•         Ce même vendredi, je passe par la bouquinerie Le Rêve de l’Escalier. Un autre dictionnaire m’y attend, titré L’Erotisme en chair et en mots.

            Ce « petit dictionnaire vertueux » explore le sujet en cinq cent quatre-vingt-huit mots, mille huit cent soixante quinze citations et deux cent quatre-vingt-cinq auteur(e)s. Il vient du Canada, publié à Montréal en mil neuf cent quatre-vingt-treize aux Editions Balzac dans la collection Histoire de l’Oeil. J’entame légèrement l’avoir conséquent que je possède dans cette boutique et repars avec un nouveau livre qu’à peine arrivé chez moi j’entreprends, l’ouvrant au hasard, et ah ! ah !, je vois que ce dictionnaire vaut d’abord par ses exemples qui en montrent plus que les définitions :

            Ah ! dieux ! qu’est-ce que je sens ? qu’est-ce que j’éprouve ? ah !... ah ! je me meurs… serre-moi… ah ! (Mirabeau)

            Tu me prends le gland tout entier dans ta petite bouche. Tu me fais mal… Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Tu me chatouilles tout le vit… Ah ! Ah ! (Apollinaire)

            Deux points de vue masculins qui sont contrebalancés par celui d’une femme :

            Je ferai ‘Ah ! Ah !’ (…), en tâchant de penser à autre chose. (Colette)

            Le lendemain, après un sirop à l’eau au Café de Rouen, je m’arrête à nouveau avec celle qui me tient la main au Rêve de l’Escalier. Dans la vitrine un titre m’alerte : Eloge de l’ombre. Bien longtemps qu’elle cherche ce texte de Tanizaki Junichirô. Malgré ses protestations, je le lui offre.

            C’est un élégant ouvrage paru aux Publications Orientalistes de France en mil neuf cent quatre-vingt-treize. Elle en fera bon usage durant les deux années d’études à venir et il tombe à point car afin de se préparer à la rentrée, elle lit Eloge de la fuite d’Henri Laborit, se réservant pour les ultimes jours de vacances Paul Lafargue et son Eloge de la paresse.

    Partager via Gmail Yahoo!

  •         Vendredi matin, tôt levés, nous sommes, celle qui m’accompagne et moi, affairés devant une table de livres au marché du Clos Saint-Marc en compagnie d’un petit groupe d’amateurs et de professionnel(le)s. Tout en parlotant, chacune et chacun cherche son plaisir et finit par le trouver.

            Une de mes admiratrices est du nombre, qui soudain s’en prend à moi, dénonçant à l’entour ce qu’elle nomme mes articles miteux.

            -Dites carrément mon blog de merde, lui dis-je.

            Je ne me départis point cependant de mon équanimité. J’ai en main un livre qui m’incite à laisser tomber la polémique : le Dictionnaire des injures paru au Editions Dix/Dix-Huit en deux mille quatre, une recension due au spirituel Robert Edouard. L’ouvrage devient mien contre deux euros au vendeur.

            Il n’est pas dans ma nature d’injurier qui que ce soit, de traiter par exemple autrui de guignol,

           Guignol : S’applique plutôt, chez les honnêtes gens, à un individu grotesque ou sans caractère : « Espèce de guignol », « As-tu fini faire faire le guignol ? », « Tu te décides, eh, guignol ? » : Se lance couramment sur la route à un automobiliste qui gesticule derrière sa portière ou qui semble hésiter sur la direction à prendre. La riposte : « Ce n’est pas ton Gnafron qui me fera aller plus vite ! », tirée par les cheveux, est déconseillée,

            mais nul doute que cet ouvrage me sera utile pour faire le narquois,

           Narquois : « Ça te va bien de faire le narquois, espèce de peau de fesse ! » : Se dit à un petit rigolo qui, au lieu de nous tendre la main secourable pour nous aider à nous relever, croit spirituel de nous lancer, nous voyant étalé dans une mare de boue :

            -Alors, pépère, on soigne ses rhumatismes ?

            En matière de chute, ma clave cassée montre assez que je fais des progrès.

    Partager via Gmail Yahoo!

  •         Mercredi, je ne peux me tromper : la chaleur et le ciel sans nuages sont assurés jusqu’à l’entrée de la nuit. Aussi, je propose à celle qui veille sur moi d’aller un peu voir à quoi ressemblent les projections baptisées Les nuits impressionnistes, sans grande illusion cependant.

            Avant que ne sonne l’heure, nous avons idée d’une soirée sangria tapas au Vicomté, mais installés en terrasse, rue de la Vicomté, c’est la déconvenue. La jolie serveuse blonde au sourire permanent nous apprend qu’en août point de cuisinier et donc point de tapas. Nous nous levons et allons chercher ailleurs notre bonheur, croisant au bout de la rue un escadron de policiers veillant sur l’oisiveté rouennaise.

            C’est La Cave Royale, une table en terrasse rue Damiette, qui nous sauve la mise. Un délicieux tagine aux fruits remplace les tapas et le boulaouane gris, la sangria. Je peux à nouveau couper ma viande. Cette renaissance me met de bonne humeur et elle itou. Pour fêter l’amour, elle claque en une soirée son budget du mois.

            A vingt-deux heures trente, nous sommes devant la Cathédrale. La première moitié des Nuits impressionnistes est loin de valoir l’ancienne projection intitulée De Monet aux pixels. L’ennui guette. Deux ou trois tableaux à la lumière blanche, déconstruisant ou reconstruisant l’édifice, sauvent la mise. Le reste est bon à jeter avec la musique.

            Nous enchaînons avec l’autre moitié, projetée sur les extrémités du Musée des Beaux-Arts. Le centre du bâtiment reste dans l’ombre. Cette projection à vous créer un strabisme divergeant ne présente pas le moindre intérêt. C’est de la bête illustration, une bande-annonce publicitaire pour l’exposition Fabius de deux mille dix. La musique est abominable, s’achevant par Satie au violon (avec Van Gogh à l’accordéon). Un silence déçu suit la fin de la prestation, puis quelques applaudissements polis se font entendre, dont nous nous abstenons.

    Partager via Gmail Yahoo!

  •         Lundi matin trois août, elle me tient la main pour rejoindre la Clinique Mathilde. Je passe à nouveau par la case radiologie, attendant mon tour. Une vieille femme arrive en fauteuil roulant convoyée par deux auxiliaires en blouse bleue qui répondent à sa place aux questions de l’accueil puis la laissent là sans au revoir. L’image de mon épaule faite, nous montons au premier étage où me reçoit le chirurgien orthopédiste. Il m’annonce que les choses évoluent correctement. La clavicule cassée se ressoude. L’opération n’est plus à craindre.

            Je lui explique pourquoi j’ai dû renoncer à son immobilisateur. Il s’étonne. D’après lui, ma main n’aurait pas dû être enclose. Qu’importe, l’objet est devenu inutile. Il me dit que je dois encore soutenir mon bras d’une écharpe pendant dix jours et commencer les séances de kinésithérapie.

            Puis il m’alerte sur l’état de mon aisselle. Privée de mouvement depuis presque un mois, elle a un sale aspect. Il semble s’en étonner. C’est pourtant bien lui qui m’a recommandé de ne bouger mon bras sous aucun prétexte. Il est grand temps de s’occuper de ce nouveau problème. Il me recommande moult lavages quotidiens avec assèchement au sèche-cheveux. Un nouveau rendez-vous est pris, pour dans quatre semaines.

            Je rejoins celle qui m’attend patiemment derrière la porte. À ma tête, elle voit que le pire est exclu. Nous fêtons ça dans le jardin avec une bonne bouteille et sa cuisine inventive.

            Je suis encore abîmé mais moins. Pour preuve ce texte que je tape à deux doigts, index droit et index gauche. Cependant, je suis loin d’avoir retrouvé tous mes moyens, et elle, ce matin :

            -Serre-moi dans ton bras.

    Partager via Gmail Yahoo!