•             Jeudi dernier, en réponse à une offre de Libération, j’envoie un mail afin de participer à la distribution de cent places gratuites pour Elève libre, film belge de Joachim Lafosse. Ce mercredi, je reçois du Service Promotion une invitation pour deux, valable uniquement en semaine.

                A Rouen, Elève libre ne passe qu’au Melville, cinéma dit d’art et d’essai, une seule fois par jour, à dix-huit heures vingt-cinq. J’y vais le jour même, sans personne pour m’accompagner. Dans la vaste salle, nous ne sommes que cinq. Le film commence sans publicités préalables.

                Elève libre raconte comment trois adultes pervertissent un adolescent sous couvert de l’émanciper, à l’inverse du propos de Théorème, le film de Pier Paolo Pasolini datant de mil neuf cent soixante-huit, où un adolescent débauche toute une famille bourgeoisie.

                Dans un cas comme dans l’autre, c’est un cinéma qui reflète une époque, mais Lafosse n’a pas le talent de Pasolini, ça n’avance pas, c’est filmé banalement, c’est ennuyeux. Pas étonnant, me dis-je, qu’une semaine après sa sortie, ce film vide les salles. Ce que je comprends moins, c’est l’enthousiasme des critiques et le parrainage de France Culture.

                Elève libre est dédié « à nos limites ». Les miennes sont atteintes. Je sors du Melville avec l’impression de temps perdu. Au moins, grâce à Libération, n’ai-je pas gaspillé huit euros.

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  •             Commencé la veille de l’arrivée de celle à qui samedi dernier je lis à haute voix le premier chapitre, continué la nuit de la tempête, je termine Recadrages d’Hubert Lucot, acheté un euro l’autre semaine à Paris chez Gibert (Joseph), ouvrage paru en deux mille huit chez Pol, un feuilleté passé présent futur, sur fond de lieux mélangés, à l'écriture cinématographique.

                Très intéressant je trouve quand je débute la lecture, un peu moins quand j’en suis à la moitié, répétitif conclus-je quand j’arrive au bout, l’impression de ne pas avancer, pourquoi trois cent douze pages quand cinquante auraient pu suffire, me dis-je.

                Hubert Lucot est né en mil neuf cent trente-cinq ; il s’est livré dans sa jeunesse à une littérature qu’on peut qualifier d’expérimentale (qui lit ça aujourd’hui, je me demande), avant de retrouver une forme plus classique avec un style bien à lui. Dans Recadrages, il voyage physiquement au présent tout en naviguant mentalement dans les méandres de son passé avec en point de mire son avenir prochain : la mort.

                Cela donne des choses comme ça : Vifs le vélo rouge, le jeune homme blanc de 15 ans aux cheveux blonds, ses traits fins. Il n’est plus moi, mais ses objets mi-séculaires sont en moi : le court de tennis au petit matin, où montera la chaleur, le cylindre de verre dans quoi la glace pilée forme croûte sur l’orangeade, la collection Pourpre cartonnée : deux ans après le Ramuntcho de Loti, je lus La Nausée de Sartre à 15 ans. Les perceptions du frêle adolescent se sont transvasées dans le vieux corpulent.

                Recadrées également sont les connaissances d’Hubert Lucot parmi lesquelles des peu intéressantes (Françoise Sagan, Jean-Edern Hallier). En revanche, je suis heureux de croiser sur le chemin Georges Perros et ses Papiers collés : Je sais ses revenus précaires de « lecteur pour Gallimard », la Bretagne sauvage, la moto (déclenchant un autre vent breton), l’alcool fort, le tabac fort, cancer de la gorge, mutisme.

                Dans ses errances, Hubert Lucot passe par une abbaye normande désaffectée où se donnent moult conférences, en laquelle je crois reconnaître (elle n’est pas nommée) l’abbaye d’Ardenne, devenue Institut Mémoires de l’Edition Contemporaine (Imec), sise près de Caen. A cette occasion, il parle d’un repas pris sur une longue table qui dans le fort militaire de Rouen domine la Seine (page quatre-vingt-dix-huit), évocation reprise (page deux cent trente-trois) en ces mots le château fort qui orne le port de Rouen et là je ne vois pas à quoi il fait allusion, Hubert.

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  •             L’une de mes connaissances me demande si je connais Tony Duvert. Oui, lui dis-je, j’ai dans ma bibliothèque deux de ses livres parus aux Editions de Minuit dans les années soixante-dix, Le Bon Sexe illustré, critique narquoise et sulfureuse de l’Encyclopédie de la vie sexuelle publiée à cette époque par Hachette, et le récit intitulé Journal d’un innocent. Et je songe à la mort en solitaire de l’écrivain l’été dernier, son corps retrouvé un mois après, dans un état de décomposition avancé, comme on dit.

                C’est que Tony Duvert, politiquement à l’extrême gauche et amateur de jeunes garçons (c’est le sujet de ses ouvrages), passe en quelques années de l’assentiment d’une grande part des intellectuel(les) et d’une partie du public, avec Prix Médicis en mil neuf cent soixante-treize, au rejet quasi général. Gabriel Matzneff, politiquement bien à droite et amateur de très jeunes filles, connaît le même destin. L’un et l’autre, remarquables stylistes pensant être bien assis dans le paysage littéraire, se retrouvent brutalement sur le cul.

                Gabriel Matzneff sursoit à la parution de la suite de son Journal. Tony Duvert, lui, arrête d’écrire en mil neuf cent quatre-vingt-dix et se réfugie dans le Loir et Cher à Thoré-la-Rochette, où il mène, d’abord auprès de sa mère puis seul, une vie d’ermite misanthrope et désargenté.

                Pendant l’été deux mille huit, un de ses voisins constate que le courrier s’accumule dans la boîte à lettres. Le vingt août, il prévient les gendarmes qui découvrent le corps de l’écrivain, mort semble-t-il de mort naturelle plusieurs semaines auparavant, à l’âge de soixante-trois ans.

                Les Editions de Minuit sont restées fâcheusement discrètes lors de cette disparition (comme on dit), mais sur le blog des Editions Léo Scheer, je lis : « Les conventions sexuelles sont essentiellement restées les mêmes : frontières solides et surveillance constante. Mais la ceinture s’est resserrée d’un cran, aucune échappatoire fût-elle imaginaire n’est plus acceptable, aucune voix autre ne peut être entendue, et la littérature doit s’aligner comme le reste sur les normes de la vie courante. Tony Duvert n’était pas (comme il a pu penser l’être) le héraut et prophète d’une libération plus grande, qui rendrait tolérable ce qui était monstrueux, il n’annonçait pas le temps radieux de l’amour universel, il écrivait des livres, lieu où, pour peu qu’ils sachent irradier, tout est permis, parce qu’en eux tout se recrée sur un autre plan que celui que les surveillants surveillent, et qu’ils font beauté de tout. »

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  •             Un mail urgent et me voici lundi à neuf heures arrivant au Tribunal Administratif où se trouvent déjà deux membres du Réseau Education Sans Frontières rouennais en compagnie d’un du Réseau de La Courneuve et des convoqués du jour, deux jeunes Chinois venus là avec deux de leurs filles, un bébé de deux ans, un collégienne d’une dizaine d’années (une troisième est en école maternelle)

                Lui a été arrêté à la gare de Beauvais, envoyé au Centre de Rétention de Oissel, d’où il a été libéré pour erreur de procédure. Vivant en Seine-Saint-Denis avec sa concubine et ses trois filles, il est l’objet d’un Arrêté Préfectoral de Reconduite à la Frontière signé du Préfet de l’Oise, dont la validité est jugée en Seine-Maritime.

                D’autres membres du Réseau arrivent, puis maître Demir, l’avocat rouennais du convoqué, ainsi qu’une avocate venue là pour deux autres convoqués, extraits menottés du Centre de Rétention avec policiers d’escorte. Nous sommes suffisamment nombreux pour que l’audience passe de la petite salle où elle était prévue à la grande.

                La greffière annonce Madame le Juge (et non plus Madame le Juge de la Reconduite à la Frontière comme elle le faisait autrefois). Nous nous levons, nous rasseyons, et maître Demir plaide. Il fait état de tous les arguments juridiques en faveur de son client, appuie sur le soutien du Réseau ici à Rouen, sur celui du député de La Courneuve et de l’école maternelle, sur les prénoms français que portent les deux petites filles nées en France. Il fait remarquer que son client, cuisinier dans un restaurant chinois, ne peut être suspecté de prendre le travail d’un Français. Enfin, il insiste sur les risques encourus par les trois fillettes en cas de retour en Chine où il n’est pas question d’avoir plus d’un enfant par couple.

                La juge se retire pour délibérer et revient rapidement pour annoncer qu’elle annule la décision du Préfet de l’Oise pour « erreur manifeste d’appréciation ». C’est donc particulièrement contents que nous quittons le Tribunal. A l’invitation de maître Semir, nous traversons l’avenue Gustave-Flaubert et fêtons la bonne nouvelle avec le jeune couple chinois au Bistrot des Anges.

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  •             Je sais qu’au moment où sonne à ma porte celle que j’attends le ouiquennede, on se rassemble devant le Centre de Rétention de Oissel, comme devant tous ceux de France, pour protester contre la politique xénophobe de Sarkozy et Besson, mais je préfère être avec elle, pour qui ce samedi, ce n’est pas coutume, j’ai fait quelque cuisine : confit d’oignons et tarte aux pommes.

                Le dîner venu, elle me félicite de mes talents de cuisinier et abusivement prétend que je suis doué pour tout. Je proteste, lui donnant en exemple le fait que je ne parle aucune langue étrangère.

                -C’es parce que tu n’as jamais voulu peut-être, me dit-elle.

                -Je vais te raconter une histoire, lui dis-je. Quand j’étais en sixième au collège Ferdinand Buisson à Louviers, j’étais un bon élève en anglais. A Pâques, la prof a organisé un voyage en Angleterre. Mes parents n’ont pas pu payer. Je suis resté à Louviers. Au trimestre suivant, pas mal de celles et ceux qui ont fait le voyage sont devenu(e)s bien meilleur(e)s que moi en anglais. Je suis passé de la quatrième place à la neuvième et quand elle a reçu mon bulletin, ma mère m’a engueulé. Tu comprends pourquoi je n’ai jamais pu apprendre une langue étrangère.

                -C’est terrible ce que tu me racontes, me dit-elle. Tu as dû en vouloir à ta mère.

                -Oui bien sûr, et aussi aux profs qui organisent pour leurs élèves des voyages payants.

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  •             Les clones sont  en ville pour une petite semaine, filles venues là pour la compétition sportive baptisée French Cup, c’est du patinage synchronisé.

                Je ne cesse d’en croiser car elles sont plus de six cents, venues des pays du froid, en groupes identiques d’une trentaine, pareilles du chignon à la valise en passant par la vêture, comme sorties d’une anti-utopie à la Huxley ou à la Orwell.

                En voici un groupe qui fonce comme un seul corps vers son hôtel dans un grondement assourdissant de valises sur le pavé, je tiens prudemment le haut.

                J’en trouve d’autres mêmement semblables sur le chemin de l’île Lacroix où se trouve la patinoire rouennaise, venant vers moi à grands pas, me laissant le choix entre me jeter sur la piste cyclable ou sauter dans la Seine.

                Parfois elles ont quartier libre (comme on dit dans l’armée) et, par groupes de cinq ou six, elles se consolent dans les magasins de vêtements ou bien, comme celles que je vois ce vendredi après-midi penchées en brochettes aux fenêtres de l’Hôtel des Arcades, rue des Carmes, elles allument les garçons qui passent.

                Les images de leur entraînement à la télévision me les montrent soumises à des harpies qui leur crient dessus sans cesse, tandis que deux par deux elles se torturent mutuellement. Après, elles glissent comme une seule fille sur la glace, pas un pied qui dépasse et la main dans la main. Le chignon, c’est peut-être pour l’équilibre. J’aimerais bien en voir une, soûle.

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  •             Les guides de l’Office de Tourisme pensent qu’il s’agit d’un animal du Moyen Age mais je sais que des rats, il n’en manque pas à Rouen au vingt et unième siècle. Les rongeurs qui courent un peu partout ne sont pas tous des souris.

                Une fois, je passe devant le lycée Camille Saint-Saëns. Une fille est là lisant sur un banc. Près d’elle son sac, près du sac un rat qui le renifle, intéressé. Comme je m’approche, il disparaît dans un tuyau en plastique rouge qui sort du sol. J’explique à cette lectrice le rat. Je vois bien qu’elle ne me croit pas, me prenant pour un fou ou pour un lourd. Tant pis pour elle, je l’abandonne à son sort incertain.

                Une fois aussi, sortant dans le jardin collectif pour récolter mon courrier, je me trouve face à l’un de ces rongeurs. Je fais demi-tour et regarde à travers la vitre s’il s’en va. Bientôt, le chat des voisins apparaît et le combat commence. Le malheureux chat n’a pas le dessus. Le rat l’attaque en poussant des cris stridents et en faisant des bonds étonnants. Attiré(e)s par le bruit, moult voisin(e)s suivent l’affaire de leurs fenêtres, y compris les propriétaires du chat qui va peut-être se faire tuer.

                Finalement, le félin doit son salut au courage d’un que je ne voyais pas dans le rôle, un garçon vraiment coule souvent assis par terre à écouter du reggae. Il sort de chez lui armé d’une poubelle, avance vers la bête sauvage et la capture.

                Quelques minutes plus tard, une grosse pierre posée sur la poubelle retournée, le chat tranquillisé, on est tous et toutes dans le jardin à féliciter le téméraire pendant que quelqu’une appelle les services municipaux.

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  •             Paris brille de froid ce mercredi matin et mes doigts sont gourds, qui fouillent dans les bacs à livres des deux Gibert et de Boulinier. Je trouve là entre autres un Taschen consacré à HR Giger, la biographie de Raymond Radiguet signée de sa nièce Chloé et de Julien Cendres (parue aux Editions Mille et Une Nuits) et Recadrages d’Hubert Lucot (paru chez P.O.L.). Comment est-il possible que je n’aie encore rien lu d’Hubert Lucot ?

                Question que je me pose rue Saint-Séverin où je feuillette Recadrages, mon kebab avalé. Je marche véloce vers le Centre Pompidou, y lis-je sous la plume d’Hubert Lucot et c’est ce que je fais quelques minutes plus tard.

                Mon sac déposé au vestiaire, je chenille jusqu’au quatrième étage. Le Musée est en mue de fin d’hiver, salles fermées dans l’attente de nouvelles expositions. Je revois donc. M’attarde encore une fois sous les ventilateurs réacteurs de l’immense avion de rotin tressé dû à Cai Guo-Qiang, dans la carlingue duquel sont fichés les milliers de ciseaux  et de couteaux confisqués par les services de sécurité de l’aéroport de Sao Paolo, une installation nommée Bon voyage.

                J’atterris à la mezzanine, avec café et verre d’eau, où je lis les Mémoires d’un nomade de Paul Bowles dans l’édition de poche Points Seuil, tout en surveillant l’entrée du bâtiment, précisément la porte où opèrent les vigiles fouilleurs de sacs.

                Pourtant, c’est elle qui me surprend :

                -Alors tu lis où lieu de regarder si j’arrive, me dit-elle avant de s’asseoir avec l’envie de ne pas bouger de là avant un moment.

                C’est l’effet jet lag. Elle sort de l’école.

                Quand ça va mieux, nous allons au hasard des rues. Pas loin de celle de la Grande-Truanderie, nous découvrons un magasin entièrement dédié à la destruction des animaux, pièges et poisons en veux-tu en voilà, de quoi nous retenir devant la vitrine. Des rats pris dans des claqueurs de métal pendent sur un fil en guise de publicité. Parmi les engins cruels, je distingue ceux dont se servait mon père pour tuer les taupes hémophiles et les bien connues tapettes à souris.

                J’en ai dans mon débarras de ces tapettes, car dans les creux des murs et plafonds de mon appartement galopent des rongeurs, Cela fait longtemps que ça dure, sans que les employés municipaux de la ville de Rouen soient capables d’y faire quoi que ce soit.

                Un jour, peu après l’attentat des avions contre les Twin Towers, une souris réussit même à entrer chez moi. Que faire ? J’achète des tapettes dans un incroyable bazar de la rue des Bons-Enfants. J’en mets un peu partout, décorées d’un morceau de gruyère, avec l’espoir, hélas démenti, d’un succès immédiat.

                Cette souris me nargue longtemps, au point que pensant ne jamais l’attraper, je la nomme Ben Laden.

                Un matin, descendant pour petit-déjeuner, je fais un bond en la découvrant tuée net par le claqueur métallique. Pauvre petite bête, la tenant par la queue, je l’envoie voler jusqu’au fond de la poubelle collective.

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  •             J’écoute l’autre soir l’émission de Laurent Goumare sur France Culture. Melinda Gebbie est l’une des invité(e)s. Il est question de ce qui a failli arriver à la traduction française de la bande dessinée Lost Girls signée d’elle-même et d’Alan Moore.

                Avant parution, les Editions Delcourt montrent cette bédé à l’avocat Emmanuel Pierrat qui leur répond que publier cela en France équivaut à se suicider.

                Delcourt, effrayé, s’apprête à renoncer. Heureusement, l’un de ses amis parvient à le convaincre qu’il faut passer outre l’avis de l’avocat censeur.

                Aujourd’hui, malgré Emmanuel Pierrat, Filles Perdues est dans toutes les libraires.

                Comme c’est bientôt mon anniversaire et que j’ai envie de me faire du bien, je me rends de ce pas à la Fnaque où je m’offre cette histoire sulfureuse aux illustrations somptueuses.

                En trois cent dix-sept pages, Alice (du Pays des Merveilles), Wendy (du monde de Peter Pan) et Dorothy (du Royaume du Magicien d’Oz), ayant toutes trois un peu grandi, en font de bien belles au gré de l’imagination débridée d’Alan Moore et de Melinda Gebbie.

                C’est qu’Alice est réellement passée de l’autre côté du miroir, en compagnie de Wendy et de Dorothy. Dans un hôtel plutôt particulier d’Autriche, peu avant la Première Guerre mondiale, les trois filles perdues se livrent à des ébats sexuels de toute nature. Il y a là de quoi me contenter pour un moment.

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  •             Avec en fond de scène la neige qui tombe ce lundi matin sur les toits de Rouen, je pianote sur le clavier de mon ordinateur, écrivant la page du jour de ce Journal de Bord. Je vérifie via Gougueule telle ou telle orthographe et c’est ainsi que j’arrive par hasard et sans l’avoir voulu sur un blog nommé Cabinet de curiosité. On y trouve de bien belles images et me voici bientôt en train d’enregistrer des photos inconvenantes de « friponnes nipponnes ».

                C’est comme cela qu’on se laisse distraire et une distraction en entraînant une autre, j’apprends via ce même blog, l’existence d’un numéro spécial du Point sur les livres interdits.

                J’affronte la floconnaille et, à la Maison de la Presse, me procure le numéro hors-série de l’hebdomadaire de droite (janvier-février deux mille neuf). Il est titré Ovide, Spinoza, Sade… Les textes maudits et tous les livres interdits.

                Cet excellent dossier s’intéresse aux livres ayant eu, à toutes les époques et un peu partout, des ennuis avec le pouvoir pour cause d’insoumission sexuelle, religieuse ou politique. J’y retrouve quelques affaires bien connues et en découvre d’autres tout aussi édifiantes. Chaque ouvrage évoqué page de gauche est, page de droite, cité en longs extraits pertinents. De l’Art d’aimer d’Ovide à Lolita de Vladimir Nabokov en passant par le Dialogue sur les deux grands systèmes du monde de Galilée, Le Bordel des muses de Claude Le Petit, La Question d’Henri Alleg et bien d’autres, ce numéro spécial fait le point sur la censure à travers les âges.

                Quand on en arrive à la situation d’aujourd’hui en France, il faut en passer par l’obligé Emmanuel Pierrat, présenté ainsi par Le Point : « Un adversaire de la censure suffisamment redouté pour que les éditeurs lui aient envoyé en deux mille sept pour lecture préalable, dix pour cent des romans de la rentrée littéraire… ». Une phrase qui dit exactement le contraire de ce qu’elle prétend dire. Pour cause : cet avocat n’est pas un adversaire de la censure, il remplace à lui seul toute une commission de censure. Je l’ai entendu je ne sais combien de fois évoquer avec complaisance (sur France Culture, à la Maison de l’Avocat de Rouen) son rôle de lecteur de manuscrits et d’élagueur de tout ce qui dépasse, l’éditeur faisant ensuite pression sur l’auteur(e) pour qu’il ou elle accepte les coupures ou la modification de l’âge de l’héroïne.

                « Aujourd’hui, un roman doit ressembler au Code Pénal », voilà ce que déclare le néfaste Pierrat qui fait de la trouille des éditeurs son fond de commerce (bien oublié le courage des Pauvert, Losfeld, Deforges, qui de procès en procès faisaient reculer la censure).  « Quel avenir pour la censure ? » demande Le Point à Emmanuel Pierrat. « Un bel avenir qui fera la prospérité des avocats » répond-il benoîtement. Sa prospérité est en effet assurée, d’autant que sa proximité avec les éditeurs pusillanimes lui permet de publier ses propres romans érotiques (aussi mal écrits que peu bandants).

                Le Point se rattrape à la page suivante par un entretien avec l’historien Bernard Joubert, auteur du Dictionnaire des livres et journaux interdits publié en deux mille sept chez Electre-Cercle de la Librairie et de l’Anthologie érotique de la censure publiée en deux mille un à La Musardine.

                « La liberté s’use de ne pas être utilisée… » s’insurge Bernard Joubert qui ajoute : « Personnellement, je suis scandalisé par la mode du caviardage des romans, notamment parce que je la sais pour une grande part irraisonnable. Les éditeurs ont peur parce que leurs avocats leur ont instillé cette peur par une présentation alarmiste de la situation. »

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