• Jeudi, levé à cinq heures afin de conduire ma voiture dans l’Eure chez ma sœur et son mari où elle restera garée le temps d’une escapade. Mon beau-frère me ramène à Rouen station Technopôle (c’est par là qu’il travaille). Je partage la rame de métro avec la France qui se lève tôt (comme disait l’autre), des travailleurs travailleuses à l'air déprimé.

    Je descends à la station Joffre-Mutualité et me dirige vers le marché des Emmurées. Il est sept heures et demie. J’achète Libération et vais boire un café en attendant que la marchandise soit déballée.

    A la une de Libé la tête du sympathique Higelin, il fait le rédacteur en chef. En pages Livres, celle d’un certain Michel Lequenne dont vient de paraître un pavé intitulé Le Catalogue (pour mémoires) dans lequel il se raconte par ordre alphabétique d’auteurs lus au cours de sa vie (Editions Syllepse). « Posséder ces livres, c’était posséder le savoir, en même temps que, pour l’enfant pauvre que j’étais, c’était sans doute la forme suprême du « posséder » », dit-il. «  Les révolutions sont fatales mais ne se décrètent pas, surprennent toujours et ne sont jamais ce que l’on a cru qu’elles seraient », dit-il encore.

    En attendant la prochaine, on me propose de voter pour les Régionales. Rentré chez moi sans un livre à ajouter à ma bibliothèque, je considère les onze listes en lice en Haute-Normandie :

    Trois listes d’extrême droite : une nationale lepeniste, une nationale dissidente et une nationale sarkozyste.

    Trois listes de droite et du centre : une gaulliste, une modem, une écolo régionaliste.

    Trois listes de gôche et de gauche : une socialiste (pro nucléaire à Dieppe Penly et anti médiathèque à Rouen), une écolo contrôlée par les Verts (anti médiathèque à Rouen) et une front de gauche (aux mains du nucléomaire de Dieppe Jumel).

    Deux listes d’extrême gauche : Hello et Hennepéha.

    J’élimine les trois qui puent franchement, les trois suivantes qui ne me concernent pas, les trois pour qui j’aurais pu mais non, et les deux trotskistes.

    Ne reste plus rien.

    Dommage que les décroissants n’aient pas réussi à constituer une liste.

    Au premier tour, soit je n’irai pas voter soit je voterai Hennepéha sans la moindre envie, juste pour dire non.

    Au second tour, je voterai nul.

    *

    Jacques Higelin dans Libération : « … ce qui ne m’amuse pas du tout, c’est ce débat sur l’identité nationale. (…/…) C’est absolument odieux, cynique, primaire et dégueulasse d’essayer de faire diversion avec un tel sujet – qui rappelle Vichy… ».

    *

    Guy Verhofstadt, ancien premier ministre belge, à propos du même débat : « un défouloir au remugle vichyste ».

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  • Un an de plus, cela m’arrive cette année le jour du Mardi-Gras, cependant c’est sans masque que j’attends celle qui doit me rejoindre pour la fête à la gare de Rouen un peu avant dix-huit heures après avoir passé un long moment au Pub Station à lire les nouvelles triestines d’Umberto Saba regroupées chez Rivages sous le titre Couleur du temps. Le temps est froid, ciel bleu, soleil rouge, très froid, un temps parfait pour manger russe. Une table réservée par mes soins la semaine dernière nous attend rue Cauchoise chez Alyio nouchka.

    Elle arrive, souriante et virevoltante, à la main plus de cadeaux que je n’en mérite : Worrisome Heart (premier cédé de Melody Gardot), Le nu impertinent de Félicien Rops (de Guy Denis chez Bernard Gilson Editeur) et Pascin libertin (de Stéphan Lévy-Kuentz, par ailleurs spécialiste de la jeune peinture russe contemporaine, chez Biro Editeur).

    Ce Pascin libertin se cache dans un  beau coffret où lui tient compagnie l’Abécédaire des filles et de l’enfant chéri, le fac-similé d’une rareté de mil neuf cent vingt-quatre, vendue alors sous le manteau, illustrations de Pascin, texte non signé attribué à Pierre Mac Orlan (bien connu à Rouen sous son vrai nom quand il faisait l’assistant imprimeur). Echantillon :

    Assise, la tête aux genoux,

    Médite une fillette enceinte

    Sur le miracle de Marie

    Et sur les fifres du scandale.

    Il fait bon chez Alyio nouchka dont la décoration un peu kitch nous ravit, de même que la musique en boucle (cette chanson traduite en français sous le titre Le temps des fleurs qui la chantait ?) et où arrivent à notre suite suffisamment de client(e)s pour emplir au deux tiers la salle. Dans la cuisine, dernière mon dos, on s’active.

    Dégustant un coquetèle à la vodka, nous optons facilement pour le menu babouchka. Je suis en revanche hésitant devant les vins géorgiens, arméniens et bulgares. Je demande conseil à l’aimable hôtesse qui me répond :

    -Oh mais chez nous on se pose pas tant de questions, c’est la vodka.

    Je choisis une bouteille de saperavi, vin rouge géorgien qui assouplit les veines, de quoi me faire du bien et à elle aussi. Il est délicieux et rend vite gai. La carafe d’eau n’est sur la table que pour la forme. Nous sommes d’accord avec la maxime du grand philosophe russe Francis Blanche qui illustre la carte des vins : « Je préfère le vin d’ici à l’au-delà. »

    La cuisine nous convient tout autant : bortch puis goulasch puis pâtisserie (dont pour moi une tempête de neige décrite comme un gâteau indéfinissable, fort bon).

    Nous ne pouvons quitter la Russie sans un ultime verre, une vodka au ginseng pour elle et une vodka du tsar pour moi.

    Nous nous habillons chaudement avant de sortir. Je dis merci à notre espiègle hôtesse.

    -Spassiba, vous m’avez dit spassiba ? me demande-t-elle.

    -Ah non, mais je peux vous le dire. C’est l’un des rares mots russes que je connaisse.

    A l’extérieur, il fait un froid que l’on qualifierait facilement de sibérien. Cette année, je suis au Nord. Tandis qu’elle allume une cigarette, je me chantonne mentalement l’immortelle chansonnette de Raoul de Godeswarvelde :

    Suis ta voie et perds pas l'Nord, perds pas l'Nord padada, perds pas l'Nord

    Perds pas l'Nord et suis ta voie dans la vie mon gars, tabada tabada…

    *

    La réponse à toutes les questions est sur Internet. C’est Dalida qui chantait Le temps des fleurs et aussi l’étonnant Ivan Rebroff, le géant aux quatre octaves. Ce Temps des fleurs est la version française d’une chanson russe passée par l’anglaise Those were the days de Mary Hopkin. Je me souviens d’Yvan Rebroff au temps de sa gloire en mil neuf cent soixante-huit, l’année de l’arrivée de la télévision chez mes parents, ce qui ne me rajeunit pas (comme on dit).

    *

    Du russe, je connais aussi « Ya govoriou po rouski », première phrase de la première leçon de la méthode Assimil que j’avais achetée dans ces années-là, non à cause d’Yvan Rebroff, mais à cause de la littérature russe pour laquelle j’avais une grande dilection. Une phrase qui signifie « Je parle russe ». Je ne suis pas allé plus loin.

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  • C’est finalement ce lundi midi que je me décide à aller voir pour quatre euros Mother du Coréen Bong Joon-Ho au cinéma Le Melville. Cette histoire de mère voulant innocenter son idiot de fils accusé d’un meurtre de collégienne me tente.

    Nous sommes huit dans la salle, d’âge certain, six femmes, deux hommes, un bon échantillon de qui va encore au cinéma pour un film étranger en vého.

    Assez vite, au fur des images et au déroulé de l’intrigue, mon intérêt décroît. Une histoire policière bien menée avec le suspense attendu et les rebondissements adéquats, voilà Mother, qui dure un peu plus de deux heures.

    Deux heures de perdues, me dis-je à la sortie. La suite de l’après-midi ne l’est pas. J’écris une lettre à la Thénardier, de qui celle qui me tient la main gardait les trois mouflets le dernier trimestre deux mille neuf et qui ne l’a pas payée.

    *

    Chez Lacoste, rue Saint-Nicolas, on refait encore une fois la boutique. Le magasin sans vitrine montre ses intérieurs. Des vendeuses engoncées dans des anoraks mettent en carton ces vêtements faits autrefois pour les joueurs de golf et de tennis et qu’achètent aujourd’hui les ouaiches et compagnie. La maison ne s’en vante pas. Pourtant, j’y verrai bien pour affiche : « Lacoste habille la banlieue ».

    *

    Dans les Carnets d’Albert Camus, cité dans les Instantanés de Roger Grenier (livre paru chez Gallimard, acheté cinquante centimes au Rêve de l’Escalier et que je lis la nuit), ceci : La morale mène à l’abstraction et à l’injustice. Elle est mère de fanatisme et d’aveuglement. Qui est vertueux doit couper des têtes.

    *

    Roger Grenier évoque aussi un livre qui me fait envie Les autonautes de la cosmoroute de Julio Cortázar : voyage sur l’autoroute Paris-Marseille, entrepris avec sa femme, Carol Dunlop, un mois à bord d’un camping-car, à raison de deux parkings par jour. Je l’ajoute à la liste des livres qui me manquent.

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  • L’autre semaine à la recherche d’informations sur l’expulsion de squatteurs au bulldozer par le maire communiste de Bagnolet, j’arrive dans la Rue Quatre-Vingt-Neuf et m’arrête à l’article intitulé Judy, actrice porno, cinq cent vingt-cinq euros par mois, « jamais à découvert ».

    Je m’intéresse, lis ce que raconte cette jeune fille de vingt ans pas très bien payée au sage minois, apprends incidemment l’existence du Strass (Syndicat du Travail Sexuel), puis passe par le blog de la  demoiselle i’m so excited sous-titré just another fucked up teenage queen. Judy Minx y parle de sa vie et de ses engagements.

    Dans son billet du cinq février deux mille dix, elle narre comment elle a vécu  (comme on dit) la notoriété consécutive à l’article de Rue Quatre-Vingt-Neuf, s’étant sentie un peu submergée : « Je suis une guerrière, mais je suis aussi une petite fille. » explique-t-elle, ajoutant :

    « Certains dans les commentaires disent que je suis beaucoup plus étudiante qu'actrice porno, et c'est vrai, d'un point de vue économique, la catégorie socio-professionnelle à laquelle j'appartiens, c'est étudiante. Actrice porno, dans mon cas, ce n'est pas vraiment mon métier. On pourrait dire "elle a tourné dans des pornos". Cependant je choisis de me définir comme actrice porno, de dire que je SUIS actrice porno et pas simplement que je FAIS du porno : je choisis de m'identifier à ce job. Ce choix de faire de ce job mon identité, c'est un choix politique. Parce que justement je ne suis pas ce que les gens ont à l'esprit lorsqu'ils parlent d'une actrice porno. Parce que faire du porno n'est pas considéré comme un choix valide pour "une jolie jeune fille comme moi". Une jolie jeune fille comme moi qui pourrait très bien faire autre chose puisqu'elle fait des études, a une vie plutôt privilégiée, à l'abri du besoin, ne peut pas avoir vraiment choisi de faire ça. Et si vraiment j'ai choisi, ça ne peut pas être un choix éclairé, je dois être idiote, naïve, inconsciente des conséquences, et un jour ou l'autre je le regretterai. Et c'est clair, la société dans laquelle on vit fait tout pour punir les femmes qui dévient du droit chemin, pour le leur faire regretter. Mais je me suis toujours sentie beaucoup plus proche des personnages de putes que des personnages de femmes respectables. »

    Judy Minx est également très active du côté du militantisme (affreux mot). Elle est engagée (autre mot affreux) dans le mouvement sex-positif :

    « Le mouvement sex-positif est un mouvement qui lutte pour que la sexualité ne soit plus liée à la honte, au tabou, à la culpabilité. Que tout le monde puisse avoir accès à la sexualité dont il ou elle a envie - homme ou femme, hétéro, pédé, gouine, cisgenre, transgenre, blanc ou non-blanc, riche ou pauvre, "beau" ou moche, poilu-e, gros-se, handicapé-e, séropo, en public ou en privé, tout seul ou avec un ou plusieurs partenaires, en couple exclusif ou non, BDSM ou vanille, à 15 ans ou à 75 ans, dans la chatte et dans le cul et ailleurs et autrement, contre de l'argent ou pas... ça va du droit à l'avortement et à la contraception, au mouvement pour la décriminalisation de la prostitution, en passant par l'accès à une éducation sexuelle non moralisatrice, la reconnaissance des familles polyamoureuses, des recherches épidémiologiques concernant le VIH et les personnes trans'... Bon, et mon militantisme ne s'arrête pas au cul : il traverse les mouvements féministe, anti-capitaliste, LGBT, queer... ».

    Cette jeune fille est bien sympathique.

    Evidemment, après, je vais chercher des photos d’elle sur le Ouaibe et du coup ne me soucie plus des informations que je cherchais because I’m so excited.

    *

    Pierre Tartakowsky, vice-président de la Ligue des Droits de l'Homme, à propos de l’expulsion des squatteurs au bulldozer par le maire communiste de Bagnolet : « Si ce qui est arrivé aux habitants du squat avait été commis contre des animaux familiers, ceux qui sont responsables de ces actes auraient été traduits devant la loi pour cruauté envers des animaux. »

    *

    L’émission L’Atelier littéraire (le dimanche entre dix-sept et dix-huit heures) de France Culture sera remplacée par je ne sais quel prêchi-prêcha relatif au carême, jusqu’à ce que le nommé Jésus veuille bien ressusciter une nouvelle fois. Six semaines de pénitence, voilà ce qui m’attend.

    *

    travailler gagner plus moins, l’œuvre de l’artiste chinoise Ko Siu-Lan est raccrochée depuis samedi après-midi sur la façade de l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts. Le neveu du Mythe Errant (ministre de la Culture) en a donné l’ordre (récupérer ridiculiser plus moins).

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  • Que la Saint-Valentin soit cette année un dimanche, qu’elle coïncide avec le Nouvel An chinois, quoi de mieux pour faire la fête avec elle dès le samedi soir.

    Elle arrive de Paris avec un sac de chez les frères Tang et j’ai trouvé le complément à Rouen chez Intermarché, mais la priorité n’est pas à la cuisine. C’est sous la couette que nous valentinons tous les deux.

    Elle m’offre ensuite une très belle édition que l’on ferme avec un ruban noir des dessins érotiques de Klimt (parue au Chêne en deux mille huit) et je lui offre Amour et désir, anthologie de trois cents photographies consacrées à ces sujets choisies par William A. Ewing (parue chez Assouline en mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf) ainsi que deux vêtements, dont l’un ne lui plaît pas du tout mais dont elle fera quelque chose, me dit-elle.

    Le point commun entre la fête chinoise et la fête de l’amour, c’est le gingembre. Nous en usons abondamment. En fond sonore tournent les trois cédés de Klaus Nomi Klaus Nomi, Simple Man et Encore. Le titre du dernier opus est notre programme pour la suite.

    *

    Une fleuriste à Paris un jour de Saint-Valentin, je m’en souviens :

    -Certains hommes m’achètent deux bouquets, un petit pour leur femme, un gros pour leur maîtresse.

    *

    De Jacques Lacan, cette subtile définition de l’amour, entendue l’autre semaine sur France Cul : « Aimer, c’est donner ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas. »

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  • Je termine la lecture de L’Effondrement de Zoltán Szabó, ouvrage publié en deux mille deux aux Editions Exils et sous-titré Journal de Paris à Nice. Zoltán Szabó a vingt-huit ans en mil neuf cent quarante. Il est à Paris grâce à une bourse de chercheur en ethnographie offerte par la France. La défaite de mil neuf cent quarante et la débâcle consécutive bouleversent sa vie. Le voici sur la route avec des millions d’autres civils, dont beaucoup ne savent pas où ils vont. Les précèdent les militaires de l’armée française, en fuite. Lui court après le Consulat de Hongrie. Ses rêves se sont écroulés, il veut rejoindre son pays, y retrouver son enfant.

    L’Effondrement (Journal de Paris à Nice) a paru dès décembre mil neuf cent quarante en Hongrie chez Nyugat. Zoltán Szabó y narre ainsi l’exode :

    Quelle bousculade démente et sauvage où les participants n’obéissent pas à la raison, mais à un instant primitif et impérieux, et ils avancent, ils avancent, peu importe où, n’importe où ! Sans argent et sans but. Ils ne se demandent même pas s’ils vont pouvoir dormir quelque part ni ce qu’ils vont manger. Ils marchent inexorablement, comme les somnambules ou les forcenés, le regard fixe, le visage fermé, exténués, à la chasse de l’essence ou du pain à chaque arrêt, Dieu sait où. C’est une chose insensée et féroce, cette fuite résolue et obstinée, les derniers efforts du corps, quand le cerveau fonctionne à peine mais les muscles et les nerfs continuent à bouger et à sentir.

    Derrière, les troupes nazies avancent. Szabó fait une chute de vélo, il est épuisé mais pas résigné (malgré ma jambe estropiée, je descends pour faire un tour dans la ville). Il croise deux ouvriers en route pour La Rochelle où leur usine s’est repliée :

    Les troupes allemandes stationnent en Normandie. D’après les informations, ils ont déjà occupé Rouen, la ville où les Anglais ont brûlé Jeanne d’Arc. Nous parlons de Rouen. Tous les deux l’ont visité. Ils se souviennent du Gros-Horloge, de la cathédrale, du donjon de Jeanne d’Arc, notre conversation porte longuement sur le gothique flamboyant. Je ressens presque de l’affection pour ces ouvriers qui, morts de fatigue sur la route entre Paris et La Rochelle, après avoir fait deux cent dix kilomètres à bicyclette, à Château-Renault, ont encore la force de venir dans un café pour y parler du gothique flamboyant, du caractère national des Français, d’écrivains morts ou contemporains, de leur camarade hongrois qui est remarquable au travail et un bon compagnon à table, qui est à l’aise parmi eux, les accompagne à Rouen pour visiter la cathédrale et qui parfois, quand le mal du pays le prend, leur parle de saint Etienne ou de Petőfi…

    Il sait que c’en est fini du monde d’hier, que les destructions seront immenses, nostalgique par avance :

    O Lisieux ! Tes minuscules places et tes rangées de maisons, ta petite place triangulaire avec sa calme fontaine, ton église Saint-Jacques, vétuste, non restaurée et majestueuse ! Dans la cathédrale, le banc habituel de la petite Thérèse ; au loin, en haut, les collines vertes de Normandie, dans tes vieilles rues un antiquaire, puis, sur une place de poupée, L’Auberge de la Petite Marquise abritant dans ses chambres des cheminées grandes comme des portes.

    Après la guerre, Zoltán Szabó revient en France comme attaché culturel de la légation de Hongrie à Paris. En mil neuf cent quarante-neuf, il démissionne pour protester contre le stalinisme qui s’installe dans son pays où il ne retournera jamais. Il devient correspondant culturel de Radio Free Europe à Londres puis revient en France finir sa vie à Josselin dans le petit presbytère face au château des Rohan, à côté du cimetière où il est enterré.

    J’ai un nouvel ami mort, à qui j’irai dire bonjour lors d’un prochain vagabondage en Bretagne.

    *

    Elle me raconte qu’elle est allée chez Hippy Market à Paris et que le prix des frusques y est bien plus élevé qu’à Rouen : « Je vais voir le vendeur en lui disant qu'à la boutique de Rouen c'est plus que deux fois moins cher, il me répond :"chuuuut !"... »

    *

    C’est l’année du Tigre. Je me demande ce que devient Chyi, étudiante à Pékin, avec qui j’ai tant correspondu par mails et par lettres jusqu’à ce que son copain jaloux lui interdise de m’écrire.

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  •             Il fait trop froid ce vendredi. Suivant le conseil de mes voisins de l’autre soir à l’Opéra de Rouen, je renonce au concert donné par le Collegium Vocale Gent à Saint-Vivien. Je sais que ce sera encore pire le soir venu à l’intérieur de l’église, et encore plus sur le parvis où il faudrait attendre pour avoir une bonne place, mal assis certes, mais pas trop loin afin d’y voir quelque chose.

                Pourquoi donc cette ville n’a-t-elle pas encore son Auditorium, celui que la Région construit rue Orbe dans l’ancienne chapelle du Lycée Corneille depuis je ne sais combien de temps ? Où en sont les travaux ? Ayant à faire quelques courses dans le quartier, j’y vais voir.

    Eh bien, rien ne bouge derrière les palissades métalliques peintes en rouge sur lesquelles on annonce fièrement « Restauration de la Chapelle Corneille » « La Région crée un Auditorium ». Il n’y a pas trace d’un ouvrier. Je demande à une dame qui habite non loin. Elle me répond que oui parfois on y travaille, mais pas souvent.

                Sur un panneau devenu mal lisible, je vois que les travaux ont débuté fin juillet deux mille quatre : « Durée prévisionnelle : quinze mois ». Je ne sais si cela fait référence à la totalité des travaux ou à une première tranche. Ce dont je suis sûr, c’est que ça traîne de façon rouennaise. Il est des endroits où le temps passe plus lentement qu’ailleurs.

                En revanche, il en est d’autres où il avance à grand pas, je lis sur Ouiquipédia à l’article Rouen : « La « chapelle » du lycée Pierre-Corneille, troisième église de Rouen pour ses dimensions intérieures, œuvre à la fois classique et baroque (…/…) abrite l'auditorium de région ».

    *

                Café Le Grand Saint-Marc, un trio s’installe trop près de moi, une jeune femme avec un bébé, le père avec un biberon et un ami du couple. Elle change l’enfant sur une table. Le père lui donne maladroitement à manger. La mère s’inquiète : « Ne le secoue pas comme ça, tu sais bien qu’il a le cerveau qui flotte ! »

                -Ça te donne pas envie ? demande-t-elle à l’ami.

                -Non non, affirme-t-il.

                Elle prend le bébé dans ses bras :

    -Je me demande comment j’ai pu sortir un truc comme ça.

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  • Mercredi et jeudi derniers, Paris avait l’air printanier. Une semaine plus tard, le calendrier officiel reprend le dessus, il pèle. Un vent glacial balaie les ponts et les rues. Les chauffages d’extérieur de la maison Boulinier sont en marche. Je trouve ce gaspillage moins choquant quand c’est moi qui en profite. Cependant, ils peinent à réchauffer autre chose que ma tête et c’est les doigts gourds que je fouille dans les bacs à livres, sans grand succès.

    Je n’ai pas plus de chance chez les deux Gibert. A onze heures, la neige se met à tomber. Je me mets à l’abri chez mon kebabier favori, rue Saint-Séverin, où l’on me salue d’un « bonjour chef ». Salade, tomate mais pas d’oignon, j’ai rendez-vous avec celle qui étudie durement l’architecture intérieure à dix-sept heures trente à Beaubourg.

    Je regarde, en mangeant, la neige qui vole. Elle vide la rue de la foule habituelle. Seul(e)s quelques pressé(e)s l’empruntent (comme on dit). On se croirait à Rouen où, hormis les quelques rues sur fréquentées, le mot de Roland Barthes s’applique : Centre ville, centre vide.

    La neige a presque cessé quand je prends le chemin de la rive droite. Je passe un certain temps chez Mona Lisait, rue Saint-Martin, pour pas grand chose. Dehors, il fait décidément trop froid. Je me réfugie au Centre Pompidou où je visite une nouvelle fois l’exposition Soulages. Quand je redescends au niveau des collections permanentes, la neige reprend. Je distingue à peine l’Arche de la Défense et la Basilique du Sacré-Chœur. Paris est tout enfloconné.

    Rien de neuf chez Pompidou, hormis une salle CoBrA et une salle Dubuffet. Je considère des branlotin(e)s allemand(e)s qui, par groupes de cinq, courent en tous sens. Chacun(e) a en main une liasse de photocopies en couleur montrant des détails de tableaux. Il s’agit de retrouver les originaux. Jamais ces malheureux et malheureuses ne prennent le temps de s’arrêter pour regarder une œuvre. Je connaissais ce genre d’exercice pédagogique lamentable pour l’avoir vu pratiquer en maternelle. Au lycée, c’est la première fois que je vois ça.

    La neige a cessé quand je prends place à La Mezzanine avec café verre d’eau et livre à lire. Il s’agit d’Après le tremblement de terre, recueil de nouvelles signées Murakami Haruki, parues chez Dix/Dix-Huit. Le tremblement de terre de Kobe (mil neuf cent quatre-vingt quinze) est évoqué dans chacune, y jouant un rôle secondaire.

    Elle arrive à l’heure dite, pas au mieux de sa forme. Au vingt et unième siècle, faire des études c’est comme avoir une maladie fatigante et douloureuse.

    Quand elle a un peu récupéré, nous allons rive droite dîner dans un restaurant à dix euros (soupe à l’oignon, viande avec frites, mousse au chocolat). Nous optons pour l’un de la rue Saint-Séverin. Le sympathique patron branche sur notre table un réchaud électrique afin que nous nous réchauffions plus vite. Elle commande pour parfaire un demi pichet de côte du Rhône.

    Le repas terminé, nous prenons le métro à Saint-Michel, elle dans un sens, moi dans l’autre. Face à face, sur un quai différent, nous nous regardons nous séparer.

    Au bout de la ligne Quatorze, quatre solides policiers cernent un cageot de litchis. Le vendeur à la sauvette est déjà loin. Que vont-ils faire de ces fruits exotiques ? Les offrir à leur femme en rentrant ou les brûler comme vulgaire haschich ?

    Le train qui me ramène à Rouen se traîne. Il s’arrête même soudain. « En pleine voie », nous dit la voix du contrôleur, qui ajoute : « pour votre sécurité, veuillez ne pas tenter d’ouvrir les portes, ni de descendre de voiture ». Nul(le) n’y songe. On attend que ça reparte. Ça repart au bout d’un quart d’heure. Un nouveau message du contrôleur explique l’incident par un rail cassé.

    J’essaie de ne pas m’endormir, incapable de lire. J’ai terminé Après le tremblement de terre. Je me demande comment le premier Murakami lu m’avait autant plu. Depuis, les autres me déplaisent ou ne me plaisent qu’à moitié. J’y trouve notamment trop de dialogues. Dans celui-là, ceci, qui me fait penser à quelqu’un : J’écris des nouvelles. Elles sont publiées dans une revue littéraire. Et personne ne les lit.

    *

    Difficile de passer de la rue Saint-Romain à la rue du Gros. Les travaux de démolition du Palais des Congrès rouennais débutent. On installe des palissades, on prépare des passages protégés pour les piéton(ne)s, on jette des cochonneries dans des bacs. Il est question de commencer par le désamiantage. Je me demande qui va faire ça (et dans quelles conditions).

    *

    La Police qui met en garde à vue et menotte trois branlotines, dont l’une dans son vêtement de nuit, pour un crêpage de chignon à la sortie du collège. C’est son premier boulot aujourd’hui, mettre du monde en garde à vue, augmenter chaque mois son score pour complaire au Tout Puissant de la République. Il s’agit aussi de faire peur, et pas seulement aux collégiennes.

    *

                Cette maladie contagieuse, la sarkoze, a atteint Henry-Claude Cousseau, le directeur de l’Ecole Nationale des Beaux-Arts, sise à Paris. Il vient d’ordonner le décrochage d’une œuvre pourtant anodine de l’artiste chinoise Siu-Lan Ko travailler gagner plus moins composée de quatre banderoles géantes (à lire dans l’ordre que l’on veut) installées sur la façade de l’Ecole mercredi matin (mercredi après-midi, plus rien). « Venant de Chine, je ne comprends pas cette censure brutale en France, et surtout dans l’une de ses écoles d’art les plus anciennes, qui est supposée encourager la liberté d’expression. Cela montre le degré de conservatisme du climat politique et le degré de peur de Sarkozy » a déclaré Siu-Lan Ko, m’apprend Libération. Henry-Claude Cousseau est pourtant lui-même poursuivi pour l’exposition Présumés innocents.

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  • L’autre semaine, je reçois un mail de Maxime C. :

    « J’ai lu votre article concernant le concert de Philip Glass. Personnellement, je trouve ce compositeur insupportable à la fois d'intelligence politique (carriériste) et de prétention à faire prendre pour de la "grande musique" sa musique d'ambiance (ou d'agrément) pondue au kilomètre. Les documentaires traitant de lui ne parlent jamais de musique, mais uniquement de son occupation professionnelle (débordante)... Il est ennuyeux, prétentieux, il a fait d'une seule formule toute une carrière. Fortiche !  On est loin de Steve Reich et de Terry Riley, qui se sont renouvelés, et que j'ai connu de la même façon, par les médiathèques, sans a priori, ne connaissant des personnages que leur musique. Glass est peut-être le seul compositeur (de tous les temps !) qui ne m'ait jamais éveillé le moindre intérêt. Alors quand un pékin lambda dit que Mick Jaegger est un génie, je souris avec un peu de pitié, mais cela ne me défrise pas, c'est l'avis de Mr. Michu. Mais lorsque quelqu'un réputé sérieux dit que Glass est un Génie, là je suis en colère. On a entendu dire que ce type était influencé par l'Inde, lui qui est tout juste fichu de plaquer des accords parfaits ou presque ! Allez trouver un quart de ton chez Philip Glass ! Ou alors expliquez-moi qu'est-ce qui, dans sa musique peut rivaliser avec le niveau de la cheville des autre compositeurs de son temps. »

    Je lui réponds ceci :

    « Je n'ai pas écrit un article. Ma démarche est littéraire. Il s'agit d'un Journal. Ce que vous n'avez pu comprendre étant arrivé là par hasard après avoir tapé "philip glass musique d'ambiance" sur Gougueule, comme me l'apprend la page d'administration de mon blog. 

    Vous pourriez ouïr ce que l'on dit de Philip Glass sur France Musique ou lire ce qu'on en écrit dans les revues spécialisées, mais je ne vous le conseille pas, je sens que vous êtes quelqu'un qui a besoin de vivre avec ses certitudes, gardez-les. »

    Ce qui me vaut en retour :

    « J'aime cette façon de ne pas répondre, mais quand même, avez-vous seulement écouté son ridicule concerto pour violon, qui n'est qu'un incongru pastiche de Vivaldi... Faire du Vivaldi en 1987 !!! Philippe Glass devrait plutôt diriger Rondo Veneziano, et ce n'est pas France Musique, que j'écoute par ailleurs, ni même le site de l'Ircam (qui perd de la crédibilité en prenant ce mec au sérieux) qui me feront changer d'avis ; non pas, comme vous dites, parce que je m'accroche à  mes "certitudes" (je l'ai écouté sans à priori au départ, je vous le redis), mais parce que les défenseurs de Philippe Glass sont incapables de défendre sa musique avec un peu de raison, et surtout ne savent pas répondre aux arguments critiques autrement que par la disqualification et l'attaque personnelle ; ils sont un peu comme des sarkozystes... En cela, vous êtes un admirateur type de Philippe Glass ! »

    Je laisse tomber. Il est évident que je ne peux rivaliser avec le niveau de sa cheville (comme il dit).

    *

    Maintenant que les télés inversent les images pour qu’on n’y voie pas les marques sur les vêtements, ne reste aux fabricants qu’à y écrire à l’envers, comme sur cette ambulance qui apparaît dans mon rétroviseur et que je laisse passer.

    *

    Vient de paraître aux Editions Alan Sutton Flâneries à Rouen de Daniel Caillet. En couverture de ce livre, ma demeure. C’est me faire beaucoup d’honneur.

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  • Celle qui me tient la main m’invite à boire un verre en ville (comme on dit). Avant de rejoindre le bar choisi, nous vagabondons dans les rues rouennaises, intrigués par ces oiseaux sans nombre qui occupent bruyamment la Cathédrale depuis des mois. Il me semble que ce n’était pas ainsi les autres années et nous nous demandons s’il ne faut pas y voir un présage, bon ou mauvais. C’est samedi soir.

    Au Rêve de l’Escalier, elle feuillette un épais volume consacré à la vie des saint(e)s, ouvrage sadien qui raconte de bien bonnes histoires, ainsi celle d’Agathe aux seins arrachés à la tenaille. Depuis cette épreuve, Agathe la sainte protége des tremblements de terre (absente d’Haïti ces dernières semaines).

    Il est temps de se rapprocher du Bistrot Percière, dans la rue du même nom où le restaurant arabe Mon Village a disparu, je le constate, remplacé par un énième kebabier. Au moment d’entrer, nous avisons deux couples avec enfants en bas âge qui souhaitent en faire autant. Gasp ! Nous changeons de programme : le Vicomté ou le Pub Yesterday ?

    Elle choisit l’Irlande, rue du Moulinet. En chemin, rue des Basnages, je l’invite à entrer au numéro trois chez Hippy Market. Cette fringuerie est ouverte depuis septembre deux mille neuf, pour laquelle une jolie fille m’avait donné un flayeure il y a quelque temps, en qui je reconnais la responsable de l’endroit. Une odeur caractéristique de vieux vêtements nous accueille mais ici nous ne sommes pas chez Boltanski, il est question de faire revivre ces frusques, pas seulement celles de la mode hippie. Il en est de toute nature et de toute époque entre mil neuf cent cinquante et deux mille, en fond sonore les Beatles.

    Elle reviendra c’est sûr, me dit-elle, ou peut-être ira-t-elle dans le deuxième magasin ouvert en octobre dernier à Paris au numéro trois de la rue de Turbigo dans le quartier des Halles.

    Elle appuie sur la sonnette et la porte du Pub Yesterday nous est ouverte. Derrière le bar officie le maître des lieux devant une clientèle d’habitué(e)s debout. La musique est évidemment irlandaise et de qualité. Nous choisissons la table sous le piano cloué au plafond et commandons un brayon.

    Trois ingrédients font le brayon : de la bière, du calva et du cassis. On sent surtout la bière et je m’étonne moi-même d’en boire.

    *

    Bar Le Fleuron, rue Ecuyère, télé sans son, mauvaise radio : un homme à chapeau de coveboille joue à des grattages : gagne quinze euros, rejoue le tout : gagne cinq euros, rejoue et perd tout.

    *

    Une fille à celui qui est avec elle : « La douleur n’est qu’une information, sache-le. »

    *

    Je lis L’entretien d’Elfriede Jelinek avec Christine Lecerf (Editions du Seuil) : « Rien ou presque n’est formulé directement dans ce que j’écris. Tout est toujours réfracté par une littérature qui elle-même existe déjà. Des lambeaux de textes étrangers à ma langue surgissent toujours ça et là, s’emparent d’elle et en transforment le rythme. »

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