• Un jour le soleil, un jour la pluie, c’est le temps en  Normandie et du côté de ma clavicule cassée c’est pareil, ne sais jamais si ça va mieux ou si c’est pire.

     Maintenant, j’en suis à juste soutenir mon bras par une lanière et à dormir (plus ou moins) le bras ficelé dans une écharpe. Je ne supporte pas l’immobilisateur d’épaule, ma main gauche emprisonnée dans du plastique se couvrant de pustules nauséabondes. Sur le conseil de la pharmacienne, je la soigne avec du talc.

    J’essaie d’en savoir plus en parcourant les forums sur Internet. J’y lis des histoires aussi lamentables que la mienne. Il est question de guérisons qui prennent plusieurs mois ou bien n’arrivent jamais, parfois d’incompétence médicale. Des médecins sans savoir ni pouvoir, j’en ai croisé deux : le généraliste d’Espelette bien embarrassé par « le gars de passage » (c’est moi) arrivé dans son cabinet juste après la chute et mon médecin traitant à Rouen, médecin maltraitant devrais-je dire. Dans une semaine, je repasse chez celui qui a le savoir : le chirurgien orthopédiste; le savoir mais pas le pouvoir. Ce n’est pas lui qui installe l’immobilisateur et en constate les effets, c’est la pharmacienne, laquelle a le pouvoir mais (comme elle le dit elle-même) pas le savoir.

    Je suis un objet abîmé qui passe de case en case, sans la moindre idée claire sur ce qui m’arrive et ce qui m’attend.

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  • Les averses et la pluie, c’est cette fois avant que les Terrasses du Jeudi rouennaises lancent leur dernière note. Quand elle et moi quittons la maison, ce vingt-trois juillet, le ciel se dégage. Nous nous arrêtons au bar des Fleurs près duquel le Trio Zéphyr gratte ses cordes en chantant sa langue imaginaire. Plutôt agréable mais à la même heure, place du Vieux, il y a « musique du monde orientale métissée » avec l’orchestre Iznayen venu de Saint-Etienne. Les déclarations du chanteur et la musique sans surprise conduisent celle qui veille sur moi à affirmer que c’est nul. Nous quittons sous quelques gouttes pour aller près des Floralies attendre le groupe Labo venu de Lille, c’est de la pop indé (est-il écrit sur le programme)

    -Je suis sûre qu’un garçon va chanter en anglais d’une voix plaintive, me dit-elle.

    Le chanteur nous dit « bonjour Rouen » puis chante en anglais d’une voix plaintive. Nous sommes bientôt loin, sur mon lit, où nous parvient par la fenêtre ouverte la chanson française des Bœufs Troquistes sur scène place de la Calende.

    Un peu avant vingt-deux heures trente, nous rejoignons la place Saint-Marc pour Yuri Buenaventura dont je sais qu’il n’y a guère à attendre. Elle le découvre et me dit que c’est une sorte d’Eros Ramazzotti à la mode latino.

    Je le trouve quant à moi trop clinquant, et sa musique itou, comme si sa salsa sortait du même pressigne que son costume. Nous décidons de fuir après la troisième chanson, ce qui met ma clave cassée à l’abri d’une éventuelle bousculade, un concert à vingt-deux heures trente étant synonyme d’une majorité de spectatrices et spectateurs bourré(e)s.

    Ainsi se termine notre dernier jeudi à terrasses. Août s’approche. Le nouveau graffiti à l’entrée de ma ruelle va prendre tout son poids : « Rouen trou mort ».

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  • Lundi après-midi, je reprends avec celle qui me tient la main le chemin de la Clinique Mathilde pour quelques radios de ma clavicule brisée et le diagnostic du chirurgien orthopédiste.

    Quand ce dernier, après avoir vu les images, découvre les anneaux desserrés qui entourent mes épaules, il me dit tout net ce que je soupçonnais, cela ne sert absolument à rien. Cela peut même aggraver la situation et entraîner une opération. Il faut que mon bras soit complètement bloqué dans une sorte de camisole.

    -Si je comprends bien, lui dis-je, on vient de me faire perdre douze jours à cause des erreurs des Urgences de la Polyclinique de Saint-Jean-de-Luz et de mon médecin traitant.

    Il ne va pas dire du mal de ses chers confrères. Il me répond qu’il y a déjà eu consolidation, mais n’exclut pas l’opération si le nouveau harnachement ne rattrape pas les dégâts du précédent. Il dicte un compte-rendu pour mon incompétent médecin traitant (qui ne le sera bientôt plus) et rendez-vous est pris pour dans quinze jours.

    Nous allons rue Beauvoisine à ma pharmacie habituelle afin d’acheter le nouveau bazar qui doit me priver totalement de l’usage de la main gauche pendant plusieurs semaines. On n’en a pas, il faut le commander. Devant mon désarroi, la pharmacienne téléphone un peu partout, mais ailleurs c’est pareil, impossible d’avoir cette chose le jour même à Rouen. Elle me conseille de dormir noué dans une écharpe.

    Le lendemain matin, la gentille pharmacienne déballe le paquet tout juste arrivé et me sangle dans l’immobilisateur. Il me reste un doigt pour écrire ce que je pense de certains médecins. Pour celle qui m’accompagne, contrainte de jouer la garde-malade, la vie vient de se compliquer un peu plus.

    L’après-midi, tandis qu’elle vaque à ses affaires personnelles, je vais prendre un café verre d’eau au Grand Saint-Marc. Une mienne ancienne collègue passant par là me dit bonjour ça va, propos vide de sens qui tient lieu de relation sociale, n’apercevant même pas mon harnachement. Je le lui montre pour expliquer que pas très fort. Et elle avant de filer, comme si un malheur en valait un autre :

    -Eh bien moi, je suis grand-mère pour la deuxième fois.

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  • A explorer Rouen comme si on y était en vacances, on arrive elle et moi vendredi midi au Sourire du Tibet, restaurant jusque là inaperçu, sis rue Saint-Sever face à la Cité Administrative. L’endroit porte bien son nom, le restaurateur étant tibétain et souriant. Il nous offre un coquetèle maison (comme on dit) et nous donne à feuilleter des livres d’images de son lointain pays persécuté, puis nous propose de mixer les plats proposés au menu Happy afin que nous goûtions à tout. Une musique à la guimauve achève de nous convaincre que nous avons bien fait d’entrer dans ce qui doit être le seul restaurant tibétain de la ville. C’est délicieux et le maître des lieux nous propose une part supplémentaire du plat principal, une sorte de mousse de bœuf accompagnée de pâtes. Elle met sur la table un quart de vin supplémentaire que nous terminons avec le clafoutis aux litchis. Nous repartons avec la carte du Sourire du Tibet qui, paraît-il, porte bonheur. De chance, nous avons tous les deux besoin, elle pour trouver une chambre à Marseille où ses études l’appellent alors qu’elle n’a pas un sou, moi pour que ma clavicule se remette d’équerre.

    De retour à la maison, nous écoutons l’un des disques noirs dont, je ne sais pourquoi, un vendredi, j’ai acheté un lot, les dix pour dix euros, au Clos Saint-Marc : Woody Guthrie, Pete Segers, Brenda Wootton et même Malicorne (comment ai-je pu écouter ça presque chaque jour autrefois, c’est la question que je me pose en réentendant les chansons bouseuses de ces Français). Je redécouvre à cette occasion le fonctionnement de ma platine en sommeil depuis des années, les craquements du vinyle et le disque à retourner au bout de vingt minutes, toutes choses qui l’enchantent. Elle se dit prête à investir dans un lecteur de disques noirs quand elle sera grande et qu’elle aura un chez elle.

    Nous montons fumer à la fenêtre, à elle la cigarette, à moi le plaisir de lui tenir compagnie, lorgnant de là-haut les touristes de passage.

    L’une nous interpelle :

    -Vous pouvez serrer la main de vos voisins d’en face.

    -Oui, avec nos bras de trois mètres de long, lui dis-je, ajoutant :

    -Pourquoi dites-vous tous les mêmes âneries quand vous passez dans cette rue, c’est à croire que vous avez tous visité la ville avec le même guide idiot.

    En voilà une de calmée. Celle qui fait de la fumée avec sa bouche me dit qu’un jour on va me péter mon autre clavicule.

    Le soir venu, nous allons au Vicomté dans la rue éponyme. Nous y buvons un américano (de la maison évidemment) dans un bain de musiques actuelles que nous nous efforçons de nommer et définir jusqu’à nous enliser dans le marécage.

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  • C’est le bras gonflé et craignant une phlébite que je retourne, mercredi matin, chez le généraliste, lequel ne m’avait pas le moins du monde alerté sur le danger constitué par le harnachement qui me serre la clavicule (pas davantage ne l’avait-on fait aux Urgences de Saint-Jean-de-Luz). Il me desserre ce bazar et m’envoie dare-dare passer un doppleure à la Clinique Mathilde. Pour cette peine, je lui donne une nouvelle fois vingt-deux euros puis il part en vacances.

    Celle qui veille sur moi m’accompagne de l’autre côté de la Seine, près de la Non-Médiathèque. Rien de grave, me dit l’angiologue après avoir testé mon œdème. Il desserre encore plus le bazar et me conseille de l’enlever la nuit jusqu’à ce que le chirurgien me voie, lundi prochain.

    Le lendemain soir, nous essayons de trouver notre bonheur aux Terrasses du Jeudi. Une première tentative nous mène à l’Espace du Palais. Candela Mi Son fait de la musique salsa timba avec sa chanteuse et ses musiciens. Le lideure annonce que les morceaux sont des compositions du groupe. Pas la moindre originalité dans tout cela, et un public coincé entre les terrasses des restaurants du lieu. Très vite, nous retournons au jardin prendre une citronnade. D’au loin nous parviennent les échos d’un orchestre de jazz jouant ailleurs, cependant que dans le ciel montent d’inquiétants nuages noirs.

    Nous ressortons un peu avant vingt-deux heures pour rejoindre la place de l’Hôtel de Ville où doit jouer Alain de Nardis. C’est du blouze et j’ignore qui c’est. Nous sommes surpris de le découvrir déjà sur scène, entouré de ses musiciens et d’une chanteuse nommée Carole Croft. Cette dernière est le véritable talent. Lui nous intéresse peu avec son folklore américain. A peine deux chansons entendues qu’une organisatrice intervient. Elle annonce que le concert a commencé avant l’heure pour des raisons météorologiques et que maintenant c’est terminé, ordre du Préfet qui a peur de l’orage. Elle ajoute qu’Yvetot est déjà rayée de la carte et qu’il faut rentrer à la maison bien gentiment. Quelques quolibets (dont les miens) lui font écho. L’essentiel du troupeau se soumet, dont les artistes. Le passéiste Alain de Nardis remercie les organisateurs « sans oublier Universal Security ». Artistes et vigiles main dans la main, c’est sur cette image rassurante que nous quittons les Terrasses du Jeudi. L’orage n’arrive que bien plus tard et pas du tout méchant.

    Ne peut-on pas sur le fronton de la Mairie de Rouen remplacer le triple mensonge (Liberté Egalité Fraternité) par la nouvelle devise de la République : Précaution Sécurisation Infantilisation.

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  • De retour à Rouen, j’appelle mon médecin traitant agréé par la Sécurité Sociale qui me reçoit et se contente de refaire l’ordonnance déjà faite par la Polyclinique de Saint-Jean-de-Luz pour un orthopédiste à consulter dans dix jours. J’apprends à cette occasion que ledit est un chirurgien capable d’opérer si ça ne se passe pas bien. Ce généraliste me demande où j’en suis de ma vaccination contre le tétanos. Il ne m’explique rien sur ce que j’ai, rien sur ce qui m’attend, c’est vingt-deux euros.

    Heureusement, elle est là. Pour que la vie continue à ressembler à des vacances, nous découvrons quelques restaurants et bistrots de Rouen et le quatorze juillet nous sommes en haut du quai à regarder les quelques vieux qui dansent au son de l’orchestre de Sevy Golden. Yves Goupil, je l’ai connu à Louviers dans les années soixante. Il était étoile dorée locale, reprenant les succès yéyé et objet de risée. Je le retrouve, bien des années plus tard, assis derrière un clavier, dégarni et bedonnant, reprenant les succès de la musique latino avec l’aide d’une chanteuse approximative. Le temps est sévère pour tout le monde, comme dit la cousine de madame Michu.

    Ce bal est une coproduction de la Mairie de Rouen et des Docks Soixante-Seize, politique et commerce se marient fort bien chez Valérie Fourneyron. Tiens, la voici madame la deputée-maire, qui grimpe sur la scène aux couleurs du centre commercial. Avec des mots empruntés à Marie-Ségolène et une gestuelle empruntée à Chirac, elle en appelle à l’unité nationale (beurk beurk beurk) et annonce le deuxième invité de la soirée : André Verchuren. Celui-ci se tient à côté d’elle, cheveux teints et quatre-vingt-huit ans. Je me souviens comme il m’a pourri la vie, enfant, lorsque ma mère l’écoutait chaque dimanche sur Radio Luxembourg. Là, il me plaît presque de l’entendre et celle qui me tient la main le trouve admirable pour ce qu’il fait à son âge. Suite à une avécé (comme disent les médecins), il chante comme il peut, mais ses doigts courent encore avec agilité sur l’accordéon.

    Impoliment, les organisateurs l’obligent à s’arrêter. C’est l’heure du feu d’artifice. André chante un bout de Marseillaise et évoque son voyage en train vers Dachau. Le directeur des Docks Soixante-Seize enchaîne en faisant de la publicité pour son petit commerce.

    Nous nous dirigeons vers le pont et c’est encore Fourneyron (Valérie) qui nous parle dans les enceintes acoustiques. Après le succès de Rouen-sur-Mer, après le succès d’André Verchuren, elle nous annonce le succès du feu d’artifice, pour la première fois sonorisé, et compte jusqu’à cinq.

    Dans un bel ensemble, les enfants sont hissés sur les épaules de leurs pères, à croire que toutes les femmes viennent d’accoucher sur le pont. Une voix s’élève, celle de Grand Corps Malade, le poète qui fait rimer compartiment avec comportement. Il parle niaisement de lumière dans le ciel et justement il y en a de toutes les couleurs. Des musiques néfastes s’enchaînent sans la moindre nécessité, heureusement couvertes par le bruit des explosions. Un spectateur inspiré crie qu’il aurait fallu faire un hommage à Michael. Le feu lui-même est banal et le public conforme. C’est normal, me dit celle qui me protége des mouvements de foule, le quatorze juillet, c’est une fête de beaufs.

    On retourne sur le quai voir de plus près Sevy Golden, lequel annonce, navré, à son public que le bal ne reprend que pour une demi-heure. C’est la maire qui veut ça. A minuit, à Rouen, tout le monde doit rentrer à la maison.

    Le vrai bal et la vraie fête, c’est la veille, le treize, que cela se passe, sur la place devant le Café de l’Epoque. Les festivités sont organisées par le limonadier, qui s’occupe de tout, buvette, service d’ordre et discours auto satisfait. La population du quartier est là, jusqu’au dernier des zonards avachi sur le trottoir avec femme et enfants en bas âge. Au son de l’accordéon du groupe Atillo, nous dansons tous les deux, moi assez immobile pour raison de clavicule amoindrie, puis nous trouvons une table pour un verre d’Edelzwicker à l’entracte.

    La seconde partie de soirée est encore plus jouissive, pendant laquelle les mêmes musiciens entourent Fata, le chanteur de l’Orchestre National de Barbès, au physique passe-partout, aux vêtements quelconques et à la voix remarquable.

    C’est à presque deux heures du matin que nous rentrons bien contents ce soir-là.

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  • Expliquer qu’on a une clavicule cassée, que sa voiture est sur le parquigne de la Polyclinique de Saint-Jean-de-Luz le coffre plein de matériel de vacances, que celle qui vous accompagne ne sait pas conduire, qu’on a une tente de campigne installée sur une aire naturelle à Souraïde, laisser Inter Mutuelles Assistance mélanger le tout pour en sortir une solution

    Elle et moi trouvons refuge à la terrasse de l’hôtel Donibane, face à la Polyclinique. Pas moins de six fois ce mercredi après-midi le téléphone sonne. À chaque fois on avance un peu. Vers dix-huit heures, l’affaire est bouclée. Un fax nous réserve une chambre à l’hôtel Donibane, un patrouilleur sera là demain aux aurores pour prendre en charge la voiture et sa passagère, démonter la tente et ramener l’ensemble chez ma sœur près de Louviers, de mon côté ce sera voyage en première classe Saint-Jean-de-Luz Rouen avec trois taxis réservés pour les trajets initial, inter gares et final.

    A pied, malgré la clavicule, je l’emmène visiter Saint-Jean-de-Luz afin que tout ne soit pas perdu, le port ensoleillé, la merveilleuse église, un bon repas et ne pas désespérer.

    Le lendemain tout se passe comme prévu. Le soir venu, nous sommes à nouveau ensemble, chez moi.

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  • Ce que ça coûte de prendre la route, plus que prévu.

    Entre Bordeaux et Bayonne, lundi matin six juillet, sur la quatre voies entre les pins des Landes, à cent vingt au lieu de cent dix, je suis pris en photo par la maréchaussée, un ennui sans autre conséquence que financière. Il précède l’autre, ne sais quand reviendrons, bien plus sérieux.

    A Espelette, capitale du piment, deux jours plus tard, alors qu’à pied avec celle qui m’accompagne je regagne la voiture pour y ranger vin et fromage, une chaussée mauvaise entraîne ma chute. Je ne sais comment, si ce n’est que je vois ma tête pas loin de frapper le macadam. C’est mon épaule qui prend tout. Je sais que c’est la fin des vacances. Je l’entends me dire que ce n’est rien. Une voiture s’arrête pour me porter secours. Je me relève seul. Une femme nous indique le médecin. La bouteille, qui a valdingué, est intacte.

    Le médecin est une caricature, bavard autant qu’impuissant. Il décrète que c’est juste une histoire de tendon. Me conseille d’aller quand même aux Urgences. Passe un temps fou à dialoguer au téléphone avec un chauffeur de taxi puis avec un ambulancier, me laissant souffrir tranquillement, se souciant seulement de savoir si je suis vacciné contre le tétanos. Nul ne peut (taxi, ambulancier) m’emmener à la Polyclinique de Saint-Jean-de-Luz. En conduisant d’une main, je fais les vingt-quatre kilomètres.

    Aux Urgences, il s’agit bien sûr d’attendre. Vers quinze heures, après une radio, je sais ce que je savais déjà : fracture de la clavicule. La docteure et deux infirmières me serrent les épaules dans ce qu’elles appellent des anneaux, me demandent si je suis vacciné contre le tétanos, une ordonnance avec de l’aspirine, et c’est tout. Pas une d’elles ne m’aide à remettre ma chemise. Elles me larguent en urgence sur le parquigne de la Polyclinique.

    Heureusement, celle dont je viens de gâcher les vacances a dans son sac un téléphone portatif. Je fais le Zéro Huit Cent, Soixante-Quinze, Soixante-Quinze, Soixante-Quinze, le numéro d’Inter Mutuelles Assistance.

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  • Flânant dans les rues de Rouen jeudi dernier avant l’heure de la chaleur, je passe par celle de la Croix de Fer. Sur le mur de la Salle des Ventes, je trouve un avis de décès. La bouquinerie Colportages, sise place du Trente-Neuvième Régiment d’Infanterie est en liquidation judiciaire. Les milliers de livres seront vendus sur place au début de la semaine prochaine.

    Bien longtemps que je n’ai mis le pied et l’œil dans cette bouquinerie. Depuis je ne sais combien de mois je m’y heurtais à une porte fermée. Un numéro de téléphone inscrit sur icelle m’eut permis d’en savoir plus si je l’avais appelé.

    Autrefois, je la fréquentais sans acheter beaucoup, feuilletant de nombreux livres intéressants au prix plutôt élevé. Avec le libraire guère expansif j’avais peu d’échanges, mais je pouvais là écouter France Culture aussi bien que chez moi.

    Ayant rejoint la rive gauche, précisément le marché aux livres et à la brocante de la place des Emmurées, je parle de cette disparition avec un sympathique marchand de l’endroit. Il est au courant mais n’ira pas faire des affaires le jour de la vente aux enchères. Pas le cœur à ça, me dit-il.

    Tous ces livres vont partir par lots, je ne sais où. Je ne serai pas là pour voir.

    Rentrant par la place de la Cathédrale, je considère l’immense bâche (vingt-cinq mètres sur quinze) sur laquelle est reproduit un paysage photographié par Thibaut Cuisset. Cette photo occulte depuis peu toute la façade du Palais des Congrès en ruine, donnant à ce bâtiment une nouvelle utilité. Elle montre un espace rural bien vert où serpente une route qui va quelque part.

    C’est devant cette reproduction géante qu’est posée le lendemain la scène où Mr Lab ! se produit gratuitement en apéritif de la Nuit Impressionniste (comme ça s’appelle). A vingt et une heures trente, le chanteur et guitariste entame sa première chanson devant un public clairsemé, rejoint ensuite par trois musiciens. C’est un concert inhabituel, nous dit le jeune homme, acoustique, et bienvenue à ceux qui ne connaissent pas. J’en suis et ce que j’entends me plaît. A mi-parcours, une violoncelliste vient en renfort. J’en écouterai bien davantage, mais après un peu plus d’une heure de concert Mr Lab ! doit en rester là. Sans doute faut-il débarrasser le parvis du local technique avant que ne soient projetées les images sur la Cathédrale. Je jette un dernier regard sur la route de Thibaut Cuisset, qui serpente entre prés et bois

    C’est par cette route qu’elle et moi quitterons la ville ce dimanche (Y a une route. Tu la prends. Qu'est-ce que ça t'coûte ?), ne sais quand reviendrons.

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  • Par ce temps de chaleur touffue, une place à l’ombre s’impose en terrasse au Son du Cor bien que le verre d’eau fraîche se transforme vite en bouillon tiédasse. Même lire demande un effort. Je ne sais si c’est la température ou l’épaisseur de l’ouvrage mais j’ai du mal à me concentrer sur N’entre pas si vite dans cette nuit noire d’António Lobo Antunes. J’en suis à la moitié et au fur de la lecture diminue mon plaisir (António, tu ne pourrais pas écrire des livres courts). Je me laisse distraire par les filles peu vêtues qui passent et par la conversation d’à côté.

    Des jeunes gens travaillant dans le spectacle font le point sur un projet pour l’an prochain. Il est question de subventions à demander, de prêt de matériel à solliciter, de vigiles (avec ou sans chiens) à envisager, toutes questions qui pourraient se poser dans n’importe quelle activité commerciale.

    Rentré chez moi, une visite imprévue me réjouit. A ma porte se trouve celle avec qui je pars bientôt en vacances, venue ce jour à Rouen rencontrer un sien ami. Je la raccompagne à la gare où ensemble nous attendons le train en retard.

    Le soir venu, la chaleur est toujours aussi éprouvante avec menace d’orage à la clé. Je rejoins la place des Antilles, de La Part des Anges et des Petites Cuillères réunies afin d’y entendre Mister Moonlight, groupe rouennais des années quatre-vingt, lequel opère son retour. Je ne connais pas mais j’ai fréquenté l’un des musiciens dans une autre vie, lorsque je faisais l’instituteur et lui le parendélève (sans savoir qu’il et avant que je).

    Comme il est d’usage aux Terrasses du Jeudi, l’affaire est en deux parties (entre les deux ce sont les bars qui font des affaires, ces concerts ont été créés pour cela). Ici, la première est acoustique, la seconde sera électrique, c’est du rock plus ou moins américain. Le chanteur a parfois des accents de Bob Dylan, son complice « Maintenant, Laurent va vous chanter une chanson » tout à fait la voix de Mark Knopfler. Derrière à la batterie, c’est celui que je connais. Le public apprécie, dont pas mal de cheveux grisonnants (comme sur scène) retrouvant là leur jeunesse. Vers la fin, des milliers de minuscules bestioles volantes vertes s’abattent sur les présent(e)s qui du coup bougent un peu.

    Ces insectes énervants m’accompagnent jusqu’à la place du Socrate, des Floralies et du Seize/Neuf réunis. A cet endroit, La Familia délivre sa musique latino-tzigane devant un public plus nombreux. Cette famille, je la connais bien, déjà vue et entendue moult fois. Je l’écoute avec moins de plaisir qu’autrefois, contemplant chacune et chacun dans le public, comment elle ou il se débrouille avec les petites bêtes qui l’embêtent, les stoïques et les hystériques. Le chanteur donne rendez-vous à huit heures trente pour la deuxième session.

    Je retrouve mon appartement presque frais et sans importunes bestioles, me demandant si oui ou non j’y retourne dans une heure.

    Le moment venu, l’orage répond à ma place.

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