•             Il y a peu, je me rends à la bouquinerie Le Rêve de L’Escalier avec quatre livres à négocier. Je veux reconstituer mon avoir, mis à mal par l’achat du somptueux livre rose          de Pierre Louÿs « Et ta bouche en peau de lys… » (poèmes érotiques illustrés par cent quarante et une photos inconvenantes), livre interdit aux mineur(e)s publié aux Editions de l’Aube qui a fait notre délice, à celle qui me rejoint le ouiquennede et à moi, l’autre dimanche.

                A peine l’affaire faite au Rêve de l’Escalier que j’ai déjà dépensé une partie de mon nouvel avoir dans un livre vu en vitrine : Mélancolie, écrit et dessiné par Frédéric Pajak, publié (curieusement) aux Puf, les Presses Universitaires de France. J’ai déjà de lui, publiés chez le même éditeur, L’immense solitude et Chagrin d’amour, trouvés il y a je ne sais combien d’années dans un vide-grenier, des romans graphiques comme on dit aux Etats-Unis

                Je passe une bonne nuit avec Mélancolie, suivant la pensée autobiographique méandreuse de Pajak entre passé et présent, amour et mort, rêverie et désespoir. Quel plaisir d’y rencontrer Paul Léautaud et Joseph Delteil, ombre et lumière, que j’aime tous les deux avec une nette préférence pour l’ombre, d’autres aussi, inconnus suicidés ou obstinés, sans oublier Stendhal et Malevitch. Les dessins de Pajak sont d’un noir expressionniste, parfois en décalage complet avec le texte, parfois pas, toujours terrifiants. C’est un auteur de littérature illustrée déprimée, mais pas déprimante, une littérature baladeuse qui, entre autres lieux, me fait découvrir Morez, bourgade perdue du Haut-Jura :

                Morez aurait pu être la capitale du clou. La capitale de la boire pression. La capitale de la pipe. La capitale du nougat. La capitale de la France. Non, Morez, c’est Morez, capitale de la lunetterie. C’est comme ça.

                A Morez, il y a un musée de la lunetterie. On peut y voir des lunettes, les lunettes de Morez.

                En lisant et en regardant les livres de Frédéric Pajak, je songe à ceux d’Emil Michel Cioran. L’un et l’autre me font du bien. Rien de plus tonique que la noirceur. Ce que Cioran exprime en ces termes je crois, dans je ne sais plus quel livre, je cite de mémoire : « Il n’est pas de mauvaise nuit que l’idée du suicide n’aide à passer ».

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  •             Le Planning Familial est en rogne contre le Tout Puissant de la République et son gouvernement qui cette année lui ôtent quarante-deux pour cent des subventions de l’Etat, une décision consternante. Je songe à toutes ces jeunes filles pour qui cette adresse est une bénédiction. Échappant à l’oppression familiale, elles y obtiennent un moyen de contraception à l’insu de leurs parents. Cette association est un service public et comme tel devrait être directement financée par l’impôt.

                Je me souviens comment et pourquoi, il y a au moins trente ans, j’en fus client moi aussi. Il n’y a pas que le sexe féminin pour avoir besoin du Planning.

                C’est que depuis que je suis en âge de réfléchir à la question, je ne veux pas d’enfant. Cela pour plusieurs raisons, parce que le monde tel qu’il est (et qu’il sera) n’est pas un cadeau à faire à un enfant, parce que je trouve fou de donner volontairement la vie à quelqu’un(e) qui mourra, parce que dans chaque bébé je vois le vieillard grabataire et incontinent.

                Las de faire subir la prise de pilules à mes partenaires (comme on dit), j’allais un jour d’il y a trente ans, ou un peu plus, pousser la porte du Planning de Rouen afin de savoir où et comment bénéficier d’une vasectomie.

                J’y fus très bien renseigné, adresse d’une clinique à Londres avec les noms des infirmières parlant français, hôtel proche et plan du métro, de quoi me contenter.

                C’est alors que la conseillère, d’une question, jeta le trouble dans mon esprit :

                -Vous êtes-vous déjà demandé si ce désir de ne pas avoir d’enfant, avec le risque d’en avoir un malgré tout si votre partenaire ne s’en empêche pas, ne joue pas un rôle primordial dans votre sexualité ?

                C’est une putain de bonne question, comme on dit maintenant sur Canal Plus.

                Arrivé là avec la ferme intention de passer à l’acte, je suis reparti sans savoir si.

                Plus de trente ans que j’y réfléchis et n’ai toujours pas la réponse.

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  •             Quand j’arrive, ce jeudi, vers dix heures, sur le cours Clemenceau, il y a déjà beaucoup de monde et la camionnette bleue de la Cégété diffuse à pleines baffles Love on the Beat de Gainsbourg pour un peu réchauffer la température hivernale. Officiellement, il s’agit de manifester pour l’emploi, le pouvoir d’achat (horrible expression) et les services publics. Je sens bien que la plupart des présent(e)s sont là d’abord pour une autre raison : marre de Sarko.

                -C’est aussi bien qu’à l’Opéra ici, me dit un inconnu.

                Les gros bataillons de la Cégété sont devant et pas question de s’éloigner de sa banderole quand on est ouvrier de Renault Cléon. J’avance un peu avec eux car j’ai les pieds gelés. Sur le pont Corneille, une main me tape sur l’épaule. Tiens, c’est ma fille, venue là pour participer à une manif plus importante que celle d’Evreux et pour ça elle a bien choisi son occasion, foule des grands jours il y a, dans laquelle sans doute des novices du défilé piétonnier.

                Nous laissons passer les troupes de la Cégété, où l’on trouve des salarié(e)s de Monoprix et du Crédit Agricole, pas souvent que je les vois dans ce genre d’endroit. Derrière, c’est plus chaud et pas du tout encadré, ce sont les Zéduques, travailleurs et travailleuses sociaux qui en veulent plus pour le social et moins pour le capital. Ils sont suivis de la folle jeunesse des lycées. C’est dans ces parages qu’elle et moi nous nous glissons, abordés bientôt par une responsable du Planning Familial qui déplore la baisse de quarante-deux pour cent des subventions de l’Etat. Le Planning de Marseille doit fermer, celui de Rouen survit pour l’instant (la catholique intégriste Boutin est au gouvernement)

                Un peu plus loin, en bas de la rue de la République, c’est le Comité Invisible (cher à Alliot-Marie) qui nous donne de ses nouvelles : « Tout le monde s’accorde. Ça va péter. ». La Fédération Anarchiste, un peu plus loin, confirme : « Le capitalisme a un malaise…aidons-le à mourir ».

                Nous rencontrons aussi quelques connaissances du Réseau Education Sans Frontières qui appelle à manifester devant le Centre de Rétention de Oissel, le samedi sept février à quinze heures.

                Peu à peu, dans une ville qui semble entièrement livrée aux manifestants(e)s, nous arrivons devant l’Hôtel de Ville. Sur le socle de la statue de Napoléon, un écriteau rappelle l’une des sottes paroles de Sarkoléon Premier : « Désormais quand il y a une grève, plus personne ne s’en aperçoit ! »

                Rue du Canuet, un garçon promène une pancarte où il a écrit : « Pendant la manifestation je rêve de la révolution ». Je discute avec ma fille de tout et de rien et l’on tourne à gauche rue Jeanne-d’Arc où devant le Palais de Justice se tiennent des artistes porteurs de pancartes jaunes. Je retiens celle-ci : « L’utilité du banquier n’est pas prouvée ». Un peu plus loin, on réclame le droit de rêver. Du côté des Zéduques on parle de lui faire sa peau à Sarko.

                -Un petit peu seulement, rigole une manifestante.

                Je ne sais pourquoi on ne va pas jusqu’à la Préfecture, Fâcheusement, on retourne au point de départ par le pont Jeanne-d’Arc. Elle et moi nous arrêtons là, regardant passer la suite du cortège avec un bon groupe de socialistes qui se souviennent qu’ils sont de gauche, bien mignons avec leurs petits drapeaux, conduits par le berger Fabius. Un peu plus loin, c’est la fin. Il est presque treize heures.

                J’entends que Laurence Parisot, cheftaine des patrons du Medef, en une métaphore usée, ne comprend pas qu’alors que le bateau traverse une tempête, certain(e)s s’avisent de manifester.

                Pendant que les riches essaient de changer le moteur du capitalisme, les pauvres sont invité(e)s à ne surtout pas s’arrêter de ramer. Celles et ceux qui sont ce matin dans les rues de Rouen et d’ailleurs ont manifestement mieux à faire.

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  •             Une heure d’avance, c’est le prix à payer pour avoir une bonne place à la Halle aux Toiles où ce mardi soir quelques musicien(ne)s de l’orchestre de l’Opéra de Rouen font concert autour d’une harpe. Je suis là avec d’autres dans le froid à attendre que la superviseuse agitée juge bon d’ouvrir les portes. Près de moi, on se dit qu’on aura plus chaud jeudi à la manif.

                Nouvelle attente en haut des marches où il fait meilleur tandis que dans la salle on s’accorde. A travers les rideaux, je constate que la scène est pour la première fois située tout au bout du rectangle et non plus sur le côté, ce qui a pour avantage de ne plus avoir en décor l’horrible peinture maronnasse.

                Je remonte l’alignement de chaises disposées façon bateau-mouche et trouve place au troisième rang près de l’allée centrale, de quoi allonger mes jambes et bien voir la harpiste qui procède à d’ultimes réglages de son grand instrument. C’est Constance Luzzati.

                Ravel, Saint-Saëns, Ibert et Fauré sont au programme pour une soirée musique de chambre française d’après la guerre de soixante-dix. Certaines des œuvres ont été transcrites pour la harpe par Constance Luzzati, aussi jeune qu’érudite.

                La salle s’assombrit et c’est parti avec la Sonatine pour flûte, violoncelle et harpe de Maurice Ravel, l’Allegro appassionato pour harpe et violoncelle de Camille Saint-Saëns, les Interludes pour violon, flûte et clavecin (harpe) de Jacques Ibert et la Fantaisie pour violon et piano (harpe) de Camille Saint-Saëns. La violoniste, c’est Jane Peters, le flûtiste, Jean-Christophe Falala et le violoncelliste, Florent Audibert, qui donnent le meilleur d’eux-mêmes pendant que Constance Luzzatti montre ce qu’elle sait faire avec ses mains et ses pieds.

                A l’entracte, deux retraitées commentent la nouvelle disposition de la salle. Elles préféraient l’ancienne. Iront-elles à la philo demain ? Oui, bien sûr. Dommage qu’elles n’aient pas eu le temps de lire les ouvrages entre-temps. Je me désintéresse de la conversation et apprends par le livret programme que Florent Audibert joue un violoncelle de Bartolamio Oboci, Brescia mille six cent quatre-vingt-deux, et que Jean-Christophe Falala joue une flûte en or vingt-quatre carats faite spécialement pour lui par la firme japonaise Muramatsu. Je ne sais plus d’où vient le violon de Jane Peters. Quant à la harpe, j’imagine qu’elle sort du magasin de l’Opéra, trop encombrante pour être transportée de concert en concert.

                La jolie Constance Luzzatti revient avec ses complices pour la Fantaisie pour flûte et piano (harpe) de Gabriel Fauré et le Trio pour violon, violoncelle et harpe de Jacques Ibert. A l’issue, de forts applaudissements montent de la poupe à la proue du navire.

                C’est alors que surgit sur la scène un invité de dernière minute, vêtu à la mode de son pays et muni d’un violon. Il a nom Mozart. Ce mardi vingt-sept janvier est pour lui jour d’anniversaire. Il fête ses deux cent cinquante-trois ans. Fort sémillant, il offre au public rouennais une composition nouvelle pour flûte, harpe et cordes dont il entend faire bientôt un concerto, mais qu’il me semble avoir déjà entendue quelque part.

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  •             Je me livre à ce qu’il convient d’appeler une nouvelle opération de désherbage dans mes bibliothèques et je vais peut-être enfin y arriver à regrouper tous les ouvrages que je veux vendre pour cause de manque de place. Des semaines que je m’y emploie et ça commence à prendre forme. Il faut maintenant que j’élabore une affichette à épingler sur ma porte avec l’espoir que les passant(e)s soient intéressé(e)s, qu’il reste des lectrices et des lecteurs dans ce pays où a été élu pour président un Sarkozy qui n’a pour les livres (et celles et ceux qui les lisent) que du mépris, tandis que, de l’autre côté de l’Atlantique, Obama peut citer de mémoire de longs extraits de ses deux écrivains préférés Keats et Shakespeare.

                Le Nouvel Observateur s’émeut de l’inculture du Tout Puissant de la République : « Le vingt-huit janvier, Nicolas Sarkozy aura cinquante-quatre ans, et il souffre d'une maladie, l'allergie à la littérature. C'est pourquoi nous lançons une grande opération thérapeutique: redonner le goût de la lecture à l'ennemi personnel de Madame de la Fayette ».

                Cette opération de charité, le Sarkothon, consiste à envoyer des livres au fat sot qui nous gouverne : « Vous avez des livres, Nicolas Sarkozy n’en a pas. Vous les avez lus, pas lui. Soyez solidaires et citoyens: offrez un livre à notre président! ».

                Parmi les premiers envois, on trouve La Culture générale pour les nuls et une version abrégée de La Princesse de Clèves.

                Des livres j’en ai à revendre, je peux bien lui en donner un. Je cherche parmi ceux dont je veux me séparer et sélectionne L’Usage de la vie de Christine Angot, publié chez Mille et Une Nuits. Je ne sais pas si c’est le genre de livre qui pourra lui donner le goût de la lecture mais ça n’a que soixante pages de petit format et c’est vraiment facile à lire.

                Je le glisse dans une enveloppe et bon anniversaire Nicolas.

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  •             Ce lundi, je prends un café à L’Echiquier, une oreille dans la conversation d’à côté. Une jeune femme raconte à son amie qu’elle vient de faire un prêt pour acheter je ne sais quoi. Encore une fois je m’insurge intérieurement contre la naïveté de celles et ceux qui prennent les vessies pour des lanternes et je lui dirais bien (si je me mêlais des affaires d’autrui) :

                -Tu te trompes, tu viens de faire un emprunt. C’est la banque qui te fait un prêt. Celui ou celle qui a de l’argent prête, celui ou celle qui n’en a pas emprunte. Ne mélange pas tout. Dis que tu as fait un emprunt ou mieux encore une dette.

                Je sors de là en songeant que cette constante confusion entre prêt et emprunt a dû être savamment installée dans les esprits par ces sociétés de crédit qui sucent l’argent des plus pauvres et les amènent doucement à pousser un jour la porte de la commission de surendettement.

                En rentrant, sur le conseil de Laure Leforestier, je lis les dernières pages d’Engrenages (Ces Français pris dans la crise), un blog temporaire tenu depuis le douze janvier deux mille neuf par Aline Leclerc et Claire Ané. Elles sont journalistes au Monde et s’intéressent de près au développement et aux conséquences de la crise dans l’agglomération rouennaise.

                Parmi les témoignages d’élus angoissés, de délégués syndicaux remontés et de personnes touchées personnellement très inquiètes pour leur avenir, apparaît une pépite d’optimisme en la personne du concessionnaire Renault du Mont-Riboudet. Ce garagiste heureux assure n’avoir jamais vendu autant de voitures.

                Je ne sais parmi ces voitures combien sont achetées cash et combien achetées à crédit, mais je sais comme le monde est bien fait : tu as les moyens tu paies comptant la voiture de tes rêves qui vaut par exemple huit mille euros, le garagiste te fait une petite remise pour t’en remercier, elle te coûte seulement sept mille cinq cents, tu n’as pas les moyens, tu fais un prêt comme tu dis, et au final ta voiture de huit mille euros, tu la paies neuf mille ou dix mille.

                Eh oui, pour le même bien les pauvres paient davantage que les riches. Il est vraiment injuste qu’un tel système soit en train de s’écrouler.

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  •             Vendredi soir, je suis prêt à rejoindre Sotteville-lès-Rouen, précisément le local du Frac, où se tient le vernissage de l’exposition David Saltiel intitulée Le meilleur des mondes, quand une drache à retourner les parapluies me fait réfléchir. J’ai le choix entre me faire tremper à l’arrêt du bus ou me faire tremper dans la rue avant d’atteindre ma voiture. Je renonce.

                Je renonce également un peu plus tard le même soir à me rendre au concert organisé à la Maison des Jeunes et de la Culture Rive Gauche (ce genre de chose existe encore ici, à Rouen) en soutien aux mis en examen du onze novembre, les prétendu(e)s terroristes d’Alliot-Marie, dont presque toutes et tous sont maintenant relâché(e)s (aujourd’hui, c’est Yldune Levy qui voit sa liberté confirmée, ne reste embastillé que Julien Coupat, soupçonné d’être l’auteur ou l’un des auteurs de L’Insurrection qui vient publié aux Editions de la Fabrique). Bien envie de dire : oui, je suis avec vous, mais je ne supporte par la musique ponque et il n’y a que ça au programme.

                Je renonce même à aller au cinéma à trois euros du Festival Télérama (qui cette année n’est pas flingué par le Conseil Général, celui-ci offre la même chose mais la semaine suivante). Les films qualifiés de meilleurs de l’année deux mille huit ne m’excitent guère. C’est ce que je constate en consultant le numéro de la semaine, un Télérama dont la couverture me plaît bien. Sur la face de Sarkozy, un stiqueure proclame : « Trop de sécurité nuit gravement à la liberté ».

                Je préfère ne pas bouger, me glisser dans mon lit et terminer la lecture de L’Espèce humaine de Robert Antelme, récit (publié chez Gallimard) de son séjour au camp de concentration de Gandersheim, où il devient l’un de ces hommes réduits à manger des épluchures, objets des violences incessantes des détenus de droit commun auxiliaires des nazis. Je rapporte ici ce que j'ai vécu. écrit Robert Antelme, L'horreur n'y est pas gigantesque. Il n'y avait à Gandersheim ni chambre à gaz, ni crématoire. L'horreur y est obscurité, manque absolu de repère, solitude, oppression incessante, anéantissement lent. Un livre que je lis non comme un document historique évoquant un passé à jamais révolu mais comme une description possible d’un futur pas forcément lointain.

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  •             Hortefeux parti nuire ailleurs, c’est Besson, celui qui a trahi Marie-Ségolène, aujourd’hui sarkoziste assumé, qui hérite du Ministère de l’Immigration et de l’Identité Nationale, autrement appelé par le Réseau Education Sans Frontières, le Ministère de la Rafle et du Drapeau. Ce changement de chef n’augure rien de mieux, si j’en juge par quelques évènements récents.

                Il y a quelques jours, Williana, âgée de douze ans, venue seule d’Afrique après le décès de sa mère pour rejoindre son père résidant à Nantes, est mise en rétention à son arrivée à l’aéroport. Elle voit celle-ci confirmée par le Juge des Libertés et de la Détention de Créteil devant qui elle doit comparaître dans une cage de verre et ne doit finalement sa liberté qu’à une mobilisation importante dont celle du maire de Nantes, le socialiste  Jean-Marc Ayrault, et à la menace d’une conférence de presse dénonçant ce scandale, le susdit Juge étant ridiculisé.

                Ce vendredi, c’est une autre enfant de douze ans, Djessy, elle aussi arrivée seule d’Afrique qui est enfermée à Roissy. Sa mère, vivant en France en situation régulière, venue la chercher à l’aéroport, est elle aussi bouclée ainsi que l’amie l’accompagnant.

                Deux fillettes dans les filets de Besson en une semaine, le nouveau Ministre est un bon chasseur, il aura bientôt les compliments du Tout Puissant de la République, élu grâce aux voix du F-Haine

                De son côté, Musvic Mamedov, bien connu du Réseau de Rouen, est libre après trente et un jours d’enfermement au centre de Rétention de Strasbourg. Il vient de retrouver sa femme et ses deux filles dans son village du Jura. La famille attend maintenant que la Cour d’Appel Administrative de Douai se prononce sur son sort.

                Dans un article du Progrès, publié le vingt et an janvier, Musvic fait le point sur sa situation et parle d’un autre retenu de Strasbourg, un Turc arrivé en France il y a trente-sept ans et qui travaillait comme interprète auprès de la Cour d’Appel de Metz avant d’être placé en rétention.

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  •             Une journée à Paris entre deux trains qui partent et arrivent à l’heure, c’est mercredi et nous nous retrouvons, celle que je viens voir et moi, dans la rue devant son école. Elle est épuisée, trop de travail en ce moment. Cependant, nous décidons de visiter quelques galeries du Marais et nous commençons par deux déceptions chez Xippas et Yvon Lambert, rien qui mérite de s’en souvenir.

                En revanche, nous nous attardons chez Taddaeus Ropac où sont exposées sous le titre Fashion des œuvres récentes d’Alex Katz, né en mil neuf cent vingt-sept à New York, connu pour avoir influencé en son temps Andy Warhol et dont les toiles figuratives présentées au rez-de-chaussée, portraits sur fond monochrome (souvent orange), donnent à penser, elle me le fait remarquer, qu’il est aussi l’une des influences de Djamel Tatah. A l’étage, du même Katz, sont visibles des œuvres de petits formats dont certaines peuvent évoquer Peter Doig, que je découvris en solitaire au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, l’an dernier.

                A pied, nous gagnons Beaubourg et je pousse la lourde porte sous l’enseigne lumineuse marquée Templon. Là, je sais qu’il y a de quoi nous plaire. Claude Viallat, né en mil neuf cent trente-six à Nîmes, membre fondateur du groupe Supports/Surfaces, expose sous le titre Raboutages, agrafées aux murs, ses bien connues empreintes sur tissus de récupération divers. Ces raboutages, montrés dans les deux premières salles, rompent avec la forme rectangulaire dont Viallat est coutumier, rectangles que l’on retrouve dans la troisième salle pour un hommage à Claude Monet et à Jean-Pierre Pincemin (autre membre de Supports/Surfaces, mort en deux mille cinq). Nos lourds sacs posés au centre de la salle numéro deux, nous tournons conjointement sur nous-mêmes pour un peu mélanger les couleurs et je lui rappelle les vitraux signés Viallat vus ensemble dans la Cathédrale de Nevers.

                On traverse la rue pour en face dans l’impasse toujours chez Daniel Templon visiter l’exposition Ben, né en mil neuf cent trente-cinq à Naples, membre fondateur du groupe Fluxus. Ben Vautier y présente une installation essentiellement composée de photos et de textes écrits de son écriture benesque (qu’il ne galvaude pas toujours dans la publicité). Le thème en est le suicide, et plus généralement, une réflexion sur l’art et la mort : « La mort est simple », « La mort est partout », et cætera, sans oublier en guise d’avertissement correctement politique : « Cette exposition n’est pas une incitation au suicide mais une réflexion sur la mort dans l’art. »

                Ben est allé chercher sur Internet, via Gougueule, des photos de suicidé(e)s connu(e)s qu’il légende en narrant leur façon d’en finir : Mark Rothko (par le rasoir), Nicolas de Staël (par la fenêtre), Vladimir Maïakovski (par balle), Guy Debord (idem), Ernst Ludwig Kirchner (par un moyen non précisé), Vincent Van Gogh (par balle), Diane Arbus (par barbituriques), Pierre Molinier (par balle), Archille Gorky (par pendaison), Ray Johnson (par saut dans la rivière), Bernard Buffet (par étouffement), Jackson Pollock (par accident de voiture mystérieux), Sigmund Freud (par euthanasie amicale) et Virginia Woolf (par noyade).

                Je dois dire en toute modestie que ce Ils se sont tous suicidés m’amène à songer à un mien texte intitulé Entre autres (qu’il est loisible de lire en cliquant sur le lien concernant mes écritures, quelque part à gauche).

                Il règne dans cet endroit un curieux climat de recueillement que nous rompons en faisant tourner la roue fixée sur le plateau d’un meuble à tiroirs que la charmante employée de la maison Templon nous dit provenir d’un ancien cabinet de dentiste. La flèche s’arrête sur un numéro. Dans le tiroir correspondant se trouve, décrite et écrite par Ben, la façon dont nous mourrons.

                Pour elle : « en vomissant vos tripes ».

                Pour moi : « poignardé par un artiste aigri et jaloux ».

                C’est tout à fait plausible et nous amuse un moment.

                Dans le restaurant chinois où nous dînons peu après, c’est la tristesse qui l’emporte quand je lui apprends le suicide de Mathilde, dix-sept ans, élève du lycée Flaubert à Rouen, qui s’est jetée la veille ou l’avant-veille du quatrième étage de l’établissement.

                Nous parlons de ce qui peut donner envie de se tuer quand on a cet âge et du lycée Flaubert où elle était elle-même élève quand on s’est vu pour la première fois.

                Comme elle est exténuée, je lui suggère d’aller un peu dormir et, avant que le train ne me ramène à Rouen, je baguenaude entre rive gauche et rive droite. Devant le Théâtre de la Ville, des jeunes filles de l’âge de Mathilde, désireuses d’assister au spectacle de Pina Bausch, brandissent des feuilles blanches sur lesquelles est écrit « Je cherche une place », ce qui me paraît être un bon résumé de l’inquiétude adolescente.

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  •             Je suis très bien placé, en fond d’orchestre, surélevé, pour assister à la version de Coppélia dansée par le Ballet du Grand Théâtre de Genève, ce mardi soir à l’Opéra de Rouen. Le résumé de cette version, due au chorégraphe et vidéaste Cisco Aznar, tel qu’il m’est donné par le livret-programme, me rend circonspect. Entre le pire et le meilleur, où sera le curseur ce soir ? Cette interrogation est renforcée par l’image projetée sur le rideau de scène d’une publicité pour l’huile d’olive vierge La Santisima. On y voit une vierge extatique serrant contre elle une phallique bouteille d’huile.

                Je suis vite rassuré, on est loin du pire. Cette Coppélia se situe tout à la fois dans la parodie des jeux télévisés pour jeunes couples niais et dans celle des films fantastiques à savant fou. La vidéo, très présente, nuit un peu à la danse parfois, mais le spectacle est plaisant, qui se passe dans un univers proche d’Almodovar et de la bédé humoristique. Je sens que certain(e)s ne vont pas aimer.

                J’en ai confirmation à l’entracte où un flottement est perceptible dans les commentaires :

                -Mais c’est qui cette espèce de transsexuel ?

                -C’est décalé, mais ça reste quand même…

                Le second acte est à la hauteur du premier. La Coppélia ici montrée est une poupée aussi désirable qu’inquiétante, comme sortie des ateliers de Bellmer et de Molinier. Elle finit déchirée, objet des désirs irrépressibles et concurrents de Franz, le gentillet gagnant du jeu télévisé, et du Docteur Coppélius, son créateur.

                Au final, Franz retrouve sa fiancée Swanilda et, petits mariés ridicules, tous deux s’embrassent au sommet de l’électroménager gagné lors du jeu télévisé, empilé en forme de gâteau de mariage.

                Les applaudissements sont fournis chez celles et ceux qui ont aimé. Pas dans la rangée devant le mienne, composée en grande partie d’un public âgé d’origine populaire qui je le suppose s’était inscrit pour une interprétation de Coppélia aussi classique que le nom de la troupe genevoise donnant le ballet ce soir, mais pas de chance, pas de tutu rose.

                -J’ai quand même aimé la musique, entends-je.

                Elle est de Léo Delibes, c’est bien indiqué sur le programme. En revanche, l’Opéra de Rouen ne juge pas utile de donner le nom de l’écrivain qui a l’imaginé la poupée Coppélia, snobant Ernst Theodor Amadeus Hoffmann et son conte L’Homme au sable, librement adapté par Cisco Aznar. Conte que je ne l’ai pas lu, ayant peu le goût de la littérature fantastique.

                D’E. T. A. Hoffmann, je ne possède dans ma bibliothèque que Sœur Monika, réjouissant roman pornographique (publié du vivant de son auteur mais anonymement, clandestinement et à tirage limité).

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