• Je n’aime pas, mais alors pas du tout, les toiles de Daniel Authouart, peintre célèbre (comme l’écrit Paris Normandie), cependant quand l’autre jour, me garant rue Verte, allant chercher à la gare celle qui est aujourd’hui à Marseille, je découvre ce qu’est devenu son mur peint, mon sang ne fait qu’un tour, et puis un autre tour, et puis un autre tour (comme pourrait l’écrire Félix Phellion).

    Un panneau publicitaire à images défilantes de la maison Decaux (celle qui a offert des petits vélos rouges à la ville de Rouen) est en effet installé sur le mur peint de l’immeuble où se trouve le café de l’Arrivée, un bâtiment en décrépitude sis au numéro trente-trois de la rue Verte face à la gare.

    Sur le pignon de ce trente-trois rue Verte, on peut voir depuis un peu plus de vingt ans un immeuble en construction fait des briques en bois d’un jeu d’enfant. Dans la trouée de ciel bleu s’engage un avion rouge (vrai jouet piloté par un véritable ours en peluche) concrètement planté dans le mur. L’œuvre est signée Authouart. En bas à gauche, il est écrit que ce mur a été peint en novembre mil neuf cent quatre-vingt-huit par Daniel Authouart avec la participation de Philippe Brossard, Sabine Moulin et Roger Thiéry.

     Depuis quand ce foutu panneau publicitaire cachant une partie de l’œuvre a-t-il été ajouté, je ne sais. L’accord de l’artiste a-t-il été sollicité et obtenu, cela m’étonnerait.

    Ce qui m’étonne aussi c’est qu’à ma connaissance personne ne semble offusqué, personne ne semble avoir protesté.

    Partager via Gmail Yahoo!

  • Dimanche matin, aux aurores, c’est seul que je vais à Bois-Guillaume pour le vide-grenier qui se tient sur le terrain de foute et s’il est un lieu dans une commune dont j’oublie la localisation, c’est bien le terrain de foute. J’aperçois un quidam. Je m’arrête, baisse la vitre côté passager, demande où. L’homme d’origine arabe ne sait pas, mais on lui a dit d’aller tout droit par là.

    -Tu m’emmènes ? me demande-t-il avant que j’aie le temps de faire ma proposition.

    Un sens unique nous empêche d’aller tout droit. Nous voilà tous les deux dans un labyrinthe pavillonnaire. Quand nous en émergeons, je m’apprête à tourner à droite mais il me remet dans le gauche chemin. Le terrain de foute est au bout.

    -Je vais vous laisser là, lui dis-je, je préfère me garer un peu plus loin pour repartir facilement.

    S’il est une chose que je déteste, c’est de rester bloqué quelque part.

    Ce sont les sportifs qui organisent ce déballage. De grandes allées bien alignées accueillent quatre cents exposants sur deux terrains reliés par un chemin pentu. Côté acheteurs, il y a affluence et donc concurrence. Je repère deux redoutables convoiteurs de livres que je m’efforce de devancer. Avec un certain succès, puisque bientôt j’ai dans mon sac nombre de livres et de revues, parmi lesquels Claus Wickrath, recueil de photos d’icelui publié chez Taschen, Le Jardin parfumé (Manuel d’érotologie arabe du Cheikh Nefzaoui) publié chez Philippe Picquier, La Luxure (Fragments d’un autoportrait en luxurieux) de Michel Polac publié chez Textuel (je crois que c’est ce livre qui lui a valu le même genre d’ennuis qu’à Cohn-Bendit, à moins que ce ne soit son Journal), Un an de Jean Echenoz aux Editions de Minuit, Le blasphémateur, recueil de nouvelles d’Isaac Bashevis Singer paru chez Stock, trois numéros de la mythique revue Le Fou parle et le numéro neuf de cette revue féminine dont j’avais oublié l’existence Ah ! Nana, entièrement consacré à l’inceste (tel qu’on l’évoquait en mil neuf cent soixante dix-huit).

    Ma plus belle trouvaille, je la fais dans un carton tout juste sorti d’une voiture, un livre épais dont la couverture illustrée ne porte aucun nom, juste la reproduction d’une peinture reconnaissable entre toutes.

    -C’est un livre introuvable, me dit le vendeur.

    -Disons un livre rare, lui dis-je.

    -Oui un livre rare, je l’ai acheté à New York.

    Il le feuillette devant moi, me montrant certaines reproductions qui ne sont dans aucun autre livre. Ce livre a l’air de tellement lui plaire que je crains tout à coup qu’il n’ait envie de le garder. J’objecte l’état moyen pour obtenir un prix raisonnable. Pour quatre euros, ce Jean-Michel Basquiat, publié par le Whitney Museum of American Art, est à moi (un ouvrage que l’on vend actuellement au Etats-Unis cent cinquante dollars neuf et pas moins de trente-neuf dollars d’occasion), fourni avec les traces de peinture laissées par le vendeur qui doit être artiste. S’y ajoutent des cheveux, des empreintes digitales colorées, des mines de crayon de couleur. Tout cela convient bien à une monographie consacrée à Basquiat, me dit celle que je trouve chez moi en rentrant, revenue indemne de sa fête nocturne dans les bois de Clamart, mais je n’en suis pas encore là.

    Plus que content, je parcours une fois encore les allées de ce vide-grenier où Ali rencontre Pierre-Henri et où Anne-Sophie discute avec Aminata ou avec Kevin. J’enregistre dans ma mémoire quelques savoureux échanges.

    Un acheteur à la vendeuse :

    -C’est pour ma femme.

    La vendeuse :

    -Parfait, maintenant vous allez pouvoir lui dire que vous avez pensé à elle et acheter plein de choses pour vous.

    Une femme enceinte à son mari qui regarde une couette pour bébé couleur pastel :

    -C’est un mec que j’ai dans le ventre, tu vas pas m’en faire une gonzesse !

    Un vendeur à une femme très Bois-Guillaume qui demande ce que c’est que ça :

    -C’est des boules de geisha, ça sert contre le stress.

    Un vendeur qui laisse pour un euro un vieux lecteur de cédés à un homme à la peau noire :

    -De toute façon, ça me débarrasse.

    L’acheteur, glissant son acquisition dans un sac en plastique :

    -Oui, vous vous débarrassez de la merde et nous on achète la merde.

    Partager via Gmail Yahoo!

  • Elle est encore avec moi samedi matin pour aller vider les greniers de Pont-de-l’Arche et d’Incarville.

    A Pont-de-l’Arche, cela se passe au bord de la Seine. Dès l’arrivée, je repère un livre que je cherche depuis un moment, qui m’est passé sous le nez (comme on dit), emporté par un autre, il y a peu au Clos-Saint-Marc : Les Disparus de Daniel Mendelsohn. L’auteur y raconte pourquoi et comment il part à la recherche du passé de sa famille, une famille juive installée à New York n’ayant pas répondu à l’appel au secours de l’oncle resté en Pologne, mort là-bas en mil neuf cent quarante et un avec sa femme et leurs quatre filles. J’ai lu et entendu le plus grand bien de ce livre et de son auteur.

    Cet ouvrage se présente sous la forme d’un pavé de six cent cinquante pages. Il coûte vingt-six euros et je l’emporte pour un euro.

    -C’est bizarre que tu aies envie d’acheter ça, me dit-elle.

    C’est le titre et la couverture de mauvais goût, illustrée de photos des temps anciens, qui la laissent sceptique. Le livre a l’apparence d’un beste selleure prévu pour la plage. Il est de plus édité par Flammarion. Je lui dis ce qu’il en est, ne la convainquant qu’à moitié.

    Deux pots de confiture (framboises et figues) complètent le butin archépontain. Voulant aller au plus vite à la voiture, je me perds dans des petites rues que je parcours pour la première fois. C’est l’occasion de quelques découvertes, dont une maison qui, au lieu d’un quelconque Sam Suffit, se nomme Sacco et Vanzetti. Ces deux noms ne disent rien à celle qui m’accompagne. Je lui raconte en quelques mots l’histoire des deux anarchistes, le film des années soixante-dix, la chanson de Joan Baez.

    -Si l’on cherche des terroristes à Pont-de-l’Arche, on saura où les trouver, me dit elle.

    A Incarville, cela se passe autour de la mairie. Nous ne trouvons rien. Je prends le chemin de Léry où ma sœur n’est pas là. Mon beau-frère nous offre un thé et un café dans l’immense jardin.

    De retour à Rouen, avant qu’elle ne retourne à Paris pour une fête nocturne dans le bois de Clamart, je lui dis à nouveau mon contentement d’avoir trouvé Les Disparus.

    -Tu es sûr vraiment que c’est un livre intéressant ? me dit-elle.

    Je lui lis un des éloges de la quatrième de couverture : « Entre épopée et intimité, méditation et suspense, tragédie et hilarité, Les Disparus est un livre merveilleux. ». Pas de quoi la rassurer, bien au contraire.

    Elle ne l’est que lorsque je lui en donne l’auteur : Jonathan Safran Foer.

    Partager via Gmail Yahoo!

  • Vendredi matin, un peu avant dix heures, j’arrive là où ce ouiquennede le Secours Populaire fait son salon du livre au profit des déshérités(e)s. La porte est entrouverte au numéro huit de la rue de la Pie, à deux pas de la maison natale de Pierre Corneille. Je la pousse, on me dit que oui ce n’est pas encore l’heure mais je peux entrer.

    C’est petit. Sont casés là autant de livres que l’on peut y mettre. Certains sont intéressants mais rien qui me concerne vraiment. J’achète néanmoins, paru chez Denoël Gonthier en édition de poche l’an mil neuf cent soixante-dix-huit, Le Grand Bazar de Daniel Cohn-Bendit.

    Selon la quatrième de couverture, « le bondissant rouquin de Nanterre » y rapporte, dix ans après Mai Soixante-Huit, « l’itinéraire des aventuriers gauchistes à la recherche d’une nouvelle morale révolutionnaire. » Je veux bien. C’est surtout le livre dans lequel François Bayrou est allé chercher les arguments de sa mauvaise querelle avec le moins bondissant rouquin lors des dernières européennes, un livre épuisé, qui n’est pas prêt d’être réédité.

    Je rentre à peine qu’elle me téléphone pour me dire à quelle heure elle arrive après sa fête parisienne. Un peu avant dix-huit heures, je la récupère à la gare et nous filons à Sotteville-lès-Rouen pour l’ouverture du vingtième festival des arts de la rue.

    Cela commence place de l’Hôtel-de-Ville où la troupe Générik Vapeur déambule. Sous le titre Drôles d’oiseaux et Art Blaxon, sept voitures dégoulinantes de peinture suivent un tracteur paon. Elles se promènent parmi la foule puis sont suspendues à d’énormes pinces à linge. Sous leurs ventres sont placardées des affiches dont certaines montrent des personnages ou des évènements politiques. Tournent autour de ces voitures, aussi coloré(e)s qu’elles, les comédien(ne)s trempé(e)s dans la peinture de la troupe Ilotopie. S’ensuivent jet d’eau, arc-en-ciel, feu d’artifice et jet de papiers dorés et c’est fini. C’est joli et un peu vain.

    On va se remettre dans le bois de la Garenne, sous les arbres où sont installés plusieurs restaurants exotiques. Nous optons pour la cuisine indienne, kafta et pâtes, avec pour dessert les cerises rapportées de Paris (qu’elle est allée chercher dans l’arbre en déchirant sa robe).

    Nous essayons, dans le bois, plusieurs spectacles avant de nous arrêter devant Les Horsemen, trois chevaux et cavaliers dus aux Goulus, du faux humour anglais bien réussi, croisons un peu plus tard Maurice et Jules le coq géant et son cavalier, une déambulation due à la Compagnie Ekart et retournons place de l’Hôtel-de-Ville pour Kamchàtka de la troupe espagnole Kamchàtka.

    Une dizaine d’émigré(e)s à valises démodées découvrent leur nouveau monde, ce qui est l’occasion pour celle qui m’accompagne de faire un câlin à une jolie fille et pour moi de serrer dans mes bras mon cousin des Balkans.

    C’est l’heure d’aller boire un verre de sangria à la Bodega, établissement temporaire qui démontre qu’on peut faire d’une lugubre cour d’école un lieu chaleureux. S’y trouvent, parmi la nombreuse clientèle, plusieurs habitué(e)s d’un bar de Rouen que je connais bien. Je soupçonne certain(e)s de ne voir aucun des spectacles de Vivacité. Pour notre part, ce sera tout. Demain, elle retourne à Paris pour une folle fête et un festival de théâtre de rue n’est pas fait pour qui va seul.

    Partager via Gmail Yahoo!

  • Jeudi soir, avant de partir pour la soirée d’ouverture des Terrasses du Jeudi, je regarde France Deux avec l’espoir d’en savoir plus sur l’expulsion des Sans-Papiers parisiens de la Bourse de Travail par la milice de la Cégété. Espoir déçu, le sujet est escamoté, juste quelques images de tous ces Africain(e)s s’apprêtant à passer la nuit sur le trottoir. Je ne sais rien de plus que ce que j’ai lu hier dans Libération sous la plume de Cordélia Bonal :

    « Après plusieurs semaines de menaces, la CGT a donc envoyé ce matin «quelques dizaines de militants», qui n'ont pas fait les choses à moitié. Les témoins — occupants, passants ou commerçants — décrivent tous la même scène, très brutale: vers 12h30, alors que le gros des occupants était, comme chaque mercredi, parti manifester place du Châtelet pour réclamer des régularisations, une trentaine de gros bras «au crâne rasé», brassard orange au bras, ont débarqué armés de «bâtons» et de «bonbonnes de lacrymo», le visage protégé par des masques et des «lunettes de piscine».

    «Ils ont remonté la rue en rang, arrivés à la porte de la Bourse du travail ils ont crié "On y va! on y va!", ils sont rentrés dans le bâtiment et ont balancé les lacrymo», raconte Nicolas qui remontait la rue à ce moment là et a appelé la police, comme d'autres. Une jeune fille, Nadia, dit aussi avoir vu «une vraie milice. Leurs bâtons, c'étaient des planches». D'autres parlent de «commando», de «chaises qui volaient», montrent les vitres cassées.

    Sous le choc, Konté, un occupant qui ce matin n'était pas parti à la manifestation, justement pour garder le bâtiment, raconte: «Ils savaient qu'on est peu nombreux le mercredi. On était dans la cour quand ils sont arrivés, ils nous ont lancé tellement de gaz qu'on a dû sortir, on n'a pas eu le choix.» La police est arrivée «dix minutes plus tard» mais sans rentrer dans le bâtiment, faute, explique-t-on, de réquisition du propriétaire, en l'occurrence la mairie de Paris. Les policiers seront rejoints par les CRS, tandis que les pompiers évacuent plusieurs blessés légers. »

    C’est la preuve que derrière la façade présentable de cette boutique syndicale persistent les sales habitudes des staliniens, vieilles habitudes, je les ai vus à l’œuvre, qui tabassaient les étudiant(e)s dans les années soixante-dix. Je m’en souviens fort bien.

    J’éteins la télé et rejoins les quais bas rive gauche. Sur l’énorme scène se tiennent les deux garçons de Dead Rock Machine. Je les vois à peine du pont Boieldieu. Le soleil déclinant m’éblouit. Je descends l’escalier de pierre et me heurte à deux vigiles d’Universal Security qui filtrent l’entrée, fouillant les sacs. Cela commence à ressembler à une sale manie. Aucun concert de l’Armada l’an dernier n’était ainsi sous contrôle, mais ici c’est le patron du Cent Six qui commande. J’attends que les deux gus aient la tête dans le sac et je me glisse entre eux sans avoir à montrer le parapluie que je cache au fond de mon sac à dos.

    Dead Rock Machine, c’est de l’électro-rock. Ça s’écoute. De loin en ce qui me concerne. Je ne veux pas me niquer les oreilles. J’ai déjà mal à un pied. Je m’installe contre les barrières près des abreuvoirs, considérant les longues files d’attente des assoiffé(e)s.

    Je reste là pour le duo de pop rock anglaise The Ting Tings. Les branlotin(e)s s’accumulent devant la fille blonde et son complice. Je vois ça de loin, m’intéressant davantage à ce qui se passe dans la foule. Une fille en robe rouge au téléphone éclate en sanglots. Une autre fille passe, allongée sur un brancard, le pied sanglant. Les deux vigiles quittent leur poste pour des tâches plus urgentes et peut-être plus utiles. Avant que cette deuxième partie ne s’achève, je remonte sur le quai haut pour mieux voir la suite.

    Après The Ting Tings, une partie du public reflue et quitte les lieux par l’escalier maintenant couvert de verre cassé. Après une assez longue attente, tandis que les nuages se font menaçants, c’est l’heure du didjai Etienne de Crécy, bien connu pour ses jeux de lumière. Neuf cubes s’allument et s’éteignent selon une programmation étudiée. Lui, petit bonhomme, se tient dans le cube du milieu.

    Je me lasse vite et, empruntant le pont Boieldieu balayé par le vent, je regagne mon logis. A peine entré, les premières gouttes claquent sur le toit. Le son et lumière d’Etienne de Crécy (que j’entends jusqu’ici) est remplacé par celui de l’orage. La nature est bien plus impressionnante. Quelques coups de tonnerre font trembler les murs et moi-même. Le courant disjoncte. Je songe à celle qui aime les orages et qui doit être contente s’il se passe la même chose à Paris. Je songe aussi aux Africain(e)s virés par les monstres de la Cégété, dans la rue, sous la drache. Je dors assez peu. Après un dernier orage, je me lève. Il est un peu plus de six heures. Michael Jackson a eu une crise cardiaque. The Rock Machine is dead. J’en connais dont la jeunesse vient de mourir avec lui.

    Partager via Gmail Yahoo!

  • Il fait si chaud, ce mercredi à Paris, que je ne peux faire autrement. Aux Halles, j’entre chez Couique pour acheter une glace. Comment vous appelez ça déjà ? dis-je à la débutante qui apprend le métier sous la surveillance de la meilleure employée du mois. Elles me le rappellent en chœur mais au moment où j’écris j’ai à nouveau oublié. En revanche, je me souviens de son prénom à l’autre : c’est Aloïs. J’en prends une au caramel. Je la déguste (si l’on peut dire) en terrasse avec pour voisins de sympathiques ouaiches.

    De là, je vais m’asseoir à l’ombre, près de l’église Saint-Séverin, et reprend la lecture de N’entre pas trop vite dans cette nuit noire, vite emporté dans le sinueux flux mental de Maria Clara. Dix-sept heures sonnent. Encore une heure avant le rendez-vous avec celle que je dois retrouver près des fontaines mouvantes de Jean Tinguely et Niki de Saint Phalle. Je décide d’aller musarder chez Mona Lisait, rue Saint-Martin.

    A peine ai-je repéré un livre consacré aux femmes photographes que la voici qui me saute dessus. Eh bien, que fais-tu ici ? Et toi ?

    Elle me raconte rapidement son voyage d’hier à Lyon pour un entretien, son deuxième entretien à Paris aujourd’hui, et oublions tout ça, me dit-elle, allons voir Araki.

    Cela se passe chez Templon. La porte est ouverte au fond de la cour. Nous sommes accueillis par une fille nue sévèrement ligotée. L’exposition est sobrement et explicitement intitulée Bondages. Les photos présentées sont en droite ligne avec celles du passé dont je possède bon nombre de reproductions grâce à Tokyo Lucky Hole, le pavé publié autrefois chez Taschen, un ouvrage que j’ai fait découvrir à celle qui m’accompagne

    Araki approche de ses soixante-dix ans. Il poursuit l’exploration de ses phantasmes avec une nouvelle série de filles attachées, suspendues, exhibées, martyrisées, souvent accompagnées de lézards en plastique, certaines au pubis touffu, d’autres au pubis glabre, fleur et fruit introduits pour deux d’entre elles. Ces photos numériques en couleurs, grand format, nous séduisent. Nous nous asseyons sur le banc de la salle principale. Nous sommes seuls avec Araki.

    Quand arrive une jolie blonde solitaire, nous quittons la galerie Daniel Templon pour aller fêter la fin de ses examens dans notre restaurant chinois préféré, à volonté.

    Partager via Gmail Yahoo!

  • Sera-t-elle à Paris l’an prochain? Impossible de le savoir encore. C’est donc peut-être la dernière fois que j’ai rendez-vous avec elle dans la capitale en fin d’après-midi. Avant cela, un peu avant dix heures ce mercredi, j’arrive boulevard Saint-Michel où il fait déjà chaud pour un tour rapide des libraires alors que d’autres s’intéressent aux soldes de vêtements (mais pas avec le même enthousiasme qu’à Rouen).

    J’ai la chance de trouver chez Boulinier pour bien moins que son prix neuf Irrespektiv le catalogue, dû à lui-même, de l’exposition éponyme de Kendell Geers vue à Lyon en décembre dernier. Suffisamment content, j’en reste là, allant m’installer dans l’un des fauteuils du jardin du Luxembourg. J’y lis N’entre pas si vite dans cette nuit noire d’António Lobo Antunes dans l’édition de poche parue chez Points Seuil. C’est un vrai plaisir, comme tous les livres de cet auteur. Il écrit d’ailleurs toujours le même. Ainsi font les écrivain(e)s les plus intéressant(e)s.

    Cet ouvrage coûte dix euros en librairie, un prix conséquent, témoin de l’augmentation que subit le poche depuis quelque temps. J’ai payé mon exemplaire vingt centimes, un prix dérisoire, témoin de la baisse que subit l’occasion dans les vide-greniers.

    Je pique-nique puis reprend ma lecture tandis que derrière mon dos s’accordent des musicien(ne)s. Il est près de midi et demi. C’est l’heure du concert donné dans le kiosque. Les deux bus des musicien(ne)s sont garés dans le jardin, immatriculés en Autriche. Ce sont des Tyrolien(ne)s qui jouent de la musique américaine, des marches déjà entendues ici autrefois, jouées par d’autres venu(e)s d’ailleurs.

    J’écoute un peu puis, après un café au Malongo, passe la Seine pour me rendre rue Debelleyme, croisant en chemin un Vélib’ repeint en gris pâle parsemé de gros points rouges. Il est accroché au milieu des autres dans l’un des multiples lieux de parcage, attendant le client ou la cliente, plutôt rare si j’en juge par la quantité de vélos immobilisés. Pédaler dans la chaleur n’excite pas foule.

    J’entre chez Thaddaeus-Robac où l’on se soucie autant de moi que si j’étais l’homme invisible. Je viens voir Jack Freak Pictures, une exposition d’œuvres récentes de Gilbert et George. Elle se compose de photos mosaïques inspirées par le drapeau britannique. Jeux de miroir et de kaléidoscope occupent les deux salles de la galerie, du Gilbert et George de bonne facture décliné en dix-sept images aux couleurs vives. La seconde salle regroupe les très grands formats. Sur quelques photos, les deux compères apparaissent en pied grandeur nature. Ils ont sacrément vieilli depuis la dernière fois que l’on s’est vu, eux et moi.

    Partager via Gmail Yahoo!

  • C’est le solstice d’été, l’assurance d’un dimanche rouennais non mortel grâce à la Fête de la Musique, mais avant cela au matin, après très peu de sommeil, je pars avec elle pour Les Authieux-sur-le-Port-Saint-Ouen où se tient un vide-grenier autour d’un château (ou manoir) plus ou moins abandonné. C’est un mauvais choix, rien qui nous intéresse et les déballages ne sont pas encore tous installés du côté du terrain de foute. Sans attendre, nous rejoignons par une route incertaine Le Petit-Couronne où cela se passe mieux, une paire de chaussures d’été pour elle, N’entre pas si vite dans cette nuit noire d’António Lobo Antunes pour moi et un livre sur la peinture moderne pour nous deux.

    Nous rentrons avec l’intention de le regarder ensemble dans le jardin mais le temps passant trop vite nous en empêche et le soir je me retrouve seul pour la Fête de la Musique à Rouen, tandis qu’elle en est privée à Paris.

    Après avoir ouï sans m’arrêter la vielle à roue de Galaor, rue Saint-Romain, je m’attarde, rue des Arsins, pour écouter un peu le rock honnête de Hors Zone, puis passe par la place des Carmes où, pour le bar des Fleurs, une chorale tente de se faire entendre et j’arrive place de l’Hôtel de Ville au O’Kallaghan.

    La bière y coule à flots tandis que sur la plateforme d’un camion un groupe dont j’ignore le nom joue un honnête rock. M’approchant, je constate que la terrasse est cernée de barrières marquées chantier interdit au public. Je ne sais ce qu’ont pu faire les client(e)s de ce bar pour être ainsi enfermé(e)s. Je traverse la rue à la recherche de la liberté. Devant la Mairie, la Fnaque présente un groupe de reggae à la française inconnu de moi dont le chanteur ne cesse de dire qu’il est engagé. Il demande la légalisation de la ganja et ne baissera pas les bras face au fucking président, tout cela sous la protection des vigiles d’Universal Security.

    Je prends la fuite, croisant une meute de branlotins et branlotines. Cheminant derrière le mâle dominant, chacun(e) se soûle avec application. Ce ne sont pas les seul(e)s. Un peu plus loin, un jeune garçon croise quelqu’un qu’il connaît :

    -Oh, maman, regarde, c’est le surveillant de mon collège.

    -Ah bah, bravo, tu pourras lui dire demain que tu l’as vu bourré dans la rue.

    Rue Eau-de-Robec, je m’arrête longuement pour entendre une excitée à chaussures blanches, plantée sur un pont où elle gratte sa guitare. Elle interprète, crie, chante, grimace des chansons déjantées, accompagnée au clavier par une à l’air sage, à la basse par un aux cheveux touffus et à la batterie par le père d’un des trois (je suppose). La foule apprécie, les peutes et peutesses, les voisins et voisines, les passants et passantes (parmi lesquels je reconnais le directeur du Trianon Transatlantique). L’extravertie semble se nommer Olivia. Elle va jusqu’au bout de son répertoire et donne rendez-vous pour l’année prochaine.

    Je vais voir un peu plus loin, près du restaurant L’Eau Vive, un groupe d’un tout autre genre : les Flying Ducks. Ces quinquagénaires jouent et chantent du folk américain. L’un d’eux ressemble vraiment à Hugues Auffray. Leur public a leur âge et c’est regrettable. Je rebrousse chemin et, place du Lieutenant-Aubert, je trouve celui qui me plaît le plus.

    Coincé entre ceux qui sautent sur place agglutinés contre un mur de son et un jeune imbibé qui hurle dans un micro à l’ancienne go Johnny go, coiffé d’un chapeau melon, s’accompagnant à la guitare, imperturbable et sans se soucier de l’absence d’auditoire, avec la voix et le style de Graeme Allwright dans Qui a tué Davy Moore, il chante ce que j’imagine être des compositions personnelles. Je ne sais qui il est, jamais vu sa tête à Rouen. Je l’écoute un long moment assis sur une borne. Il veut y croire encore une fois, chante-t-il.

    Partager via Gmail Yahoo!

  • Celle qui me rejoint le ouiquennede porte encore autour du poignet le collier coloré de la Lesbian and Gay Pride, ce samedi soir, quand nous nous asseyons sur l’une des marches du théâtre de verdure du Parc des Provinces au Grand-Quevilly. Nous sommes là pour Rokia Traoré et bientôt je sens une main sur mon épaule. C’est celle de ma fille venue avec son copain, après que je l’ai prévenue de ce concert gratuit. Alors qu’entre en scène Si Señor, la première partie, elle sort de son sac une bouteille de rosé, mais non merci plus tard peut-être.

    La musique est latino, salsa, cha cha cha, très bien quand c’est en espagnol, mais le chanteur passe au français et ça se gâte, encore des chansons écrites à la truelle. On applaudit et les Si Señor s’en vont. Ma fille et son copain ne sont plus avec nous, partis rejoindre des amis à eux.

    Tant pis pour le rosé, voici Rokia Traoré, cheveux courts et corps fluide. Il me semble l’avoir déjà entendue une fois au Hangar Vingt-Trois. C’était avant que je commence ce Journal alors autant dire que ce n’est pas sûr. Elle chante, elle danse, elle joue de la guitare, est venue en voisine puisqu’elle vit à Amiens, mais elle court le monde avec ses musiciens et sa choriste, un soir à Zagreb, le lendemain à Milan, deux jours plus tard à Glastonbury, la liste de ses concerts à venir est un voyage à travers l’Europe. Elle parle aussi entre deux chansons, le discours attendu sur le sort de l’Afrique. C’est un peu dommage. Cependant je suis d’accord avec elle pour attendre avec impatience les premiers touristes africains (pourront même passer dans ma rue sans que je m’exaspère).

    A la fin, celle qui se serre contre moi est contente elle aussi de ce concert. Nous attendons que soit tiré le feu d’artifice. Celui-ci ne nous déçoit pas. Il est musical, une sélection de classique archi connu (livrée avec les applaudissements) accompagne les lumières dans le ciel. Ce mauvais goût est nécessaire à la réussite de l’opération.

    En rentrant à Rouen, nous rattrapons trois filles sur le pont Corneille. L’une d’elle s’égaye, avec des mots imbibés d’alcool, du collier de fleurs autour du cou, croyant que celle qui m’accompagne revient des îles lointaines et ensoleillées. C’est samedi soir, et même déjà dimanche matin.

    Partager via Gmail Yahoo!

  • Samedi matin, je me lève tôt et direction Oissel pour le vide-grenier, puis Darnétal pour la même raison, quelques livres, quelques cédés et surtout deux kilos de cerises pour deux euros à partager avec celle qui arrive vite dans l’après-midi avec l’intention d’accompagner la Lesbian and Gay Pride de Rouen.

    Sur le lit, malgré mes protestations, elle me dessine une bouche au rouge à paillettes et quand la musique se fait entendre dans la rue de la République, nous filons.

    Cinq camions à plateforme munis de puissantes sonos portent des grappes de garçons et de filles. Un joyeux cortège pédestre les accompagne. Tenues ébouriffantes, musiques festives, ballons multicolores, sifflets, confettis sont de la partie. Nous nous insérons dans le défilé. Elle récolte un collier arc-en-ciel et j’hérite d’un tract du Hennepéha. Ils sont partout ceux-là (sans autocollants cette fois, mais avec leurs drapeaux).

    Devant l’Hôtel de Ville, une femme à écharpe tricolore attend. Celui qui tient le micro sur le premier camion exulte :

    -Voici Valérie Fourneyron, maire de Rouen. Applaudissez-la.

    Manifestement, ce garçon n’est pas d’ici. La femme à écharpe tricolore m’aperçoit, me fait un signe de la main, en souriant de l’air de celle qui sait que je vais raconter tout ça.

    -Je donne la parole à madame Fourneyron.

    -Je ne suis pas Valérie Fourneyron, apprend-elle au gaffeur qui ne sait plus où se mettre.

    Il lui donne le micro et va se cacher.

    -Je m’appelle Hélène Klein, je suis maire adjoint chargée des problèmes de discrimination.

    Hélène Klein rappelle que deux mille neuf marque les quarante ans de luttes des homosexuels, lesbiennes, transsexuels et bisexuels pour la reconnaissance de leurs droits et que si un bon bout de chemin est fait, il en reste à parcourir. Elle termine en dénonçant l’homophobie et la lesbofolie.

    -Elle a bien dit la lesbofolie ? me demande celle qui me tient la main.

    -Oui, c’est ce que j’ai entendu aussi.

    L’adjointe au maire passe au camion suivant et refait son discours. Quand elle a fini, on repart par la rue du Canuet, et on tourne à gauche pour descendre la rue Jeanne-d’Arc. L’homme au micro enjoint aux participant(e)s de s’asseoir pour un minute de silence en mémoire des morts du Sida et des agressions homophobes. J’ai horreur d’obéir à ce genre d’injonction mais je fais en sorte de ne pas me faire remarquer, je m’accroupis avec tou(te)s les assis(e)s.

    Le cortège prend ensuite la rue du Général-Leclerc, bifurque pour passer par la rue Saint-Etienne-des-Tonneliers où se trouvent la plupart des bars arc-en-ciel de la ville. Il s’arrête sur le parvis de la Cathédrale.

    Une des sonos diffuse Vous les copains, je ne vous oublierai jamais. Ce chef-d’œuvre de Sheila me rappelle mon année de sixième, et doua di di doua di dam di di dou. Elle chante avec moi cette immortelle rengaine tout en contemplant les dizaines de jolies filles présentes. Il en est une pas loin qui lui plaît bien.

    -Va lui demander son Zéro Six, lui dis-je.

    -Je peux pas, me répond-elle, je suis trop timide.

    Partager via Gmail Yahoo!





    Suivre le flux RSS des articles
    Suivre le flux RSS des commentaires