•             Samedi matin, en solitaire, pour atteindre le vide-greniers d’Alizay, village de l’Eure, je passe sous le chemin de fer Rouen Paris par une sorte de tunnel ménagé pour le piéton, ma voiture judicieusement garée près d’un étang jouxté d’un parcours de santé installé là par la municipalité communiste.

                Je n’ai pas grand espoir. Alizay compte trop de pauvres parmi ses habitant(e)s et ce sont eux et elles qui vendent. La plupart de ces pauvres lisent des livres sans intérêt et écoutent de la mauvaise musique. Quand l’un(e) fait exception, le prix qu’il demande pour son livre ou son cédé est trop élevé pour moi. Les pauvres ont toujours besoin d’argent, c’est navrant. Pas moyen de leur acheter quoi que ce soit. Je repars quand même avec quatre rouleaux d’adhésif, ça peut toujours servir.

                Sur la route du retour, j’écoute, sur France Culture, Répliques, l’émission d’Alain Finkielkraut. Une fois de plus, il chevauche son dada : le déclin de la langue française. La faute à qui ? A l’école, évidemment. Ouf, je n’y exerce plus et n’ai donc plus ma part de responsabilité dans la débâcle.

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  •             C’est la fin des vacances. Avant de regagner Paris, elle m’invite à la Pasta Tinto, fameux restaurant de pâtes rouennais de la rue Victor Hugo. Pour cela, elle retient une table et c’est heureux car ce vendredi vers treize heures quand nous arrivons c’est complet. Une petite table pour deux va se libérer. « Idéale pour les amoureux », nous signale l’un des deux frères patrons.

                Bientôt, nous sommes en place et optons pour la formule du midi, plat de pâtes, dessert et café. Elle me propose un pichet de vin blanc que j’agrée et nous trinquons à tout ça, le passé, le présent et l’avenir.

                Les pâtes sont de la maison et délicieuses comme il se doit. Tandis que nous dégustons, bon nombre des présent(e)s requis par le travail quittent le restaurant qui devient bien moins bruyant et c’est mieux pour se parler à deux.

                Le long des baies vitrées sont disposés des livres moins bien choisis que les plats proposés sur la carte. Derrière moi, ce sont plusieurs volumes de Jean de la Varende. Je lui explique en deux mots qui est cet auteur, régional et réactionnaire. Il y a longtemps que je ne vole plus de livres ; je ne risque pas de rechuter pour un tel auteur.

                L’autre frère patron vient nous voir pour le dessert. Doit-il apporter la carte ? Pas la peine, pour nous deux ce sera un tiramisu.

                -Ah, vous avez vu le film, nous dit-il.

                Quand il revient avec les deux ramequins, je lui demande ce que c’est, le film avec le tiramisu.

                Il m’explique qu’il a seulement voulu dire qu’une fois qu’on y a goûté on ne peut plus s’en passer. C’est bien vrai. S’apercevant alors que son tiramisu à elle est un peu moins fourni qu’il ne le devrait, il nous indique qu’il va arranger ça. Quelques minutes plus tard, un troisième tiramisu offert par la maison est sur notre table.

                Nous sortons de la Pasta Tinto ivres de mascarpone et de vin blanc, bien contents de notre repas de fin de vacances pour lequel dans la rue Victor Hugo, je la remercie plus qu’elle n’en a envie, moins qu’elle ne le mérite.

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  •             Je sens bien que ça repart franchement, bien que l’on soit encore au mois d’août. Ce jeudi matin, les marchands de bric-à-brac sont plus nombreux place des Emmurées, Libération reprend ses pages littéraires et sur France Culture, depuis lundi, les émissions habituelles sont de retour.

                A l’étalage d’un brocanteur, sur le tas de livres où il surnage, j’attrape Le Jardin parfumé, le manuel d’érotologie arabe du Cheikh Nefzaoui, publié en mil neuf cent soixante-douze par Régine Desforges, qui fut bonne éditrice avant d’être mauvaise écrivaine. Pour deux euros, il est à moi. A peine plus cher que Libération où je lis, rentré chez moi, l’entrevue avec Richard Ford qui parle de l’Amérique des années deux mille :

                « C’est un pays qui essaie de nier tout ce qui a lieu autour de lui. Sa manière de le nier, c’est de se réfugier dans la vie privée : les gens étaient alors fascinés par les enfants, les maisons, le prix des appartements, etc. Ils ne parlaient que de ça au lieu de faire attention aux élections, à la crise constitutionnelle. Et Bush a été élu. »

                Un propos qui peut s’appliquer à bien d’autres pays, dont celui où je vis, me dis-je, écoutant en même temps sur France Cul l’émission consacrée à l’année soixante-huit dans les pays de l’Est. Il est bien sûr question de l’invasion soviétique de la Tchécoslovaquie, en août, il y a juste quarante ans, et je me souviens que ce fut là l’occasion de mon premier acte politique. J’avais dix-sept ans. J’ai envoyé une carte postale de protestation à l’ambassade soviétique à Paris. Pas très efficace, c’est certain.

                Voilà qu’il se met à pleuvoir. Je téléphone à celle avec qui je devais pique-niquer au cimetière monumental de Rouen entre les tombes de Gustave et de Marcel. Ce sera pour une autre fois. Il faut que l’on aille saluer Duchamp qui, le deux octobre prochain, sera mort depuis quarante ans.

                En matière de commémoration, le train passe tous les dix ans. Je sais que Patrice Quéréel, ce sympathique personnage qui se promène parfois vêtu de rose, doit faire quelque chose pour le quatrième passage. Laurent Salomé, directeur du Musée des Beaux-Arts, lui, a anticipé en ouvrant il y a déjà un certain temps une salle Duchamp avec conférences annexes, répondant positivement à la question de Marcel : Faut-il réagir contre la paresse des voies ferrées entre deux passages de trains ?

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  •             Mercredi matin, nous voici elle et moi de retour sur les lieux de l’Armada. Nous marchons sur le quai de la rive droite de Rouen, bien tranquilles, ne croisant que deux ou trois coureuses, passons sous le pont levant baissé et atteignons le Hangar Vingt-Trois, toujours en activité, mais dont ce semestre la programmation ne me tente guère. Derrière se trouve la zone des concerts de l’Armada.

                Elle a envie de revoir ce terrain vague bordé de bassins à l’eau saumâtre, un lieu un peu interlope. Des cargos y sont à quai, des grues s’activent à des déchargements, un dragueur passe avec sa cargaison de déchets divers arrachés à la Seine. C’est ici que l’Agglomération de Rouen installe son port de plaisance.

                Nous allons le voir de près malgré la pancarte interdisant l’entrée aux non usagers. Le bassin Saint-Gervais n’est pas plus propre que les autres. A chaque angle flottent des troncs d’arbre, des branchages, des objets non identifiés. Aux pontons tout neufs, qui peuvent accueillir cent quatre-vingts bateaux, ne sont amarrés que six courageux. Ils doivent subir le bruit incessant de l’usine voisine cachée derrière des balustrades surmontées de barbelés et peintes à la gloire de l’Agglo de Rouen.

                Celle que j’accompagne entre dans le bâtiment bizarrement peint en blanc taché de bleu où se trouvent la capitainerie, les douches et les toilettes réservées aux usagers du port et en ressort avec de la documentation qu’elle me donne.

                J’apprends que le port de plaisance est « à cinq minutes du centre historique de Rouen ». Quand on dispose d’une voiture, ce doit être vrai. Quand on descend d’un bateau, c’est au moins une demi-heure à pied, en marchant bien, si l’on trouve le chemin parmi les routes à six voies.

                Elle grimpe sur une poubelle et je la suis pour voir ce que l’on fabrique dans l’usine bruyante. Rien d’évident, des palettes sont empilées un peu partout, le bruit provient d’un des ateliers, des engins stationnent dans la cour, un seul ouvrier est visible.

                De toute évidence, le port de plaisance de Rouen a encore besoin de pas mal d’aménagements s’il veut un jour ressembler à l’image de synthèse qui en est donnée dans la publicité de Fabius, le chef d’Agglo, et devenir « un agréable lieu de promenade et de détente ».

                Nous repartons par le quai de la rive droite, après avoir franchi la barrière coulissante. Y est inscrite en creux une jolie phrase descriptive de Flaubert relative à l’endroit. Une bien belle barrière, sans doute l’une des plus coûteuses parmi celles des équipements rouennais, ce qui donne à penser que si l’Agglo n’a pas un sou à mettre dans une médiathèque, elle a de quoi par ailleurs faire quelques gaspillages au nom de la littérature.

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  •             Le Tribunal Administratif de Rouen prend son rythme d’après vacances. Les dossiers s’empilent de celles et ceux qui, pour reprendre la formule du Tout-Puissant de la République, ont vocation à quitter la France et à rejoindre leur pays d’origine. Ce mardi matin, je suis là, à l’appel du Réseau Education Sans Frontières pour Kulilk, lycéenne venue de Turquie, scolarisée au lycée Fernand Léger dans je ne sais quelle ville, et pour Yasmina, lycéenne venue d’Algérie, scolarisée au lycée des Bruyères à Sotteville-lès-Rouen.

                La seconde bénéficie d’un bon avocat et du soutien de ses camarades et de ses professeur(e)s venu(e)s en nombre. D’autres affaires, une dizaine, concernent des adultes venus d’un peu partout. La salle d’audience toute neuve du nouveau Tribunal s’avère trop petite.

                C’est comme d‘habitude, une greffière annonce, un assesseur résume, un(e) avocate intervient brièvement, la Commissaire du Gouvernement donne la tendance et le Président indique que l’affaire en mise en délibéré.

                Des avocat(e)s il y en a de toutes sortes, ce matin. Il y a celui qui se substitue à un sien confrère et plaide un dossier qu’il ne connaît pas. Il y a celle qui ne sait pas où elle se trouve et reprend point par point son dossier jusqu’à se faire interrompre par le Président excédé qui lui apprend qu’elle n’est pas là pour ça. Il y a celui qui juge bon de serrer la main du Tribunal et se met à plaider avant que l’assesseur ait pris la parole. Il y a aussi Maître Rouly qui défend la dernière moitié des dossiers avec conviction, dont celui de Yasmina.

                A la fin de son argumentation en faveur de la lycéenne, le Président, chose inhabituelle, lui pose une question :

                -Pourquoi ne pas avoir demandé un statut d’étudiant ?

                -Etudiant est un statut transitoire, répond Maître Rouly.

                La Commissaire du Gouvernement argumente dans le même sens que le Président. Comme dans le cas de Kulilk.

                C’est toujours possible d’être étranger et d’étudier en France. Oui mais le jour où l’on n’est plus étudiant(e)...

                Dans la cour du Tribunal, on discute des suites à donner. J’apprends que grâce à l’expertise médicale indépendante, le Juge des Libertés et de la Détention a relâché le jeune couple azéri et ses deux enfants, mais que ce lundi le Tribunal Administratif de Rouen a ordonné leur expulsion. Du moins sont-ils pour l’instant en liberté dans leur village du Jura. La lycéenne de La Courneuve n’a pas cette chance. Elle est toujours incarcérée à Oissel et doit être expulsée si la Chine accepte son retour, ce qui n’est le cas qu’à quarante pour cent.

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  •             Petit matin à la gare de Rouen, c’est lundi et j’ai un billet de train pour Paris. J’attends que s’affiche le numéro de la voie, c’est toujours la deux, mais sait-on jamais. Il y a là Alain « le play-boy communiste », comme il se nomme, paraît-il, lui-même. Ce clochard dépenaillé grave durant des heures d’obscures inscriptions sur les portes métalliques de la ville. Il y a quelques mois, deux travailleurs sociaux, comme on dit, en ont fait un pipeule local de premier choix, site Internet et film à l’appui. Une opération réussie, dans le genre « Mon fou est un artiste ». Jusqu’à faire naître la rumeur selon laquelle le plus connu des galeristes rouennais serait allé desceller certaines des portes métalliques à des fins mercantiles. Ce matin, le play-boy communiste montre qu’il n’est pas déconnecté de toute réalité :

                -Vous avez pas cinquante centimes ?

                Dans le train, comme d’habitude, quatre-vingt-dix pour cent d’hommes. Nous sommes au vingt et unième siècle mais ce sont toujours les mêmes qui vont à la chasse au bison. Je lis le Journal d’une jeune fille russe à Berlin publié chez Phébus, dans la collection Libretto, que j’ai acheté à petit prix chez Boulinier la semaine dernière.

                La jeune fille russe, c’est Missie Vassiltchikov. Elle raconte sa vie sous les bombes à Berlin, pendant la deuxième guerre mondiale, où elle côtoie les auteurs du complot manqué contre Hitler. L’un d’eux, Adam Trott, écrit d’elle dans une lettre à sa femme : Je suis revenu en voiture avec Missie et j’ai de nouveau été étonné et impressionné par elle… Il y a quelque chose du noble animal en elle, qu’on n’arrive pas à comprendre complètement… quelque chose de libre qui lui permet de planer très haut au-dessus de tous et de toutes choses. Bien sûr, c’est un peu tragique, en fait presque inquiétant…

                J’aime vraiment Missie, sa façon de vivre et de raconter les évènements les plus terrifiants avec ce qu’il faut de distance pour en faire autre chose qu’un simple compte-rendu, comme dans cet échantillon : Lors du premier bombardement, le pauvre garçon avait réussi à s’échapper de son hôtel en flammes en sauvant toutes ses affaires et il avait trouvé une chambre à l’Eden. Mais, la nuit suivante, celui-ci avait été détruit à son tour et il ne restait maintenant au prince que les vêtements qu’il avait sur le dos. Il déplorait surtout la perte de quatre paires de chaussures toutes neuves.

                Il fait soleil lorsque j’arrive dans la capitale. Je sors de terre à la station Hôtel de Ville. Sur la place, on prépare la commémoration de la Libération. Je réussis à franchir les barrières et traverse la Seine.

                J’explore les librairies du Quartier Latin, du moins celles où les livres ne sont pas remplacés par la papeterie, la rentrée scolaire étant une période fâcheuse pour qui aime fouiner dans les bacs de livres d’occasion.

                Dans l’une d’elle, une simple vendeuse se présente à un nouvel employé :

                -Je suis sociologue. J’ai bac plus neuf. J’ai même créé une entreprise de presse. Bon, j’ai dû arrêter. Mais tu comprends, je ne vais pas moisir ici.

                Je me pose ensuite dans le Jardin du Luxembourg. Près de moi sont assises deux femmes, l’une trente-cinq ans, l’autre vingt-cinq. La première a fait lire à la seconde une histoire qu’elle a écrite, d’enfant déplacé à la recherche de ses origines, et attend son avis. Elle veut savoir si ça ressemble à un livre. L’amie répond ce que l’on peut répondre dans ces cas-là, se risquant à quelques petites critiques, évidemment pas entendues.

                -C’est tragique ce que je raconte mais j’ai toujours voulu rester positive, dit la nouvelle écrivaine.

                L’avenir est souvent riche de futures désillusions, me dis-je, en mangeant un sandouiche au thon.

                Je ne fais pas grand-chose à Paris, autant dire rien. Je profite juste d’un billet de train que m’a offert celle qui n’est pas avec moi ; un billet qu’elle a oublié, par distraction, de composter lors de son retour à Rouen.

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  •             L’autre nuit, je me réveille en sursaut, sorti d’un rêve dont je sais à peine qu’il en est un, tellement ce que j’y vivais avait l’aspect de la vraie vie. Encore un rêve d’école, d’élève perdu, de catastrophe imminente. Je ne le raconte pas. J’ai horreur de lire ceux des autres. Je saute toujours les pages relatant un rêve dans les livres que je lis, même chez ceux d’Henry Miller.

                Trop facile d’écrire une scène de rêve.

                Je l’ai fait une fois pourtant, au début de ce que je peux appeler mon premier roman, brièvement publié sur Internet par la maison Olympio créée par François Bourin et Alain-Gilles Minella. Il fallait payer pour lire. Autant dire qu’Olympio a vite fait faillite. François Bourin est revenu à l’édition sur papier. Quant à Alain-Gilles Minella, j’ignore ce qu’il est devenu. Un jour, il a cessé de répondre à mes lettres et à mes mails. Je ne sais pourquoi.

                L’autre semaine, dans la rue, une mère appelle sa fille :

                -Mélissandre, viens ici !

                -Je n’aime pas ce prénom, Mélissandre, me dit celle qui me tient la main.

                -C’est le titre de mon premier roman, lui dis-je. Ça raconte l’histoire d’une fille qui s’appelle comme ça.

                Elle s’en tire comme elle peut.

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  •             Samedi matin, très tôt, il fait plus ou moins gris. Je prends le risque d’aller jusqu’à Montaure, au-delà de la forêt de Bord, dans l’Eure, pour le vide-greniers. Je fais bien car à l’arrivée le soleil est davantage présent. Rien de bien intéressant dans cette vente, pour ce que je cherche du moins, mais j’en reviens quand même le cœur à l’aise car j’y déniche un cédé des chansons bêtes de Bourvil, avec des chefs-d’œuvre comme Les Crayons, La Tactique du gendarme, C’est l’piston, A bicyclette, La Rumba du pinceau, En revenant de la revue, La Dondon dodue ou Le pêcheur au bord de l’eau. Des chansonnettes qu’elle et moi écoutions il y a peu sur les routes de Provence et qu’elle aura envie d’entendre à nouveau dès qu’elle repassera par chez moi, pour sûr.

                Dimanche matin, très tôt, le ciel est couvert et il pleuvine. Je me risque néanmoins du côté de Barentin, à Fresquiennes puis à Saint-Jean-du-Cardonnay, pour les vide-greniers qui se tiennent sur les terrains de foute. Là j’ai tort. Je ne trouve rien et il se met à vraiment pleuvoir. C’est quand même une jolie promenade à la campagne. J’écoute ce qui se dit sous les parapluies :

                -Tu sais, Sylvie, ça ne va plus avec sa fille. Figure-toi qu’une fois son fils, Bruno, il va au marché du Clos Saint-Marc et qu’est-ce qu’il voit ? Sa sœur main dans la main avec une fille.

                -Ah bon !

               -Et tiens-toi bien, quand elle en a parlé avec elle, sa fille lui a dit : Si je me suis mariée, c’était juste pour avoir un enfant, mais j’ai toujours aimé les filles.

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  •             Alerte urgente du Réseau Education Sans Frontières ce vendredi matin, rendez-vous à dix heures trente au Tribunal de Grande Instance de Rouen pour soutenir un jeune couple azéri devant le Juge des Libertés et de la Détention. Je me présente à dix heures quinze au Palais de Justice où il s’agit d’abord de franchir le portail de détection. Poches vidées, je fais sonner l’alarme. Ce sont mes chaussures, m’explique la jolie fliquette qui me masse néanmoins les chevilles afin de s’assurer que je ne cache pas une arme dans mes chaussettes. Je parcours ensuite le labyrinthe qui mène au bureau du juge.

                Nous sommes huit du Réseau à l’arrivée. Les convoqués sont là, surveillés par quatre policiers. Derrière un paravent, ils s’entretiennent avec leur avocat en qui nous reconnaissons le plus nul de la place de Rouen, commis d’office. Un interprète sert de truchement. C’est un jeune couple avec deux enfants (une fillette de quatre ans scolarisée et un bébé de trois mois né en France). Ils habitent un village du Jura où ils ont été arrêtés puis menés au Centre de Rétention de Oissel, une technique courante, salement efficace, du ministre de l’Immigration et de l’Identité Nationale pour couper les poursuivis de tout soutien. Leur avocate est à Dôle et ne peut être là.

                La petite fille s’échappe et vient nous voir. Elle parle très bien le français. L’un de nous va lui acheter un livret de coloriage. L’attente est longue.

                Le juge sort enfin de son bureau. Il constate qu’ « il y a du monde », envisage de trouver un lieu plus vaste, y renonce et nous voici tous en place. Les retenus sont assis avec leurs enfants, l’avocat commis d’office et l’interprète. Les policiers les encadrant restent debout et nous tous aussi sur le côté. Une greffière face à nous prend en note. L’écran de son ordinateur est tourné vers le juge qui donne d’emblée la parole au jeune homme.

                Celui-ci explique qu’il a quitté l’Azerbaïdjan pour des raisons politiques, qu’il sera mis en prison s’il y retourne. Il indique qu’il paie un loyer, qu’il a une voiture. Le juge lui répond qu’il n’est là que pour apprécier la régularité de la procédure.

                Il donne la parole à la jeune femme. C’est elle qui marque des points. En pleurs, elle explique qu’elle ne mange plus depuis l’arrestation, qu’elle n’a plus de lait, que son bébé ne mange donc plus, que sa petite fille souffre aussi de la détention.

                C’est au tour de l’avocat. Il s’appuie sur la convention de New York relative à la protection des enfants pour demander la libération. Pas trop mal pour un avocat aussi inefficace d’habitude. Le pire vient ensuite. Il affirme que ses clients seront d’accord pour rejoindre leur pays d’origine et qu’il est donc bien venu de les libérer afin qu’ils préparent leur départ. Un avocat d’étrangers en situation irrégulière (comme on dit chez Hortefeux) qui prône le retour au pays, c’est fort, surtout si cet avocat est lui-même issu de l’immigration. Même le juge en est gêné.

                On le sent hésitant, bien embêté de ne pas avoir de moyen juridique pour agir en faveur de cette famille. Il réfléchit longtemps. Finit par demander une expertise médicale indépendante pour les enfants et leur mère. Il statuera en fonction du résultat ce samedi en début d’après-midi.

                Il est près de treize heures. Les quatre policiers de l’escorte nous laissent cependant parler longuement avec ceux qu’ils doivent raccompagner à Oissel. Des numéros de téléphone sont  échangés, des visites au Centre de Rétention sont organisées.

                Libérés ou non, ce jeune couple et ses enfants en bas âge seront lundi matin devant le Tribunal Administratif de Rouen qui jugera sur le fond. En présence de leur avocate ou bien avec un(e) autre qui assure, trouvé(e) par le Réseau. Ce même matin, une lycéenne chinoise de La Courneuve, emprisonnée elle aussi à Oissel, verra son sort se jouer. Je ne pourrai y être. Je me rattraperai mardi matin où une lycéenne et un lycéen de l’agglomération rouennaise sont à leur tour convoqués par ce même tribunal.

                -Je n’ai pas encore vu que la France est le pays des droits de l’homme, nous dit le jeune Azéri, avant d’être emmené par les policiers.

                Cette légende a décidément la vie dure. Je connais même des Français(es) pour y croire. La France n’est pas le pays des droits de l’homme. La France est le pays de la déclaration des droits de l’homme. Ce n’est pas la même chose.

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  •             Grand branle-bas dans ma ruelle hier matin, deux ouvriers municipaux fluorescents et deux cadres costumés s’interpellent bruyamment. Ce n’est pas possible, une rue aussi sale, il faut faire quelque chose.

                Arrivent bientôt des balais, des poubelles à roulettes et un carcheure. En peu de temps, voici la venelle nettoyée et parfumée.

                Je raconte cela à celle avec qui je prends l’apéritif dans le jardin à midi et m’étonne auprès d’elle qu’un tel zèle soit sans lendemain.

                -Ils ont déjà fait ça il y a trois mois, et puis après plus rien.

                -C’est qu’ils sont comme nous, me répond-elle. Le ménage, on ne le fait que tous les trois mois et à fond, quand la situation devient insupportable, et puis après on oublie.

                Bon, cela va momentanément réjouir les touristes, toujours aussi nombreux à passer par là, en famille ou en troupeau, ces derniers toujours cornaqués par les guides de l’Office de Tourisme dont je me suis plus d’une fois moqué.

                Depuis quelque temps, sauf rares exceptions, ils ou elles ne stationnent plus sous mes fenêtres, préférant le bout de la ruelle pour leurs explications oiseuses. Je suis lu, pas de doute, même par celles et ceux pour qui je n’écris pas (quoique je ne sache pas vraiment pour qui j’écris). Je le sais par l’une de ces guides qui me voyant un jour sortir de chez moi cessa son laïus pour dire aux Anglais(es) ou Américain(e)s l’entourant :

                -He hates us.

                -Oui, c’est vrai, lui ai-je répondu, et en plus il comprend l’anglais.

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