•             Vendredi soir c’est au Conservatoire que je me pose pour la soirée Percudanse qui associe les classes de danse et de percussions dirigées, me dit le programme, par des « professeurs émérites ». Que ces professeur(e)s soient à la retraite et continuent à enseigner partiellement, ce qui est la définition du mot émérite, j’en doute ou alors ils ne font vraiment pas leur âge ; qu’ils aient du mérite, ça je n’en doute pas, les apprenti(e)s percussionnistes, danseuses et danseurs s’en sortent plutôt bien.

                C’est d’abord Toccata une chorégraphie extraite de Stamping Ground de Jiri Kylian (musique de Carlos Chavez), puis Clapping Music, chorégraphie maison sur une musique de Steve Reich (musique consistant en un double et décalé clappage de mains) et Japon une improvisation à vue définie sur le programme comme un « tableau nipponisant pour danseurs, percussionnistes, gongs et farine de riz ». Ça ne manque pas de farine effectivement, et, ce doit être un hasard, le nettoyage du plateau à la serpillière, ce sont deux filles qui s’en chargent.

                Le spectacle reprend avec Terrestérité, chorégraphie maison, musique de Jean-Luc Rimey Meille, un peu longuet. La suite est plus délectable : Harem à Cocos chorégraphie signée Cat et Mille dans laquelle huit percussionnistes jouent du corps de huit danseurs et danseuses qui entraînent les musicien(ne)s dans la danse. Le final, sur une chorégraphie d’Aline Mottier, est constitué d’extraits d’Entourage et de Serpent du musicien africain Guem.

                Un autre professeur du Conservatoire de Rouen qui a du mérite, c’est Maurice Attias en charge des classes de théâtre. Les dix-sept, dix-huit, dix-neuf juin, c’est à son tour de faire spectacle avec des scènes tirées des pièces de William Shakespeare sous le titre Théâtre de sang.

                La semaine dernière, j’appelle le Théâtre de la Chapelle Saint-Louis où cela aura lieu pour avoir une place et, à ma mauvaise surprise, j’apprends qu’il n’y en a plus, que je suis le onzième sur la liste d’attente et qu’il y a peu d’espoir. J’imagine que les familles pléthoriques des comédien(ne)s, prévenues avant tout le monde, occupent pas mal de sièges, un public acquis qui vaudra aux interprètes de Shakespeare un beau succès quelque peu illusoire et qui empêche la présence de véritables amateurs de théâtre. Pourquoi avoir choisi pour ces représentations une salle dont la jauge est aussi faible ?, c'est la question que je me pose.

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  •             Ce vendredi six juin deux mille huit, c’est le premier jour de la Grande Braderie de Rouen. Je ne sais pas qui organise ça, si c’est la municipalité ou les commerçants. Il y a peu de participants. Rien à voir avec les braderies d’antan où je venais avant d’habiter la ville. Ajouté au peu d’enthousiasme commercial, un vent frisquet n’incite pas à traîner dans les rues. Après avoir acheté quelques cartes postales place de la Calende, je vais voir ce qui se passe sur le parvis de l’Espace du Palais et dans l’allée Eugène Boudin. En ces deux endroits est annoncé, à titre d’animation, un marché à la brocante.

                Personne n’est installé sur le parvis, cinq ou six brocanteurs seulement sont dans l’allée. Je reconnais l’un des vendeurs. Il propose ses cartes postales et ses livres au marché des Emmurées chaque jeudi. Ici, ses livres sont à cinq euros. Le jeudi, ils sont à trois euros. Quarante pour cent d’augmentation, c’est le prix bradé.

                Un peu plus tard dans la journée, je remonte la rue Beauvoisine afin de rejoindre la rue d’Ernemont où l’association Fabrique émoi présente pendant deux jours les peintures de Jennifer Mackay et Capucine Diez. Je sonne et entre dans la maison d’habitation transformée en lieu d’exposition éphémère. Je suis accueilli par la première des deux, l’autre est absente. Je préfère les portraits froids de Capucine aux corps à coulures de Jennifer mais quel dommage que l’absente donne à ses tableaux des titres calamiteux. Peindre une petite fille et appeler ça Une petite fille ou un personnage la tête dans les mains et appeler ça Tristesse, c’est franchement dommage, ce que j’explique à la présente qui me dit que toutes deux ne se sont pas interrogées sur les titres de leurs œuvres et qu’elle fera passer le message.

                Je redescends la rue Beauvoisine en route vers le Lieu-Dit où se tient à dix-huit heures le vernissage de l’exposition des tableaux de Laurent La Torpille. Je m’arrête au passage chez Joseph Trotta. Désormais, seul le rayon des livres de poche est accessible dans sa bouquinerie. J’y trouve Voyages sans but de Harry Martinson, qui fut Prix Nobel en mil neuf cent soixante-quatorze, un récit de voyage que j’achète un peu à cause de son titre.

                Je franchis le carrefour avec la rue de la Seille où un emplacement laid pour poubelle (démuni de poubelle) est rempli d’ordures ménagères. Une affiche manuscrite surmonte le dépotoir : « Décharge publique en centre ville : Bienvenue à Naples ». Depuis quelques mois, c’est un écologiste qui est adjoint à la Propreté.

                A six heures pile, je suis devant le Lieu-Dit. A l’intérieur, on s’agite. L’accrochage est loin d’être terminé. Cependant, j’en vois suffisamment pour constater que les tableaux de Laurent La Torpille, cela ne me plaît pas du tout. Je n’attends pas et reprends mon voyage.

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  •             Mercredi soir, sous la verrière de la gare Saint-Lazare, je considère, suspendue là pour publicité, un exemplaire immense de l’affiche de l’Armada deux mille huit.

                -Quelle horreur cette affiche, dis-je à celle qui me raccompagne jusqu’au train de vingt et une heures vingt.

                Ce feu d’artifice dégoulinant sur un fameux trois-mâts fin comme un oiseau mérite un prix, celui de l’affiche la plus laide de l’année. Je ne sais pas qui l’a signée.

                -Elle fait terriblement province, me dit-elle.

                C’est exactement cela.

                Je n’ai qu’un souhait : que le projet de Grand Paris inclue Rouen,

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  •             Dans le train pour Paris, mercredi matin, je poursuis la lecture d’Au sud de la frontière, à l’ouest du soleil de Murakami, je m’accroche même, car ce roman diffère peu de ceux à l’eau de rose. L’auteur a fait mieux après le tremblement de terre de Kobe et l’attentat de la secte Aum quand il est revenu vivre au Japon.

                Je me laisse distraire par mes voisins en route pour le travail de bureau. L’un s’endort sur Le Figaro, l’autre est déjà à l’ouvrage grâce à son ordinateur. Je ne sais déjà plus quel(le) couturier ou couturière a libéré la femme (au travail s’entend) mais ce serait bien si quelqu’un(e) pouvait un peu s’occuper des mâles, pendant combien de temps encore devront-ils obligatoirement porter la cravate, ce tchador pour homme, comme l’a dit je ne sais qui.

                A Saint-Lazare, je prends la ligne treize jusqu’aux Invalides et me joins à la petite foule qui attend l’ouverture du Musée Rodin. Je viens voir les sculptures de Camille Claudel ici exposées. La veille, celle que j’appelais mon amoureuse (si elle a donné suite à son projet) était là, précédée elle-même, la semaine d’avant, par celle que j’appelle mon amoureuse (et que je dois retrouver en fin d’après-midi), la première n’aimant pas que je nomme la seconde ainsi et réciproquement mais que puis-je faire contre le temps qui passe sinon prolonger le présent le plus longtemps possible et garder le passé vivant (ce qui s’exprime ici de façon un peu pompeuse).

                J’entre dans la salle de forme rectangulaire où débute l’exposition Camille Claudel. Je n’y suis pas seul, le lieu et la foule présente me font songer à un couloir de métro. Ce sont les audiophones qui causent l’encombrement. Celles et ceux qui s’en munissent marchent au même pas. Je file directement dans la deuxième salle où les œuvres sont éclairées artificiellement puis dans la troisième où l’éclairage est naturel grâce à une verrière. Je navigue de l’une à l’autre. Dans ces deux salles sont les meilleures sculptures exposées, pas nombreuses, et qui m’émeuvent toujours, La Valse et L’Abandon notamment.

                Je lis quelques-unes des lettres de Camille et de son entourage exposées sur les murs. Je ne sais qui d’elle ou d’Adèle a eu la vie la plus triste et a été le plus abandonnée par sa famille. J’en parlerai à Paul Claudel et à Victor Hugo, la prochaine fois que je ferai tourner les tables.

                Un peu plus tard dans la journée, je passe à la galerie Dina Vierny, rue Jacob, pour l’exposition Jonvelle, une dizaine de très beaux nus grand format répartis dans deux petites pièces.

                Je possède deux livres consacrés aux photos de Jean-François Jonvelle jonvelle(s), publié chez Ipso Facto, et Avril Mai Juin (qui contient un tirage de collection numéroté), publié chez La Martinière. Ce dernier m’a été offert en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf pour mon anniversaire par celle qui a peut-être visité l’exposition Camille Claudel un jour avant moi. Jean-François Jonvelle, l’« obsédé sexuel sentimental », est mort le seize janvier deux mille deux, à l’âge de cinquante-neuf ans, de quoi me conforter, s’il en était besoin,  dans mon désir de vivre à fond le moindre moment présent.

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  •             J’ouvre au Son du Cor le roman de Murakami Haruki Au sud de la frontière, à l’ouest du soleil dont les deux premières phrases sont Je suis né le quatre janvier mil neuf cent cinquante et un. La première semaine du premier mois de la première année de la seconde moitié du vingtième siècle.

                Tiens, me dis-je, voilà un écrivain qui sait compter, pas comme Hugo Victor qui écrivait Ce siècle avait deux ans pour parler de l’année mil huit cent deux.

                Cette date de naissance significative, continue Murakami, me valut d’être prénommé Hajime, ce qui signifie « commencement ».

                Je suis né le deuxième jour de la seconde moitié du deuxième mois de la première année de la seconde moitié du vingtième siècle.

                Je ne crois pas que mes parents s’en soient rendus compte.

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  •             Nul jour sans que je me réjouisse de n’être plus employé par l’Education Nationale. Pas seulement parce que je suis libéré de l’esclavage salarié. Aussi parce que je ne suis pas obligé d’obéir au fat sot que les inconséquent(e)s ont mis à la tête du pays, ni d’appliquer les textes de son gouvernement, et je songe avec peine à celles et ceux que je connais (ou non) qui doivent subir l’aggravation permanente de la sarkoze dans les écoles, les collèges, les lycées, les universités.

                Ce lundi, Sarkozy et Fillon y vont séparément, chacun essayant de faire de l’ombre à l’autre puisqu’ils ne peuvent plus se supporter. Le Tout Puissant de la République annonce pour bientôt l’allégement des heures de cours dans les lycées (moins de profs à payer) et la formation future des enseignant(e)s à l’Université (plus d’Instituts Universitaires de Formation des Maîtres à financer, accessoirement plus d’argent à verser à certains des apprentis enseignants). Pendant ce temps, celui qui fait figure de premier ministre, accompagné des Céhéresses, du ministre de l’Education et de celle de la Justice, sème la perturbation dans le lycée parisien où il dévoile un plan antidrogue (les drogué(e)s sont forcément des lycéen(ne)s, surtout celles et ceux d’un lycée de périphérie particulièrement contestataire).

                De quoi faire un peu oublier, espèrent-ils, qu’ils sont incapables de résoudre les crises du chômage, de l’énergie, du logement, de la baisse du pouvoir d’achat et cætera.

                Aujourd’hui, Sarkozy se rend en Haute-Savoie sur les lieux d’un accident d’autocar pour se recueillir devant des corps de collégiens morts. Ça, il sait faire. Jeudi, il sera à l’enterrement bling bling du couturier Yves Saint Laurent, fausse gloire de l’époque, qui, selon son compagnon Yves Bergé, a libéré la femme en lui permettant le pantalon (oui mais seulement avec des talons hauts, précisait Saint Laurent quand il était vivant).

                Je croyais que c’était Moulinex qui avait libéré la femme, j’en apprends tous les jours.

                Et j’en ai encore à apprendre comme me le fait remarquer Mister Crocodile qui m’écrit ceci après avoir lu ce qui précède :

                « C'est Chanel qui se vantait d'avoir libéré la femme, et YSL (ou Pierre  Bergé) disait qu'à sa suite il lui avait donné le pouvoir en lui  permettant le port du pantalon. Avant que le tailleur-pantalon ne soit introduit dans les collections d'YSL (en 1972 si je me souviens bien), les employées d'Hélène Lazareff (par exemple, mais c'était comme ça partout) n'avaient pas le droit de porter autre chose qu'une robe ou ne jupe sur leur lieu de travail.

                Bon, c'est peut-être futile, mais je pense que ça a joué son rôle quand même, non? »

                Heureusement qu’il est là pour m’éviter d’écrire trop de bêtises.

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  •             Un dimanche menacé par le ciel orageux mais rien ne craque. Je peux avec elle aller de vide-greniers en vide-greniers, près de Rouen d’abord, à Mont-Saint-Aignan (village) et à Franqueville-Saint-Pierre, puis à Léry dans l’Eure où il s’agit aussi de dire bonjour à ma sœur et à son mari qui tiennent boutique pour la journée.

                Ce n’est pas une journée faste. Peu de cédés et peu de livres à mon goût. Dans ma besace, il y a quand même le premier tome d’Auschwitz et après de Charlotte Delbo, paru en mil neuf cent soixante-dix aux Editions de Minuit : Aucun de nous ne reviendra.

                -J’ai l’impression que tu fais plus de trouvailles intéressantes quand je ne suis pas là, me dit-elle.

                Elle se trompe complètement, tout est affaire de hasard. Ce même dimanche, après son départ, je visite un ultime vide-greniers, celui du Grand-Quevilly et ne trouve rien à y acheter.

                La veille, avant son arrivée, je suis également revenu bredouille de Saint-Etienne-du-Rouvray où je me trouvais avant même l’ouverture au public.

                Au prix où est l’essence aujourd’hui, ces pérégrinations de ouiquennede représentent un beau gaspillage. Reste le plaisir de côtoyer dans la même journée les riches de Mont-Saint-Aignan (village) et les miséreux de Léry/ Val-de-Reuil.

                Etrange organisation ce vide-greniers de Saint-Etienne-du-Rouvray installé dans le parc Henri-Barbusse, un jardin entouré de grilles. Samedi matin à sept heures tout le quartier est embouteillé par des centaines de voitures ne pouvant entrer que par vague de cinq ou six. En attendant leur tour, quasiment tous les automobilistes laissent tourner le moteur en toute inutilité. Certains le laisse même tourner quand ils déchargent. Pourtant beaucoup, cela se voit notamment à ce qu’ils vendent, sont pauvres.

                S’ils ont ainsi la tête dans le sable, me dis-je, ce n’est pas qu’ils se soient levés trop tôt, ni que les pauvres ne réfléchissent pas (la même attitude se constate chez les riches), c’est juste que la catastrophe qui se profile fait trop peur. Il vaut mieux ne pas la regarder en face.

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