•             Un titre passe-partout, Les Lumières Nordiques, pour un concert de musique composée par des Finlandais, jeudi soir au Conservatoire de Rouen, au programme Jean Sibelius et Toivo Kuula. Le décor est des plus sommaires. Des diapositives montrent des paysages finlandais, des images vraiment quelconques. Elles me rappellent un lointain voyage aventureux là-bas, à l’aube des années soixante-dix. Un lac, une forêt, un lac, une forêt. Zoume avant. Un pin, un bouleau, un pin, un bouleau. Exactement comme dans ma mémoire. Je me souviens des repas dans les stations-service, des barques empruntées aux pêcheurs, d’un jeu de cartes enseigné par un clochard.

                Le public est clairsemé. Un habitué se lève :

                -Je dis ça, ce serait mieux que tout le monde se mette au milieu parce que pour les artistes, c’est pas agréable.

                Il n’a aucun succès. J’entends derrière moi un « On fait ce qu’on veut ». C’est ce que je pense. Je suis bien, côté jardin.

                Ce jeudi soir, le Conservatoire n’en fait pas trop Le titre des œuvres jouées sur un bout de papier tient lieu de programme. Personne ne présente les artistes, quatre musiciennes : Nathanaëlle Marie, Ulla Soinne, Valérie Aimard et Ursula von Lerber. Je ne sais donc pas qui elles sont, ni d’où elles viennent.

                C’est d’abord le Trio à cordes en sol mineur de Jean Sibelius puis le long Trio avec piano opus sept de Toivo Kuula. Ça me plaît bien, musique enjouée avec passages mélancoliques.

                Je connais un peu Sibelius, pas du tout Kuula. A la maison, je me renseigne via Internet. J’apprends que Toivo Kuula est mort à trente-cinq ans, en mil neuf cent dix-huit, dans un combat de rue, et Jean Sibelius, en mil neuf cent cinquante-sept, à quatre-vingt-onze ans, alcoolique. Ce que je trouve un peu images de Finlande.

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  •             Bien du mal à trouver l’heure et le lieu de la manifestation rouennaise contre le fichier Edvige, le jour de la sainte Edwige.

                Grâce à Big Gougueule (que, par ailleurs, je remercie de faire connaître mes écritures), je finis par savoir que c’est à dix-sept heures trente, devant le Palais de Justice, que l’on se regroupe pour défendre les libertés fondamentales, une terminologie qui ne me convient guère. Je préfère la liberté (au singulier et sans adjectif).

                Nous ne sommes pas nombreux évidemment. Des représentants d’associations (Attac, Aides) des syndicats (Cégété, Haie Fessue, Sud), quelques discrets policiers en civil et même un parti politique représenté par cinq branlotins entourés de plus vieux qu’eux.

                Quelle que soit l’époque, on trouve toujours cinq jeunes communistes à Rouen. Assez rigolo de voir là des représentants d’un parti qui au pouvoir a du mal avec ce qu’on appelle ici les libertés fondamentales.

                Une jeune pigiste de Paris Normandie, convoquée, interroge le représentant local du Comité de Défense des Libertés Fondamentales, puis celui-ci grimpe sur un banc bancal et par le mégaphone s’adresse aux convaincu(e)s. Il évoque d’autres fichiers déjà en place et aussi dangereux qu’Edvige, notamment le Stic (Système de Traitement des Infractions Constatées) et plus généralement, tous les modes de traçage des personnes par le biais de la vidéosurveillance, des téléphones mobiles, des cartes bancaires, des cartes de transport et cætera.

                Derrière lui est visible une pancarte sur laquelle est dessinée une caméra et où figure cet avertissement « Espace public sous vidéosurveillance ».

                C’est Albert (tiny), ancien maire, et son conseil municipal centro-sarkoziste qui ont installé ces caméras.

                C’est Fourneyron (Valérie), nouvelle maire, et son conseil municipal socialo-écolo-communiste qui aujourd’hui me surveillent.

                Sur le film tourné le jour de la sainte Edwige, on me voit quitter ce semblant de manifestation un peu après dix-huit heures.

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  •             Attente habituelle en haut de l’escalier avant d’entrer dans ce qui sert de salle de concert à la Halle aux Toiles où, ce mercredi soir, l’Opéra de Rouen programme de la musique dite de chambre. La bande des vieilles et vieux mélomanes s’agglutine autour de moi et la conversation roule sur Giovanna d’Arco, la Jeanne d’Arc de Verdi, dont la mise en scène en amuse plus d’un(e) :

                -C’était tout à fait Puy du Fou, dit l’une.

                -Ah, moi ça m’a fait penser à Thierry la Fronde, dit un autre.

                -Moi, ce qui m’énerve c’est que je n’ai pas vu le cochon annoncé sur le programme, se plaint un troisième (je ne suis donc pas le seul à ne pas avoir vu le porcin.).

                -Ah, le cochon, je sais tout, se vante un bien renseigné. Il était là aux répétitions mais on n’a pas voulu de lui parce qu’il grognait tout le temps.

                -Et ces gens qui ont lancé des roses sur la scène à la fin, dimanche après-midi (c’est vrai, j’ai oublié d’en parler), ça fait un peu dix-neuvième siècle, non ?

                -Oui, conclut une dernière, c’était un opéra pour ce vieux théâtre à Grand-Quevilly, comment s’appelle-t-il déjà, ah oui, Charles Dullin.

                Les portes s‘ouvrent, toute la bande s’engouffre et selon une technique bien rodée accapare les meilleures places. Je me case au deuxième rang côté piano. Aujourd’hui, c’est musique russe, soviétique même.

                Le premier Trio pour violon, violoncelle et piano de Dimitri Chostakovitch ouvre la soirée. Le pianiste, Raphaël Drouin, dit quelques mots, rappelant que ce trio est l’œuvre d’un musicien de dix-sept ans :

                -Je vais vous dire un secret que m’a confié madame Chostakovitch que j’ai eu la chance de rencontrer. Quand elle a retrouvé la partition de ce trio en mil neuf cent quatre-vingt-deux, les vingt dernières mesures étaient illisibles. On a donc fait appel à d’anciens élèves de Chostakovitch pour les réécrire.

                C’est un trio ardent et enjoué, dédié par le jeune Chostakovitch à son amoureuse d’alors, à l’époque où il accompagnait au piano les films muets dans un cinéma

                Le Quintette pour piano d’Alfred Schnittke prend la suite. Celui-ci, né de parents allemands ayant émigré en Union Soviétique, s’est fait connaître par ses musiques de film écrites parallèlement à des compostions dites classiques. Son Quintette pour piano, composé pour la mort de sa mère, est joué par les chambristes de l’Opéra de Rouen accompagné(e)s du pianiste Christian Erbslöh. C’est une musique austère qui bien vite m’ennuie. J’ai l’œil sur la partition et il me tarde que la tourneuse de pages en soit à la dernière.

                Pour finir, c’est le second Trio pour violon, violoncelle et piano de Chostakovitch, composé en mil neuf cent quarante-quatre après la mort d’un ami. Rien de triste. Raphaël Drouin, de nouveau au piano, joue cela sans partition. Je lis sur le programme qu’il est doué d’une mémoire prodigieuse et qu’il peut jouer ainsi, par cœur, pas moins de quatre-vingts œuvres de musique de chambre.

                Je découvre aussi que ce jeune homme n’est pas seulement très doué, il est également éclectique, bien investi dans la musique dite de variété : arrangeur pour Jean Guidoni, accompagnateur pour Hauchecorne, réalisateur d’un remix de Ding, dang, dong des Rita Mitsouko, et cætera. Quelqu’un de bien intéressant donc.

                En définitive, c’est une bonne soirée, d’autant que les violonistes (Teona Kharadze et Elena Pease) et l’altiste (Stéphanie Lalizet) ne sont pas seulement musiciennes talentueuses mais également bien agréables à regarder

                Je quitte cette Halle aux Toiles trop chauffée, slalomant parmi le public rouennais de musique de chambre dont la moyenne d’âge doit être dans les soixante, soixante-cinq ans, Peu de toux ce soir, on semble en bonne forme physique en ce début d’automne deux mille huit.

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  •             Comment s’informer de ce qui se passe là où on vit ? Si on habite Rouen comme moi, c’est difficile. La presse officielle en provenance de la mairie, de l’agglomération, du département et de la région, distribuée avec les journaux d’annonces et de publicité gratuits, ne m’arrive pas pour cause d’interphone. La télévision régionale me parle surtout de sport et de sujets vides de contenu, tout comme Paris Normandie, l’unique quotidien régional où, quand je le lis dans un café, je ne trouve pratiquement jamais d’enquêtes approfondies. Il me semble qu’être journaliste en province, c’est le plus souvent attendre d’être convoqué. Alors que peut pour moi Internet ?

                Pas grand chose non plus. Grand Rouen, le seul site local d’information générale (bien que très incomplète et guère critique envers la nouvelle municipalité) s’arrête ces jours-ci. Sébastien Bailly, son animateur, vient d’être recruté par Paris Normandie, avec pour mission de sortir du coma le site Internet du journal. Il en a les compétences et, pour le quotidien local, cela permet la disparition de Grand Rouen, un concurrent potentiellement dangereux.

                Suite à ce sabordage, Laure Leforestier, « Rouennaise farouchement démocrate », s’interroge sur son blog : « Vaut-il mieux entrer à Paris Normandie ou se tailler en prenant ses jambes à son cou ? »

                « Des années que la bête pourrit par la tête », écrit-elle à propos de ce journal avant de diriger ses lecteurs et lectrices vers un billet du blog novövision animé par le dénommé Narvic (ancien journaliste de Paris Normandie) qui en raconte de belles sur les mœurs de la presse régionale, celles d’autrefois du moins, sous le titre « De la corruption de la presse ». Petit extrait :

                « Je confesse que, lorsque j’étais jeune journaliste dans un quotidien, je me suis fait offrir par une marque automobile un voyage de plusieurs jours tous frais payés aux Jeux Olympiques d’Albertville, alors que je n’ai jamais, ni de près ni de loin, écrit le moindre article dans la rubrique sportive d’aucun journal. Juré craché !

                D’ailleurs, l’article que j’ai bel et bien écrit, et qui a été publié, en « remboursement » de ce cadeau, ne concernait aucunement le sport... mais présentait l’opération de sponsoring de cette marque automobile à l’occasion des Jeux Olympiques.

                En toute honnêteté, ce n’était rien d’autre qu’un publireportage, mais il était pourtant présenté comme un reportage. Ça me gênait un peu. On m’avait dit, en école de journalisme, que ça ne se faisait pas.... Mais on me disait maintenant, dans la rédaction, que ça se faisait... »

                La suite est encore plus édifiante.

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  •             Ce mercredi matin, sur France Culture, j’écoute Métropolitains, l’émission de François Chaslin. Parmi les invité(e)s, deux architectes : Jean-Marc Ibos et Myrto Vitart, concepteurs de la Médiathèque André Malraux de Strasbourg, inaugurée le dix-neuf septembre par la gauche locale portée aux affaires municipales lors des dernières élections, voulue auparavant par la droite locale alors au pouvoir. Serait-ce que les socialistes de Strasbourg ne pensent pas, à l’exemple de leurs collègues rouennais(e)s, qu’« Aujourd’hui, la page des cathédrales de livres est tournée » ?

                Pas sûr : Roland Ries, nouveau maire, indique dans Le Monde que là-bas aussi « l'ère des grands projets touche à sa fin ». Les Strasbourgeois(e)s ont seulement la chance que les travaux de leur Médiathèque soient allés plus vite que ceux de celle de Rouen (aujourd’hui défunte).

                Huit départements répartis sur six niveaux, onze mille huit cents mètres carrés, cent soixante mille documents, vingt kilomètres de rayonnage, trente-cinq mille cédés et dévédés, près de mille places assises, voilà ce qui s’offre à ces veinard(e)s.

                Me promenant sur le Net pendant que j’écoute France Cul, j’en apprends une bien bonne (comme on dit) à propos de cette Médiathèque André Malraux. A l’initiative des graphistes du cabinet Ruedi Baur, des citations d’auteurs (Michel Butor, Peter Handke, Antonin Artaud, et cætera) ornent les murs et le sol des couloirs à fin de signalétique. Pour indiquer la porte des toilettes « Messieurs », ces graphistes ont choisi un extrait de Rigodon de Louis-Ferdinand Céline Je vous laisse en plan et mes comics... Vite, mes oignons, que je vous retrouve! Par ici, Mesdames et MESSIEURS... Encore deux mille pages au moins!

                Cette citation a été effacée avant l’inauguration. Selon les Dernières Nouvelles d'Alsace, c’est le maire de Strasbourg lui-même: Roland Ries, socialiste, par ailleurs agrégé de lettres, qui a « fait procéder à la suppression de la citation » à la demande du sociologue Freddy Raphaël, ancien doyen de la faculté des sciences sociales, au motif, a dit le maire, que « ce n'est pas le moment de réveiller de vieux démons ».

                Lesquels, je pense, dorment dans les toilettes. La censure, quant à elle, ne dort pas et se répand partout en ce début de vingt-et-unième siècle, comme en d’autres temps la vérole.

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  •             Dimanche, peu avant seize heures, une cohorte de coureurs et coureuses de semi-marathon longe l’Opéra de Rouen. Je traverse entre deux pelotons, passe derrière les spectateurs et spectatrices où je reconnais une partie de l’équipe technique et quelques musicien(ne)s de l’orchestre. Le sport, ça intéresse certain(e)s.

                Je m’assois à l’orchestre, plutôt bien placé. Tous les musicien(ne)s sont maintenant dans la fosse s‘accordant bruyamment et l’équipe technique doit être en place car ce n’est qu’avec dix minutes de retard que Giovanna d’Arco commence. Un opéra sur Jeanne d’Arc, il fallait bien que ça tombe à Rouen, quelque jour.

                Monter cette œuvre oubliée de Verdi est une gageure, il n’y a aucun ressort dramatique dans l’histoire racontée par Temistocle Solera, l’auteur du livret (qui s’est inspiré de Friedrich von Schiller), une histoire qui s’éloigne de la légende officielle et donne beaucoup de place à l’amour possessif du père de Jeanne pour sa fille.

                Le metteur en scène, Stephan Gröler, fait son possible pour qu’il se passe quelque chose. Un peu de pluie et de neige tombe des cintres. Une véritable ménagerie traverse le plateau, chevaux, chien, enfants, poules, chevrettes et tourterelles, Je ne vois pas le cochon indiqué sur le programme. Peut-être est-il déjà passé dans l’une des multiples allées et venues, sur cette scène où paysan(ne)s et soldats s’agitent, souvent sans nécessité. Un cerf, faux celui-là et totalement improbable, reste un long moment immobile en arrière-fond, tirant cela vers le kitch.

                C’est du pur Verdi, romantisme et patriotisme, mais j’ai quand même du plaisir à être là car c’est très bien chanté par le ténor Jean-François Borras qui joue Charles Sept et la soprano Guylaine Girard qui joue la Jeanne.

                -Heureusement qu’il y avait les animaux pour se distraire, entends-je à la sortie.

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  •             Samedi matin, je traverse Rouen à pied pour atteindre la salle de la Fraternité rue Saint-Julien où l’association protestante tient sa vente de charité mensuelle. Je trouve parfois des livres étonnants dans ce genre d’endroit.

                Il n’est pas encore dix heures, j’attends devant la porte. Des femmes à cheveux blancs discutent à proximité, de la crise financière comme tout le monde.

                -Les gens ne s’inquiètent pas vraiment, disent-elles, mais quand on a nos âges et qu’on a connu ce qu’on a connu…

                Elles embrayent sur les grèves de trente-six qu’il faudrait refaire, mais aujourd’hui tout le monde à peur de perdre son boulot.

                Des femmes sympathiques je trouve, jusqu’à ce que l’une dise aux autres.

                -On est cernées encore, c’est toujours pareil.

                -Oui, mais il faut bien qu’on se taise, répond un autre. On a rien à dire.

                -Ah ça, y savent y faire, conclut la troisième.

                Elles parlent des femmes et des hommes d’origine arabe qui nous entourent.

                En un instant, elles viennent de passer du Parti Communiste au F-Haine, une vraie salade mentale dans leur crâne. Mon regard insistant les amène à trouver un autre sujet de conversation et à regretter l’époque des jouets en bois.

                Le rideau se lève lentement. Les premières et premiers, quelle que soit leur couleur de peau, se plient en deux pour se glisser dessous. C’est une vraie cavalcade à l’intérieur. Quand j’entre, il y a déjà des disputes et des vêtements répandus à terre. Je traverse le champ de bataille et trouve les caisses de livres au fond. Rien qui m’intéresse. Je repasse dans la mêlée et près de la porte, j’ai l’œil attiré par une paire de chaussures qui ne semble intéresser personne. C’est ma pointure et c’est deux euros. J’achète puis quitte cet univers charitable et fraternel.

                Sur le chemin du retour, je m’arrête au marché des Emmurées. Le commerce bat son plein. Les vendeurs de fruits et légumes ont un nouvel argument :

                -Allez-y, dépensez votre argent. Ne le mettez surtout pas à la banque.

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  •             Vendredi dix-neuf heures, c’est la soirée d’ouverture du Conservatoire de Rouen. J’écoute la discussion entre mes deux voisins de devant. Un grand journaliste local qui retrouve là un vieil ami. Le bavardage en arrive à la crise financière.

                -Je suis au courant de tout depuis quatre mois, se vante le vieil ami. Mon boulanger est un ancien traideur et il me raconte tout ce qui va se passer avant que ça arrive.

                -Un boulanger ancien traideur, ça c’est marrant, commente le grand journaliste local. Moi, je sais tout depuis un an.

                Le vieil ami continue son histoire de boulanger traideur mais l’autre ne l’écoute plus :

                -Je t’ai dit que je sais tout depuis un an. J’ai même écrit un article là-dessus dans un journal à l’étranger.

                Sans doute écrit-il maintenant un article pour l’étranger sur ce qui se passera dans un an, me dis-je, alors qu’arrivent Valérie Fourneyron, Maire de Rouen et Laurence Tison, son adjointe à la Culture, pour lesquelles Claire Paris-Messler, la directrice du lieu, a réservé une rangée entière de fauteuils.

                Evidemment, discours fourneyresque, moins nul que celui destiné mercredi dernier aux élèves des Beaux-Arts. J’entends que ce n’est pas une journée qui est promise aux étudiant(e)s en novembre, mais une semaine entière, et à terme ces petit(e)s veinard(e)s auront une Maison.

                On passe aux choses sérieuses. Le spectacle est en trois parties, mettant successivement en valeur la danse, le théâtre et la musique. Percudanse Acte Deux joue de la percussion corporelle « Comment un corps de danseur sonne-t-il ? Comment un percussionniste danse-t-il ? ». Clin d’œil à Fellini montre un désopilant conglomérat d’acteurs et d’actrices gloupant un peu partout et jusque dans la salle (j’échappe de peu à me faire appeler Marcello, c’est le vieil ami du grand journaliste local qui y a droit, à son contentement, semble-t-il). La leçon de chant électromagnétique, mini opérette de Jacques Offenbach, conclut, avec Xavier Legasa et Leïla Galeb, parfaits dans leur rôle, lui très professeur de chant italien, elle très bergère normande.

                L’occasion est aussi de présenter le programme de l’année, ce que fait Claire Paris-Messler avec son exubérance habituelle : « Un programme en trois points : du plaisir, du plaisir et du plaisir ». Petite nouveauté : le Conservatoire devient Etablissement à Rayonnement Régional. Ce qui vaudra aux élèves de découvrir Beuzeville, là-bas au fond du département de l’Eure. Je ne suis pas sûr d’avoir envie de rayonner jusque-là pour les voir et entendre.

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  •             Jeudi dix-sept heures, les élèves de l’Ecole des Beaux-Arts de Rouen, beauzarteux (un peu) et beauzarteuses (beaucoup) sont ponctuel(le)s et attendent debout dans la Salle des Mariages qu’apparaisse Madame le Maire. Eux et elles sont invité(e)s là pour ce qu’on appelle une remise de diplôme : une quinzaine a atteint le bout de la cinquième année d’études.

                Valérie Fourneyron arrive à dix-sept heures vingt-cinq, flanquée de Laurence Tison, adjointe à la culture. Le discours de la députée-maire est en deux axes : instruire et déplorer.

                Elle félicite les élèves qui viennent d’avoir « leur diplôme en arts plastiques » puis, institutrice d’un jour, se lance dans une description exhaustive de la Salle des Mariages, œuvres qui la décorent, parquet et boiseries. Seul le mouton dans son dos, symbole bien choisi de la ville de Rouen, échappe à l’explication. Elle en est à l’incendie des années vingt quand les premiers ricanements se font entendre près de moi. Elle passe à l’Aître Saint-Maclou, siège de l’Ecole des Beaux-Arts, haut lieu historique qui, regrette-t-elle, est davantage connu des touristes que des Rouennais surtout les jeunes et, puisqu’elle en est à se plaindre, elle embraye sur Rouen qui n’a pas l’image d’une ville étudiante contrairement à Rennes ou à Nantes. Heureusement, elle va remédier à cela, en commençant par une journée étudiante en novembre prochain.

                Applaudissements moutonniers, dont je m’abstiens. Quelques perturbateurs, sauvant l’honneur de leurs camarades, crient « Bravo, bravo ! »

                François Lasgi, directeur de l’Ecole, enchaîne. Il rappelle que c’est Albert (tiny), ancien maire, qui a lancé cette cérémonie de remise de diplôme et se félicite que la nouvelle maire continue, faisant ainsi la preuve qu’elle n’est une anti Albert (tiny) primaire. Valérie Fourneyron apprécie, gigotant nerveusement. Il parle bas. Je ne l’entends guère. Le perturbateur d’à côté crie « Plus fort », mais son directeur déclare qu’on l’entend et qu’il ne parlera pas plus fort. Je devine qu’il évoque des travaux nécessaires dans l’Aître Saint-Maclou et qu’il craint cette échéance qui obligerait peut-être l’Ecole à déménager. Pour finir, il remercie Laurent Salomé, directeur du Musée des Beaux-Arts, d’offrir un assortiment des catalogues dudit à la quinzaine d’élèves diplômé(e)s.

                Madame le Maire invite les beauzarteux et beauzarteuses à se jeter sur le buffet, qui loin d’être confié à un traiteur comme pour certains hôtes plus notables, n’offre que mauvais vin rosé à bulles et gâteaux secs comme en servait ma grand-mère il y a un demi-siècle. Les jeunes boivent et mangent n’importe quoi, c’est bien connu.

                Je sors de là écœuré que l’on puisse tenir des discours aussi indigents à des jeunes gens qui en sont à bac plus cinq, pas un mot sur leurs études, ni sur leurs perspectives d’avenir plutôt compromises, aucun souci véritable d’eux et de ce qu’ils vivent ou ne vivent pas. J’imagine l’un(e), rentré(e) dans son appartement, bien humilié(e) par la réception municipale, ouvrant le mirifique cadeau du Musée des Beaux Arts, qui en fait ne coûte rien, toute édition de catalogue génère de nombreux invendus, et découvrant celui consacré à Charles Frechon. Plus qu’à se flinguer.

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  •             Jeudi début d’après-midi, le soleil prometteur m’enjoint de délaisser la terrasse du Son du Cor, où il n’est loisible d’en profiter qu’une demi-heure, coincé qu’il est, le rond jaune, entre deux immeubles, pour le Marégraphe des quais de Rouen, exposition plein sud. J’emporte avec moi Kafka sur le rivage de Murakami Haruki, l’un des favoris du prix Nobel de littérature, avec Philip Roth et Amos Oz, mais, vient de m’apprendre France Culture où j’écoutais Jean Echenoz parler de son nouveau roman Courir, c’est Jean-Marie Gustave Le Clézio qui l’obtient, un écrivain que je ne lis pas, n’ayant aucun goût pour la mythologie et l’idéalisme.

                Dès assis au soleil de la terrasse du Marégraphe, je dois ôter mon pull tant la chaleur est forte contre le mur de briques. Près de moi, on termine de manger et manifestement on est inquiet. La crise financière mondiale coupe un peu l’appétit de la clientèle d’hommes d’affaires qui font de cet endroit leur cantine. Un vrai contraste avec la fréquentation du Son du Cor, artistes, chômeurs et bricoleurs, qui considère la débâcle avec un amusement narquois. Rien de commun non plus côté ambiance sonore, la musique discrète et variée du Son du Cor est concurrencée ici par une tonitruante musique au goût du jour, qui n’est pas le mien. Cela ne m’empêche pas de lire aujourd’hui.

                J’en suis au début de Kafka sur le rivage, gros livre de poche publié chez Dix/Dix-Huit. Murakami raconte l’histoire d’un jeune garçon qui accomplit son projet : Le jour de mes quinze ans, je ferai une fugue, je voyagerai jusqu’à une ville inconnue et lointaine, et trouverai refuge dans une petite bibliothèque.

                Un rêve qui était aussi le mien dans la triste famille qui était la mienne. J’avais jeté mon dévolu sur Uppsala en Suède. Pourquoi Uppsala ? Je savais qu’il y avait là-bas une grande université, et la Suède, à la fin des années soixante, passait pour le pays de la liberté. Un projet que je n’ai pas accompli. Le fugueur dans ma triste famille, ce fut mon frère Jacques, et plus d’une fois.

                Je me souviens de l’une de ses fugues. C’est à l’époque où je vis dans ce corps de ferme loué à plusieurs au hameau des Grands Baux, pas très loin d’Evreux. Les parents d’un de mes copains locataires hébergent une cousine à lui, lycéenne à Louviers. Mon frère Jacques l’a embarquée dans sa fuite. Personne dans nos deux familles ne sait où errent ces deux aventuriers mineurs. Pour une raison que j’ignore, la mère de ce copain, une stalinienne pur jus, débarque à ce moment aux Grands Baux. Je suis assis à la grande table de la pièce commune. Elle me considère un court instant et lance à son fils :

                -C’est ça, Perdrial ?

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