•             « Un moment, à travers la plus jolie des jeunes filles, je voyais le crâne qui perçait. » Elle est là avec moi, ravissante, robe noire à petits pois blancs, gilets blanc à dentelles, collants noirs et chaussures à lacet. Nous sommes au Musée des Beaux-Arts de Caen, ce mercredi en fin de matinée, et l’auteur de cette phrase, écrite sur le mur, est Alberto Giacometti.

                C’est pour lui que nous sommes ici, pour lui et pour celles et ceux qui lui font compagnie. L’exposition, organisée conjointement par le Musée et la Fondation Giacometti, a pour titre En perspective, Giacometti. Elle interroge les œuvres d’Alberto en regard de certaines plus récentes signées par une quinzaine d’artistes contemporains, cela en sept vastes salles lumineuses complétées, derrière un rideau, d’une annexe intimiste.

                Dans ces salles, sans souci de chronologie et en neuf thèmes (Empreinte, Mutation, Mémoire, Objets, Fragments, Répétition, Visions, Fictions d’espaces, Energie), a lieu un dialogue qui nous réjouit, elle et moi, bien qu’en ce moment nous soyons plutôt d’humeur triste.

                Sont rassemblées les diverses facettes de Giacometti sculpteur, depuis les objets mobiles et muets Boule suspendue, Vide-poche, Objet désagréable à jeter jusqu’au bien connu Homme qui marche, en passant par le Nez pinocchiesque, la Tête sur tige munchienne et les inquiétantes Jambe, Clairière et Cage. S’ajoutent à cela peintures (Annette, Yanahaira en buste), dessins (dont certains pour Histoire de rats de Georges Bataille) et estampes.

                Parmi les œuvres qui parlent avec celles d’Alberto, il en est qui me plaisent particulièrement : I love my Lulu de Sarkis (personnage féminin composé d’une bande magnétique où est enregistré l’intégrale de la Lulu d’Alban Berg), The Way Things Go de Peter Fischli et David Weiss (spectaculaire vidéo hélas présentée sur un écran trop petit), Plaisir-Déplaisir d’Annette Messager (installation organique cachée derrière le rideau), Pace Piece de Georg Baselitz (gros pied de bois grossièrement sculpté), Disparaître à l’intérieur de Javier Pérez (installation composée d’un « masque de laine dont gouttent treize petites têtes, autoportraits de l’artiste, en résine rouge comme du sang » pour reprendre les termes du dépliant généreusement offert à l’entrée), Feeling Material d’Anthony Gormley (sculpture faite de cerceaux d’acier enroulés, où l’on peut voir, me montre-t-elle, un homme enfermé), Henriette de Louise Bourgeois (multiple représentant une prothèse de jambe, allusion à la sœur de l’artiste, mariée malgré sa jambe raide), Condensed Two Hundred and Twenty Yard Dash de Dennis Oppenheim (installation composée d’une suite de dalles de plâtre où sont saisies les empreintes de coureurs à pied et d’une série de photos en noir et blanc décomposant le mouvement de la course) et les deux Sans titre de Jannis Kounellis (violents jets d’encre sur papier complétés de lancers de sacs de charbon).

                « C’est la sculpture où je ressens comme une violence contenue qui me touche le plus » disait Alberto Giacometti. Je note cette phrase sur mon dépliant, près de l’Homme qui marche dont la taille est la mienne, observé de l’étage supérieur par les visiteurs et visiteuses de la collection permanente d’accès gratuit. Des ouvertures leur permettent d’être aguichés par l’exposition Giacometti, d’en découvrir quelques aspects sans en voir l’ensemble. C’est délicieusement pervers.

                Elle et moi sortons ravis du Musée des Beaux-Arts de Caen, saluant la Grande femme qui se tient à l’extérieur. Nous avons bien fait de venir jusque-là malgré la route toujours désagréable qui relie les deux capitales des deux Normandie. Sûr que si nous étions habitants de Caen nous n’aurions pas fait le chemin inverse pour voir l’exposition que propose au même moment, à la grande satisfaction des adjointes de la culture du lieu (l’ancienne de droite et la nouvelle de gauche), le Musée des Beaux-Arts de Rouen, celle des œuvres du croûteux Frechon.

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  •             Midi et quart, je m’installe en terrasse au Son du Cor à une table protégée par l’auvent en cas de mauvais temps. C’est que, comme tous les jours depuis que je suis revenu en Normandie, la pluie guette.

                Je suis là pour lire le fort volume (paru en poche dans la collection de la petite vermillon à La Table Ronde) consacré à Proust et les autres, regroupant trois études Proust à Cabourg, Proust et son père, Proust et Céleste dues au talent de Christian Péchenard, éminent proustien qui écrit fichtrement bien. Comment puis-je lire un livre sur Proust alors que je n’ai jamais réussi à lire La Recherche du temps perdu ? C’est la question que je ne me pose pas.

                Hélas, je ne lis guère longtemps et ce n’est pas la drache qui me chasse mais le voisinage de plus en plus envahissant. D’abord, trois embiérés me saoûlent de leurs histoires véridiques. Ensuite, deux puis trois puis quatre ancien(ne)s jeunes m’empêchent définitivement de me concentrer avec leur manière bruyante de faire les mots fléchés de Paris Normandie. Le dernier arrivé surtout, qui frappe violemment sur ma table pour se féliciter d’avoir trouvé qu’à Utopie correspond Anarchie.

                Ce n’est pas la première fois qu’il m’indispose, celui-là. Chaque jour, il vient là avec une seule idée en tête et fulmine quand le journal local est déjà en mains (comme on dit dans ce genre d’endroit). Ce n’est pas un crétin, pas plus que celles et ceux qui lui tiennent compagnie ce mardi en début d’après-midi. C’est la vie qui en a fait ce qu’il est aujourd’hui : le mec qui ne vit que pour les mots fléchés de Paris Normandie.

                Le Son du Cor semble être le café de Rouen où l’on rencontre le plus d’hommes et de femmes dans son genre, ayant eu, dans un passé déjà lointain, des intérêts intellectuels de divers ordres (musique, cinéma, littérature, dessin ou autre) et devenu(e)s soûlard(e)s à la bière, mots flécheurs et flécheuses, lecteurs et lectrices de L’Equipe. De quoi me dire que si Valérie Fourneyron, membre de la gauche sportive, a sabré la médiathèque, c’est qu’elle est bien renseignée. Elles et eux ont voté pour elle aux dernières municipales.

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  •             Dans le train, parmi les endormi(e)s du petit matin, je lis Yann Andréa Steiner de Marguerite Duras, tout petit Folio de cent vingt pages. Ça commence bien, elle raconte sa rencontre avec ce jeune homme caennais, homosexuel et suicidaire qui a partagé la fin de sa vie, mais très vite elle dérive, Marguerite, vers un mirage onirique, s’apitoyant de manière facile sur le sort des Juifs pendant la deuxième guerre mondiale.

                Que faire à Paris en plein mois d’août le jour de la semaine où l’exposition Richard Avedon au Musée du Jeu de Paume est fermée ? Écumer les boutiques de livres d’occasion du Quartier Latin où il y a toujours bonne trouvaille à faire.

                Je passe ensuite par la case Beaubourg. J’ai là l’intention d’acheter un passe annuel pour bénéficier au mieux des multiples expositions du Centre Pompidou car à Rouen, dans les années qui viennent, il n’y a rien de bon à espérer dans le domaine culturel avec la nouvelle municipalité de gauche sportive. Le bureau est fermé, c’est le mois d’août.

                Il fait beau et chaud dans le genre orageux, l’idéal pour se balader sans véritable but mais comme j’en ai un qui doit me conduire à Saint-Paul, c’est par là que je vais.

                En attendant quatorze heures, je traîne dans le quartier, découvrant au cinq rue Pavée une maison construite par l’ « illustre architecte » François Mansart qui y vécut et y mourut. Sur la façade de cette maison devenue Chapelle de l’Humanité, est gravée dans la pierre une niaise maxime : « L’amour pour principe et l’ordre pour base, le progrès pour but ». On peut visiter, certains jours, à certaines heures, mais c’est au seize rue Charlemagne que je pousse la porte

                Je viens rechercher aux Editions Allia un mien tapuscrit dont le nom de code est Técéhemme, où je raconte par le détail un épisode fort troublé de ma vie. Allia a mis plus d’un an à me répondre mais m’assure Amélie Macé, rédactrice de la lettre de refus, « il a été effectivement lu, contrairement aux idées reçues ». Je n’en doute pas et je sais comme il est difficile de dire à un(e) écrivain(e) qu’on ne veut pas de lui. Certain(e)s le prennent mal, assiègent l’éditeur, l’insultent ou menacent de se suicider si celui-ci ne change pas d’avis. Je crois même que l’un est passé à l’acte il y a quelques années chez Gallimard, mais c’est peut-être une légende. Quoiqu’il en soit je ne discute pas. Je souris en silence à la jolie jeune fille qui me rend mes écritures, en me demandant chez qui je vais pouvoir faire une autre tentative. Si je la fais. Je suis devenu bien négligent dans ce domaine. A croire que j’attends d’être découvert, comme un génie méconnu.

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  •             Trois semaines et demie à parcourir les routes de la France et quasiment partout dans les grandes et moyennes villes traversées, des médiathèques, grandes ou moyennes, à disposition des habitant(e)s du lieu.

                Quasiment partout mais pas à Rouen, la nouvelle maire et son mauvais génie l’ont décidé.

                Plus question néanmoins de détruire le bâtiment en construction qui deviendra entrepôt d’archives financé par le département de Seine-Maritime. C’est ce que j’apprends au retour de vacances. Cela suffit à contenter beaucoup de ceux qui ont le cœur à gauche, paraît-il.

                Pas moi.

                Je lis dans la presse nationale les articles qui racontent, à peu près dans les mêmes termes, cette lamentable histoire rouennaise (le dernier dans France Soir du onze août deux mille huit).

                Il est écrit dans ces articles que l’architecte Rudy Ricciotti, présenté par ailleurs comme une forte personnalité, ne voit pas d’inconvénient à la nouvelle destination de son bâtiment.

                Il dessine une médiathèque, on en fait autre chose n’ayant rien à voir, peu lui importe, semble-t-il.

                Autant reconnaître qu’il a dessiné une coquille vide, ce que l’on appelait, il y a quelques décennies, une salle polyvalente.

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  •             Dimanche matin très tôt, à Amfreville-la-Mivoie, quelques gouttes tombent sur le pare-brise de la voiture. Je l’interroge : demi-tour au premier rond-point ou poursuite du chemin jusqu’au vide-greniers de Muids dans l’Eure ? Elle est d’accord avec moi : on y va et si le temps tourne vraiment à la pluie, balade sous le parapluie.

                A l’arrivée, il ne pleut plus.

                A l’issue de notre parcours dans les allées de ce déballage rural, elle est chargée d’une gomme à fusain et du Meilleur des mondes d’Aldous Huxley et je le suis de deux livres qui me contentent bien : Histoire des rites sexuels de Jacques Marcireau, publié chez Robert Laffont en mil neuf cent soixante et onze, et Les Mystères du confessionnal publié en décembre mil neuf cent soixante-huit chez Jérôme Martineau, l’un des éditeurs les plus intéressants de l’après mai.

                Ce dernier regroupe trois textes bien excitants écrits au dix-neuvième siècle: le Manuel secret des confesseurs de monseigneur Bouvier, évêque du Mans, La Clé d’or ou série d’exhortations destinées à ouvrir le cœur fermé des pauvres pécheurs d’Antonio Maria Claret, archevêque de Cuba, confesseur de Sa Majesté Isabelle Deux, et le Traité de chasteté de René Louvel, vicaire général de l’Evêché d’Evreux

                Alors que nous quittons le village (ultime achat quatre pots de confiture: framboise, figue, abricot, figue/pêche) avec l’envie de rejoindre Criquebeuf-sur-Seine où se tient un autre vide-greniers, le ciel vire au noir et une bonne drache nous invite à rejoindre Rouen par le plus court.

                Là, à l’abri, nous écoutons les Rita Mitsouko Reste encore un peu avec moi/ Reste encore un peu dans mon lit

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  •             Pas de pluie et même un beau soleil levant, au-dessus de la côte Sainte-Catherine, à l’heure où elle et moi quittons Rouen à destination du Vaudreuil, village d‘Eure, où se tient chaque quinze août, un grand vide-greniers.

                Elle me rappelle que c’est la quatrième fois que nous allons là-bas ensemble et nous nous réjouissons d’être toujours aussi bien.

                Je contourne finement le centre du village pour me garer près de la rivière d’Eure. Elle trouve d’emblée de bons stylos à dessin puis un dictionnaire de la peinture, une page par artiste, qu’il soit ancien ou contemporain. Je peste de n’avoir pas la même réussite jusqu’à ce que je déniche, pour vingt centimes pièce, trois livres qui font mon contentement : Vladimir Nabokov, toute une vie ou presque d’Andrew Field (biographie/ Seuil), Lignes de vie d’Etiemble (Arléa) et N’en faites pas toute une histoire de Raymond Carver (Edition de l’Olivier).

                Seulement, Le Vaudreuil est le seul village de la région ouvert au déballage le jour de l’Assomption et bien vite la foule des acheteurs et acheteuses nous décourage.

                Je croise là ma sœur et son mari, elle et lui désolés à l’idée de reprendre le travail lundi, ce qui me rappelle à quel point chaque année, au temps où je faisais l’instituteur, le vide-greniers du Vaudreuil me sapait le moral.

                Aujourd’hui, bien que fatigué, je ne suis pas dans le même état. La rentrée, affichée partout, se fait désormais sans moi. Quelle chance j’ai de laisser à d’autres cette fâcheuse occupation.

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  •  

                Après l’orage, la veille au soir, sur l’aire naturelle de campigne de Montchenu, la tente pliée mouillée dans la voiture aux pieds de celle qui fait copilote, je me gare sur la place de Hauterives. Pas loin se trouve le Palais Idéal du Facteur Cheval, abordable par une rue spécialement aménagée, entre deux rangées de petits commerces qui profitent de l’aubaine (dans l’un d’eux nous goûtons la pogne, sorte de brioche locale). Bien enclos, le Palais est invisible de la rue et de quelque endroit du village que ce soit. Pas moyen de le voir sans payer mais il y a assez à voir pour payer sans rechigner.

                Nous sommes les premiers. Nos billets portent pour heure : neuf zéro deux, et pour date, trois fois zéro huit : huit août deux mille huit.

                Entrés derrière nous, un couple et ses enfants ne m’empêchent pas de faire de bien jolies photos de celle qui m’accompagne, devant le Palais et à l’intérieur d’icelui, vite avant que n’arrivent en nombre les navrantes familles et autres touristes en goguette qui viennent ici comme on va dans un parc d’attraction. A leur décharge, je dois dire qu’à l’entrée, on distribue aux moutards un questionnaire jeu de piste qui les encourage à courir partout.

                Un sacré bosseur, Ferdinand Cheval, et un grand artiste, catho bigot un peu fou, architecte bâtisseur de l’idéal palais L’appareil photo rangé, j’en fais lentement avec elle le tour et l’exploration intérieure, couloir sombre et plate-forme supérieure, cachette à brouette et escaliers colimaçonnés, notant sur mon petit carnet une des fortes pensées du Facteur :

                La vie est un océan plein de tempêtes/ Entre l’enfant qui vient de naître/ Et le vieillard qui va disparaître.

                Je photographie pour elle quelques éléments du Panthéon personnel de Ferdinand (César, Vercingétorix, Archimède, Socrate et la reine des grottes), des animaux de son bestiaire hétéroclite et les lieux revisités par son imagination (temple hindou, chalet suisse, maison blanche, maison carrée, château du Moyen Age et mosquée) tandis qu’elle note pour moi sur son carnet à dessin, les réflexions subtiles de la foule qui nous entoure maintenant :

                -Attention, Françoise, c’est escarpé par là ; tu devrais monter de l’autre côté.

                -Ah la vache, c’est haut !

                -Pfft, c’est du solide quand même.

                -C’est lui qui a marqué tout ça ?

                -Eh bah, ça devait vraiment être quelqu’un de bien.

                -Eh dis donc, c’est beau en haut.

                -C’est sympa quand même. En plus, il fait pas trop chaud.

                -T’as vu les cactus qu’il a mis dans les pots, c’est joli ça aussi.

                Pas peu fier de lui, monsieur Cheval, d’avoir fait tout ça, il l’a écrit partout sur les murs de son Palais, j’en prends note :

                En créant ce rocher/ J’ai voulu montrer/ Ce que peut la volonté.

                A la source de la vie/ J’ai puisé mon génie/ De ce breuvage/ Mon âme a pris courage.

                La vie est un rapide coursier/ Ma pensée vivra avec ce rocher.

                Ma volonté a été aussi forte que ce rocher.

                Cette merveille dont l’auteur peut être fier/ Sera unique dans l’univers.

                Nous redirons aux générations nouvelles/ Que toi seul a bâti cette merveille.

                Bravant la chaleur, la froidure/ Et même l’outrage du temps/ Je forçais la nature/ Je triomphais des éléments.

                D’un songe, j’ai sorti la reine du monde.

                Au champ du labeur/ J’attends mon vainqueur.

                Dix mille journées/ Trente-trois mille heures/ Trente-trois ans d’épreuves/ Plus opiniâtre que moi se mette à l’épreuve.

                Ce n’est pas moi qui vais relever le gant, comme on dit. Je me contente d’admirer, elle à mon côté, du belvédère construit à cette fin par le Facteur, un lieu trop petit pour contenir tous ses visiteurs du jour, on se marche dessus. Je lui propose de quitter les lieux pour rendre visite au Facteur dans sa dernière demeure, construite par ses soins au cimetière de Hauterives, la municipalité d’alors lui ayant refusé la permission d’être enterré dans son Palais Idéal.

                Le cimetière est à la sortie du village. C’est en voiture que nous y allons, suivant la flèche « Tombe du Facteur ». Celle-ci se trouve à l’entrée, en angle, et rend ses voisines bien ternes. Ferdinand Cheval y a mis ses dernières forces, dans un style aussi luxuriant que celui de son Palais mais en plus abstrait. Plusieurs membres de sa famille sont enterrés là avec lui, certains depuis assez peu, dans le « Tombeau du silence et du repos sans fin ».

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  •             C’est en longeant le lac Léman, passant pas très loin de la tombe de Vladimir Nabokov, puis tournant à droite, qu’elle et moi descendons vers la Suisse, Martigny précisément, pour y visiter l’exposition Balthus organisée par la Fondation Gianadda et dont les commissaires sont Jean Clair et Dominique Radrizzani.

                Balthus aurait eu cent ans cette année. C’est l’un de mes deux peintres préférés. Elle l’aime autant que moi mais n’a pas eu la chance de visiter comme je l’ai fait l’exposition à lui consacrée au Musée Cantonal des Beaux-Arts de Lausanne en mil neuf cent quatre-vingt-treize, bien trop jeune pour cela.

                C’est le vendredi dix-huit juillet deux mille huit. Je me gare devant le bâtiment de la Fondation où j’ai vu autrefois les expositions Gauguin et Degas, entre les immeubles du genre loyer modéré et les vestiges romains.

                Il est un peu plus de neuf heures et à cette heure matinale les visiteurs et visiteuses sont très peu nombreux. C’est parfait.

                Dans la grande salle centrale de forme carrée, s’offrent à nos yeux, qui ne savent où se poser, nombre des plus beaux tableaux du maître des chats. Regarde, regarde, me dit-elle, enchantée.

                Nous passons de longs moments devant Thérèse rêvant, Les Beaux Jours, La Rue, Le Roi des chats, La Toilette de Cathy, Le Lever, Jeune Fille à sa toilette.

                Dans une salle voisine, ce sont les magnifiques dessins illustrant Les Hauts de Hurlevent d’Emily Brontë où Balthus à vingt-cinq ans se représente sous les traits de Heathcliff le révolté.

                Sont également présentés les dessins du Balthus de douze ans pleurant son chat perdu Mitsou, publiés en mil neuf cent vingt et un avec une préface de Rainer Maria Rilke, l’amant de sa mère Baladine.

                Manquent, pour une raison que j’ignore, les œuvres de la dernière époque, celles peintes à Rossinière, exposées autrefois à Lausanne.

                Nous restons longtemps, ne pouvant nous détacher de ceux des tableaux à l’érotisme sulfureux

                Je repars de là avec un grand calendrier deux mille neuf publié par la Fondation, reproduisant douze des dessins et tableaux de l’exposition du centenaire.

                Comment faire pour le loger dans une voiture aussi encombrée que la mienne sans le détériorer ? La solution retenue : le glisser entre l’assise et le dossier rabattu du siège arrière s’avère, au retour à Rouen, décevante. Sous une pile de dictionnaires, mon beau calendrier tente, dans la petite chambre, de reprendre son aspect premier.

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  •             La voiture déchargée avec son aide, me voici maintenant occupé à ranger le matériel de campigne et tout le reste en me remémorant les étapes du périple de vacances : Avallon, Martigny (pour Balthus), Briançon, Saint-André-des-Alpes, Castellane, les gorges du Verdon, les villages du Luberon (bonjour à Camus à Lourmarin et à Sade à Lacoste), Cavaillon, L’Isle-sur-Sorgue, Fontaine-de-Vaucluse (bonjour à Pétrarque), Avignon (malgré l’agonie du Festival Off), l’abbaye de Sénanque, Les Saintes-Maries-de-la-Mer, Saint-Saturnin-lès-Apt, Beaucaire, Marseille (salut à Marcel Pagnol au bar de la Marine et sur le ferry-boîte), les dentelles de Montmirail, le Vercors (où l’on ne m’a pas vu sauter à l’élastique), Hauterives (pour le Facteur Cheval), Nevers, Orléans, Chartres (pour les trois cathédrales), j’en oublie forcément.

                De quoi, de campigne en campigne, se faire une bonne idée des mœurs des Français(es) en vacances et de celles, plus supportables, des Hollandais (pas de seau de nuit chez ces derniers) et ébaucher un guide des campignes, le pire : le Lémania, à Chens-sur-Léman, bruyant, sale, cher, dont le gérant fait le tour en quouade ; le meilleur : La Folie, aire naturelle à Lagnes, dont le propriétaire fermier vaut pour lui seul le déplacement.

                Etrange impression suite à ces jours passés sous la toile de se coucher dans un lit, après une soirée à tenter un premier rangement, occupation reprise avec plus de succès le lendemain matin, pas d’humeur à être dérangé.

                Je n’y suis pour personne, pas même pour Dieu qui, si j’en crois une banderole vue à Marseille sur la façade d’une église évangélique, me cherche.

                N’est pas très doué, le Tout-Puissant. Je n’ai cessé, avec elle, pendant ces semaines d’entrer dans ses églises, de la minuscule chapelle des cadières de Brandis à l’immense Notre-Dame-de-la-Garde de Marseille. Pas fichu de me trouver.

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  •             Ce matin à six heures, je me réveille au cri de la mouette au lieu de celui du coq auquel je suis accoutumé. Pas de doute, je suis de retour à Rouen. L’absence de celle qui ne m’a pas quitté pendant trois semaines et demie, quatre mille quatre kilomètres, de la Suisse au Vercors en passant par les Saintes-Maries-de-la-Mer, de l’exposition du centenaire de Balthus au Palais Idéal du facteur Cheval, en est un autre signe, cruel.

                Je me remets doucement à ma vie habituelle après trois semaines et demie sans écouter France Culture, sans acheter un journal, sans écrire une ligne, et pour toute lecture de livre uniquement la relecture à voix haute, pour elle, de Paris est une fête d’Ernest Hemingway et de Paris ne  finit jamais d’Enrique Vila-Matas.

                Dans la rue, je croise des têtes familières, ne sachant lesquelles je dois saluer pour en avoir eu l’habitude avant mon départ en vacances, d’autant que la fréquentation des villages de Haute Provence, dont les habitant(e)s disent bonjour à quiconque se hasarde dans les calades, me perturbe. Il ne faudrait pas qu’ici on me croie devenu cordial et sociable. Je n’en dis pas moins bonjour aux deux jolies Japonaises se tenant par la taille que je découvre dans la venelle au sortir de chez moi.

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