•             Plutôt que prendre la voiture et aller se poser quelque part au bord de la Seine entre Rouen et le Havre en espérant être tranquilles et qu’il n’en soit rien, je lui propose de rester ici pour le départ des voiliers. Avant neuf heures, ce quatorze juillet, nous sommes au bout du quai, dans le quartier des bateaux de guerre. Sur l’un d’eux, Patrick Herr, organiseur de l’Armada finissante attend ses invité(e)s.

                Pour ne pas être gênés par ces bateaux de guerre, elle grimpe avec moi sur l’un d’eux, le japonais Kashima, à l’entrée duquel deux soldats nous saluent militairement. De cette plate-forme, la vue est parfaite pour voir passer sous le pont levant levé les deux premiers voiliers mais nous ne restons pas plus, quittant le navire salués par une jolie soldate souriante, et nous nous rapprochons du pont. Le programme officiel ne vaut déjà plus que cinq euros.

                Passent devant nous les voiliers que nous sommes tristes de voir partir : l’Amerigo Vespucci italien, le Capitan Miranda uruguayen, le Cuauhtémoc mexicain, l’Eendracht hollandais, le Mir russe (c’est là que finalement elle s’est fait timbrer pas loin du cœur), le Shabab Oman omanais, d’autres encore.

                Passent aussi quelques navires de guerre et les deux voiliers norvégiens privatisés par la maison Véolia, dont on se fiche pas mal.

                -Ils doivent être tristes de partir eux aussi, me dit-elle, parlant des marins mexicains.

                -Mais non, pour eux la fête continue, ils pensent déjà à la prochaine fille, dans quatre jours à Liverpool.

                Il est un peu plus de midi, nous suivons la foule qui rentre à la maison comme après un feu d’artifice, nous retournant pour voir passer sous le pont les derniers à partir, l’immense Dar Mlodziezy polonais et deux britanniques : le folklorique Grand Turk et le Tenacious manœuvré par des handicapés.

                Le programme officiel ne vaut plus que trois euros cinquante, L’apéritif est offert dans un restaurant de toile encore ouvert. Une boutique de casquettes solde à moins cinquante pour cent.

                Rue de la Champmeslé, pas plus de six passant(e)s, nous y compris, Rouen reprend son visage habituel de jour férié, celui d’une ville morte.

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  •             Dimanche, dernier jour de fête à Rouen sur les quais de la Seine, elle est d’accord avec moi, on en a assez vu, on laisse la place aux autres, à tous ces gens venus d’ailleurs en car et qui ont l’air de quitter leur campagne pour la première fois de leur vie. On ne va même pas à onze heures bénir les bateaux avec l’imam, le rabbin, le pasteur, le pope et l’archevêque, d’autant que ce dernier, il faut s’en méfier : il est déjà tombé une fois dans la Seine au cours de cette Armada deux mille huit. Cette cérémonie ridicule m’en rappelle une autre quand enfant mes grands-parents et parents me traînaient à Villers-sur-le-Roule où le curé bénissait la voiture rangée avec des dizaines d’autres sous les pommiers autour de l’église. Qu’un peu d’eau bénite puisse empêcher d’avoir un accident me faisait déjà douter de tout.

                Non, la messe, c’est pour le soir avec Iggy Pop en concert. En attendant le célébrant, quatre Irlandais nous jouent leur musique entraînante puis Marteen, groupe local, sa musique pop rock et il arrive torse nu évidemment avec derrière lui ses musiciens dont deux Stooges, les frères Asheton, des enfants de chœur. Les fidèles sont en très grand nombre, dont certains à tête inquiétante, le genre de personnages sur le pied desquels il vaut mieux éviter de marcher et puis tout un tas de branlotins et branlotines excité(e)s qui s’agglutinent devant, là où ça bouge vraiment et où on peut s’envoyer en l’air et retomber dans les bras des autres. Iggy fait monter la mayonnaise avec ses yeux de fou, ses cris de vampire et ses courses effrénées. Il passe par la fosse, lance son micro dans la foule, fait grimper une poignée de fidèles sur scène, surtout des garçons qui lui crient à poil, il fait semblant de baisser son pantalon, mon voisin trouve que ça c’est pas terrible.

                Il est en pleine forme Iggy et enchaîne les morceaux sans souffler, vidant moult bouteilles d’eau sur sa tête. Les deux Stooges sont moins fringants, bedaines et bajoues, doivent peu fréquenter les salles de culturisme. Quand l’un d’eux se roule sur scène avec sa guitare et qu’il lui faut se relever, c’est assez pitoyable.

                Un des spectateurs, proche de nous, quinquagénaire à cheveux gris, à tête d’employé de banque, entre en transe le temps d’un retour de jeunesse puis se calme subitement, avant de rechuter.

                Je ne sais combien nous sommes ce soir et pour nous donner une chance d’atteindre le bord de Seine pour le feu d’artifice, je l’invite à me suivre dès la dernière chanson de rappel faite, laissant la foule applaudir celui qui ne reviendra pas et elle et moi sortons de cette grand messe pas tout à fait transformés en fidèles mais néanmoins conquis.

                C’est le dernier feu d’artifice et donc le plus beau, avec cascades de lumière tombant du tablier du pont levant, giclures dorées jusqu’en haut des piliers, et explosions colorées partout dans le ciel à en faire rougir la lune.

                Le bain de foule est ensuite inévitable avec blocage temporaire pour laisser passer un cortège de chaises roulantes.

                Combien de centaines de milliers d’êtres humains tentent en même temps que nous de rentrer chez eux je ne sais mais quand ça s’éclaircit un peu, elle et moi sommes bien contents de pouvoir respirer.

                Pas loin du pont Corneille, alors que la foule est clairsemée, une agitation soudaine nous apprend une nouvelle chute en Seine. D’un bateau à quai surgissent deux hommes, l’un porteur d’une bouée, l’autre d’un téléphone d’alerte. Dans la précipitation, l’appareil échappe à son propriétaire et finit au fond du fleuve. Un canot néanmoins s’approche, des secouristes à son bord. Un musicien passe, soufflant dans son colossal instrument, sans se rendre compte qu’à deux pas de lui, un drame est peut-être en train de se jouer.

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  •             Samedi matin, sur le quai rive gauche, le nombre de cars de visiteurs et visiteuses est déjà impressionnant à neuf heures et quart et avant que cela soit la cohue, nous nous dirigeons vers le Grand Turk, voilier anglais à la façon Walt Disney avec pirates à bord, croisant deux Céhéresses qui n’hésitent pas à gratifier celle qui me tient la main d’un bonjour souriant. Doivent se dire que si ça marche avec les filles pour les marins, pourquoi pas aussi pour les policiers, en quoi ils se trompent. Le Grand Turk tire un coup de canon, il est dix heures. Nous faisons le tour de ce musée des traditions maritimes et on en reste là.

                Vers dix-sept heures, nous sommes au bout du pont Jeanne-d’Arc et comme elle le dit « on n’est pas là pour se faire enfiler » mais pour voir à quoi ressemble la marche des équipages. Devant nous, quatre petites dames défendent, langues et ongles, leur bout de pavé contre une grande blonde sans gêne qui ne se laisse pas faire :

                -Hey, le trottoir, il est à tout le monde.

                -Oui, mais nous, ça fait une heure et demie qu’on est là.

                Un policier et une policière essaient de faire reculer une partie de la foule, en vain,  mais ils s’avèrent nettement plus efficaces quand un éméché sort un revolver de sa poche. En deux temps, l’énervé armé se fait menotter et embarquer. Autour de nous, on disserte sur les dangers de la vie en ville.

                Voici qu’arrive le défilé, en tête la musique militaire de Rennes joue un air d’Alan Stivell. Elle est suivie d’une partie des équipages des navires présents dans le port. Les Japonais se présentent en blanc et en masse, incapables de marcher au pas, certain(e)s photographient la foule en passant. Les Mexicains défilent altiers et martiaux. Les Russes passent en désordre, un peu crispés. Les Polonais frappent sur des bacs à eau Smédar, Les Omanais sourient à tout le monde. Les Italiens lancent des drapeaux en l’air. Parmi le public, un soldat mexicain collé à une fille d’ici enlève sa casquette et devient subitement quelconque, quasiment laid. Tout le charme du militaire marin tient dans sa casquette

                Ensuite, c’est carrément le carnaval avec grosses têtes normandes, scouts, vikings hurlants, échassiers, fanfare d’Yvetot, confrérie de mangeurs d’andouille, et sans doute bien pire encore mais nous en avons assez, nous nous extrayons et passons rive droite pour rejoindre le concert du côté du bassin Saint-Gervais. Je lui montre quatre marins russes qui chevauchent des Cy’clic. Ce soir, les nuages ont l’air de vouloir se tenir et c’est tant mieux car c’est Cali.

                Avant lui, en première partie, La Maison Tellier, gens d’ici, un chanteur dont la voix rappelle tour à tour celle de Dominique A, de Jean-Louis Murat ou du chanteur de Louise Attaque, une musique vaguement ouesterne à la façon d’Eddy Mitchell autrefois pas de quoi s’enthousiasmer.

                L’enthousiasme est pour la suite. Dès que Cali met le pied sur scène, pantalon à fines rayures noires et blanches, chemise noire, l’immense foule se déchaîne. Après deux chansons, il est déjà ruisselant de transpiration, galopant de gauche à droite et retour, donnant bien du mal à la caméra qui s‘évertue à le suivre, sautant dans la fosse se faisant récupérer et porter (à l’image de la Pietà) par les mecs de la sécurité, embarquant une jolie spectatrice, préparant son grand saut dans la foule, se dégonflant, montrant son recto et son verso à la caméra « Je sais que c’est bon de se faire caresser ici et là par toutes ces mains mais c’est fini tout ça, je peux plus le faire, je suis trop vieux », annonçant l’invité surprise de la soirée « le chef d’orchestre de ta ville » (et c’est bien Oswald Sallaberger qui apparaît avec en main son violon pour la chanson sur Sophie Calle), dénonçant les « ignobles Centres de Rétention où l’on enferme les enfants et les femmes enceintes » « Monsieur Horfeteux, monsieur le Président de la République, on ne laissera pas faire », alternant succès et chansons moins connues aux paroles réjouissantes (Je suis veuf d’une traînée qui n’est pas encore morte), reprenant Without You de U2, appelant à la résistance (et nous voici elle et moi le poing levé), se réjouissant des soixante mille présent(e)s devant lui jusque loin là-bas, saluant généreusement le public, disparaissant dans les coulisses sous les applaudissements, les cris et les sifflets de rappel.

                C’est Oswald Sallaberger qui apparaît à nouveau. Il attaque C’est quand le bonheur au violon solo. Cali, chemise blanche, et ses musiciens reviennent à leur tour. Le fou chantant emmène le public entier dans sa chanson. Il enjambe les barrières de sécurité et disparaît dans la foule. La caméra le cherche. Ce n’est pas « où est Charlie ? » mais « où est Cali ? » Les flaches d’appareil photos aident à le localiser et le voici qui attaque maintenant la régie centrale par l’échafaudage. Il s’empare d’une des caméras, filme le public qui le chante, puis revient à la nage au-dessus des têtes, porté par des centaines de mains.

                Elle me regarde les yeux emplis de lumière et me dit :

                -Je crois que c’est un des plus beaux concert que j'aie jamais vu.

                Plus tard, il y a le feu d’artifice dont le compte à rebours est donné par le capitaine du Mir russe, puis nous allons rive gauche nous poser en terrasse près des voiliers éclairés afin de prolonger la belle soirée.

                Un garçon assis sur un banc donne son point de vue sur la fête :

                -J’en ai marre des bateaux, je vais me jeter dans la Seine et je veux que ce soit les Japonais qui me sauvent.

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  •             Elle sonne à ma porte vendredi matin juste au moment où les cloches des églises voisines annoncent neuf heures et demie. Nous attrapons le bus Teor Té Quatre spécialement affrété pour la fête des bateaux. Il nous mène au bout du monde au lieu-dit le Musoir. C’est de là que ne décollent pas les montgolfières pour cause de mauvais temps. C’est par là que certain(e)s dansent (paraît-il) après le concert et le feu d’artifice. C’est aussi dans ce coin reculé que sont amarrés les abominables bateaux de guerre qui attestent que l’Armada, comme son nom l’indique, est d’abord la fête des militaires.

                Je lui montre l’horrible bateau russe découvert la veille au soir. Près de lui, un petit japonais se cache derrière un gros français. Sur l’énorme allemand, un couple de mariés français se fait photographier. Des files d’attente impressionnantes se forment pour la visite de chacun de ces navires.

                On préfère le Créoula portugais et ses quatre mâts. Ses soldats ont l’air moins méchants, mais ils ne sont pas prêts pour la visite de leur navire. Aussi c’est le Pogoria polonais qui nous accueille, en même temps qu’une troupe de moutards de centre de loisirs dont l’un s’étonne :

                -Pourquoi le bateau il avance pas, maintenant qu’on est dessus ?

                Impossible encore une fois de grimper sur le norvégien Statsraad Lehmkhul où se prépare une réception et sur lequel flotte la banderole Véolia Environnement. Celle qui m’accompagne hèle l’un des traiteurs pour savoir quand il n’y a pas de fête privée sur ce voilier.

                Nous apprenons ainsi que ce bateau est réservé à Véolia pendant les dix jours que dure l’Armada, comme son compère norvégien le Sorlandet. Sur ce dernier, un panneau annonce des visites entre seize heures et dix-sept heures trente, une plage horaire tellement rétrécie que cela sent l’alibi.

                Nous pestons une fois de plus contre la maison Véolia et ses fêtes de riches. Un peu plus loin, nous croisons un travailleur noir qui ramasse les papiers et autres déchets sur le quai. Dans son dos, une inscription en lettres peu discrètes : Véolia Propreté.

                -Tu crois qu’il est invité à la fête privée, lui ? me demande-t-elle.

                Foin de ces capitalistes amis des militaires, je lui propose une petite fête privée rien que pour nous deux, ailleurs que sur le site de l’Armada, mais pas très loin, un apéritif au bar de la Place, près de l’église de la Madeleine, où le vieux monsieur souriant nous confectionne un kir et où un ouvrier en bleu de travail vient me serrer la main me prenant pour quelqu’un d’autre (une péripétie qui m’arrive souvent) puis un repas chinois à volonté au Petit Wok, pas loin de la fac de droit, la suite à la maison…

                Le soir sous un ciel menaçant nous gagnons le terrain vague du bout du quai et il y a tellement peu de monde devant la scène de concert que nous pensons être très en avance. Il n’en est rien. Les Souinq, groupe havrais à l’humour Boby, déjà vu et apprécié il y a deux ans en première partie de Hubert-Félix Thiéfaine au Grand-Quevilly, jouent et chantent devant une poignée de spectateurs et spectatrices tandis que l’énorme nuage noir monte.

                L’orage éclate, l’eau se déverse, le tonnerre gronde, c’est la fuite. Elle et moi trouvons refuge dans l’entrée d’un restaurant sous tente dont le gérant, après nous avoir laissés tranquilles nous prenant pour des clients en attente de table, nous chasse pour des raisons de sécurité dès qu’il comprend que nous ne dînerons pas dans sa gargote.

                Quand ça se calme, nous revenons sur le terrain désormais marécageux. Les écrans annoncent dans une formulation approximative que « le concert est maintenu en raison de l’orage mais commencera avec du retard ». Peu de retard en fait, Gilberto Gil arrive et monte le son, c’est samba et bossa nova. Je n’accroche pas trop à cette musique. Je regarde le paysage, je surveille les nuages. Gilbert en bon ministre de la Culture nous inflige une petite présentation de chaque chanson. Je peux maintenant disserter sur chaque variété de samba et je sais même que le reggae est la musique de la Jamaïque. Il reprend une chanson de Bob Marley et une autre des Beatles, pas de quoi faire oublier les versions originales.

                Le public finit par arriver, c’est un succès mouillé. Manque aussi pour me faire un peu plus apprécier ce style de chansonnettes le temps qu’il est bon d’avoir. Le feu d’artifice lui est de tous les temps et encore une fois ne nous déçoit pas. Les voiliers à sa fin font hurler leurs sirènes comme à l’accoutumée, mais dans un certain désordre.

                Au fil des jours, la discipline se relâche chez les militaires, dont de plus en plus traînent sur les quais accrochés au bras d’une fille d’ici.

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  •             Jeudi la pluie dès le matin et elle et moi qui restons au lit tandis que se déroule la course des marins de l’Armada sur les quais de Rouen, Les pauvres, ils me font déjà mal quand ils courent sous le soleil, toute cette pollution portuaire dans leurs poumons, et aujourd’hui en plus complètement trempés à l’arrivée.

                Le soir, c’est seul et toujours sous la pluie que je me rends au concert du jour. Une petite impression de débâcle règne sur le quai. Un proméne-touristes brade ses sorties en Seine et en offre la gratuité aux enfants. La maison Miko ferme les boules où elle vend ses glaces. Le passant(e)s se réfugient à l’intérieur de tout ce qui est ouvert. Il en est même pour visiter l’exposition des affligeantes sculptures de femmes des cinq continents de Jean-Marc de Pas, le sculpteur officiel du port de Rouen. La pluie cessant momentanément, je m‘arrête devant la scène de l’Agglo où le groupe Ceoltori na Sionnaine de Limerick offre sa musique et ses danses irlandaises. Ce n’est pas inintéressant mais trop folklorique pour que j’y prenne goût.

                Rose et Ridan sont au programme de la grande scène derrière le Hangar Vingt-Trois. La première que je connais pour l’avoir frôlée à la Fnaque et le second par sa ritournelle sur des paroles de Du Bellay.

                C’est une ancienne institutrice et c’est un ancien rappeur. Sur scène, elle s’habille comme la fille d’à côté et lui comme le garçon que tu croises dans le bus. Elle a des musiciens qui font ce qu’ils peuvent et il en a de meilleurs. Elle chante des histoires de fille larguée par un garçon et il chante des chansons de garçon largué par la société.

                Entre les deux tours de chant (comme on disait autrefois), un très bel arc en ciel se déploie sur le gris des nuages et c’est le bon moment de la soirée.

                Pour le reste, je laisse les rozéridâneries à celles et ceux qui aiment ça et je pars après Du Bellay.

                Un énorme bateau de guerre porteur d’hélicoptère, russe je crois, est arrivé à quai, tout au bout, là où se cache la partie la plus noire de l’Armada, là où les armées de mort font leur dangereuse propagande.

                C’est près du pont levant, dans un cadre moins malsain, que je vais attendre le feu d’artifice.

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  •             Mercredi matin, rive gauche, elle me dit qu’elle aime bien les militaires mais seulement quand ils sont étrangers et nous en essayons une variété nouvelle, celle du sultanat d’Oman présents avec leur voilier le Shabat Oman. Après une aubade à la cornemuse et au djembé, le capitaine donne ses ordres : que les cadets vêtus de ticheurtes numérotés et de chortes bordeaux aillent donc jouer au basket à terre.

                Une distribution gratuite de la brochure à la gloire du navire, le sourire de tous les membres de l’équipage dont l’un allume ici et là des cônes d’encens, nous voici à bord. De là je fais quelques photos d’elle avec en arrière-plan les voiliers voisins et d’en face.

                Nous passons ensuite par l’Artemis civil hollandais et le Kaliakra militaire bulgare pour arriver au Tenacious civil britannique, un voilier dont une grande partie des membres de l’équipage sont des handicapé(e)s, à ce moment chargé(e)s de guider les curieux et curieuses, ce qui nous mène jusque dans les cabines.

                Pour finir, nous assistons sous la tente de l’Arabie Saoudite au spectacle de musique envoûtante et de danse efféminée donné par la troupe Almualaa.

                Le soir, rive droite, nous sommes au concert de l’orchestre de l’Opéra de Rouen qu’elle est heureuse de retrouver maintenant que sa vie à Paris l’empêche de partager mon abonnement. Oswald  Sallaberger, chef d’orchestre, pantalon blanc chemise blanche veste bleu marine, en parfait polyglotte salue les marins du monde entier et emmène un public nombreux, moins que la veille évidemment, dans un voyage bien balisé en deux parties.

                Nous passons d’abord par l’étape Johann Strauss avec une échappée surprise du côté de la musique du film Le Pirate des Caraïbes. Pendant Le Beau Danube bleu, je l’entraîne pour quelques pas de danse. Valser dans un champ de cailloux, ce n’est pas simple, surtout si comme moi on ne sait pas danser.

                Après un court entracte, le voyage reprend avec Wagner (l’ouverture de Tannhäuser), Dvorak (la Symphonie du Nouveau Monde), Bach (Air de la troisième suite), Verdi (ouverture de La Force du destin), Bizet (suite de Carmen), Barber (Adagio), Chostakovitch (Valse jazz numéro deux) et Khatchatourian (Danse du sabre), que des succès de la « musique dite classique », comme dit Oswald, et qui ce soir « est notre musique », parfait programme pour celles et ceux présent(e)s ici, qui ne connaissent pas beaucoup, applaudissent un peu trop vite, mais écoutent dans un silence qu’on ne trouve pas toujours au Théâtre des Arts, les soirs où l’orchestre joue pour l’élitiste bourgeoisie locale, absente du terrain vague.

                Oswald met alors en jeu le public (toujours plus nombreux), et s’y prend bien mieux que Wax Tailor, pour le Mambo de Bernstein puis sort son violon pour le Summertime de Gershwin. Son solo est malheureusement perturbé par le passage de l’hélicoptère de la police. Quand je pense au nombre de bateaux de guerre armés jusqu’aux dents présents dans le port de Rouen et pas un pour descendre ce gêneur !

                Le concert se termine par le Boléro de Ravel pendant lequel un détachement de marins russes envahit la scène. Chaque soldat porte un bouquet que l’on devine pour les musiciennes. La miss baptisée « demoiselle de l’Armada » est là aussi, encruchée, attendant l’apothéose.

                Son bouquet est pour Oswald qui, en bis, donne Le Pirate des Caraïbes, un marin étant pour lui une sorte de pirate, nous dit-il. Sur ces notes, elle et moi nous éloignons pour gagner le quai près du pont levant. Il est l’heure du feu d’artifice, un peu plus beau chaque nuit, au point qu’on en oublie la navrante musique diffusée par la sonorisation, c’est encore la Carmen de Bizet, qui est aux feux d’artifice ce que sont les Tournesols de Van Gogh aux couvercles de boîtes de chocolat.

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  •             Mardi matin, on y retourne à l’Armada de Rouen avec l’intention de visiter en priorité deux voiliers militaires, un brésilien et un norvégien. Las, le brésilien Cisne Branco situé tout au bout du quai, est fermé, il s’y déroule une visite commentée, et le norvégien Statsraad Lehmkuhl est interdit, il s’y prépare une réception privée. Pas question non plus de monter à bord du Sorlandet norvégien, réservé lui aussi par une société commerciale.

                Tous ces kilomètres à pied pour rien ne sont pas de nature à me mettre de bonne humeur et je peste contre celles et ceux qui ont plus de droits que les autres, contre ces sociétés privées qui s’accaparent dès le matin des bateaux prétendument visitables tous les jours de dix heures à midi et de quatorze heures à dix-huit.

                Elle me propose un verre d’eau de l’Agglo et c’est comme ça que nous nous consolons, sirop de kiwi pour elle, de menthe pour moi, ça c’est gratuit et ouvert à tout le monde.

                Le soir, nous sommes de retour au bout du quai pour le concert de Tiken Jah Fakoly, le chanteur de reggae ivoirien qui vit en exil au Mali, accueillis là par une table de la chapelle trotskyste de la Gauche Révolutionnaire qui tente de vendre son journal L’Egalité.

                Avant lui, en première partie, un groupe du coin, des comiques dont j’oublie le nom et qui n’ont, semble-t-il, d’autre utilité que de donner à celles et ceux qui viennent de loin le temps d’arriver. Des spectateurs et des spectatrices, il y en a, plusieurs dizaines de mille, je ne sais au juste, autant derrière nous que devant nous, et de toute sorte, survolé(e)s d’un nuage de fumée exotique et d’un hélicoptère de la police qui compte les manifestant(e)s.

                Vêtu de son manteau bariolé, entouré de ses musiciens à bonne tête de rasta et secondé par deux danseuses choristes, Tiken Jah Fakoly chante tout le mal qu’il pense du monde actuel et de la cruelle relation entre les pays dits développés et l’Afrique. Les paroles sont parfois gentillettes et tout cela rappelle Alpha Blondy, il n’empêche qu’on y prend, elle et moi, beaucoup de plaisir, de plus en plus à mesure qu’avance la soirée et alors que grossit encore le public. « Monsieur le Président, quittez le pouvoir », chante-t-il, et cela vaut autant pour celui de Côte d’Ivoire que pour celui de France à qui il conseille d’ouvrir les frontières. En rappel, c’est Africain à Paris, une reprise à sa manière de l’Englishman in New York de Sting : Sais-tu qu'ils nous ont promis des places/ Mais c’est par la voie des airs/ Elles ne sont pas en première classe/ C'est un oiseau nommé charter/ En attendant que l'oiseau s'envole/ Des mains noires aux doigts de fée/ Font tourner autour des casseroles/ Un soleil au goût de ma vie.

                A l’issue, une grande partie des manifestants se retrouve au bord du fleuve pour le feu d’artifice du soir dont les explosions semblent annoncer la révolution souhaitée par Tiken Jah Fakoly, une révolution qui entraîne par le fond les multinationales louant les voiliers de l’Armada pour leurs fêtes privées, tous ces exploiteurs, pilleurs et affameurs de la planète, sans que quiconque ne songe à leur lancer une bouée ou une échelle de corde, c’est du moins à cela que je rêve, sur le quai au bord de la Seine.

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  •             Quand elle revient, lundi matin, sa sœur l’accompagne et donc à trois nous nous plaçons, rive gauche, dans la file d’attente digne d’une exposition de peinture parisienne qui mène à la passerelle de l’Amerigo Vespucci, le plus couru des voiliers militaires de l’Armada. Nous sommes près du panneau qui indique qu’à cet endroit une heure d’attente est nécessaire avant de monter sur le bateau et il n’est pas encore dix heures, moment officiel du début des visites gratuites de navires.

                Quelques soldats astiquent les cuivres. Un autre hisse le drapeau. La pluie se met à tomber. Nous discutons avec les gens de devant. L’heure c’est l’heure chez les militaires et à dix heures, la longue colonne se met en branle. Une jolie soldate est de faction sur le quai. Elle tamponne les programmes officiels payants de Paris Normandie et les programmes officieux gratuits du département de Seine-Maritime, un coup de cachet près de la photo du voilier. La chasse au cachet est un sport pratiqué par beaucoup de visiteurs et visiteuses. Ce que le monsieur belge derrière nous appelle, en son langage exotique, se faire timbrer. Celle qui me tient la main veut bien se faire timbrer mais uniquement sur le sein gauche par un marin mexicain.

                Nous voici, après moins d’une heure d’attente, sur le magnifique bateau italien. Les beaux soldats se tiennent à disposition pour quelques photos, certains martialement regroupés aux ordres d’un gradé, d’autres posant avec qui veut. Une soldate distribue des photos timbrées du bateau. Une revue à la gloire de l’Amerigo Vespucci est gratuitement à disposition. Sa devise est traduite en français afin que chacun en prenne de la graine : « Ce n’est pas celui qui commence mais qui persévère. »

                Chez le voisin russe, le Mir, où nous mettons le pied après une attente moindre, l’ambiance est différente. Le décor est spartiate et dépouillé. Le petit commerce est présent avec une table d’objets souvenirs. « Il y a toujours quelque chose à vendre sur un bateau russe » entends-je derrière moi. Les soldats, hormis les gradés à large casquette, ne sont pas soucieux du pli du pantalon. Beaucoup sont très jeunes, dix-sept dix huit d’apparence, et pas de filles parmi eux  Je découvre un peu tard que le voyage à bord depuis Saint-Pétersbourg jusqu’à Rouen ne coûte que sept cents euros.

                Alors que nous avons quasiment terminé le tour du voilier, des cris se font entendre à bâbord. Une femme vient de tomber dans la Seine entre le quai et le bateau. Les jeunes soldats se précipitent, lançage de bouées et descente d’une échelle de corde. La femme est sauvée et la marine russe est applaudie. Certain(e)s visiteurs et visiteuses n’hésitent pas à filmer et photographier la repêchée étendue sur le quai. Nous redescendons, disant pis que pendre de ces malotrus, et passons rive droite.

                Là, le voilier hollandais Eendracht nous attire. Nous y grimpons et, à l’arrière du bateau, découvrons l’équipage en plein repas dans une vraie salle à manger de plein air. Un bar est ouvert pour le public. D’autres tables sont disponibles. Celle qui me tient la main fait usage de son anglais car c’est un endroit idéal pour notre pique-nique. Nous voilà déjeunant bien installés et pris par certain(e)s pour des membres de l’équipage n’ayant pas droit au menu copieux de la table d’à côté, où je goûterais bien le fromage au miel.

                Ensuite, je laisse les deux filles se raconter des histoires de sœurs et vers dix-huit heures, celle qui en a terminé (provisoirement) avec sa famille me rejoint et bientôt nous sommes entourés des grues du port derrière le chai à vins, attendant Wax Tailor dont le matériel est sur scène : un beau bureau avec des tourne-disques, des appareils à curseurs, et tout ce qu’il faut pour faire de la musique electro trip hop. Il s’installe aux commandes et quatre filles, chanteuse, violoniste, violoncelliste et flûtiste, lui tiennent compagnie et rendent cela mélodieux. De temps à autre, un garçon costaud, surgi des coulisses, le micro en l’air, fait comme il faut faire quand on est un rappeur. J’aime bien Wax Tailor et elle aussi aime bien ça, surtout quand les filles sont sur scène. Une bonne drache fait s’ouvrir une multitude de parapluies. Un arc en ciel s’ensuit. Wax essaie d’exciter la foule mais elle reste assez molle. Après lui, c’est Aaron mais c’est sans nous.

                De retour sur le quai, nous profitons du spectacle des bateaux illuminés. L’uruguayen militaire Capitan Miranda est encore ouvert à la visite. Nous nous accoudons au bastingage face à la presqu’île Rollet, aux premières loges (comme on dit) pour le feu d’artifice. Devant nous, les bateaux promène-touristes viennent se mettre en position. Dans l’un d’eux, j’ignore lequel, doivent se trouver ma fille et son copain. J’essaie de la découvrir, sans succès. Les marins mettent une bonne musique salsante. On est bien là, mais quand le moment du tir approche, l’équipage soudain inquiet s’avise que le bateau, lesté de tout ce monde à bâbord, penche dangereusement. Il faut reculer et ne plus rien voir. C’est finalement du quai que nous apprécions les belles bleues vertes rouges et or.

                Après, nous nous dirigeons, longeant le quai, vers la cathédrale, parmi beaucoup de visiteurs et visiteuses qui la plupart vont dans la même direction que nous. Un certain nombre de bateaux font l’objet de fêtes privées où pas question d’entrer. La punition de ces privilégié(e)s est de devoir écouter le jazz banal de l’orchestre livré avec les petits fours.

                Le bateau mexicain Cuauhtémoc est libre de toute opération commerciale. Illuminé comme un sapin de Noël, animé par une musique dansante et des marins galants, c’est notre dernière étape. Beaucoup de filles à cette heure tardive s’entretiennent avec les militaires à rayures. Il fait plutôt frais et venteux, pas un temps à mettre un sein dehors, et le cachet du bateau semble être égaré, nous ressortons de là un peu avant une heure du matin sans qu’elle soit timbrée.

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  •             Dimanche matin sur le quai rive droite de la Seine, il n’est que dix heures mais c’est déjà le grand bain de foule. Elle me tient la main et nous nous faufilons. Nous choisissons de monter à bord de certains petits voiliers, moins prisés mais pas moins intéressants que les grands, des bateaux hollandais, le Mare Frisium, le Mercedes et l’Atlantis. Ce dernier est, pour la durée de l’Armada, entre les mains de la maison Guéret Traiteur de France avec déjeuner à bord pour cinquante euros, vingt-cinq euros seulement pour le menu enfant. Si nous mangions à la maison ?

                Avant de rentrer, elle me suggère d’aller voir un peu à quoi ressemble la messe de l’Armada, spectacle en plein air qui se donne sur la pelouse entre le quai et l’église de la Madeleine, grandement télévisé par France Trois.

                Quand nous arrivons, le flot des participant(e)s, chacun(e) muni(e) d’un foulard jaune ou rouge et l’agitant vivement, chante l’alléluia final tandis que vole au dessus des têtes une caméra à long cou de girafe. Je tente une diagonale pour nous rapprocher mais suis arrêté par un scout dont l’uniforme n’est pas sans rapport avec celui des militaires que je vois au premier rang. Au milieu d’eux, j’aperçois Patrick Herr, chef d’orchestre de cette Armada, et Catherine Morin-Desailly, sénatrice, et puis Valérie Fourneyron, maire de Rouen.

                -Il y a aussi Yvon Robert, nous dit une dame blonde assise sur le banc voisin avec une autre dame blonde.

                -Il ne manque plus qu’Albertini pour que la fête soit complète, lui dis-je.

                -Mais il y est aussi, nous dit-elle, au troisième rang seulement.

                Perdre sa place de maire conduit à reculer de deux cases à la messe en plein air de l’Armada.

                Je me moque un peu de ce parterre de politicien(ne)s mais la dame blonde compatit :

                -Ils sont obligés d’être là.

                Toutes les ouailles s’égaient dans des directions diverses car la messe est dite. Sur le chemin du retour, nous sommes mêlés, comme deux bons petits chrétiens, aux familles à foulard jaune ou rouge qui rentrent chez elle.

                Tandis que nous déjeunons dans le jardin, le temps change brusquement. Le ciel se charge de nuages et un vent tempétueux se met à siffler. Fini le beau temps, quelque chose aurait-il déplu à Dieu pendant la messe ce matin ?

                Le soir venu, c’est sous de gros nuages menaçants que nous reprenons le chemin du quai, pas encore très sûrs d’avoir envie d’entendre Hugues Auffray, le chanteur du feu de camp et du cheval blanc.

                La pluie nous surprend devant la tente de la Seine-Maritime et, en espérant que ça passe, on se réfugie à l’intérieur. Là se trouve aussi le stand de France Trois et j’y croise une connaissance Christophe Guyomard qui a perdu Télé Pomme son émission d’antan. Il nous annonce que le concert d’Hugues Auffray est annulé en raison du vent violent, ce qui n’est sans doute qu’une rumeur de plus.

                Cependant le désir nous manque d’affronter le mauvais temps et elle a envie de revoir sa maman. Je me couche tôt et seul.

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  •             Samedi matin, un peu avant dix heures, nous descendons elle et moi l’escalier qui mène au quai rive droite. Sur l’autre rive, le nombre d’autocars garés nous donne une idée de la masse humaine dans laquelle il va falloir se glisser pour parvenir auprès des voiliers. Le premier qui nous arrête est le Cuanhtemoc mexicain avec ses marins d’opérette qui dansent sur le pont, pas du genre à faire la guerre ceux-là.

                Pour nous dégager un peu de la foule, nous optons pour le bout du quai afin d’y visiter plus facilement quelques bateaux militaires et civils, ce qui est fait avec le Stad Amsterdam, le Mircea roumain, l’Antigua hollandais (jusqu’à l’intérieur) et le Dar Mlodziezy polonais.

                Sortant d’un de ces bateaux, nous constatons que le pont levant n’est plus levé et qu’il fonctionne donc bien dans les deux sens.

                Près des voiliers visités sont stationnés d’affreux navires de guerre tout à fait modernes avec canon prêt à l’emploi et militaires en arme. Je suis stupéfait du nombre de visiteuses et visiteurs attendant pour monter sur ces engins qui n’ont d’autre usage que de les tuer, elles et eux, ou leurs semblables. Sur le quai, près à ces bateaux de mort, se trouvent les stands de l’Eglise catholique, de la Cégété, de l’Humanité, de Greenpeace et de Vie et Espoir.

                Revenant vers le centre de Rouen, nous croisons un défilé éclectique protégé par les Céhéresses. On y trouve une fanfare de cornemuses, des officiel(le)s (comme on dit) parmi lesquel(le)s je ne reconnais qu’Hélène Klein (adjointe de la maire de Rouen), des échassiers clownesques et des marins italiens portant leur drapeau à l’horizontale. Les mœurs militaires sont décidément bien mystérieuses.

                Un immense panneau publicitaire du port de Rouen célèbre « Rouen, capitale de la Normandie » annexant pour l’occasion le Mont-Saint-Michel, les Impressionnistes, Honfleur et même Paris. Rouen, capitale de la Normandie, première nouvelle et qui va bien faire sourire les habitants de Caen et du Havre. Une ville même pas capable de construire une médiathèque peut-elle être autre chose que la capitale d’une demi-région ?

                Il est temps de rentrer pour prendre un apéritif tranquille à deux dans le jardin, pas question de retourner dans la marée humaine avant le soir.

                Vers dix-huit heures, nous y sommes à nouveau. Un arrêt devant la scène de l’agglo où se donnent en alternance les musiques des groupes Nacka Latin et Combo Conga’sauce. Les premiers sont suédois et cela se sent à leur manque de rythme, les seconds entraînent quelques couples mixtes dans la salsa. Nous nous retirons sur la pelouse pour un pique-nique sommaire et ensuite rejoignons la grande scène installée par la région de Haute-Normandie. Ce soir, Bashung est au programme.

                Hélas avant lui, il faut entendre des publicités pour les transports régionaux puis Radiosofa, groupe local, à la musique lourde et aux textes légers. Le chanteur a une voix qui en rappelle bien d’autres et joue avec des ondes émises par des antennes. La technologie vient à son secours en quelque sorte.

                Des chauffeurs de scène aux plaisanteries lourdingues et à l’improvisation laborieuse prennent la suite. Ils en arrivent à faire applaudir la Croix-Rouge et la Protection Civile (pourquoi pas les Céhéresses ?) quand Alain entre en scène mais ce n’est pas le bon, c’est Le Vern, président de la région, qui se sentant peu désiré expédie son discours.

                Une mongolfière aux couleurs du département de l’Eure traverse le ciel. On attend maintenant celui pour lequel elle et moi sommes là, avec plein d’autres, que des caméras, autre innovation fâcheuse, filment et montrent sur écran géant. Quatre-vingt-dix pour cent des spectateurs et spectatrices filmé(e)s se transforment en crétins et crétines faisant coucou à la caméra

                Il arrive, vêtu de noir, lunettes noires et petit chapeau noir vissé sur la tête pour cacher ce qu’il ne peut montrer, dû aux effets secondaires du traitement contre la maladie. Cela rend triste de le voir ainsi, tellement différent des dernières fois où je l’ai applaudi (à Rouen au Théâtre des Arts programmé par le Hangar Vingt-Trois et à Evreux au Rock dans tous ses Etats) mais dès qu’il commence à chanter, c’est bien vivant et en pleine forme qu’il apparaît. Je serre dans mes bras celle qui m’accompagne et me débrouille pour qu’elle en voie le plus possible malgré la présence devant de plus grands qu’elle.

                Bashung explore une partie de son dernier cédé, puis propose un échantillon de son répertoire ancien de Madame rêve à Vertige de l’amour, parfois s’accompagnant à la guitare, parfois jouant de l’harmonica, soutenu par quatre musiciens performants dont Yan Péchin, guitariste déjà vu et entendu avec Thiéfaine et Higelin. Il revient pour un rappel de trois ou quatre chansons puis salue le public. Il se dirige vers le fond de scène côté cour. Un membre de son équipe de tournée l’aide à quitter les lieux en lui donnant le bras.

                Au bord de la Seine, on regarde le feu d’artifice puis à pied nous prenons le chemin du retour, arrivant devant la Cathédrale juste à temps pour une nouvelle projection du spectacle De Monet aux pixels, vu et revu mais toujours bienvenu

                Elle est comme moi ravie de cette soirée et attristée en même temps, mais on se dit que le crabe sera moins fort que Bashung, et on croise les doigts pour le revoir un jour sur scène.

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