•             Eh bien, finalement, Désiré, le lycéen de Marcel Sembat, passe devant le Tribunal Administratif de Rouen, libéré certes du Centre de Rétention de Oissel, mais le préfet, contrairement à ce qu’avait promis un de ses subalternes au Réseau Education Sans Frontières mercredi dernier, n’a pas renoncé. L’Arrêté Préfectoral de Reconduite à la Frontière court toujours.

                Me voici donc ce vendredi, à quatorze heures, pour la première fois, dans les nouveaux locaux du Tribunal, avenue Gustave-Flaubert. On entend encore des bruits de perceuse dans le bâtiment, un bel hôtel particulier entièrement rénové. La salle d’audience est climatisée, bientôt emplie par les enseignant(e)s et non enseignant(e)s du lycée. Des élèves sont également venu(e)s mais l’avocat juge préférable de les laisser dehors, bon, de toute façon il n’y plus de place. Les policiers qui viennent d’arriver avec deux prisonniers extraits du Centre de Rétention doivent rester debout. Nous sommes quatre du Réseau et trois de la Cimade (l’association protestante qui a une permanence au Centre de Rétention). L’oncle et la tante de Désiré ont fait le voyage de Paris.

                Monsieur le juge de la reconduite à la frontière ne fait son apparition que peu avant quinze heures. Le jeune avocat de Désiré plaide longuement et efficacement. Il affirme qu’un garçon ayant quitté la Côte d’Ivoire à onze ans et ayant maintenant plus de dix-huit ans est de culture française, indique que tous les camarades de lycée de Désiré ont signé une pétition pour lui, et insiste sur le fait que Désiré, qui vivait à Paris chez son oncle et sa tante, est arrivé à Rouen à la demande du Effecéherre qui l’a repéré pour ses grandes qualités de fouteballeur. Il ajoute que les Girondins de Bordeaux ont déjà un œil sur lui, un argument de choc (Un étranger qui sait jouer au foute est un Français qui s’ignore, ça c’est moi qui le dis).

                Désiré, à l’invitation du juge, prend la parole pour dire que sa vie est en France. L’affaire est mise en délibéré. Tous les soutiens (sauf les trois personnes de la Cimade) s’apprêtent à quitter la salle laissant les deux autres convoqués quasiment seuls devant le juge. Je décide de rester.

                Le juge s’occupe maintenant d’un jeune homme d’une trentaine d’année originaire du Nigeria qui bénéficie d’un interprète. Son avocate plaide rapidement mais efficacement. Elle insiste sur le fait que la vie de son client est en danger. Au Nigeria, il a fait partie du mouvement Emancipation du Delta du Niger, des terroristes selon le gouvernement. Il a ensuite aidé un Hollandais employé d’une compagnie pétrolière, retenu en otage par ce mouvement, à s’évader et est considéré comme traître par son organisation. Il risque deux fois la mort s’il retourne dans son pays.

                Affaire suivante, c’est un Indien d'une trentaine d’années. Il vit dans l’Oise. Il n’a pour avocate que celle de permanence qui ne se foule pas. Elle indique seulement au juge que son client (si on peut dire) a une petite amie française depuis deux ans, parle d’une lettre des parents de cette jeune femme qui disent du bien de lui.

                Affaire suivante, c’est un Chinois. Il n’est pas là. Il est jugé en son absence. Cette fois l’avocate de permanence ne fait même pas le minimum.

                Monsieur le juge de la reconduite à la frontière se retire pour délibérer avec lui-même. Il revient moins d’un quart d’heure plus tard. Pour les trois derniers, l’Obligation de Quitter le Territoire Français est confirmée. Pour Désiré, l’Arrêté Préfectoral de Reconduite à la Frontière est annulé.

                Dehors les camarades de Désiré exultent. Les deux indésirés vont repartir avec les menottes. Je pense à l’amoureuse du jeune Indien.

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  •             Un ciel noir ce jeudi soir à l’heure où je me dirige vers l’Opéra de Rouen, rien à voir cependant avec les nuages du matin, résultat des pneus enflammés, au mépris des poumons de l’habitant(e), par les ouvriers et employés à chasuble jaune fluo des ports du Havre et de Rouen bloquant le pont Guillaume-le-Conquérant, venus là demander des comptes aux socialistes, celles et ceux du Sénat s’étant abstenu(e)s lors du vote de la privatisation. Entre cette colère et celle des marins pêcheurs, l’Armada dans un mois risque de donner lieu à une vraie bataille navale, me dis-je en m’installant en corbeille.

                Dernière soirée danse de la saison dans la noble maison, au programme trois chorégraphies d’Angelin Preljocaj, deux courtes pour duo et une longue pour douzaine de danseurs et danseuses.

                Annonciation met en scène deux jeunes filles, Marie et l’ange, comme décor un simple muret, pour musique Crystal Music de Stéphane Roy et le Magnificat d’Antonio Vivaldi.

                Centaures suit, avec deux garçons sur un plateau nu, décor d’une fin de monde, sur une musique de György Ligeti.

                Après l’entracte, Eldorado, six filles six garçons, chacun(e) doté(e) d’un panneau où se découpe une silhouette lumineuse à tête de fleur, une chorégraphie créée en deux mille sept à la demande de Karlheinz Stockhausen sur son envoûtante musique Sonntags Abschied, la scénographie étant signée de Nicole Tran Ba Vang, une évocation de paradis perdu.

                Trois réussites qui suscitent de nombreux applaudissements. Je sors de là content, ravi à l’idée de retrouver Angelin Preljocaj, dans le même lieu, à la saison prochaine, pour Cendrillon, création pour vingt-six danseuses et danseurs, donnée pour Automne en Normandie.

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  •             Les membres du Collectif des Sans-Papiers  de l’agglomération rouennaise sont déjà là avec leur musique et leurs chants quand j’arrive à quinze heures près la Préfecture où le Réseau Education Sans Frontières appelle à se retrouver ce mercredi vingt-huit mai deux mille huit. Très vite nous formons un rassemblement conséquent sur le parvis de l’église de la Madeleine.

                Cependant qu’une délégation du Réseau franchit les grilles de la Préfecture, après contrôle policier, pour une rencontre avec les services concernés, une porte-parole égrène au mégaphone le nom des écoliers et étudiants mineurs de l’agglomération dont les parents ont récemment reçu une Obligation de Quitter le Territoire Français : Khousseila, Eldjia, Baya, Ramla, Melissa, Munhbatar, Anne-Pierrette, Charles-Olivier et ceux des étudiants majeurs qui risquent l’expulsion à tout moment : Timour, Fayçal, Paschal, Seydou Ladis Yvon, Ayakazi…

                Un professeur du Lycée Marcel Sembat de Sotteville-lès-Rouen évoque le cas de Désiré, arrêté lundi dernier dans le train de Paris, placé au Centre de Rétention de Oissel,  devant passer au Tribunal Administratif vendredi à quatorze heures, cela à quinze jours des premières épreuves du Baccalauréat Professionnel qu’il prépare.

                La Chorale Ternative, incomplète mais toujours magistralement dirigée par sa responsable, propose quelques chansons de circonstance.

                Chacun discute ensuite avec ses connaissances cependant que les membres du Collectif des Sans-Papiers reprennent leurs slogans rythmés. Il est justement question du responsable de ce Collectif, lui aussi convoqué au Tribunal Administratif pour une Obligation de Quitter le Territoire, cela après avoir été officiellement employé et payé par le même Tribunal comme interprète lors d’affaires précédentes.

                Le soir venu, regardant le reportage fait par France Trois Haute-Normandie, j’apprends que le Préfet renonce à poursuivre Désiré.

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  •             C’est vraiment par simple curiosité, n’ayant pas grand chose à faire ce mardi en fin d’après-midi, que je prends Teor, ce remarquable moyen de transport en commun rouennais, pour grimper jusqu’au Mont aux Malades. C’est la dernière exposition de l’année scolaire à l’Institut Universitaire de Formation des Maîtres (Hihuheffème) de Mont-Saint-Aignan, dans sa galerie La Passerelle. L’Union des Arts Plastiques de Saint-Etienne-du-Rouvray (association d’artistes locaux) a carte blanche pour présenter les travaux de ses membres. Autant dire que ça ressemble à ce qu’on appelle, dans l’Education Nationale, une exposition de travaux de fin d’année et je ne suis pas surpris, dès que j’en ai fait le tour, de constater que tout ça ne m’intéresse pas, cette vingtaine de tableaux et ces deux sculptures de facture banale.

                Bien sûr les présent(e)s ne sont pas de mon avis, et les félicitations fusent en direction des artistes vieillissant(e)s venu(e)s au chevet de leur œuvre : « C’est sympa », « Bravo, vous avez bien bossé ». Peut-être que l’an prochain, ils et elles seront dans la classe supérieure.

                Je me réfugie près du buffet où je goûte le champagne local. Une dame à chapeau me demande si je travaille ici.

                -Non, je suis juste de passage, lui dis-je.

                -Ah, et vous vous intéressez à la peinture ?

                -A l’art en général, oui.

                -A l’art contemporain aussi ?

                -Bien sûr.

                -Ah, moi j’ai du mal avec l’art contemporain, m’avoue-t-elle, mais je sais que ça libère les forces nouvelles de l’humanité.

                Les forces nouvelles de l’humanité ? Je prends la fuite, me fais resservir un peu de champagne tandis que les artistes discutent entre eux, avec ce mélange de complicité et d’animosité qui règne dans ce genre de groupe humain.

                Que va-t-il advenir de leurs tableaux et sculptures ? Ils ont une galerie, rue de la Pie à Rouen, où peut-être ils en vendent. Sûrement pas tout, et je plains leur descendance qui en héritera. Qu’est-ce qu’on va faire des tableaux du grand-père ?

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  •             Un qui mériterait deux fois plutôt qu’une d’être reconnu grand romancier c’est Noël Mamère, ancien présentateur de journal télévisé et politicien avisé. Il devrait avoir sa place parmi les plus grand(e)s, à côté de l’écrivain politicien Valéry Giscard (complété d’Estaing par achat de titre tombé en désuétude), le talentueux auteur du Passage, histoire d'amour sur fond de scènes de chasse entre un notaire quinquagénaire et une jeune auto-stoppeuse, que je n’ai pas lu, à côté aussi de l’écrivain présentateur Patrick Poivre (complété d’Arvor par emprunt de pseudonyme), auteur fécond depuis le prématuré Les Enfants de l’aube, écrit à seize ans, que je n’ai pas lu et qui raconte l’histoire d’amour entre Tristan, seize ans, et Camille, dix-sept ans, dans un sanatorium où ils font soigner leur asthme, à côté toujours de l’écrivaine présentatrice Claire Chazal (non complétée), l’émouvante auteure de L’Institutrice, qui narre les amours pudiques d’une jeune institutrice de l’après-guerre rêvant de monter à Paris, que je n’ai pas lu non plus. Oui, Noël, toi aussi tu y as droit.

                Et pourtant, je passe par chez Fabio Lucci ce mardi matin pour m’y fournir en champoint et gel douche à moindre coût et que vois-je sur un rayonnage de ce magasin de discompte, signé Noël Mamère, La Malédiction des justes, un roman dans lequel amours, combats et drames traversent la vie des héros, que je ne lirai jamais, proposé là en pile pour un euro. Un euro pour un livre neuf ! Que vas-tu toucher, Noël, en droit d’auteur sur cette somme dérisoire ? Le sort des grands écrivains d’aujourd’hui est décidément cruel. Celui des champions de l’altermondialisme aussi, te voilà vendu parmi les vêtements de piètre qualité fabriqués en Chine. Malédiction, oui tu peux le dire, deux fois plutôt qu’une.

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  •             Je ne trouve jamais le plus court chemin pour aller de Rouen à Montville. Ce dimanche matin, une nouvelle fois je m’égare. Je suis seul dans la voiture. Celle qui fait habituellement la copilote est exceptionnellement retenue à Paris. C’est donc contre moi que je fulmine.

                D’autres qui fulminent, ce sont les futur(e)s exposant(e)s de ce vide-greniers organisé par l’Union Musicale de Montville. Leurs voitures sont immobilisées en une longue file d’attente qui obstrue jusqu’à la rue principale du village, un bel exemple d’inorganisation. Je me gare avant l’embouteillage et traverse le terrain de golf miniature pour rejoindre l’endroit  où sont installés les premiers arrivés.

                L’un des organisateurs s’égosille au micro :

                -Mesdames et messieurs, avancez avec votre voiture jusqu’au hêtre.

                Qui aujourd’hui sait encore ce qu’est un hêtre ? Il corrige :

                -Jusqu’à l’arbre avec des feuilles rouges.

                J’achète un lot de bougies tout en considérant les exposants qui s’installent. La tension est vive. Une fille invective sa mère, dont c’est pourtant la fête. Deux voisins d’occasion sont prêts à en venir aux mains. Je suis moi-même un peu énervé, cela m’arrive parfois. Ce n’est pas la musique que diffuse l’Union Musicale de Montville qui peut adoucir les mœurs, en ce qui me concerne tout au moins : je déteste la Compagnie Créole.

                Je retrouve le sourire en apercevant par terre une image que je connais bien, celle de la religieuse d’Enigme, le tableau d’Alfred Agache, en illustration de couverture d’un ouvrage publié par le Musée des Beaux-Arts de Rouen en mil neuf cent quatre-vingt-quatorze et intitulé Guide des Collections (dix-huitième, dix-neuvième et vingtième siècles). Impossible de l’avoir à bas prix, la vendeuse n’est pas accommodante. Je l’obtiens pour le prix que m’en aurait fait un bouquiniste honnête : au tiers du neuf.

                J’y trouve avec plaisir la reproduction de plusieurs de mes tableaux préférés : Enigme bien sûr, Rigolette de Joseph-Désiré Court, Dans un café de Gustave Caillebotte, Les Enervés de Jumièges d’Evariste-Vital Luminais, Portrait de femme d’André Derain, d’autres encore. J’y trouve aussi des tableaux et des sculptures que je n’ai jamais remarqués lors de mes visites. Comment se fait-il que je n’aie pas vu dans les salles du Musée des Beaux-Arts de Rouen la jeune fille longiligne sculptée par Antoine Bourdelle sous le titre Le Fruit ? Serait-elle remisée dans la réserve ? Le premier dimanche de juin ou celui de juillet, j’irai m’en assurer.

                Figure également dans ce catalogue, la reproduction du Groupe des Six, peint par Jacques-Emile Blanche, avec en son centre Marcelle Meyer, honorée il y a peu par Alexandre Tharaud à l’Opéra de Rouen.

                Le commentaire indique que c’est à l’initiative de la pianiste qu’a été composé ce premier volet d’un triptyque en hommage à Erik Satie (les deux autres parties n’ont jamais été peintes). Il cite en conclusion le salut exalté de Max Jacob : Marcelle Meyer, estafette/ célèbre, ô musique, en tes fêtes/ le génie des jeunes prophètes !

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  •             Samedi matin, j’écoute les informations sur France Culture et j’apprends que ce jour, dans les grandes villes de France, sont organisées des manifestations contre la politique scolaire du gouvernement. Le choix d’un samedi ayant été fait pour que les parents d’élèves et les élèves des lycées puissent être présents en nombre. Je cherche sur Internet ce qu’il en est à Rouen. Un rassemblement est prévu à quatorze heures trente, place de la Cathédrale.

                Je décide d’y passer et constate que peu de monde occupe la place. Pas de lycéens, très peu de parents, pas beaucoup d’enseignants, cela sent d’emblée le bide. Un membre de la Fédération des Conseils de Parents d’Elèves (Effecépéheu) m’apprend qu’aucune information n’a été faite par son organisation dans les écoles. Heureusement, la Chorale Ternative met un peu d’animation avec ses chansons contestataires, certaines un peu cucul, d’autres plutôt bien vues. France Trois Haute-Normandie filme la performance.

                Un cortége se constitue derrière la voiture de la Haie Fessue. Il emprunte la rue du Gros où les consommateurs sont bien plus nombreux que les manifestants, remonte la rue Jeanne-d’Arc où déboulent à grand bruit trois énormes camions de pompier pour un intervention qui s’avère mineure et où apparaît en haut, devant la gare, un autre cortège qui m’intrigue, puis tourne à droite vers la Fnaque.

                J’abandonne là et vais voir quel est cet autre cortège. Je ne suis pas déçu. Il est composé de plusieurs fanfares et de deux troupes de majorettes. Je pensais que la majorette avait totalement disparu de nos régions. Je découvre qu’une ville résiste. Sous mes yeux fort intéressés, les Goélettes de Fécamp puis les Albatros de Fécamp défilent au bénéfice du centre commercial Saint-Sever dont les hôtesses distribuent de jolis ballons colorés aux enfants.

                Le petit commerce et l’Education Nationale vont mal, d’où ces deux cortèges un samedi après-midi à Rouen. Le plus ridicule des deux n’étant pas forcément le second, me dis-je, en rentrant chez moi.

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  •             Abonné l’an dernier (pour six spectacles) au festival Automne en Normandie, je fais partie des invité(e)s, ce vendredi vingt-trois mai au Hangar Vingt-Trois, pour la présentation du prochain Automne. J’ai le programme en main et j’écoute Benoît André, le directeur dudit festival, énumérer ce que lui aussi nomme des « moments forts », un tic de langage de gens de la culture.

                Il connaît son programme quasiment par chœur, ne se référant à ses notes qu’exceptionnellement, ce qui sidère l’une de mes voisines, passe de la musique à la danse, de la danse au théâtre, de Rouen au Havre, d’Evreux à Dieppe, du Bec-Hellouin à Saint-Valéry-en-Caux, sans se tromper.

                Des échantillons de spectacles sont offerts au public curieux. Quelques éléments du Poème Harmonique interprètent en vieux françouais des chansons traditionnelles. Des danseurs et danseuses de la Compagnie Emio Greco se livrent à une performance physique assez éblouissante..

                Le couple à ma droite organise fébrilement son futur abonnement. Plus calmement, je barre sur mon programme les spectacles que je verrai avec mon abonnement à l’Opéra, puis ceux qui ne m’intéressent pas, puis ceux qui sont donnés trop loin de Rouen (Fécamp, Le Havre, Dieppe, Evreux et cætera). L’opération faite, je constate que je n’ai pas, cette année, intérêt à prendre un abonnement.

                Benoît André invite tout le monde à boire un verre au Marégraphe, une adresse que je connais bien. Xavier Hauville, traiteur, et ses troupes sont à pied d’œuvre. Je choisis vin rouge et profite au mieux du buffet. L’an prochain, non abonné, j’en serai privé.

                Beaucoup d’enseignants sont présents, surtout du secondaire. Ils font les bons abonnés mais quand ils se retrouvent, ils ne parlent pas de sujets culturels, ils parlent de l’école. Ça donne des choses comme ça :

                -Je te souhaite d’avoir un jour la relation que j’ai avec mes élèves cette année.

                Je les évite, préférant rester seul avec mes pensées. Un peu avant minuit, je discute avec un intermittent du spectacle que j’ai croisé la veille dans la manifestation contre la politique de Sarkozy. Il me dit son désarroi de voir que chez les vingt-cinq trente-cinq ans, presque personne ne se retrouve dans la rue, une constatation que j’ai déjà faite et que je mets sur le compte de la vie que l’on mène à cet âge-là, couple établi, enfants, maison, et tutti.

                -Pas dans le milieu du spectacle, me dit-il, ceux dont je parle ne sont pas dans ce genre de vie, et impossible de les faire bouger.

                Il m’annonce ensuite que bientôt, pour protester contre un gouvernement qui les tond chaque jour un peu plus, des artistes et d’autres gens du spectacle vont organiser une manifestation où ils se feront tondre en public. Toutes les chevelures récoltées seront envoyées à la Ministre de la Culture.

                -La prochaine fois que vous me verrez, me dit-il, j’aurai sûrement le cheveu ras.

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  •             Jeudi vingt-deux mai, j’hérite d’un misérable strapontin à l’Opéra de Rouen pour le concert intitulé Dvorak, Schönberg, Mendelssohn.

                L’avantage d’être abonné depuis plusieurs années, c’est que je connais de vue un certain nombre d’autres abonné(e)s, notamment celles et ceux de première catégorie qui louent à l’année le même fauteuil pour quatre cent soixante euros. Je sais que depuis plusieurs spectacles l’une est absente et je parie qu’il en est encore ainsi ce soir. J’échange mon pauvre strapontin contre son fauteuil bien situé, prêt à le lui rendre si elle arrive.

                Elle n’arrive pas et c’est bien installé que j’applaudis pour leur entrée sur scène les musicien(ne)s de l’Opéra, puis le chef du jour : Pierre-André Valade.

                Cela débute par la Sérénade pour vents en ré mineur d’Anton Dvorak, « ouvrage spontané et bon enfant à la verdeur délectable » selon Christophe Queval qui signe les notices consacrées aux œuvres dans le livret-programme. Je me délecte.

                Suit la Symphonie de chambre numéro deux en mi bémol mineur d’Arnold Schönberg, dont la composition s’enlisa, m’apprend le même, « du fait de la grave crise conjugale qu’il traversa alors, avec la désastreuse fugue de son épouse Mathilde puis le suicide de l’amant de celle-ci, le jeune peintre expressionniste Richard Gerstl ». Je reste un peu en dehors.

                Après l’entracte, Pierre-André Valade (qui dirige sobrement) se présente accompagné de Jane Peters, violon solo de l’Opéra de Rouen, pour le Concerto pour violon numéro deux en mi mineur de Félix Mendelssohn Bartholdy.

                Jane Peters donne la mesure de son talent et suscite à l’issue moult applaudissements qui la font revenir plusieurs fois sur scène. Ma voisine explique à son amie qu’elle adore cette musique, qu’elle est une incorrigible romantique. Je me dis que cette expression mérite de figurer dans un nouveau dictionnaire des idées reçues.

                Jane Peters prend alors la parole pour donner le nom de l’œuvre qu’elle va offrir en guise de remerciement, mais si bas que personne n’entend de quoi il s’agit. Qu’importe, j’en profite tout aussi bien que si je le savais, bien placé comme je le suis, face à la violoniste et guère loin d’elle, dans mon fauteuil d’emprunt.

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  •             Nouveau retour en arrière : mercredi dernier à Paris sortant de l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts, je contourne le bâtiment et trouve la rue de Lille. L’Institut Néerlandais se trouve au numéro cent vingt et un. Je dois remonter ladite rue, bien longue, quasiment jusqu’au bout pour le trouver, passant pas loin de l’Assemblée Nationale et croisant donc des policiers en gants blancs. C’est l’exposition d’un copieux échantillon d’œuvres en provenance du musée d’art contemporain néerlandais De Pont situé à Tilburg, dans une ancienne filature de laine, qui m’amène en ce lieu.

                Je paie l’entrée quatre euros. Cela me donne droit à un mini-catalogue format livre de poche. Muni de cet éclairage, je parcours les différentes salles du sous-sol et du premier étage où sont exposés les travaux de plus d’un artiste de talent, que je connais (Jean-Michel Alberola, Christian Boltanski, Marlene Dumas, Bernard Frize, Richard Long, Giuseppe Penone, Gerhard Richter, Bill Viola) ou que je ne connais pas encore.

                Je suis seul un bon moment puis je partage l’espace avec quelques autres, peu, et c’est bien ainsi. M’intéressent particulièrement l’installation de Christian Boltanski Les Concessions (des rectangles de tissu noir sont légèrement soulevés sous l’effet d’un ventilateur, dévoilant ainsi, très partiellement, les photos qu’ils cachent), les Deux fontaines, peintures de Thierry De Cordier (portraits d’hommes accablés, le premier intitulé Image de l’ivresse, le second Autodestruction), The First People, quatre grandes huiles sur toile (bébés nus) de Marlene Dumas, Crop une installation de Roxy Pine montrant grandeur plus que nature un champ de pavots (il y a goûté autrefois), les deux bébés peints par Gerhard Richter, façon photographie floue, Adrian Walker, artist, drawing from a specimen in a laboratory in the departement of anatomy at the University of British Columbia, une photo diapositive de Jeff Wall, présentée dans un caisson lumineux, (Adrian Walker dessine un bras momifié posé devant lui) et l’installation vidéo en forme de polyptique Catherine’s Room de Bill Viola (cinq écrans montrent à différents moments de la journée la même femme se livrant à des activités quasi religieuses dans une lumière très étudiée).

                Avant de rejoindre celle avec qui je dois passer la fin de la journée, je reviens vers ce qui m’attire le plus, m’attire et m’effraie tout à la fois, les dessins d’yeux sanglants de Berlinde De Bruykere et ceux d’yeux où germent arbre ou feuille de Giuseppe Penone. De quoi avoir un peu mal aux miens en sortant, mais il fait croire que j’aime ça.

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