•             « Faites l’amour, pas les magasins », c’est le judicieux conseil que prodigue le groupe Actions Spontanées contre la Publicité à l’occasion de la Saint-Valentin. En vadrouille à Dieppe ce mercredi, je n’ai aucune difficulté à ne pas les faire ces magasins (comme disent ceux et celles qui ne peuvent s’en passer). Ils sont ici vieillots et repoussants et j’ai pour moi la mer, les bateaux, le soleil, un livre à lire, acheté ailleurs (pas de librairie ni de bouquiniste dans ce pays).

                Je suis un peu triste néanmoins car elle n’est pas à mes côtés ce mercredi et tout aussi absente ce jeudi, retenue dans la capitale par ses études, alors pour ce qui est de faire l’amour, il faut attendre ce ouiquennede au cours duquel, outre la Saint-Valentin (en retard), j’ai un évènement tout à fait personnel à fêter, un an de plus.

                Maladie d’amour, maladie de la jeunesse, chante Henri Salvador qui vient de mourir à presque quatre-vingt-onze ans. Cela me laisse pas mal d’années devant moi, à condition d’avoir la même chance que lui.

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  •             J’y retourne quand même au Marégraphe malgré la bande-son nuisible. Elle est d’ailleurs en sourdine ce mardi. Une chaise colorée, une table ronde, un café, un verre d‘eau, un livre et de quoi écrire, j’ai tout ce qu’il faut  Le spectacle est gratuit, allées et venues sur le quai, ballets des tables voisines, beaucoup plus de monde que l’année dernière.

                Je termine la lecture d’un recueil de trois longues nouvelles de Jim Harrison publié par Christian Bourgois en deux mille six sous le titre L’été où il faillit mourir. Un livre marqué « Service de presse » dont s’est débarrassé le bénéficiaire. Il vaut vingt-trois euros et je l’ai payé un, quarante pour cent moins cher que mon café en terrasse.

                La dernière nouvelle, Traces, est autobiographique. Harrison y parle de lui-même à la troisième personne. Je note cette phrase : Il ressentit le désir secret de devenir idiot et de prendre un boulot ordinaire, mais la seule possibilité qui s’offrait à lui, à savoir l’enseignement, le rebutait.

                Tiens, mais qui sort du Marégraphe ? Patrick Herr, l’ancien député de droite de Rouen, à la tête d’une armada de quinquagénaires mâles, déjeuner de travail sans doute. C’est un boulot de préparer l’arrivée de l’armée des voiliers de juillet. Son regard se tourne vers le sixième pont de Rouen (le mal nommé Flaubert) qui fait barrage et devra se lever pour les laisser passer.

                Tous les dimanches, dans l’espoir que tout se passe bien, que les câbles ne trahissent pas, que le tablier se lève sans souci, il met un cierge à Saint Gustave.

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  •             C’en est déjà fini du Tout Puissant de la République, de notre bon roi Nicolas, du Zébulon fanfaron.

                De bouffonnerie en bouffonnerie et d’inaction en inaction, le voilà chu bien bas dans les sondages et complètement ennouillé chez les bourgeux et bourgesses de Nouilly-sur-Scène.

                Bien drôle l’épisode du fiston Jean, flinguant le meilleur ami de l’ex-femme de son père (David Martinon, par ailleurs porte-parole de l’Elysée), après lui avoir fait allégeance à l’entrée des municipales : « David, je te le dis, je te soutiendrai à mort ». A mort, effectivement.

                Après le traître de gauche (Besson, Kouchner, Amara et cætera) et le traître du centre (Morin, Cavada ou Albert (tiny), maire de Rouen), voici le traître de droite, de bonne facture lui aussi, jeune et prometteur, une bonne tête de Nouilleux et de fils à papa.

                Eh bien, il est en sale posture ton fat sot de papa, politiquement lessivé après seulement quelques mois de pouvoir, cela ne va pas l’empêcher de continuer à nuire mais comment va-t-il faire pour tenir jusqu’au bout des cinq ans ?

                Je pense qu’il n’y arrivera pas.

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  •             Un dimanche après-midi enfermé dans une salle de concert alors qu’il fait si beau dehors, il faut être fou mais j’ai une excuse, je dois comme tous les abonnés de l’Opéra de Rouen retenir ma place plus d’un mois à l’avance et comment prévoir que cette année le printemps commencerait en février.

                Les lourds rideaux séparant l’Opéra de la ville sont heureusement ouverts et je peux considérer de ma hauteur le peuple du dimanche qui déambule sur le quai : familles, sportifs, groupes de branlotin(e)s, quelques solitaires aussi et des couples de tous âges.

                Les portes de la salle s’ouvrent. Je monte au premier balcon d’où j’ai vue sur l’ensemble des pupitres et il y en a du monde sur scène, au point que les panneaux latéraux sont entrouverts afin que chacun(e) puisse trouver place. C’est qu’au programme figurent Wagner et Mahler. Oswald Sallaberger dirige les quatre-vingt-quatre musicien(ne)s. Les sept contrebassistes surélevé(e)s en fond de scène lui font face.

                Cela commence par l’ouverture de Tannhäuser de Richard Wagner et se poursuit par La cinquième symphonie de Gustav Mahler, une heure trente de musique alternant couloirs tonitruants et  plages sereines.

                Franck Paque à la trompette peut faire montre de son talent dès le solo d’introduction du premier mouvement de la symphonie de Mahler, un premier mouvement en forme de marche funèbre faisant écho aux problèmes de santé du compositeur, puis chacun(e) dans le public reconnaît au quatrième mouvement, la musique du film de Luciano Visconti Mort à Venise (inspiré de la nouvelle de Thomas Mann La Mort à Venise) et une explosion de cuivres, de timbales et de cymbales signale l’arrivée au but.

                Il est presque dix-huit heures. Le soleil brille encore sur la ville. J’oublie de passer par la boulangerie. Tant pis, ce soir je mangerai des biscottes en écoutant Jean Guidoni : Est-il donc mort à Venise/ Dans l'orage d'un bordel/ Rimmel et masque de mise/ Amoureusement cruel.

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  •             Où trouver à Rouen une terrasse bien située et un café pas trop mauvais pour profiter au mieux de la catastrophe climatique quand le soleil brille en février comme autrefois en avril, sans se découvrir d‘un fil mais en lisant dans les meilleures conditions ?

                Je ne vois que le Marégraphe sur le quai rive droite et donc j’y retourne pour la première fois depuis longtemps.

                Las, comme l’an dernier des haut-parleurs déversent sur la clientèle le potage d’une radio privée (Chérie Effème), un mélange de publicités pour les entrepôts de périphérie (fringues, meubles, chaussures, bricolage et tutti) et de chansons de troisième zone (par chanteuses et chanteurs de Zénith). Soûlant, absolument soûlant, impossible de lire. Un lieu idéal gâché par un ajout stupide.

                C’est tout à fait rouennais et cela ne concerne pas que le secteur privé, dans le public c’est du même ordre. Ainsi pour les vélos Cy’clic, on prend le modèle élégant choisi par la ville de Paris et on le gâche par un affreux garde-boue plein et rouge.

                C’est la première fois que je vois circuler autant de ces vélos de location. Six en tout sur le quai rive droite. Utilisés pour la promenade là où on ne peut rouler en voiture, mais pas du tout pour remplacer la voiture.

                Je retourne en ville. Il y a foule rue du Gros-Horloge. Que font là tous ces gens ? Rien. Ils se contentent d’entrer dans une boutique et d’en ressortir avec un sac à la main

                Certains jours, Rouen me désole.

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  •             Welcome to suicide park, telle est l’invitation de Claude Lévêque pour son exposition personnelle dans la capitale, rue Saint André des Arts, chez Kamel Mennour. La porte est obscurcie et je demande à celle qui me tient la main, traversant la cour intérieure, si ce ne serait pas fermé mais non, elle s’ouvre cette porte. Une lumière vive et une musique bruyante nous accueillent. Nous entrons, mercredi soir, dans la « nappe de fiction », dans le « paysage d’évènements », comme l’écrit Thimotée Chaillou dans le communiqué de presse.

                Dans la première salle sont accrochées au plafond deux trottinettes soudées entre elle, un garde-manger contenant un diadème et deux déambulateurs également soudés entre eux, chaque pièce est animée d’un mouvement rotatif et éclairée par de puissants projecteurs, leurs ombres sont projetées sur des voilages blancs légèrement agités par des ventilateurs posés au sol, tout cela est complété par un système son (ampli et haut parleur) délivrant une musique en boucle à fort volume.

                Les murs de la deuxième salle présentent une série de feuilles de plomb où figurent les empreintes de violents coups de poing, cela incite à frapper à son tour mais je m’en garde bien.

                Une structure parallélépipédique formée de capots de voiture usagés occupe la troisième salle, des ouvertures en forme de porte permettent d’y pénétrer et de découvrir, accroché au plafond de cette cabane de tôles, un magnifique lustre à pampilles de vingt-quatre ampoules brillant de tous ses feux. Sur l’un des murs de cette salle, un néon blanc nous invite à « être plus fou que celui d’en face ».

                Nous nous sentons bien dans ce parc à suicide. Elle s’assoit sur le sol pour dessiner l’installation de la première salle et je m’assois pas loin d’elle sur un rebord de fenêtre aveugle d’où j’ai vue sur les trois œuvres. La jeune fille de l’accueil bricole sur son ordinateur et répond au téléphone dans le tintamarre de la sono posée au sol sous son bureau, ta ta ta clac ta ta ta clac et onde sinueuse par derrière, ad libitum. Je demande à cette demoiselle comment elle fait pour supporter cela toute la journée. Elle me répond que c’est difficile.

                Celle qui m’accompagne a terminé son dessin. Nous quittons la galerie Kamel Mennour. Nous reviendrons quand l’exposition de Claude Lévêque aura atteint son point de perfection, c'est-à-dire quand la jeune fille de l’accueil rendue folle par la bande sonore s’y sera suicidée.

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  •             Mardi fin d’après-midi, dès qu’elle sort de cours, nous filons par le métro jusqu’à la place Blanche, un café à La Fourmi, un estaminet comme il en manque à Rouen, un dîner dans un restaurant indien du boulevard de Clichy et nous voici à la porte du Musée de l’Erotisme, à proximité immédiate du Moulin Rouge et de Pigalle.

                Sept niveaux d’œuvres érotiques antiques, anciennes et contemporaines s’offrent à nous. Cela commence au sous-sol puis montée au cinquième étage par l’ascenseur avant une descente tranquille vers le rez-de-chaussée.

                Deux mille œuvres dans le désordre, nous ne savons où poser les yeux, des statues rituelles de tous les peuples de la terre aux bijoux intimes des créateurs d’aujourd’hui, des dessins d’Edgar Degas, d’Odilon Redon et de Julius Pascin (qui s’est suicidé pas loin) à ceux de Barbe et de Nicole Claveloux (quarante dessins originaux réalisés pour Les Confessions d’un monte-en-l’air ouvrage publié aux Editions Folies d’Encre), des photos d’amateurs au premier films pornographiques, des scènes de bordel aux dessins humoristiques, et tutti.

                Pour fêter ses dix ans, le Musée expose Alexandre Dupouy, responsable des la librairie galerie Les Larmes d’Eros et des Editions Astarté, infatigable collectionneur de photographies anciennes et photographe lui-même, de quoi faire le tour du sujet, du côté de l’hétérosexualité, car pour ce qui est de l’homosexualité féminine et masculine, dans cette exposition temporaire comme dans la permanente, pas grand-chose, à notre regret, elle et moi aimons les filles qui aiment les filles.

                Nous nous attardons devant les images du Bal des Quat’z’Arts (architecture, peinture, sculpture et gravure), ce défilé carnavalesque et orgiaque organisé chaque année par les étudiant(e)s des Beaux-Arts de Paris avec la participation des étudiants en médecine et malgré les cris de la Société Générale de Protestation contre la Licence des Rues qui dénonce ce « fait d'une gravité extrême et d'une inadmissible impudeur… ». La première débauche a eu lieu en mil huit cent quatre-vingt-douze et la dernière en mil neuf cent soixante-six. Il est des traditions qui devraient renaître.

                Nous ne sommes pas seuls dans ce musée, quelques jeunes couples français et étrangers et deux ou trois jeunes hommes seuls nous tiennent compagnie dont un Japonais dans un fauteuil regardant attentivement un film des temps anciens, tout ce petit monde et nous-mêmes très sages malgré l’environnement.

                Il est vingt-deux heures trente lorsque nous sortons. De l’autre côté du boulevard, l’immense Sexodrome brille de toutes ses lumières rouges mais c’est ailleurs que nous passons la nuit.

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  •             Deux jours de déambulations hasardeuses, Paris sous la pluie mardi, Paris sous le soleil mercredi, du Quartier Latin au Marais en passant par Pigalle, partout la vie grouillante et mille choses à noter, à la volée dans la rue ou plus confortablement assis dans un café.

                Un homme au Malongo Café, rue Saint André des Arts, entre lui et son vis-à-vis la maquette d’un travail sur les lettristes. J’entends Isidore Isou, Maurice Lemaître, nouvel objet plastique, poésie infinitésimale, Wolman, Debord. Le vis-à-vis écoute poliment, cela ne l’intéresse pas. Je ne sais pas qui est cet homme au physique d’intellectuel germanopratin. J’en parlais l’autre jour sur France Culture, dit-il. Je l’écoutais donc l’autre jour sur France Culture, c’était une émission des Mardis Littéraires intitulé « Du dadaïsme à la poésie sonore ».

                Une fresque murale en pignon, rue des Haudriettes, pas besoin d’en apercevoir la signature pour en connaître l’auteur : Combas, j’aime ce genre de hasard qui me ramène à Louviers samedi dernier. Je fais quelques photos, pour celle que je retrouve le soir, de cette peinture à trois niveaux. Au premier, un homme dans son salon lit Don Quichotte en songeant à Cervantès qui, au deuxième, dans sa bibliothèque songe à l’écriture de Don Quichotte dont le héros, au troisième, se démène avec les moulins à vent. C’est du moins ainsi que je me raconte cette peinture.

                Une plaque commémorative, quai Voltaire, sur la façade de l’Hôtel du Quai Voltaire « Ici Charles Baudelaire Jean Sibelius Richard Wagner Oscar Wilde ont honoré Paris de leur séjour ». Je souris de tant d’ingénuité commerciale, que pensaient vraiment les patrons de l’endroit de ces mauvais garçons nommés Baudelaire et Wilde lorsque ceux-ci y résidaient. La chambre individuelle avec douche est aujourd’hui à cent huit euros, et pour un lit à deux places, rien à moins de cent vingt-cinq.

                J’honore Paris de ma présence et pour passer la nuit, j’ai un plan bien moins coûteux quoique pas vraiment honnête.

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  •             Après Le Bourgeois Gentilhomme l’an dernier, voici Cadmus et Hermione, premier opéra français, présenté à la bougie et en vieux parler (surtitré) à l’Opéra de Rouen, ce dimanche après-midi. La musique est signée Jean-Baptiste Lully et le livret (d’après les Métamorphoses d’Ovide) Philippe Quinault. Le nom du premier en grand sur l’affiche, celui du second il faut bien le chercher. C’est comme ça avec l’opéra. Souvent cela se justifie par l’indigence dudit livret. Là ce n’est pas le cas, je trouve. J’aime bien l’écriture de Philippe Pinault.

                La musique baroque n’est pas de celles que j’apprécie particulièrement, je ne vais pas me répéter. Cependant, ici tout est rassemblé pour que je passe un bon moment, la musique confiée à l’orchestre du Poème Harmonique (dirigé par Vincent Dumestre), l’agréable mise en scène de Benjamin Lazar, les costumes somptueux signés Alain Blanchot et la voix sublime de Claire Lefilliâtre dans le rôle d’Hermione.

                Bien placé au centre du premier balcon, je vois pour la première fois à quelle gymnastique doivent se livrer les musicien(ne)s pour se glisser de sous la scène jusqu’à la fosse. A l’entracte, j’entends des naïvetés charmantes. Un homme à cheveux blancs s’étonne, certains personnages sont bien grands, ne sont-ils pas montés sur des échasses… Je n’ose lui dire que le dragon n’est peut-être pas un vrai.

                Cadmus et Hermione est un hymne à l’amour et quoi de plus important que de songer à l’amour, c'est-à-dire à celle dont le train s’éloigne mais que je retrouve heureusement dès mardi pour deux jours dans la capitale.

                Alorsse, au revouère gensses d’ici et d’ailleursse, comme on dit chez les baroqueux.

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  •             Un samedi avec elle dans la ville natale, pour détonateur l’exposition que consacre Louviers, en son Musée, à Robert Combas, précisément à sa peinture des années quatre-vingt, celle des débuts de la Figuration Libre.

                Balade dans la ville envahie de voitures, c’est le jour du marché, itinéraire menant des quelques lieux pas trop laids à ceux que je fréquentais par contrainte ou par volonté : lycée, bibliothèque municipale, église, encore debout ; salle des fêtes, collège, cinéma, détruits.

                Après une pizza (Lovérienne pour elle, Détonante pour moi), près du nouveau cinéma/théâtre, nous gagnons le Musée devant lequel vient de se garer la Mini Cooper Clubman peinte par Combas pour la Fiac Deux Mille Sept. Elle la photographie.

                Je reconnais, parmi ceux qui s’emploient à protéger l’œuvre à moteur par des barrières, Michel Natier, responsable du Centre d’Art Contemporain Hors les Murs, devenu chauve, lui que j’ai connu quand il avait dix-huit ans, le long cheveu blond, grattant sur sa guitare les chansonnettes de Maxime Le Forestier.

                Nous entrons, le billet est gratuit, une survivance des années Soixante/ Soixante-Dix quand la mairie de Louviers était entre les mains de l’extrême gauche antiautoritaire (une liste autogestionnaire allant du Péhessu aux anarchistes) et apprenons que ce samedi est le jour de vernissage, que Robert Combas sera là à dix-huit heures, de quoi s’attarder ici.

                Dix-huit heures, les notables lovériens se pressent dans les salles du rez-de-chaussée, la plus grande partie d’entre elles et eux ignorant la suite de l’exposition en sous-sol. Il y a là Bouvard et Pécuchet et c’est plein de profs que j’ai connus autrefois, qui ne me reconnaissent pas, sauf l’un, avec qui j’ai fait les quatre cents coups à Evreux dans les années post soixante-huit (nous fûmes deux des quatre fondateurs de l’éphémère Groupe Libertaire d’Evreux, je me souviens de ces réunions clandestines dans la forêt avec les groupes Partage Noir de Rouen et Anarchisme et Non-violence de Verneuil-sur-Avre)

                -Tu es où maintenant ? me demande-t-il

                -A Rouen.

                A ces quelques mots se réduit notre dialogue. Lui qui fut jeune et fou et le cheveu long est désormais chauve, bedonnant et adjoint au maire chargé de la Culture, ressemblant étonnamment à son père d’il y a trente-cinq ans, un stalinien de haute époque, qu’il détestait.

                Voici le maire, Frank Martin, Radicule de Gauche, fils d’Ernest, le maire libertaire de soixante-huit (costume noir, écharpe tricolore, en tête de la manifestation allant d’usine en usine invitant les ouvriers et ouvrières à cesser le travail). Hier, Ernest le bohême et aujourd’hui Frank le raide, costume cravate, un reste de cheveu ras et lui aussi bedonnant, l’aspect et la prétention d’un Mythe Errant de chef-lieu. Près de lui un gros mouton, c’est Combas, engoncé dans une énorme doudoune gris pâle, les cheveux gris bouclés.

                -J’accueille ici dans ce musée de Louviers l’un des plus grands artistes mondiaux de l’art contemporain, déclare Frank Martin.

                Ça commence bien. Combas regarde ses pieds, ne sait pas où se mettre.

                -Cette exposition montre à quel point la culture française est vivante, continue le Radicule de Gauche, n’en déplaise à nos voisins les Anglais qui la prétendent moribonde.

                Quelle crétinerie franchouillarde. Franck, c’est bien toi que j’ai connu quand tu avais dix-huit ans, sortant (comme il est ridicule de dire) avec cette ravissante Anglaise ?

                Le pauvre Combas doit à son tour prononcer quelques mots. Il parle de son origine modeste et remercie ses parents décédés d’avoir accepté son choix de s’inscrire aux Beaux-Arts puis de l’avoir aidé dans ces débuts de peintre.

                Ce début de l’œuvre de Combas (la partie la plus pertinente de son œuvre donc) est ici exposé.

                Cela commence par la toute première peinture, il avait vingt ans en mil neuf cent soixante dix-sept, sur laquelle il a inscrit la légende suivante : « Pour leur anniversaire Mickey et Tintin se sont rencontré au sommet Tintin portait son pantalon de golf et Mickey avait mis son fameux slip à fleur fleuri », puis voici Bataille fluo « Explosion à tout va et sautage de caisson », José nez cassé « José nez cassé est presque prêt à massacrer tout le monde parce qu’il veut être énervé. Bicause un mec lui a pissé sur la cuisse pendant qu’il ramassait une paire de couilles en plastique ancienne qui traînait dans une poubelle pleine de livres de rythmes et de Musc Hic ! »

                La salle deux fait la transition entre le Combas sobre de l’origine et le Combas foisonnant bien connu, lequel s’épanouit au sous-sol  avec, entre autres,  Hommage à Matisse « Si Henri existait, il serait excité », Le modèle du peintre « Sa chatte proéminente, semblant des morceaux de laine angora mélangée à tout va, excite la signature et les têtes de tapis qui commencent à baver et sucer, ça sent le fenouil. », et un bel hommage à Jean-Paul Sartre qui se fait gerber dessus, la nausée oblige, une peinture de mil neuf cent quatre-vingt-neuf où cohabitent le castor, les mouches, les mains sales et la putain respectueuse « ce qui ne veut pas dire qu’elle ne soit pas suceuse »

                Entre deux salles est montrée l’affiche réalisée par Robert en mil neuf cent quatre-vingt-cinq pour l’exposition du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris Figuration libre France Etats-Unis (France : Combas, Di Rosa, Blanchard, Boisrond, Jammes ; Etats-Unis : Crash, Haring, Basquiat, Kwong Chi, Sharf).

                C’est bien d’être venus là tôt dans l’après-midi tous les deux, on est quasiment seuls, elle peut s’asseoir par terre pendant que je lui lis les bêtises de Robert et on peut se livrer en toute liberté au jeu « Cherchez la signature » mis au point il y a deux ans par elle et moi lors de notre visite de l’expo Combas à la Bénédictine de Fécamp.

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