•         Bien content de pouvoir conduire à nouveau, j’ai récupéré ma voiture chez ma sœur où elle était en sécurité depuis un mois et demi, laissée là par le patrouilleur d’Inter Mutuelles Assistance. Ce samedi matin, je pars à l’aurore pour le vide-grenier d’Alizay.

            Je me gare près du parcours de santé où folâtrent des lapins qui s’enfuient à mon approche, passe sous la voie ferrée Paris Rouen et débouche près de la Salle des Fêtes : surprise, pas de déballage à cet endroit. Le vide-grenier est cette année déplacé pour cause de travaux d’agrandissement de ladite. Il se tient à l’autre bout du village près de l’immense gymnase.

            La mairie communiste d’Alizay a de gros moyens financiers grâce à la taxe professionnelle versée par MoDo Paper, la gigantesque papeterie qui fume à l’horizon. A ou avait car depuis des mois l’usine est au ralenti suite à ce qu’on appelle la crise et par ailleurs le Tout Puissant de la République veut supprimer cette taxe. Je me souviens qu’à l’école, où je suis passé quand je faisais l’instituteur remplaçant, se trouve un distributeur de boissons chaudes gratuites pour les enseignant(e)s : café, thé, soupes, en veux-tu en voilà.

            Fichtre, fichtre, je sais bien qu’à Alizay on ne lit guère et qu’on y écoute une musique navrante, mais il doit bien y avoir des exceptions. Je les cherche sans les trouver.

            Ayant parcouru les allées trois fois, je n’ai dans mon sac que la Vie de Thérèse de Lisieux de Jean-François Six (Editions du Seuil) acheté vingt centimes pour celle qui s’installe à Marseille et Une vie à brûler, les mémoires de James Salter (Editions de l’Olivier) acheté cinq fois plus pour moi et un double cédé des vraiment meilleures chansons de Joan Baez acheté deux euros.

            Quand je décide de regagner ma voiture près du parcours de santé, les lapins ne sont plus là, remplacés par des joggeurs et joggeuses respirant à pleins poumons les vapeurs délétères de MoDo Paper. Pour ma part, je marche prudemment, regardant bien où je mets le pied. Je sais depuis début juillet qu’on peut craindre pour son intégrité physique même si on ne fait pas de sport.

    Partager via Gmail Yahoo!

  •         Comment se quitter pour deux mois avec le minimum de douleur ? Le hasard nous y aide, j’ai un billet de train pour Paris le jour où elle doit faire ses bagages. C’est donc moi qui pars le premier, bien tôt ce mercredi matin. Elle reste un peu chez moi le temps de rassembler ses affaires. Nous nous reverrons à Marseille, si Dieu le veut (comme dit la vieille dame chez qui elle va loger).

            Arrivé dans la capitale, je me dirige vers Belleville avec l’intention d’explorer les ressources du marché aux puces sauvage mais personne n’est installé sur le boulevard. Des policiers s’y promènent et ceci explique cela. Les vendeurs et vendeuses potentiel(e)s se tiennent en retrait, espérant le départ des hommes en uniforme.

            Je m’installe en terrasse sur le boulevard, bois en café verre d’eau en considérant les pauvres gens poussant des chariots de supermarché ou des poussettes pour enfant emplies de marchandises récupérées dans les poubelles ou ailleurs. Beaucoup sont Chinois(e)s ou tziganes roumains. Il y a aussi des Africain(e)s, des Gaulois(e)s, des Arabes et cætera . Je ne sais combien ils et elles sont, cent, cent cinquante, deux cents, à faire des allées et venues de plus en plus impatientes. La police ne se lasse pas.

            -Moi si j’étais le maire, dit l’un des consommateurs que je côtoie en terrasse, je sais bien ce que je ferais : tous les matins je passerais l’arroseuse pour les empêcher de s’installer.

            -C’est désolant de voir ça, c’est eux qui nous donnent toutes les maladies qu’on a maintenant, la grippe A et tout ça, ajoute le deuxième.

            Le troisième trouve que la France n’a plus de respect pour elle-même, qu’elle devient une colonie.

            Tous les trois ont la soixantaine. Ils boivent tranquillement leur retraite et sont d’origine arabe.

            Il est plus de dix heures. Je quitte les lieux à pied pour rejoindre les Halles sans savoir qui de la misère ou de l’ordre va l’emporter. Rue du Faubourg du Temple, j’entre dans une bagagerie discompte où j’achète une ceinture à quatre euros pour retenir mon pantalon qui menace de me quitter et bien que ce ne soit pas l’heure, je m’installe sur un banc dominant le canal Saint-Martin afin de pique-niquer. Il s’agit d’alléger mon sac que je ne peux porter qu’à une main pour cause de clave encore fragile. Je déballe les sandouiches qu’elle m’a confectionnés et y découvre un petit mot d’amour entre deux tranches de pain. Devant moi passent les bateaux de vacanciers qui franchissent les écluses. Les touristes mâles en expliquent le fonctionnement à leurs moutards très intéressés. Femmes et moutardes s’en contrefichent.

            J’ai déjà remarqué ça et je ne sais pourquoi il en est ainsi. N’ai pas envie de le savoir, me dis-je en quittant mon banc.

            Un peu plus loin, rue de Turbigo, je découvre la maison natale de Pierre Mendès-France qui fut député-maire de ma ville natale. Bien des fois, enfant, je suis passé devant sa maison des Monts, sans jamais l’apercevoir.

            Je me perds un peu, demande mon chemin, me retrouve rue Montorgueil où je croise un jeune homme portant un ticheurte marqué « cet été, je suis à l’amer ». Je fais mienne cette phrase et vais me consoler dans mes librairies préférées. Je me charge du Récit plastique de la musclée Nathalie Gassel (Le Somnambule Equivoque), du Dictionnaire des Ecrivains français sous l’Occupation de Paul Sérant (Grancher) et du catalogue de l’exposition Marc Chagall, les années russes (Paris musées), une exposition que je vis au Musée d'Art moderne de la Ville de Paris en mil neuf cent quatre-vingt-quinze sans en acheter le catalogue alors vendu trois cent vingt-cinq francs.

            Le soir venu, je retourne à Rouen dans un train tout neuf, confortable, climatisé, silencieux. Ma maison est déserte, sur le bar une lettre d’elle.

    Partager via Gmail Yahoo!

  •         Je ne pense pas que La Couronne soit le meilleur restaurant de Rouen (je ne connais pas ceux-là) mais je sais que c’est un lieu enchanté où l’on mange fort bien et donc c’est dans la plus vieille auberge de France (mil trois cent quarante-cinq) que je l’emmène ce mardi soir avant qu’elle ne rejoigne Marseille.

            Nous arrivons avant l’heure pour visiter ce magnifique bâtiment à pans de bois et voir un peu qui nous a précédés dans cette vénérable maison, allant de photo dédicacée en photo dédicacée.

            Tout ce beau monde venu dîner là avant nous : artistes politiciens sportifs écrivains, des meilleurs et des pires (les meilleurs surtout autrefois, les pires surtout récemment), nous emmène d’étage en étage, de salons particuliers en grandes salles. Nous redescendons en compagnie de Romy Schneider, Jim Harrison, Salvador Dali et Elisabeth la Deuxième (sans sa couronne).

            -Alors vous êtes montés jusque dans l’appartement, nous plaisante la jeune femme en robe saumon fluide qui nous reçoit en bas des marches.

            -Tiens, il y aussi Bernadette, constate celle qui m’accompagne.

            -Oui, nous répond notre hôtesse, c’était à l’occasion des pièces jaunes.

            Ce n’est pas parce qu’on récolte de la petite monnaie que l’on doit manger à la cafeteria de l’hôpital.

            Une table nous attend au rez-de-chaussée, avec belle vue sur la salle et air frais venu de l’extérieur. A la grande table circulaire voisine s’installe un groupe d’âge mûr franco-allemand, l’une fête son anniversaire. Un peu plus loin, trois jeunes gens de bonne famille arrivent en terrain conquis, pour eux ce sera trois mojitos. Deux couples un peu vulgaires s’installent derrière moi, qui fêtent des anniversaires de mariage récent. Plus loin se tiennent une famille à enfant unique bien sage et un jeune couple d’Anglais. Arrive enfin un groupe sans doute familial, parmi eux un jeune homme à tête de rock star dont la photo n’ornera pas les murs.

            Au carnet des premières fois, me dit-elle, elle notera qu’elle a en main une carte où ne figurent pas les prix. Ce privilège est réservé aux femmes accompagnées d’un ou plusieurs hommes et la maison en fait bénéfice. Foie gras de canard, cake au lard grillé pour moi, dôme de saumon fumé par nos soins, fromage blanc et herbes fraîches pour elle, tournedos de canard doré au pommeau, tempura de Golden, pour nous deux, plateau de fromages normands surtout pour moi, tarte fine aux pommes, crème vanillée pour moi et soufflé normand au Grand Marnier pour elle, c’est notre choix, et pour le vin deux demi-bouteilles : Château Launay Blanc (Entre-deux-Mers) et Château Maine Pascaud (Premières Côtes de Bordeaux).

            Nous apprécions le service décontracté, la cuisine soignée et l’ambiance feutrée. Elle se sent bien ici, me dit-elle. Je laisse traîner mes oreilles du côté du groupe sans doute familial (vous pouvez commander ce que vous voulez, assure celui qui va payer) et des deux couples un peu vulgaires (moi, dit l’une, zozotant, z’aime bien l’ancien pour le dehors et le moderne pour le dedans). Celui que nous avons baptisé le majordome s’adapte à la clientèle. Il photographie à leur demande les anniversaires de mariage et apporte à la table de l’ancêtre fêtant son année de plus un feu d’artifice d’intérieur du plus bel effet. Ne reculant devant rien, il entonne Happy Birthday to You. La tablée ne se joint pas à lui. Quelque peu déstabilisé, il n’en continue pas moins sa chansonnette. Tout cela est assez bon enfant.

            L’addition réglée, nous nous attardons dans le couloir d’entrée et de sortie où sont également accrochés des portraits de célébrités. Parmi elles, Gainsbourg qui remercie et fait « la b(a)ise à Marie ».

    Partager via Gmail Yahoo!

  •         Mardi midi, nous sommes dans le jardin prenant l’apéritif avant notre dernier repas d’été en plein air et comme je demande à celle qui hélas doit bientôt s’éloigner quel vin elle veut boire, elle me rappelle l’existence de la bouteille d’Espelette, celle que je n’ai pas cassée en tombant là-bas, qui est peut-être la responsable de ma clave cassée.

            -C’est le moment de la boire, cette salope, ajoute-t-elle.

            Rentrés dans la maison, je la sors de ma réserve. Nous découvrons de concert que ce vin de pays des Côtes de Gascogne a pour nom Prieuré la Clave.

            Un tel hasard nous stupéfait.

            Quand nous sommes un peu remis, je m’aperçois que cette bouteille en tombant avec moi a quand même un peu souffert. Le goulot est légèrement cassé. Pas assez semble-t-il pour craindre un éclat de verre dans le vin. Nous sortons et, au-dessus de la poubelle, je commence à ôter les débris. Elle me dit de ne pas faire comme ça, que je risque de me couper. A peine ces mots prononcés, je me blesse salement à l’index droit.

            J’ai la main ensanglantée. Cela coule sur le pavé. Calmement, elle gère ma panique, m’applique une compresse puis m’explique que ça va bientôt s’arrêter. Elle a raison et me fait un beau pansement

            - Cette bouteille est vraiment maudite, me dit-elle, il ne faut pas la boire.

            Elle veut que l’on aille la jeter dans la Seine. Je refuse, craignant qu’il nous arrive un accident sur le chemin.

            La bouteille maléfique reste sur la table ronde du salon jusqu'à ce que j’écrive son histoire.

            Elle porte le numéro deux mille cinquante-deux. Avant de la poubelliser, j’en décolle l’étiquette que je garde en mauvais souvenir.

    Partager via Gmail Yahoo!

  •         Deux mille neuf est l’année de la poisse pour moi, clavicule cassée en début d’été, vacances avortées, pas mal de soucis avant d’être sur la voie de la guérison. Celle qui est là chaque jour en a subi les conséquences tout en cherchant ardemment une chambre sans loyer à payer où se loger pour sa nouvelle année scolaire à Marseille.

            La poisse de deux mille neuf doit être contagieuse car voici qu’à quelques jours de la rentrée elle perd la chambre qu’elle avait trouvée.

            Cette chambre offerte gratuitement par une généreuse architecte n’existe plus. Un incendie a détruit l’appartement. Son occupante est grièvement brûlée.

            En moins d'une semaine, elle doit se trouver une solution de remplacement qui tienne compte de ses faibles moyens.

            Un convoyeur de fonds lui offre un lit contre quelques heures de ménage. Ce brave garçon lui demande une photo. Elle refuse et lui explique bien qu’elle cherche une chambre et rien d’autre. Le lendemain, elle reçoit un texto de l’éventuel hébergeur. Sa situation a brusquement changé, la chambre n’est plus disponible. D’un mail bien ajusté, elle lui dit ce qu’elle pense de lui.

            Finalement, c’est encore chez une vieille dame qu’elle passera l’année, pas l’idéal assurément pour que je puisse la retrouver là-bas. Peut-on continuer à s’aimer tout en étant aussi longtemps séparés ? C’est ce qu’on entend bien démontrer.

    Partager via Gmail Yahoo!

  •         Un billet de train acheté longtemps à l’avance et me voici à Paris ce mercredi, le jour le plus chaud de l’été. Ce n’est pas pour me plaire, d’autant que, pour la même raison, celle qui n’est pas avec moi recule d’un jour son déménagement. Je fais, comme dit madame Michu, contre mauvaise fortune bon cœur, ne fréquentant que les librairies dont les livres se répandent sur le trottoir.

            A l’issue, je n’ai que deux livres dans ma besace, achetés chez Mona Lisait : Etant donné qu’Eros c’est la vie, ouvrage d’Yves Arman, publié chez Marval en mil neuf cent quatre vingt-huit, montrant derrière une fenêtre de jolies femmes jusqu’à l’un de leurs tétons et conduisant à la reproduction de l’Etant donné de Duchamp, mauvais livre acheté que parce qu’à un euro cinquante (à la fin l’auteur remercie Teeny Duchamp de son autorisation, je ne crois pas que Marcel aurait été d’accord) et Les mots de la chose, un dictionnaire érotique français anglais dû à Henri Van Hoof, publié en deux mille trois aux Editions Pauvert (lesquelles à cette date n’avaient plus rien à voir avec Jean-Jacques), acheté parce que je dois faire des progrès dans la langue de Shakespeare (Hello, pretty girl, do you want to get home with me?).

            Ensuite, je tente de me rafraîchir d’une glace en pot chez Maquedo. Une mendiante tzigane réussit à s’y faufiler. Elle fait la quête sans succès. Un homme bien mis à qui l’on a rien demandé l’interpelle :

            -Allez, casse-toi, tu n’as rien à faire ici.

            Le temps est mûr pour le retour de l’horreur, me dis-je, en quittant le lieu. Je vais m’asseoir à l’ombre près de l’église Saint-Eustache à l’angle des allées André Breton, Saint-John Perse et Federico Garcia Lorca, un endroit propice à la lecture. Je termine le Journal de jeunesse de Paul Klee acheté il y deux jours au Rêve de l’Escalier, tout en étudiant du soleil ardent l’effet de transparence sur les jupes blanches

            Un peu sentencieux le jeune Klee mais il est agréable de le suivre en voyage d’études et dans ses premiers pas d’artiste, jusqu’à sa rencontre avec Wassily Kandinsky, Franz Marc et les autres.

            Je note cette missive reçu par lui du directeur de la galerie où il fait sa première exposition personnelle en mil neuf cent dix : Depuis le quinze novembre que vos travaux sont exposés chez nous, force nous a été de constater que le public, dans sa grande majorité, manifeste à l’égard de vos œuvres une critique qui vous est préjudiciable. Diverses personnalités connues et de qualité nous invitèrent à décrocher vos travaux. Nous vous prions d’avoir l’amabilité de nous dire ce qu’il conviendrait de faire, éventuellement pourriez-vous nous envoyer des éclaircissements destinés aux visiteurs de l’exposition. Paul Klee ne se laisse pas démonter, il conseille de s’adresser aux critiques et ajoute : Au terme de la durée convenue de l’exposition, vous aurez l’obligeance de faire suivre la collection à la Kunsthalle de Bâle. Avec ma parfaite considération.

            Je retiens aussi ceci : Les fées sont toujours d’un certain âge et quelque peu sévères. Car autrement il faudrait bien que dans un conte quelconque, lors des trois souhaits habituels, il arrivât que le garçon, pour une fois, souhaitât posséder la fée. et ceci : Mon état d’âme valut aux Suisses beaucoup de pluie pour leur fête nationale.

            Le livre fini, je reste assis au même endroit contemplant l’univers. Trois ouaiches à ticheurtes et chortes extra extra extra larges passent dans un flot de musique rebutante. Un homme ventru avale à la suite un pot de crème fraîche et six yaourts. Deux jeunes gens comme il faut parlent de leur avenir :

            -Je vais te dire un truc affreux, lui dit-il.

            -Oui vas-y, lui répond-elle, apeurée.

            -C’est affreux mais l’un des avantages des fiançailles c’est que ça laisse le temps de savoir si l’autre est la bonne personne.

            Alors foncent sur moi deux garçons dont l’un est muni d’un micro rouge. L’autre me demande si je veux répondre à quelques questions pour la radio. Je dis oui, m’attendant à quelque chose sur la chaleur accablante du jour. Que non.

            -Que pensez-vous de la crise économique ?

            Pris de court, je bredouille que c’est une excellente occasion pour certains patrons de se débarrasser de leurs employés. Je m’apprête à en dire plus mais c’est déjà la deuxième question.

            -Que pensez-vous des politiciens, est-ce que vous croyez qu’ils sont tous pourris ?

            Je dis que ce genre de propos très Front National n’est pas le mien. Je n’ai pas le temps de dire ce que je pense des politiciens car c’est la troisième question.

            -Beaucoup de jeunes boivent trop ou se droguent, qu’en pensez-vous ?

            Je réponds qu’il y a de quoi être désespéré quand on est jeune aujourd’hui et que je n’ai pas de jugement moral sur cette question.

            C’est tout, On me dit merci. Je demande quelle radio. C’est la Radio de la Vierge, anciennement Europe Deux. Pas de risque que je m’entende dans le poste.

    Partager via Gmail Yahoo!

  •             Il y a je ne sais combien de temps une bonne âme a écrit sur le mur d’en face de chez moi « aimez vos enfants, c’est nettoyer la terre ». Cette niaiserie fait beaucoup parler le passant et la passante, souvent touristes, qui trouvent ça poétique ou joli. N’en pouvant plus, l’autre matin, d’un coup de feutre, je corrige l’assertion qui devient : « calmez vos enfants, c’est nettoyer la terre ». Depuis, les parents passant par là s’interrogent.

                Peut-être qu’ainsi ce graffiti sera nettoyé. J’en doute cependant, car depuis fort longtemps, que ce soit la droite ou la gauche à la Mairie, nul ne s’en soucie, sauf quand le propos n’est pas flatteur pour la ville qui se prétend capitale de la Normandie. A l’entrée de la venelle, un « Rouen, ville pourrie, trou mort » n’a pas fait long feu.

                En revanche, depuis quelque mois, la municipalité de gauche fait mieux que l’ancienne droite pour le balayage. Chaque matin, fort tôt, passe l’employé municipal. Il ramasse les déchets des nuitard(e)s, sans oublier les crottes de chien particulièrement nombreuses en ce moment, au point que l’on pourrait rebaptisé la ruelle, non pas comme le suggérait il y a quelques mois un comique embauché par l’Office du Tourisme en rue de la Fente (parce qu’elle est étroite) mais en rue de la Merde de Chien.

                De gros chiens la fréquentent attachés à leurs propriétaires. Les uns et les autres sont patibulaires, les premiers prêts à te bouffer, les seconds pas du genre à qui on peut dire : « Eh coco, le truc tombé par terre, tu peux pas le mettre dans ta poche ? »

                Ces pseudo révoltés, avec les fringues et la chevelure qui conviennent, amateurs de foute, de bière et de musique à sauter en l’air, ne vont tout de même pas ramasser la merde de leurs chiens; mais quand ils auront des enfants, ils les aimeront beaucoup.

    Partager via Gmail Yahoo!

  •         Pas possible de conduire avec la clave en travaux, je passe l’autre semaine quelques annonces sur Internet en recherche d'un covoiturage (comme disent nos élu(e)s) jusqu’au Vaudreuil. Elles restent sans réponse.

            Donc, ce samedi matin, je me lève à cinq heures et juste avant six grimpe dans le train de Paris. Je descends à Val-de-Reuil (Védéherre pour les intimes), pas très loin du Vaudreuil où, chaque quinze août, se tient un important vide-grenier.

            Je la connais bien cette gare. J’y venais chercher et reconduire celle qui me tenait la main lorsque j’habitais la ville alors nouvelle. Elle n’a pas changé, démesurée et déserte. J’en descends les marches quand une femme me hèle, qui va au même endroit que moi et ne sait pas comment. Je lui explique, par la route ou par le bord de la rivière.

            Pour ma part, je longe l’Eure. Elle me demande d’aller avec moi. Le moyen de refuser ? Heureusement, elle aperçoit le bus et choisit cette option. Je peux profiter seul du lever du soleil. Les canards caquettent, cancanent ou nasillent. Nul autre bruit ne se fait entendre. Vers sept heures, je suis au Vaudreuil où s’installent quatre cents exposant(e)s.

            En ce jour où je suis seul et ne disposant que d’un bras, je suis bientôt chargé à la limite de mes possibilités. Pour me soulager, je confie à deux vendeuses une partie de mon butin puis je fais un dernier tour pendant lequel je revois la femme qui voulait me suivre. Elle me dit qu’elle a croisé quelqu'un qu’elle connaît, il va la ramener à Rouen. Moi aussi j’ai croisé un Rouennais que je connais mais comme je ne demande jamais rien, c’est en train et à pied que je rentre, la main droite cuite par le poids de mon sac.

            Qu’importe l’état de mes doigts à l’arrivée, je suis trop content d’avoir rapporté les érotiques Cris du corps de Marianne Angot (Blanche) et Dix Japonais de Léone Guerre (Joëlle Losfeld), À la splendeur abandonné le texte qui a valu tant d’ennuis à Julien Cendres, suivi de La censure, conversation avec Marguerite Duras (Joëlle Losfeld), Le Théâtre des paroles de Valère Novarina (P.O.L.), Pandectes (ou Le neveu de Bayle) de Jude Stefan (Gallimard), Autobiographie de John Cowper Powys (Gallimard), Microfictions de Régis Jauffret (Folio Gallimard), Les écrits d’Etty Hillesum, journaux et lettres (Le Seuil), le volume trois de la Correspondance de Friedrich Nietzsche (Gallimard) et enfin Morgue, enquête sur le cadavre et ses usages de Jean-Luc Hennig (Verticales).

            Jean-Luc Hennig, je l’ai rencontré au début des années soixante-dix à Libération où il faisait le journaliste. Il a écrit un article sur ma petite personne en ce temps où j’avais des ennuis avec l’Education Nationale. Il faut que je raconte ça en septembre.

    Partager via Gmail Yahoo!

  •         Je fréquente une maison de kinésithérapie. Mon aimable pharmacienne m’en a donné l’adresse, m’assurant que j’y serais bien traité. C’est vrai.

            La première fois, l’homme de l’art se contente de me masser la clavicule tout en me donnant un cours sur cet os qui s’avère plus important que je ne le croyais, cela pour me décontracter un peu, pas rassuré qu’on touche à ce que j’ai cassé, inquiet qu’on l’abîme à nouveau. Vous faites du cyclisme, me demande-t-il ? Que non. C’est ma peau bronzée qui l’a induit en erreur, mon bronzage agricole, comme l’appelle celle qui ne manque pas une occasion de se moquer de moi.

            La deuxième fois, le kiné (comme on dit pour faire court) me fait bouger un peu le bras relié à la clave en convalescence, cela à l’aide d’un bâton à manier à la façon d’une haltère. Ce quasi sport, que je dois faire à la maison également, enchante celle qui ne manque pas une occasion de se moquer de moi.

            La troisième fois, le praticien me manipule l’omoplate et m’aide à écarter le bras, à le lever un peu plus haut que je ne puis. On est passé, me dit-il, du passif au passif aidé. Plus tard, ce sera l’actif, enfin l’actif contre résistance quand ma clave sera capable de le supporter. Puis, pendant dix minutes, il me colle sur l’épaule une sorte de poêle à frire qui délivre certaines ondes courtes bénéfiques, paraît-il, à la consolidation de l’os.

            Douze séances sont encore à venir.

            -Vous avez un faux air de quelqu’un de connu, me dit-il.

            Il se recule, me regarde mieux :

            -Ah j’y suis, Etienne Chatiliez. Vous avez les cheveux plus longs, mais sinon il y a quelque chose.

            Je ne connais pas la tête de ce cinéaste dont je n’aime pas les films. En rentrant, je la cherche sur Internet. Un faux air, oui je veux bien. Celle qui ne manque pas une occasion de se moquer de moi n’est pas là pour me donner son avis, partie respirer au bord de la mer.

    Partager via Gmail Yahoo!

  •         Sans pouvoir conduire pour cause de clavicule cassée, c’est en bus numéro vingt, munis d’un bagage des plus légers, qu’elle et moi rejoignons Saint-Aubin-Épinay, village de la région rouennaise où il s’agit de faire journée de vacances grâce à l’hôtel une étoile baptisé L’Épinoy, improbable établissement ne figurant pas dans le Guide des hôtels de charme. Pourtant il n’en manque pas, son architecture de briques rouges, sa véranda, son jardin et ses chambres sans commodités.

            Celle que nous propose le patron bénéficie au moins d’un beau lit et d’une armoire assortie. Pour la douche et les toilettes, c’est collectif et au bout du couloir. Heureusement, c’est calme en ce moment, comme dit le sympathique patron.

            -Vous serez sans doute seuls à l’étage. J’ai juste un pensionnaire au-dessus.

            Les murs du bar sont couverts d’affiches et de photos rock and roll, de Little Bob aux Stones. L’une de ces images montre le maître des lieux en compagnie du chanteur du groupe Ange. Et là, ne serait-ce pas Higelin ?

            -Oui, nous dit la patronne, c’était il y a quatre ans je crois, à la Traverse à Lillebonne.

            J’en doute, cet Higelin à cheveux longs date plutôt d’il y a quatorze ans. À L’Épinoy, le temps est immobile.

            Avant qu’il ne soit l’heure du repas, nous partons par le chemin piétonnier en direction du hameau d’Épinay avec un petit détour jusqu’à la source de l’Aubette et un arrêt devant les fleurs à papillons jouxtant une maison isolée. Parvenus au but, la fatigue due à ma clave en voie de rafistolage, m’impose de m’asseoir. Point de banc près de l’église récemment restaurée, une tombe accueille nos fesses. Nous évoquons la mort de très proches et comment elle et moi on vit avec cela. Nous faisons ensuite le tour du petit cimetière, nous attardant devant une tombe sculptée d’un scouteur. Un jeune homme est enterré là, qui en est peut-être mort.

            De retour à Saint-Aubin, nous nous intéressons à l’ancienne indiennerie dont la cheminée de briques domine le village, au gîte rural installé dans un moulin, à l’Aubette qui circule fraîchement, puis nous entrons dans le café près de l’église fermée. Nous en ressortons très vite. Le lieu, largement peuplé d’hommes échoués, est franchement désespérant.

            Celle qui me tient la main me rappelle le jardin de l’hôtel, et bien sûr, lui dis-je. Nous y prenons une boisson fraîche sous le cerisier à proximité du cheval rétif et de la chèvre narquoise.

            Le menu du soir est à dix euros, entrée, plat, fromage, dessert, café et pour ce prix-là on ne mange pas très bien. Qu’importe, la nuit est à nous, dont nous faisons bon usage. Par la fenêtre ouverte entrent le hululement de la chouette et le cri d’un animal inconnu, remplacés au matin par le chant du coq. Un petit déjeuner correct et nous allons attendre le bus du retour. Au loin, se dressent les tours des Hauts de Rouen.

    Partager via Gmail Yahoo!





    Suivre le flux RSS des articles
    Suivre le flux RSS des commentaires