûr, c’est que c’est très beau.

                Ce soir, Ludus Modalis s’offre une incursion dans le vingt et unième siècle avec deux créations : Sur la lyre à dix cordes de Vincent Bouchot (sur des extraits de psaumes, avec un la medium tenu au synthétiseur) et Au-dessous des étoiles de Thierry Pécou (sur un poème de Paul de Brancion, né en mil neuf cent cinquante et un, une bonne année).

                Cette dernière œuvre interprétée, je vois le jeune homme assis à ma gauche se lever précipitamment et courir vers le plateau. Evidemment, me dis-je, c’est Thierry Pécou, que j’ai déjà vu grimper sur scène en octobre au Conservatoire pour Quelqu’un parle au tango. J’aurais dû le reconnaître mais je ne m’étonne guère de ne pas l’avoir reconnu.

                C’est un de mes travers, impossible pour moi de fixer les traits de quelqu’un(e) avant de l’avoir vu(e) plusieurs fois. Ce qui me vaut régulièrement de saluer dans la rue ou ailleurs des personnes que je sais connaître mais sans savoir qui elles sont ou d’en saluer que je crois connaître alors que je ne les connais pas ou, pis encore, de n’en pas saluer que je connais, ne les ayant même pas reconnues, ce qui doit me valoir au choix une réputation d’impoli, d’hurluberlu ou de petit prétentieux.

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