•             Hier après-midi, je quitte Rouen dans un véhicule de transport en commun. Je me rends à la Maison de l’Université, sise à Mont-Saint-Aignan. Je dois assister à quatorze heures trente à la conférence intitulée Le théâtre de Tchekhov, animée par Georges Banu et Daniel Mortier. C’est organisé par le festival Automne en Normandie, gratuit et sur réservation (j’ai réservé).

                J’arrive à deux heures et quart. Personne, pas d’affiche annonçant la conférence, ni d’affiche annonçant sa suppression. Que se passe-t-il ? Me suis-je trompé de jour ou de lieu ? Je me renseigne au bureau, là où je vois de la lumière. On consulte le programme du jour. Aucune conférence Automne en Normandie n’y figure. On ne peut m’en dire davantage.

                Je reprends le transport en commun dans le sens du retour. Rentré chez moi, j’appelle le numéro où j’ai réservé il y a au moins deux semaines. Je tombe sur un répondeur. Je laisse un message narrant ma mésaventure et donne mon numéro de téléphone. On ne me rappelle pas.

                Ce matin, toujours aucune nouvelle. A onze heures, j’appelle la billetterie d’Automne en Normandie. J’explique mon cas. La demoiselle se renseigne. Il appert que ladite conférence a bien eu lieu mais à l’auditorium du Musée des Beaux-Arts. Une affiche devait prévenir là-haut. Affiche ou pas, comment être au début de la conférence à Rouen si on est à la même heure à Mont-Saint-Aignan? Un brin désinvolte, Automne en Normandie.

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  •             Dario Fo (prix Nobel de Littérature en mil neuf cent quatre-vingt-dix-sept) et Franca Rame au programme du Théâtre de la Foudre, avec deux courtes pièces cousines La maman bohème et Médée, un spectacle du festival Automne en Normandie, mardi soir, salle comble évidemment, avec pas mal de lycéen(ne)s dont certain(e)s venu(e)s de Dieppe, à ma droite s’installe un jeune homme venu seul.

                -Je crois que je vous ai déjà vu quelque part, me dit-il. Vous n’êtes pas prof au lycée Jeanne-d’Arc ?

                -Ah non, j’ai été enseignant mais en maternelle. On s’est peut-être croisé dans une salle de spectacle. Je suis abonné à l’Opéra, par exemple.

                -Non, me dit-il, c’est peut-être dans une manifestation.

                -C’est possible aussi. Ce matin par exemple.

                -Non, pas ce matin.

                -Alors l’autre semaine, dans la manif de droite.

                -Ah oui, c’est ça. C’était bien.

                Il se plonge dans le programme. J’écoute ce qui se dit derrière. Un homme et une femme discutent de littérature. Il lui parle des poèmes de Maupassant puis elle lui demande :

                -Tu connais Nicole Estienne, une nana du seizième ?

                -Non, qu’est-ce qu’elle fait dans le seizième ?

                -Mais non, je te parle du seizième siècle ! C’était la fille de l’imprimeur Estienne. Elle a écrit des choses très intéressantes.

                Une voix enregistrée s’adresse au public. C’est Didier Bezace, le metteur en scène qui situe dans le temps la double pièce de Dario Fo et Franca Rame. Cela se passe au siècle précèdent dans ces années où l’on voulait l’imagination au pouvoir.

                Déboule alors du fond de la salle Ariane Ascaride tirant son Caddie à fleurs. C’est elle la maman bohème. Elle est vêtue comme une lycéenne de Jeanne-d’Arc, version sexy, et est poursuivie par les carabiniers. Le rideau s’ouvre lui offrant la possibilité de se réfugier dans une église. Un curé est là, endormi dans son confessionnal. S’ensuit une confession monologuée de la dame, ancienne communiste pratiquante, passée à l’extrême-gauche puis chez les hippies afin de ne pas perdre de vue son fils. C’est bouffon et subversif, non sans rapport avec l’actualité.

                Cette insoumise, à la fin de la pièce, se voit ramener dans le droit chemin, celui qui mène à la cuisine et aux travaux domestiques, et cela par son fils devenu costume cravate (c’est lui qui la fait poursuivre par les carabiniers) avec la complicité du curé et par le moyen d’une porte communicante et du décor tournant.

                Quatre minutes d’entracte, le temps qu’Ariane Ascaride change de tenue, et on la retrouve dans sa cuisine, Médée moderne, en ménagère prisonnière de son Jason qui la délaisse pour une bien plus jeune qu’elle : « Si encore il m’avait laissé tomber pour une de quatre-vingt-cinq ans, je comprendrais, on peut avoir eu une enfance difficile et avoir besoin d’une grand-mère.» En attendant le retour de Jason, elle lui prépare un frichti de sorcière, tout en apprenant par cœur la Médée d’Euripide, maudissant la gent masculine dans son ensemble. Je ne raconte pas tout, il faut voir et entendre.

                C’est tout à fait réjouissant et Ariane Ascaride se paie un gros succès, ravie d’être acclamée par tant de jeunes filles qui ne s’en laisseront pas compter, c’est sûr.

                Un homme en sortant dit à sa femme :

                -Bon, si je comprends bien, il faut que je fasse la vaisselle demain.

                De retour à la maison, je me renseigne sur cette Nicole Estienne, femme du seizième, et apprend qu’elle a écrit Misères de la femme mariée, un ouvrage réédité pour la dernière fois en mil huit cent cinquante-cinq dont le titre aurait parfaitement convenu aux deux pièces ravageuses de Dario Fo et de sa femme Franca Rame, laquelle, en mil neuf cent soixante-treize, fut kidnappée, torturée et violée par un groupe de néo-fascistes, pour prix de son insubordination.

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  •             « Sarkogne » comme le dit une pancarte, mais en face il y en a du monde, plusieurs milliers de manifestant(e)s assurément, je ne sais au juste combien, encore davantage qu’en octobre, réunis pour protester contre la politique du Tout Puissant de la République et ses répercussions sur la fonction publique. Les étudiants sont là également, massés au pied de la statue, au bout du boulevard Clemenceau, les lycéens sur le côté.

                Un drapeau me frôle, c’est celui d’un policier du Syndicat Général de la Police, ses amis d’un autre syndicat arrivent derrière une petite voiture à gyrophare et à grosse sirène. La police est avec nous. Les pompiers aussi. Ils ont sorti le petit camion à pin pon. Les syndicats doivent passer devant et les étudiants se mettre derrière la Cégété, c’est compter sans l’impétuosité de la jeunesse. Quand ils en ont marre d’attendre, les lycéens se jettent dans le défilé qui démarre et l’ « Université de Rouen mobilisée » les suit.

                Je remonte cette ardente troupe pour me placer un peu en avant avec les grévistes de Sud. « Retraites : Trente-sept années et demi de cotisation pour tous », dit leur banderole. Je suis d’accord avec cette proposition équitable. Un manifestant d’un certain âge porte une affiche où il a écrit « Education Nationale : précarité : quarante-sept contrats en six ans », encore un privilégié. Un autre propose de régler le problème des cotisations en triplant les salaires, comme Sarkozy l’a fait pour lui. Une autre banderole annonce « On ne négocie pas avec les terroristes gouvernants ».

                Pour le reste c’est comme d’habitude, slogans, fumigènes, pétards et circulation automobile bloquée pour un bon moment. Certains commençants apeurés ont baissé rideau ou fermé boutique. La rue Jeanne-d’Arc est évitée. Le cortège continue par la rue du Canuet, au bout de laquelle je détecte les fonctionnaires des Renseignements Généraux qui comptent le manifestant.

                Il commence à pleuvoir et je suis compté, je peux m’arrêter là. Je regarde passer les branlotins et les branlotines. Je sais que dans dix ans, il n’y en aura plus qu’un sur dix dans les manifestations. Les autres paieront les traites du pavillon et mettront en route le deuxième enfant. Tiens, voici les étudiants en gymnastique. Ils courent trois fois autour d’une voiture place Cauchoise. Les sportifs n’ont aucun répit, il faut qu’ils s‘entraînent tous les jours. Allez, je rentre.

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  •             Aujourd’hui, vingt novembre, c’est la Journée internationale des Droits de l'enfant, une occasion saisie par Dominique Versini, la défenseure des enfants pour signaler au ministre de l’Immigration et de l’Identité nationale (celui que le Réseau Education Sans Frontières appelle le ministre de la Chasse à l'enfant), à ses collaborateurs, à ses collègues et au Tout Puissant de la République qui les chapeaute, que les enfants de Sans Papiers sont l'objet de maltraitance, aujourd'hui, en France, de la part de l'Etat français.

                Et les exemples ne manquent pas de familles démantelées, de pères ou de mères expulsés, de parents menottés devant leurs enfants (Reims), d’enfants terrorisés jusqu'à préférer prendre le risque de passer par la fenêtre plutôt que d'avoir affaire à la police française (Yvan à Amiens), d’élèves arrêtés dans leurs écoles (Montauban), de nourrisson de trois semaines en garde à vue puis en rétention et pour finir abandonné avec ses parents, sur un trottoir, à quatre cent kilomètres de chez eux (Loiret, Rouen), d’enfants placés à l'Aide Sociale à l’Enfance pendant que les parents sont en garde à vue (Lyon, Sens), d’enfant sevré d’office pendant que la mère est retenue au commissariat (Sens), d’enfants et de parents cachés pour échapper à la police (Angers entre autres) et de tant d'autres qui vivent au quotidien avec l'angoisse d'être arrachés à ce qui fait leur vie, leur école, leurs copains, leurs parents.

                Me voici, en cette Journée internationale des Droits de l’enfant, levé tôt, encore une fois au Tribunal Administratif de Rouen, à l’appel du Réseau Education Sans Frontières, pour soutenir une famille de Rouen. Monsieur et Madame Laribi viennent de recevoir une Obligation de Quitter le Territoire Français. Des parents de l’école maternelle où leur enfant est scolarisé sont là. Monsieur Laribi, sans papiers, est membre du Conseil d’Ecole où il représente, avec d’autres, l’ensemble des parents d’élèves. Maître Rouly assure la défense. Il argumente sur le fond et sur la forme. Le commissaire du gouvernement argumente quant à lui contre l’annulation de la décision du Préfet en se trompant sur la date d’inscription à l’école de l’enfant. Peut-être Maître Rouly pourra-t-il intervenir ultérieurement pour corriger cette erreur. La décision sera rendue dans trois semaines.

                Cette après-midi, à l’heure où j’écris ces lignes, le Tribunal Administratif de Rouen se penche sur le cas de monsieur Abri, originaire du Maghreb lui aussi, père d'un enfant scolarisé à Fontenay-aux-Roses (passé par le Centre de Rétention de Oissel) puis de la famille Yundel d’origine mongole, père mère et deux enfants de trois ans et six mois, vivant à Noisy-le-Grand (passés eux aussi par Oissel). 

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  •             Je lis le Journal de Catherine Pozzi, qui fut l’amante de Paul Valéry, un pavé de près de huit cents pages, publié chez Phébus. Je le lis en diagonale, peu intéressé par les longs développements psychologiques et les états d’âme de la dame. J’y cherche les évènements, les portraits, les anecdotes. C’est cela qui m’intéresse dans les écritures de celle qui se décrit ainsi, le vingt-sept août mil neuf cent quatorze : Je suis maigre et laide et pâle, un grand vermicelle qui aurait de grands yeux.

                Ainsi, le vingt-six août mil neuf cent quatorze, elle allume méchamment l’actrice Marguerite Moreno : Moreno (…) étourdissante de drôlerie mordante ou vulgaire, jouant cent petites scènes par heure : la scène de « l’épicière dont onze parents sont à la guerre », la scène de « Moreno mettant le couvert », du « Monsieur qui suit Moreno dans la rue », des « enfants de la voisine de Moreno »… Ce soir, j’aurais probablement la scène de la mort du frère de Moreno et la scène de la mère de Moreno à l’enterrement du frère de Moreno, deux événements qui viennent d’arriver, et ce sera d’un gai éclatant.

                Quel plaisir pour moi, aussi, de retrouver dans ce Journal l’abbé Mugnier, dont elle fait une description particulièrement réussie, le neuf mai mil neuf cent vingt et un (elle est une fois de plus mourante, Paul Valéry lui demande de voir un prêtre et lui indique l’abbé, ce qui l’énerve un peu) : Il n’y a pas trois poules qui picorent à l’esprit, sans que Mugnier soit au milieu. Sa robe ne se gêne pas de frôler les peaux de ces dames, sentant si bon, roses encore de leurs messieurs. Mugnier fait la table des adultères ; Mugnier parle drôlement et fait dix-huitième siècle chez les amateurs du vivre ; on invite Mugnier dès qu’une princesse papoue passe.

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  •             Ouf, elle a réussi à rentrer de Paris malgré la grève des cheminots et elle m’accompagne en bus jusqu’à Mont-Saint-Aignan, ce samedi en fin d’après-midi. Descendus en bout de ligne au Mont aux Malades, nous allons ensuite à pied à la Galerie du Bellay.

                Là, nous découvrons l’exposition en cours : Palais des glaces, une dizaine d’artistes, installations et vidéos, pas mal, pas très neuf. C’est bientôt le décrochage et pour fêter ça, les deux filles composant Lassie sont là.

                Ce sont des Toulousaines, diplômées de l’Ecole des Beaux-Arts de là-bas, qui, depuis deux mille cinq, se sont donné pour objectif d’ « explorer le spectacle comme champ d'expression global ». A cette fin, elles fabriquent leurs « starification, musique, texte de chansons, chorégraphie, costumes, vidéos et clips... », le tout dans « une cohérence clownesque ».

                C’est alléchant mais les deux filles se font un peu prier pour passer à l’acte. Ah, les artistes ! Qu’importe, le maître des lieux ouvre le bar et celle qui m’accompagne dépucelle le conteneur de bordeaux. Nous remplissons nos verres et trinquons à l’espoir de voir Lassie en action, tout en grignotant des cacahuètes.

                Il y a là un public choisi. Avec quelques-un(e)s, nous échangeons de subtils propos, en faisant des allers et retours du bar aux salles d’exposition. Tiens, si on essayait de lancer la patate dans le trou du tabouret percé de ce Stand  imaginé par Ranger. Raté pour elle comme pour moi, mais j’atteins au moins le socle du tabouret.

                Ça y est, les voici costumées et prêtes à tout, les deux filles de Lassie. Elles se lancent dans leur concert performance, allant, dans leurs chansons, du monde de Sergio Leone à celui de Charles Perrault en passant par chez Georges Bataille et par des coins encore plus fous, dans un prestation volontairement grotesque. Parfois, ça me fait penser à Ici Paris, groupe défunt.

                Pendant qu’elles revisitent le disco, un couple, qui a bu davantage que nous deux, nous passe devant. Lui, se lance dans une sorte de danse consistant à jeter son pelvis en avant (catégorie : je les baise l’une après l’autre). Elle, bidouille son téléphone (catégorie ; j’écoute disco, j’envoie texto). C’est que la température monte. Les deux filles sont maintenant à quatre pattes, dans leur chanson il est question d’être prise en levrette, d’être toujours prête. La performance s’achève sur ce que Lassie nomme une tragédie professionnelle.

                -C’est vraiment bien, je trouve, me dit celle qui est là avec moi.

                Je suis tout à fait d’accord. C’est une bien réussie « proclamation active et virulente de "Je ne sais pas ce que je fais" », comme elles l’écrivent quand elles parlent d’elles. Elles évoquent aussi à propos de leur démarche « une position tenable dans un monde où l'ordre et le sens donné par les artistes sont totalement fortuits », parlent encore de « recherche du plaisir dans le faire et dans la vanité de la monstration. », d’ « identité sonore, parfois abstraite par ses rythmiques confuses et ses textes burlesques et sombres ». Je cite, je ne peux dire mieux qu’elles.

                Nous reprenons un verre de bordeaux et trinquons à Lassie. Je me demande pourquoi, avant cette année, je n’avais jamais mis les pieds à la Galerie du Bellay. Depuis le temps que Mister Crocodile y incite ! Il ne peut être là ce soir, le pauvre. Allez, un dernier verre à sa santé.

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  •             Danse et théâtre, vendredi soir, à l’Opéra de Rouen pour Myth de Sidi Larbi Cherkaoui, présenté pour le festival Automne en Normandie, j’y suis, en corbeille, tout au bout de l’avant-dernière rangée, une méchante place, parfaite pour voir les spectateurs d’en face, pas du tout faite pour voir le plateau. Je peux heureusement me décaler un peu grâce à l’absence de spectateurs de la rangée précédente. C’est mieux, je vois les musiciens déjà installés sur une plateforme au-dessus de la bibliothèque qui compose une partie du décor ; à droite de la bibliothèque et des musiciens une immense porte, fermée.

                Sur scène, des comédiens à physique particulier et des danseurs acrobates et contorsionnistes, les premiers jouent des personnages en attente dans une zone non définie, peut-être le purgatoire, un militaire d’opérette, une attardée mentale, une intellectuelle anglophone, une travestie noire, les seconds, de noir vêtus, sont les doubles ou les fantômes ou les ombres des premiers qu’ils imitent, accompagnent, persécutent, menacent, aident, selon le moment, caracolant, gambadant, rampant, cabriolant, escaladant le décor. Tout cela sur une musique médiévale jouée par l’Ensemble Micrologus de Patrizia Bovi (laquelle chante d’une voix magnifique). Les personnages s’expriment en français, flamand et anglais (ce dernier surtitré sur le décor). Sporadiquement, elles et eux racontent ce qui a brisé leur vie et les a amenés là. L’histoire alterne entre comique et tragique, passant de l’univers de la Divine Comédie à celui du Magicien d’Oz. Les portes vont-elles s’ouvrir ? On peut attendre longtemps ici, la présence de deux squelettes le montre bien.

                Deux heures de spectacle ininterrompu et pas une minute je ne m’ennuie, la chorégraphie pleine d’invention, les bribes de texte emplies de violence, la musique qui me fait songer parfois à Malicorne, tout m’enchante.

                Quand la porte s’ouvre, laissant le passage à un individu plus ou moins christique qui emmène personnages et parts d’ombre (sauf la travestie qui préfère continuer à lire dans cette salle d’attente et sa part d’ombre qui ne peut la quitter), je fais partie de celles et ceux qui applaudissent bien fort. D’autres applaudissent poliment et commentent bruyamment :

                -Cela m’a semblé interminable.

                -Une soirée de perdue.

                -Heureusement qu’il y avait la musique.

                -Qu’est-ce que c’était chiant !

                Quand ces derniers sont contents, je suis mécontent ; quand ils sont mécontents, je suis bien content.     

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  •             Me voici vendredi à presque quatorze heures, rue Saint-Sever, devant l’entrée du Conseil Général de Seine-Maritime. J’espère pouvoir entrer afin de suivre une partie des trois jours de colloque international organisé, pour les cent cinquante ans de la parution de Madame Bovary, par l’Université de Rouen et l’Association des Amis de Flaubert et de Maupassant (comme quoi on peut être mort et avoir des amis).

                Je n’ai pas d’invitation, n’ai été informé que par hasard. La porte est fermée. Un homme est là qui attend comme moi. Je l’interroge. Il était là le matin, me dit qu’on peut aussi passer par une autre entrée. Je le suis.

                Me voici dans les lieux. Cela se passe dans une salle de conférence à l’architecture et au mobilier soviétiques. A gauche de l’estrade, la reproduction d’un portrait de Flaubert, de profil, portant un drôle de galurin au sommet du crâne. Tel qu’il est placé, il tourne le dos aux orateurs à qui il semble dire : « Rien à foutre de votre colloque ».

                Sur l’estrade et dans la salle, se trouvent de fort compétents spécialistes de l’œuvre de Gustave, venus de plusieurs pays d’Europe, du Japon, des Etats-Unis. Le public est un peu clairsemé et plutôt âgé à quelques exceptions près. Cela fait un peu Université du troisième âge. Peu d’étudiants, trois ou quatre.

                Suis venu cette après-midi car il doit être question de l’image puis de l’amour dans plusieurs des communications.

                 Jeanne Bern, de l’Université de la Sarre, a pour sujet Le roman et les arts visuels : une des modernités de Madame Bovary (citation : « L’intermédialité est au média ce que l’intertextualité est au texte. »). Philippe Dufour, de l’Université de Tours prend la suite pour Flaubert paysagiste ou l’œil égaré (citation : « La synesthésie est une rhétorique du naïf. »). Très intéressants tous les deux, je me sens devenir plus intelligent en les écoutant.

                Pause café et ça reprend en courant car on est en retard. Gisèle Séginger, de l’Université de Marne-la-Vallée, parle du Discours politique, du manuscrit à l’œuvre. Un peu long pour moi, je me réjouis juste, comme d’autres ici, des citations extraites des brouillons de Gustave : tout ce qu’il dit de Louis-Napoléon Bonaparte peut se rapporter à notre bon roi Nicolas. On en arrive à l’amour avec Per Buvik, de l’Université de Bergen en Norvège, pour La sexualité d’Emma Bovary, sexualité qu’il étudie par le biais du réquisitoire du procureur Pinard, des travaux des critiques littéraires Albert Thibaudet et Jules Gaultier et du propos de Baudelaire sur l’androgynie d’Emma. C’est au tour de Delphine Jayot, doctorante parisienne (elle écrit une thèse sur le bovarysme) et par ailleurs comédienne. Quel dommage qu’elle doive tant se presser pour parler de Don quichottisme et bovarysme, d’une folie à l’autre.

                A dix-huit heures, changement de salle, tout le monde se transporte vers le hall Bérégovoy où il y a spectacle : L’Album de Madame Bovary, texte de Gustave Flaubert extrait de son roman, musique de Darius Milhaud. Hélas, dans ce genre de lieu dès qu’il y a spectacle, il y a discours. C’est Jean-Yves Merle, vice-président du Conseil Général chargé de la culture et du patrimoine, qui fait ça. En trois points : un : il prévient qu’il risque d’être long et ennuyeux, deux : il est long et ennuyeux, trois : il s’excuse d’avoir été long et ennuyeux. Il fait mieux que ça, il oublie sa sacoche siglée Conseil Général sur la scène et quand Anne Angebault qui joue la fille d’Emma doit s’asseoir sur sa chaise, elle s’assoit, stoïque, sur le Conseil Général, tandis que Nicolas Lavenu au piano joue Darius Milhaud. Très bien, elle comme lui. Ma voisine, une vieille dame charmante, me demande si ça m’a plu et me dit avec un sourire:

                -C’est très moderne cette histoire, c’est ça qui est scandaleux.

                Je prends une coupe de champagne en mangeant des petits fours, entouré des flaubertistes qui ont entre eux des échanges pointus. Si un jour, il se passe une catastrophe bizarre qui supprime tous les exemplaires parus et les manuscrits de Madame Bovary, pas de problème, à eux tous ils récriront le roman de Gustave à la virgule près.

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  •             Edouard Launet tient chronique dans le Cahier Livres de Libération sous le titre On achève bien d’imprimer. Cette semaine, il raille gentiment Christophe Donner au sujet de sa réaction épidermique lors de l’annonce de sa non obtention de prix littéraire. Il fait cela sous forme d’une lettre ouverte à Christophe, lui annonçant qu’il maintient son nom sur la liste des nominés pour le prix de Sainte-Catherine sur Mer (Seine Maritime).

                Ce n’est pas cela qui m’intéresse. C’est la suite.

                « L’an dernier, nous avons ainsi couronné Souvenirs d’un cap-hornier bègue de Jean Milleteuil, paru aux éditions Elisabeth Brunet à Rouen, dont vous avez probablement entendu parler. Votre ouvrage nous semble posséder la même fraîcheur et le même souffle : vos chances sont excellentes. » écrit Edouard Launet.

                Oh, le méchant, qui se moque d’Elisabeth Brunet ! Jamais elle n’aurait publié ces souvenirs d’un auteur inconnu. Elle ne publie que des textes d’écrivains reconnus, morts il y a au moins cinquante ans, des ouvrages sans prise de risque, le dernier n’étant que le fac-similé de Madame Bovary annoté par Gustave.

                J’ai beaucoup fréquenté la librairie d’Elisabeth Brunet autrefois. Quand, en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf, Michel Raluy, jeune éditeur téméraire du Massif Central, a publié aux Editions du Chardon certains de mes textes sous le titre Erotica (perdant sans doute beaucoup d’argent dans l’aventure), je suis allé voir Elisabeth Brunet pour lui proposer en dépôt cinq exemplaires de mon livre. Elle a accepté sans enthousiasme.

                Quelques mois plus tard, je lui demande si elle en a vendu. Elle me répond que non. Je souhaite donc récupérer ces ouvrages. Problème : elle ne sait plus où ils sont. M’invite à revenir dans une semaine. La semaine suivante, même chose. De semaine en semaine, il se passe un mois avant qu’elle m’annonce que ça y est elle les a retrouvés.

                -C’est bizarre, ajoute-t-elle, j’en ai six, alors qu’on en avait noté cinq.

                C’est que, généreux comme je suis, j’avais offert un exemplaire à Elisabeth Brunet.

                 Je n’ai rien dit. J’ai repris mes six Erotica. Depuis, ce jour, je fréquente beaucoup moins la librairie d’Elisabeth Brunet, dont Edouard Launet se moque dans Libération.

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  •             Dix artistes invité(e)s pour la nouvelle exposition organisée par l’Ecole des Beaux-Arts rouennaise sous le titre (qui aurait plu à Libération il y a encore quelques temps) de Points de vue, images du monde. Il est question de perspective et donc la science de Daniel Arasse est requise pour chapeauter l’ensemble des œuvres présentées. J’ai toujours la voix de Daniel Arasse dans l’oreille, dont j’écoutais les causeries inspirées, l’été deux mille trois, sur France Culture, juste avant qu’il ne meure, c’est à cela que je songe ce jeudi soir, jour de vernissage.

                Beauzarteux et beauzarteuses sont là, à l’habillement subtilement décalé, tu comprends moi je vais faire artiste, alors… et quelques sommités locales également qui, dès qu’elles jugent avoir fait suffisamment longtemps acte de présence, s’éclipsent. Moi, je bois un godet en observant ce ballet.

                Les œuvres exposées me laissent froid, je n’aime pas la géométrie, mais c’est du bon matériel pédagogique pour les professeurs de l’endroit.

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