•             Je regarde très peu la télévision. Vraiment pas le temps. Et puis aussi pas le goût d’être assis dans un canapé. Cependant, je suis de temps à autre Cé dans l’air, l’émission de débat de France Cinq. Ce mercredi soir, il y est question des grèves, celle des cheminots, celle des étudiants. Pour cette dernière, un mini reportage en guise d’illustration. Cela se passe à Nanterre. Les Céhéresses débloquent la faculté à coups de tonfa, traînant étudiants et étudiantes bloqueurs par les pieds sur le macadam et le béton. Rien que de très banal. Ce qui l’est moins, c’est la masse des étudiant(e)s hostiles au blocage qui assistent au spectacle en applaudissant la police.

                Je sais qu’il y a parmi elles et parmi eux des gens de droite, que d’autres se croient dans un jeu vidéo, que certain(e)s n’ont pas toutes leurs facultés mentales (les cuites du samedi soir, ça ramollit le cerveau) mais les autres ? Se rendent-ils vraiment compte de ce qu’ils font ? De ce à quoi ils sont prêts pour continuer à mener leurs petites études sans se poser de questions ?

                C’est Daniel Cohn-Bendit qui doit être heureux de voir ça. Combien minoritaires étaient les membres du Mouvement du Vingt-Deux Mars ! Combien peu nombreux ceux que la droite et la gauche bien pensante appelaient les enragés de Nanterre !

                Il n’y a pourtant rien à attendre de la majorité. Toutes les évolutions dans quelque domaine que ce soit (technique, politique, mœurs, art, et cætera) sont l’effet de l’action d’une minorité. Je suis fier d’être minoritaire et même d’avoir parfois tort avec la minorité.

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  •             Privé de sortie aujourd’hui, mon billet de train pour Paris, acheté bien à l’avance, m’est, en ce jour de grève des cheminots, devenu inutile.

                Je reste donc à la maison où je petit-déjeune avec Les Matins de France Culture. Il est question des régimes spéciaux de retraite, bien sûr. L’invité est Jean-François Kahn, directeur de Marianne. J’aime bien ce personnage, il ne pense pas entre les clous, il dit okay les régimes spéciaux sont un privilège, on les met sur la table et puis on y met aussi tous les autres privilèges, salaires mirobolants de certains patrons, stock-options et tutti, et puis on redistribue tout ça. Dans cette émission animée par Ali Baddou, intervient Alain-Gérard Slama du Figaro, lui non plus ne pense pas entre les clous et sa chronique quotidienne en est souvent la preuve (il y a quelques mois, quand je m’amusais de la manie de la plupart des animateurs de France Culture de se dire présents en Avignon ou en Arles plutôt qu’à Avignon ou à Arles, il m’a envoyé un mail d’approbation). Cette façon de penser hors les clous, on ne doit pas la trouver qu’au centre et à droite, elle doit exister aussi à gauche, mais bon, je ne trouve pas d’exemple, là maintenant.

                Un petit tour sur Internet ensuite, je vais voir sur le blog photo de la ville de Rouen s’il ne s’y trouve pas quelques images de la manifestation de droite de samedi dernier. Que dalle. En revanche, j’y trouve des photos de la cérémonie du onze novembre. Albert (tiny), maire et Fourneyron (Valérie), députée, pieusement recueillis côte à côte. Elle, porte l’écharpe tricolore à gauche et lui, la porte à droite, rien de plus normal. Ce qui est bizarre, c’est que lui, Albert, la porte sous sa veste. Peut-être pour retourner celle-ci plus facilement. Un coup, je suis pour Bayrou. Un coup, je suis pour Sarkozou. Un coup, je ne sais plus, zou…

                Je commence à écrire n’importe quoi, il est temps pour moi d’aller faire un tour.

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  •             Rideaux tirés à l’Opéra de Rouen ce mardi soir. Derrière le bar, de lourdes tentures marron isolent cette noble maison de la ville. Je trouve ça dommage. J’aime, avant le spectacle et à l’entracte, considérer de cette hauteur la vie grouillante de l’extérieur, surtout en cette période de foire Saint-Romain, de l’autre côté de la Seine. Un vrai plaisir pour les yeux, dont je suis privé.

                C’est concert ce soir, avec deux virtuoses. Alexandre Tharaud au piano, déjà apprécié l’an dernier à la Halle aux Toiles, partage l’affiche (comme on dit) avec Jean-Guilhen Queyras au violoncelle. Je m’installe au premier balcon. Une nouvelle fois, j’ai la chance d’être côté jardin, d’où sont visibles les touches du piano. Dernière moi est assise une tribu venue de Mont-Saint-Aignan. Je crois reconnaître les parents des jeunes gens rencontrés samedi dernier lors de la manifestation de droite, mais ils sont bien moins distingués que leurs enfants et se laissent même aller à des plaisanteries : « Il y a deux sortes de comique : le comique de répétition et … le comique de répétition. »

                C’est Christophe Queval, dont j’apprécie le goût de l’adjectif, qui signe la présentation des œuvres jouées : la Sonate Arpeggione pour violoncelle et piano et la transcription pour violoncelle et piano de la Sonatine en ré majeur de Franz Schubert, la Sonate numéro un pour violoncelle et piano en ré mineur de Claude Debussy et la Sonate pour violoncelle et piano de Francis Poulenc. Il a pu consulter le dossier médical de chaque compositeur. Tous les trois n’allaient pas très bien : syphilis et accès de dépression pour Schubert, mal implacable et angoisse persistante pour Debussy, dépression récurrente pour Poulenc. De bien bonnes raisons pour chacun de composer de la musique gaie, ce qui est le cas. Je me laisse emmener par le jeu des deux jeunes talents, l’ « aristocratique et sensuel » (c’est le magazine Gramophone qui l’écrit) Alexandre Tharaud et l’énergique et velouté (c’est moi qui l’écris) Jean Guilhen Queyras.

                Gros succès, applaudissements nourris, bravos répétés, le duo offre à chaque rappel un petit supplément au programme, on en est à quatre lorsque le violoncelliste revient sans son instrument, un violoncelle signé Gioffredo Cappa de mil six cent quatre-vingt-seize à lui prêté par la Société Générale.

                A la sortie, une bonne drache m’accueille. Imprudemment, j’ai omis d’emporter un parapluie. C’est donc sur ma tête que les grêlons rebondissent. Ça ne m’empêche pas de penser. Je songe à une émission de France Culture entendue il y a quelques mois, dans laquelle des musiciens parlaient des prestigieux instruments prêtés par des mécènes. Si le mécène juge que le musicien ne mérite plus cet honneur ou qu’un autre le mérite désormais plus que lui, il le lui retire sans tarder. Je me demande comment ce musicien fait pour survivre à une telle humiliation.

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  •             Cela fait un moment que je tiens chronique chaque trimestre dans la revue littéraire Décharge, précisément depuis mars deux mille cinq. Samedi dernier, je reçois de son directeur le mail suivant :

                « Objet : Re : proposition de texte pour ma chronique

                Cher Michel Perdrial,

                Le n° 136 est sous presse, je voulais te dire que comme je fais tourner les chroniqueurs périphériques, je vais en renouveler avec la prochaine année. Je te remercie pour ta participation à Décharge et souhaite que tu ne m'en veuilles pas trop de cette décision toujours un peu désagréable...

                Bien amicalement

                Jacques Morin »

                Cher Jacques Morin, je ne t’en veux pas, tu es le maître à bord et je sais que la publication de Décharge te crée au moins autant de soucis que de satisfactions, que tu dois tenir compte de beaucoup de paramètres pour satisfaire les uns et les autres, rien de plus normal à ce que tu souhaites remplacer un chroniqueur, qui plus est périphérique (j’adore cette formulation), à ce que tu te décharges de mes écritures et conséquemment me décharges de trouver tous les trois mois un sujet qui puisse te convenir. J’ajoute (encore à ta décharge) que cette chronique je te l’ai plus ou moins imposée. Un jour, je t’envoie un texte intitulé Par la bouche relatant la venue de Jim Harrison à Rouen, tu me réponds : « J’ai envie de publier ce texte mais dans les pages Chroniques de la revue », je te dis d’accord mais une chronique par définition c’est chronique et donc je dois avoir aussi un espace dans les prochains numéros, ce que tu acceptes et depuis, tous mes textes envoyés à cette fin, tu les as acceptés, à l’exception d’un seul, Pas revoir, qui narre, au Trianon Transatlantique de Sotteville-lès-Rouen, lors d’un café littéraire consacrée à Valérie Rouzeau, la lecture désastreuse de ses textes par elle-même. Valérie Rouzeau étant une de tes amies et étant de plus publiée par L’Idée Bleue qui publie aussi Décharge, je comprends bien que tu l’aies refusé, ce texte, qui a d’ailleurs trouvé refuge dans une autre revue sans tarder.

                Ce que je trouve un peu cavalier, c’est la méthode, ce mail expéditif. Tu aurais pu anticiper un peu, me laisser le temps de me faire à l’idée que je n’ai plus ma place au sommaire de Décharge au lieu de m’avertir au dernier moment, à l’heure où je travaillais au prochain texte à te soumettre. De plus, ce n’est pas très chic de m’adresser un mail sans objet explicite, reprenant l’objet d’un des miens à toi envoyé il y plusieurs mois, ce « Re: proposition de texte pour ma chronique », au lieu d’un honnête « Fin de ta chronique dans Décharge ». C’est un exemple fâcheux, je trouve, de l’usage des messageries d’Internet pour escamoter une démarche déplaisante, une façon de faire que je résume par cette formule : Je clique et tu dégages.

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  •             A vrai dire, je ne suis rien moins sûr d’avoir quelque talent qui me fasse lire. Je trouve quelquefois beaucoup de plaisir à écrire, voilà tout. écrivait Stendhal, cité par Paul Léautaud dans le volume deux de Passe-temps, un propos que je fais mien ce jour pour le premier anniversaire de ce Journal de Bord, ouvert le onze novembre deux mille six. Ce plaisir d’écrire, en un an, et bien que je sois de temps à autre en vacances loin d’un ordinateur, m’a fait mettre en ligne, ici, quatre cent vingt-trois billets (j’emploie ce mot faute de mieux).

                Au fil des semaines, le nombre de celles et ceux qui me lisent augmente. Cela m’encourage à continuer (tant que le plaisir est là). La semaine dernière, mon lectorat fluctuait entre cent vingt-deux et cent quarante-neuf personnes selon les jours. Aujourd’hui, je sais qu’il sera supérieur grâce à l’effet « Manif de droite à Rouen », mon billet du jour ayant été signalé ici et là dans la blogosphère. Je profite de cette occasion pour remercier Grand Rouen, Albertinon, Le Petit Docteur et les autres, qui ponctuellement invitent à me lire.

                Qui sont mes lecteurs et mes lectrices ? J’en connais quelques-un(e)s, rencontré(e)s ici ou là, mais j’ignore tout de la plupart d’entre elles et eux. Je pense qu’il y en a un certain nombre de la région de Rouen bien que je n’écrive pas spécialement pour un public local. J’espère être également lu par des francophones au Chili, en Australie ou en Croatie. Comme j’utilise une formule d’hébergement gratuite et sans publicité, la maison Over-blog ne me fournit que des statistiques succinctes qui ne me permettent pas de le savoir. Et peu de mes lectrices ou lecteurs me contactent.

                Les deux derniers messages que j’ai reçus sont de nature bien différente.

                Ce matin, c’est un mail de l’association organisatrice du festival Chant d’Elles :

                « Cher Michel,

                Il n'est point de grand projet sans imprévus, retards et agacements divers et variés...

                A la lecture de votre "persiflage" au sujet de notre festival, je vous propose une invitation au beau concert d'Emily Loizeau.

                Vous pourrez retirer votre place, le soir même, à l'accueil du Centre Marc Sangnier. J'espère que cette proposition réhabilitera à vos yeux l'image de Chants d'Elles, un festival courageux, original, fort de ses valeurs humaines.

                Très bon spectacle.

                Martine Giraud

                présidente de l'association "A Travers Chants" »

                Cela part d’un bon sentiment bien sûr mais ne correspond en rien à mon attente. Je souhaite juste avoir autant de chance que les autres d’obtenir une place aux concerts qui me tentent. Il ne s’agit pas pour moi de passer devant autrui et sans payer en plus. Le concert d’Emily Loizeau aura bien lieu sans moi, j’espère la retrouver ailleurs dans la région bientôt.

                Jeudi dernier, c’est un mail d’une lectrice ayant bien connu Robert Tatin. Elle me confie qu’elle a eu le même sentiment que moi lorsqu’elle est retournée sur les lieux où elle l’a côtoyé de son vivant (étudiante à l’Ecole des Beaux-Arts de Lille, elle passait ses vacances avec d’autres à aider l’artiste à confectionner ses œuvres monumentales). Elle me dit notamment, à propos des jeunes conférencières envahissantes d’aujourd’hui : « Quand je me suis retrouvée dehors dans l'Allée des Géants, j'ai pensé 'mon pauvre Tatin, qu'est-ce qu'elles sont cruches', et je me suis éloignée pour avoir la paix. » et me raconte un peu comment cela se passait avec Robert au hameau de la Frénouse à Cossé-le-Vivien : « Nous étions ses oeuvriers, nous montions les socles des statues avec Liseron (sa femme Lise), nous coupions le grillage qu'il modelait sur les tuyaux de béton. Une fois la structure prête, nous attaquions le béton: un tas de sable et ciment, de l'eau et une bonne pelle en main. J'en ai fait des brouettées! Liseron grimpée sur un échafaudage gâchait le ciment sur le grillage sous les yeux de Tatin, et soudain il mettait la main à la pâte et façonnait la statue. Une fois terminée, celle-ci séchait, puis il la peignait, projetant la peinture à l'aide des gros pinceaux; tous ses gestes avaient une importance calculée. »

                « Merci d'avoir ainsi réveillé le chat qui dort et pensé sur papier ce que j'ai pensé au coeur de moi. » conclut-elle après m’avoir révélé l’un des conseils que lui donnait Tatin : « Tu vois petite, il faut savoir regarder ».

                Savoir regarder, c’est aussi ce que j’essaie de faire chaque jour.

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  •  

                J’arrive à trois heures moins cinq, ce dix novembre deux mille sept, place des Floralies et du Socrate Réunis, un drapeau tricolore est déployé sur un banc, il est entouré d’une dizaine de jeunes gens et jeunes filles remarquablement bon genre, cela fait longtemps que je n’en ai pas fréquenté d’aussi bonne éducation et si bien habillé(e)s. Je fais connaissance avec deux d’entre eux et suis présenté à deux jeunes filles tellement distinguées que je frôle le baisemain. Pour ma part, je tente de discipliner mes cheveux, un peu longs je l’avoue, en les maintenant derrière mes oreilles. Je suis vêtu au mieux, chaussures de ville à bout pointu, pantalon noir, chemise à rayures, pas de cravate hélas et ma plus belle veste, que celle qui doit me rejoindre ici appelle « ta veste de chasseur ».

                La voici, délicieuse dans sa jolie robe à fleurs, souliers vernis, collier de perles, broche du plus bel effet. Elle porte une pancarte sur laquelle est inscrit  « Plus de police et moins d’artistes ». Sur la mienne, on peut lire d’un côté « L’argent, c’est pas fait pour les pauvres » et de l’autre « Le caviar, c’est pour Charles-Edouard et les épinards, c’est pour Gérard ». D’autres manifestants arrivent, comme c’est bon de se trouver ainsi parmi ses nouveaux amis de droite.

                Nous partons sans retard et sur les trottoirs, direction la place du Vieux Marché, en scandant des slogans qui donneront du courage à notre gouvernement et à notre cher Président « Le bouclier fiscal, c’est pas si mal », « Plus de milliardaires et moins de fonctionnaires ». Nous sommes fort photographiés et filmés. Les Rouennais semblent très intéressés par notre défilé digne et respectueux.

                Près de l’église Jeanne d’Arc, nous avisons une bien jolie berline que nous entourons : « Ça c’est de la caisse, ça c’est de la caisse ». Nous applaudissons bien fort le propriétaire de cette voiture qui arbore ainsi une belle réussite sociale

                Arrivés place du Vieux, devant le monument à la Pucelle, nous faisons halte pour une minute de silence. Il est besoin d’une vierge pour déposer un cierge au pied de la statue de la Sainte. Une jeune fille se propose sans tarder. Nous la félicitons : « Ça c’est de la vierge, ça c’est de la vierge ».

                Nous repartons vers la rue du Gros Horloge. Des musiciens donnent l’aubade aux passants. Ce sont, à n’en pas douter, des traîne-misère à qui nous donnons le meilleur conseil qui soit : « Retourne dans ton pays, intermittent ». Beaucoup de sourires nous suivent, je crois que celles et ceux qui assistent par hasard à cette manifestation comprennent bien, pour la plupart, de quoi il s’agit, quelques-un(e)s semblent offusqué(e)s cependant.

                « Plus de Mac Do, dans la rue du Gros », nous saluons à notre manière cette belle entreprise américaine, quelle fierté pour nous que notre Président soit l’ami du Président de là-bas. Un arrêt au feu avant de traverser la rue Jeanne d’Arc « Respectons le signalisation », au loin le Palais de Justice « Gauchistes de magistrats, n’embêtez pas Rachida », et nous gagnons la rue du Général Leclerc où le cinéma Le Melville nous arrête : « Les films en vého, on n’y comprend rien », « La culture, ça donne mal à la tête » « Téhèfun sur toutes les chaînes ». Une voiture de police passe près de nous, « Réprimez les manifestations ». Nous sommes de plus en plus nombreux car certain(e)s, séduit(e)s en cours de route, se sont joint(e)s à nous. Quelque-un(e)s d’entre ces nouveaux et nouvelles converti(e)s sont habillé(e)s de façon un peu négligée mais nous avons les idées larges du moment qu’ils marchent bien sur le trottoir.

                Nous remontons la rue de la République « Moins d’Assedic et plus de domestiques » « La gauche t’est foutue, la droite est dans la rue » et rejoignons l’Hôtel de Ville pour faire une minute de silence derrière la statue de Napoléon. « Sarko, t’es plus fort que Napo », crions-nous ensuite, un slogan que pour ma part je trouve un peu vulgaire, le nom de notre Président ne doit pas être abrégé. D’un bel ensemble, nous nous tournons vers la mairie où règne notre maire de droite et nous nous livrons à un petit jeu follement drôle « Si t’aimes bien Albertini, tape dans tes mains ». Un jeune homme près de moi déclare :

                -Ah non, ça je ne peux pas !

                Je le soupçonne d’être de gauche et le regarde avec méfiance.

                Nous traversons « Respectons les passages cloutés » et nous voici devant le siège du Parti Communiste, personne à l’intérieur, ces gens-là doivent se reposer, nous leur disons malgré tout le fond de notre pensée « Les cocos au zoo » et enfilons la rue Lecanuet pour rejoindre la place de la Cathédrale où doit s’achever la manifestation.

                Rue des Carmes, la foule s’affaire aux courses du samedi et nous considère intriguée, amusée, indignée, tout cela à la fois : « Pardon pour le dérangement », « Continuez à consommer ». Une fanfare est là en bas de la rue, près de la Cathédrale : « Faites des enfants, pas des intermittents ». Ces musiciens acceptent de jouer La Marseillaise afin que nous nous séparions noblement. Nous la chantons même deux fois, la seconde sur l’air d’une autre chanson nommée L’Internationale, c’est bizarre je trouve.

                « Dispersons la manifestation », « Vive le bon roi Nicolas », il est temps de rentrer, nous baissons nos pancartes, elle et moi nous tenant la main pour aller à la maison. Un journaliste de Radio Bleu Haute-Normandie nous arrête :

                -Monsieur, nous venez de participer à cette manifestation, pouvez-vous nous dire pourquoi ?

                -Eh bien, il s’agissait de soutenir notre gouvernement et surtout notre Président. J’ai entendu dite que certains ne lui veulent pas du bien, des cheminots, des étudiants. Je suis venu pour lui montrer qu’il peut compter sur mon appui.

                -Pouvez-vous nous dire ce qui est écrit sur votre pancarte ?

                -« L’argent, c’est pas fait pour les pauvres », c’est une vérité qui devrait être rappelée chaque soir au journal de Téhèfun. Elle l’est mais entre les lignes seulement. Il faudrait que Téhèfun ait le courage de le dire clairement : l’argent, c’est pas fait pour les pauvres.

                Ce journaliste me remercie et se tourne vers celle qui m’accompagne mais elle est si émue qu’elle ne peut que bredouiller quelques mots.

                Rue Saint Romain, nous croisons deux demoiselles habillées en postières. Elles font de la publicité pour les Pages Jaunes et considèrent nos deux pancartes.

                -Ah, c’est déjà fini, nous dit l’une d’elles, c’est dommage !

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  •             Je suis au premier balcon, deuxième rangée, devant moi s’installent deux couples d’amis d’âge mûr. Dans un éclat de rire, il est question d’un viaduc lié au contournement de Rouen. Il doit passer très près de la propriété d’un de ces couples.

                -On rit mais c’est horriblement désagréable, conclut la dame concernée alors que l’orchestre s’installe.

                Le chef attendu, Dietrich Henschel, n’est pas là, pour quelle raison on ne le saura pas. Oswald Sallaberger, maestro de l’endroit, le remplace au pied levé, comme il est dit par Daniel Bizeray, directeur, et comme il est écrit sur le programme ; à la baguette levée serait plus exact.

                Symphonie numéro cinq en si bémol majeur de Franz Schubert pour commencer, c’est sans surprise et je laisse un peu mon esprit divaguer, tiens la calvitie de ce musicien s’aggrave, celui-ci se laisse pousser une légère barbe et de quel pays peut bien être originaire la nouvelle contrebassiste guère plus grande que son instrument ? Si je lève les yeux, je vois une bonne partie de l’orchestre jouant à l’envers dans le reflet de l’énorme suspension accrochée au-dessus des têtes des spectateurs de premier niveau, c’est bien aussi comme ça.

                Suit Fünf Sätze (Cinq mouvements) d’Anton Webern, œuvre courte et qui en déconcerte certain(e)s. Toux et éternuements ajoutent à l’expressionnisme des cinq mouvements. Réaction involontaire à un malaise ou sabotage délibéré, je ne tranche pas.

                Le gros morceau est pour après l’entracte avec Jane Peters au violon solo, c’est le Concerto pour violon, en ré majeur de Ludwig van Beethoven, une œuvre qui fut bien mal accueillie à sa création et qui continue à susciter la méfiance de certains musicologues, m’apprend la programme. Eh bien, elle me convient tout à fait, c’est un vrai plaisir empli de petites surprises. Jane Peters fait montre d’un tel brio qu’elle éclipse un peu le jeu de l’orchestre et sa direction. Elle fait même oublier aux tousseux d’être malades. Gros succès pour elle qui, en échange des applaudissements, offre en cadeau un petit solo.

                En regagnant mon logis, je passe devant l’entrée des artistes. Les musiciens s’apprêtent à quitter l’Opéra.

                -C’est les vacances pour nous, déclare l’un d’eux. On va aller boire des coups.

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  •             Jour de vernissage ce jeudi pour la deuxième exposition de la saison au Pôle Image, rue de la Chaîne, à Rouen, c’est Denis Darzacq qui montre là ses photos en un double accrochage Ensembles et La Chute.

                Suite à mon dernier passage (aïe, aïe, aïe), je ne suis plus anonyme en ce lieu, de plus en avance, ayant mal lu l’horaire sur le carton d’invitation, cela me vaut d’être présenté par Didier Mouchel, chef de Projet de la Mission Photo de ce Pôle Image, à Daniel Darzacq.

                Je préfère avec celui-ci parler de Photos de classe, le travail de groupe auquel il a participé au lycée de Pont-Audemer, dont j’ai raté l’exposition à Rouen mais dont j’ai lu le commentaire sur deux pages dans Libération.

                Pour le présent, je me fie à ce que je ressens plutôt qu’au discours.

                Que vois-je ? Des garçons qui s’envoient en l’air avec beaucoup d’énergie. Ce sont des jeunes gens de quartiers périphériques adeptes de la danse hip hop ou de pratiques sportives hardies. Sur fond d’immeuble, ils semblent planer.

                J’aime particulièrement le titre de cette série : La Chute. Je verrais bien une autre série de photos montrant le même garçon quelques secondes plus tard, vautré sur le trottoir, avec pour titre : L’Envol.

                En bonus, un diaporama présente une autre série de photos planantes : La Chute (suite), des photos prises récemment par Daniel Darzacq en banlieue de Rouen au milieu des rayons du supermarché Maxicoop de Bihorel et du magasin King-Kong du Châtelet. Et là je constate que les filles font ça aussi très bien.

                Dans l’autre moitié de salle, c’est Ensembles, photos de groupes ou d’individus, prises sur le vif dans la rue. Je crois que je les aime plus que les précédentes. Particulièrement trois d’entre elles, l’une montrant d’en haut, à la verticale, un scouteur et son propriétaire casqué, une deuxième représentant en plongée un groupe de jeunes près d’une table de vêtements soldés, en une étrange chorégraphie arrêtée, une main surgissant dont ne sait où, tournée vers le haut, enfin celle prise il y a un moment, à Rouen, place des Floralies et du Socrate Réunis, à l’époque des horribles tables et chaises vertes en plastique et des travaux de pavage, pour un écrivain il y a là source d’une potentielle histoire.

                C’est l’heure des prises de parole, une épreuve allégée par l’absence des politiciennes habituellement présentes et par la sobriété des propos de Didier Mouchel et de Denis Darzacq. Ce dernier évoque pour La Chute, son désir de montrer qu’il est injuste de dénigrer les habitants  de certaines banlieues, qu’on y développe des talents particuliers, dommage me dis-je et cela me conforte dans l’idée que moins j’en sais sur les intentions d’un artiste, mieux c’est pour moi.

                Un petit verre de vin rouge dans un gobelet en plastique blanc et je m’en vais, tiens voici madame la députée qui arrive.

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  •             Hier, je fais un petit tour sur le laconique site Internet de Paris Normandie, journal régional. J’apprends ainsi que la veille une jeune journaliste de ce quotidien « a soudainement reçu par-derrière cinq ou six violents coups de tonfa (la matraque à poignée des forces de l'ordre) ». Cela s’est passé à Rouen lors d’une des manifestations d’étudiants. La police bloquait la bretelle d’accès au pont Guillaume-le-Conquérant. Cette jeune journaliste (qui doit être celle que je croise parfois dans les procès de Sans Papiers et est en réalité pigiste pour le journal quotidien) se trouvait en tête du cortège. Elle a été coincée par les manifestants qui arrivaient derrière elle et s’est fait sévèrement matraquer.

                Paris Normandie précise que « rien, c'est vrai, ne pouvait (la) différencier d'une étudiante », ce qui peut donner à penser qu’il est normal que la police frappe les étudiantes, avant de conclure « Meurtrie, la jeune femme souffrait beaucoup hier soir. Dur apprentissage du métier. »

                Pas la moindre indignation donc du côté de Paris Normandie. Ce jour-là, l’affiche qui devant chaque dépôt de presse décourage d’acheter Paris Normandie n’annonce pas l’évènement mais donne comme une information, et cela dans un jargon typique de vrai journaliste assis dans un bureau, quelque chose comme « Bientôt il faudra faire la chasse au gaspi d’énergie ». Dur apprentissage du métier là aussi pour la jeune pigiste.

                Secondairement, cet évènement m’apprend le nom de la matraque à poignée des Céheresses, celle-là même utilisée en quantité par Kendell Geers pour son immense étoile exposée chez Yvan Lambert à Paris.

               Et grâce à Ouikipédia, j’en sais des choses maintenant sur cette arme policière. Notamment qu’elle vient du Japon ancien où elle servait à repousser les envahisseurs à mains nues (étant « à la base une poignée de meule de moulin à moudre). Et que « le tonfa utilisé en Police prend alors le nom de Bâton de défense à Poignée Latérale », couramment Bépéhelle.

                J’espère qu’elle va mieux la petite pigiste de Paris Normandie.

               Quant à moi, je suis bien prudent, lorsque je me trouve à mains nues dans une manifestation. Je ne marche jamais en tête. J’évite ainsi le risque d’être moulu par les Céhéresses.

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  •             Jour de Toussaint, la semaine dernière, jour de visite du Musée Robert Tatin au lieu-dit La Frénouse à Cossé-le-Vivien en plein bocage mayennais. Il est quatorze heures, devant la porte de l’accueil deux femmes quadragénaires et elle et moi. La porte s’ouvre. À l’intérieur, les deux responsables du lieu en ce jour férié, jeunes femmes bruyantes et accaparantes. Elles nous gavent de conseils et de mises en garde. L’une d’elles veut absolument nous accompagner et tout nous expliquer. Je lui dis que non merci. Elle se rabat sur le couple de visiteuses.

                J’entre avec celle qui me tient la main dans l’allée des Géants qui mène au musée proprement dit, une allée bordée de dix-neuf statues monumentales, jalons du parcours de Robert dans la vie : Jeanne d’Arc, Vercingétorix, Avoir, Etre, Sainte Anne, La Vierge de l’Epine, Le Maître Compagnon, André Breton, Le Douanier Rousseau, Gauguin, Seurat, Auguste Rodin, Léonor Fini, Alfred Jarry, Ubu Roi, Toulouse-Lautrec, Valadon et Utrillo, Pablo Picasso et Jules Verne.

                Des statues fantasques et extravagantes, devant chacune nous nous attardons et je la photographie surveillé de loin par la soûlante qui s’assure qu’on ne touche pas. D’une voix pédagogique, elle donne des explications à l’autre bout de l’allée au couple de visiteuses. J’entends bruyamment parler du Jardin des Méditations. Je l’interpelle pour lui dire que justement on aimerait bien méditer un peu tranquillement, que c’est bien dommage que Robert soit mort et pas là pour nous recevoir, qu’il devait être bien moins soûlant qu’elle, que les artistes sont toujours remplacés par des bavards et que si elle pouvait nous laisser tranquille ce serait une bénédiction. Elle s’en va quelque peu vexée sans omettre de nous signaler que pour visiter la maison ce ne pourra se faire sans elle.

                Un peu de silence enfin, nous faisons le tour de « L’Etrange Musée de Robert Tatin », immense et foisonnante architecture sculptée, abritant ses céramiques, ses dessins, ses peintures et autres œuvres. Devant nous s'élève la porte des Géants, les cinq peintres favoris de Robert Tatin : Rembrandt, Van Gogh, Léonard de Vinci, Goya et Delacroix. Sur les murs d'enceinte figurent des bas reliefs renvoyant à diverses mythologies et là un dragon à énorme tête.

                Nous franchissons les portes du Musée. Celui-ci s'organise autour d'un bassin en forme de croix de Saint André tel un patio ou un cloître (le Jardin des Méditations). En face de nous, une statue haute de six mètres cinquante, sorte de menhir appelé Notre-Dame-Tout-Le-Monde. À droite, au soleil levant, c'est la Porte du Soleil, haute de cinq mètres cinquante, construite comme un dolmen avec pour piliers deux statues évoquant l'île de Pâques. À gauche, au soleil couchant, c'est la Porte de la Lune, haute de cinq mètres cinquante et large de six mètres, sorte de panneau en bas reliefs de connotation mexicaine. Tout autour du jardin des sortes d’alcôves où sont exposée peintures, dessins, céramiques et vêtements créés par Robert.

                Reste à voir la maison et je vais donc rechercher mon amie la conférencière qui nous ouvre la porte et la bouche bien fermée nous fait passer de pièce en pièce à l’exception de la chambre. Rien n’a changé depuis que Lise, troisième femme de Robert, est partie vivre ailleurs, brosse à dents, rasoir, livres (Boris Vian, David Hamilton), revues (Planète, Plexus), téléviseur (qui fait ricaner le couple de visiteuses). Nous sortons dans le jardin, là se trouve la tombe de Robert Tatin, qui vécut à La Frénouse douze ans au milieu des ragots, de l'incompréhension et de la suspicion du voisinage, un artiste que je regrette n’avoir pas connu de son vivant comme j’ai eu la chance de connaître Robert Vasseur, le créateur de la Maison de la Vaisselle Cassée à Louviers.

                « Il n'y aurait qu'à regarder et à voir, si tu peux regarder et voir de tes propres yeux : tu sais peindre. Il n'y a pas à savoir dessiner, tu vois bien, alors tu trouves les moyens de dessiner à ta mode. Il s'agit de trouver par toi-même tes propres signes, il s'agit encore de signifier tes propres signes, avec foi, avec violence, avec la paix, avec tendresse et autres et autres. Il s'agit de peinturer en se souvenant de la parole de Chesterton : "tout enchaînement d'idées peut conduire à l'extase, tous les chemins mènent au royaume des fées". », c’est Robert Tatin qui le dit, ce fils de forain, tour à tour boulanger, maçon, sculpteur, céramiste, peintre, compagnon charpentier, grand voyageur et avant tout « auto-dit-d’acte ».

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