• Programmation inhabituelle ce samedi à l’Opéra de Rouen, de la chansonnette portugaise avec Mísia, j’y suis avec celle qui m’a exceptionnellement rejoint dès vendredi soir. Elle n’a pas de place et en attend une à cinq euros. Cela va être possible car beaucoup d’abonné(e)s ne sont pas là : « Quoi de la variété à l’Opéra, vous n’y pensez pas ! »

    Je suis en corbeille pas trop mal placé, un fauteuil que j’abandonne pour la rejoindre dans une loge que nous avons pour nous deux. Dans la voisine, un abonné qui la quittera avant la fin du concert.

    Je sais pour avoir récemment écouté cinq émissions documentaires de France Culture consacrées au Portugal à quel point le fado y est mal considéré par celles et ceux qui pensent, musique compromise avec le fascisme de Salazar hier, musique pour touristes aujourd’hui, mais je m’en moque j’aime ça.

    Mísia chante pieds nus en noir, accompagnée de ses quatre musiciens : Guilherme Banza à la guitare portugaise, Daniel Pinto à la basse acoustique, Joao Bengala à la viola de fado et Luis Cunha au violon. Elle chante les poètes de son pays, notamment Fernando Pessoa. Elle chante aussi en turc, en italien (une chanson de Luigi Tenco, l’amoureux suicidé de Dalida) et en français (Les Mots d’amour d’Edith Piaf, a cappella). Elle parle aussi beaucoup, un peu trop pédagogue, mais parfois intéressante, ainsi quand elle s’insurge contre le mauvais sort fait à la statue de Fernando Pessoa par les troupeaux de touristes « Pessoa vivait seul, il buvait seul, il écrivait seul ».

    Je sors content de ce concert, celle qui m’accompagne un peu moins, énervée par les discours de la chanteuse. « Elle se la raconte un peu », me dit-elle, une expression dont j’ai horreur mais je ne lui en veux pas, elle vient de passer presque deux semaines en permanence avec celles et ceux qui parlent comme ça.

    Passant devant le Palais des Congrès en destruction, elle s’enthousiasme et regrette ne pas avoir son appareil photo. Elle revient de Riga mais on ne peut pas dire que plus rien ne l’étonne.

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  • Je reçois le dernier bulletin de la seule association dont je sois membre, l’Adéhemmedé (Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité). Il contient un résumé du débat public sur la « proposition de loi relative au droit de finir sa vie dans la dignité » (on saisit la nuance), un texte présenté par Jean-Marc Ayrault, Manuel Valls, Laurent Fabius et plusieurs de leurs collègues du groupe Socialiste, Radical, Citoyen et Divers Gauche. Ce débat s’est tenu à l’Assemblée Nationale du jeudi dix-neuf novembre au mardi vingt-quatre novembre deux mille neuf.

    Le résultat du vote à l’issue fut sans surprise. Deux cent trois député(e)s ont voté pour. Trois cent vingt-sept ont voté contre. Quinze se sont abstenu(e)s. La droite catholique est pour beaucoup dans ce résultat, mais il y a eu du renfort à gauche.

    Qui a voté pour en Seine-Maritime ? Christophe Bouillon (socialiste), Pierre Bourguignon (socialiste), Laurent Fabius (socialiste) et Sandrine Hurel (socialiste).

    Qui a voté contre ? Jean-Yves Besselat (sarkoziste), Daniel Fidelin (sarkoziste), Françoise Guégot (sarkoziste), Jean-Paul Lecoq (communiste), Michel Lejeune (sarkoziste), Daniel Paul (communiste) et Alfred Trassy-Paillogues (sarkoziste).

    C’est encore une occasion qui se perd pour moi de dire merci aux communistes.

    Et Valérie Fourneyron, la socialiste députée maire de Rouen ? Elle n’était pas présente le jour du scrutin. Je ne sais pas quel est son mot d’excuse.

    *

    Dans mon jardin s’épanouissent les fleurs de jonquille, dans les arbres retentissent les chants du siffleur et du merlou et dans les rues raccourcissent les jupes des filles, encore quelques degrés et elles enlèveront leurs collants.

    Ça s’appelle le printemps.

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  • Danse jeudi soir à l’Opéra de Rouen, l’animation d’avant spectacle est assurée par la superviseuse. Accrochée à son téléphone, au bord de la crise de nerfs, elle s’occupe à débrouiller une affaire obscure de couples différents revendiquant les mêmes fauteuils, d’un côté les Dupin, de l’autre les Dupin Beurré. La billetterie s’est un peu mélangée les baguettes. Vu le nombre de places restées libres, les choses s’arrangent et le calme revient.

    Le noir se fait, le rideau s’ouvre sur une tour de lumière. La Compañia Nacional de Danza, sous la direction artistique de Nacho Duato (qui danse aussi), donne Alas, une chorégraphie espagnole vaguement inspirée des Ailes du désir de Wim Wenders et Peter Handke.

    Nacho Duato est un habitué du Théâtre du Châtelet et j’ai déjà vu de quoi il est capable. Je m’attends donc à voir ce que je vois, de la danse néo classique vite ennuyeuse et qui finit dans l’eau. Après d’ultimes éclaboussures, les danseurs et danseuses trempé(e)s saluent, saluent et resaluent à la grande joie des groupes de scolaires (comme on dit) qui applaudissent le rideau se levant et se baissant.

    -Filons vite avant qu’on nous demande d’éponger la scène, dit un de mes voisins.

    A son exemple, je suis vite dehors. Point d’ivrognes dans les rues ce soir, la Saint-Patrick ne reprend que le ouiquennede. Le parvis de la Cathédrale, couvert de poussière blanche, attend la prochaine pluie. Les deux grues à bouche dévorante sont au repos. Elles digèrent. Le Palais des Congrès est bien entamé mais il en reste encore un bon morceau à boulotter. Je passe par le tunnel, du moins ce qu’il en reste, une partie ayant été détruite par la chute des gravats, et me voici chez moi.

    *

    C’est aujourd’hui la Journée du Sommeil, bonne fête à la ville de Rouen (dite la belle endormie).

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  • Mercredi matin, en avance à la gare de Rouen, je furète avec les yeux dans la Maison de la Presse devenue Boutique Relay, titre de Science et Avenir « Vaincre le stress », titre de Management « Surmontez votre stress ». Un homme feuillette cette dernière, il est le portrait craché (comme on dit) de celui qui figure en photo sous le titre. Je quitte la boutique sans savoir s’il l’achète.

    Train (où je lis Un cabinet d’amateur de Georges Pérec) puis métro, me voici place du Châtelet. Sur différents supports, une affichette s’inquiète de la disparition de Johanne, quinze ans et demi, il y a environ un mois le jour de mon anniversaire. Parmi les publicités défilant sur les panneaux Decaux, un message du maire Delanoë annonce fièrement « Rafle du Vél d’Hiv, Paris se souvient ». Il fait beau enfin.

    De librairie en librairie, j’emplis mon sac à dos de livres d’occasion à petit prix. C’est un jour faste, je trouve L’étreinte fugitive de Daniel Mendelsohn, l’auteur des Disparus, un des meilleurs livres que j’ai lu ces derniers mois (Flammarion), Pâle sang bleu d’Alizé Meurisse, J’aimerais tant te jeter mon cœur à la figure (Allia), Les Miroirs et les chaînes de François Garnung, « chronique rêveuse de la passion d’un homme de quarante ans pour une gamine qui n’en a pas quinze » (Phébus), Montevideo, Henri Calet et moi de Christophe Fourvel qui évoque le Henri Calet d’avant la littérature piquant dans la caisse en Amérique Latine (La Dragonne), Mes inscriptions de Louis Scutenaire, celles des années mil neuf cent quarante-trois et quarante-quatre (Allia) et La grande fugue suivie du Dictionnaire du second degré d’André Frédérique, pharmacien, farceur, poète et suicidé (Le Cherche Midi), vingt centimes pour ce dernier ouvrage, c’est donné. J’ajoute à ce butin, pour celle que je dois retrouver à dix-sept heures, Le design industriel (Taschen) et le Journal de l’Abbé Mugnier (Le Mercure de France).

    Un kebab et je me dirige à pied vers le Musée Maillol afin d’y visiter Vanités, exposition sous-titrée C’est la vie. Une première idée La mort, et alors ? a été abandonnée pour cause qu’il ne faut pas effrayer le public. Je n’ai pas peur de voir à quoi je ressemblerai quand j’aurai du vent dans mon crâne comme l’écrivait Boris Vian. Je paie mes onze euros (c’est cher, c’est privé), traverse la librairie qui précède l’exposition (c’est privé) et tente ensuite d’éviter les deux groupes qui visitent collectivement avec des casques sur les oreilles.

    Les grands noms de l’art moderne et contemporain sont là, en vrac : Damien Hirst, A. R. Penck, Keith Haring, Marc Quinn, Jean-Michel Basquiat, Michel Journiac, Douglas Gordon, Pierre et Gilles, Cindy Sherman, Christian Boltanski, Robert Mapplethorpe, Pablo Picasso, Paul Delvaux. Je suis loin d’être exhaustif. C’est presque trop. Toutes ces têtes de mort s’affaiblissent les unes les autres.

    Je m’assiérai bien pour regarder la mort en face. C’est impossible, rien n’est prévu pour cela dans les trois niveaux de l’exposition assez mal foutue. Les visiteuses de groupe casquées y perdent leur conférencière et la cherchent partout bruyamment, à qui je fais aimablement remarquer qu’on n’est pas là pour jouer à cache-cache.

    Avant qu’elles ne me réduisent à l’état de squelette, je retourne voir à l’étage des glorieux ancêtres, la superbe trilogie : San Francisco arrodillado de Francisco de Zurbaran, Saint François en méditation du Caravage, Extase de Saint François de Georges de la Tour, puis à l’étage supérieur le fascinant tableau de Clovis Trouille La complainte du vampire (guillotine au tranchoir sanglant, tête de mort mitrée, sein pendouillant, jeune femme éplorée, cracheur de feu foudroyé).

    Duchamp est requis, sous la forme d’une projection lumineuse de son funéraire « D’ailleurs c’est toujours les autres qui meurent » et l’autre pour l’instant ce n’est pas moi.

    Je regarde la vie dehors, m’assois sur un banc d’un jardin ensoleillé. A mes pieds, une pigeonne se fait sauter par un pigeon pressé.

    Un peu avant dix-sept heures, je retrouve en son école celle que je n’ai pas vue depuis trop longtemps.

    Au Quatre-Vingt-Seize, le café libertaire de Charonne, nous buvons un kir cependant qu’elle me raconte ses aventures et mésaventures lettones, puis mangeons pas loin entrée plat dessert pour neuf euros.

    Il me faut bien rentrer à Rouen. A l’arrivée, je suis surpris par une animation inhabituelle. Des groupes de branlotin(e)s errent, zigzaguant et parlant fort. Une affiche sur un bar m’en rappelle la raison. C’est la Saint-Patrick (ainsi appelle-t-on la Fête de la Bière en Irlande).

    *

    « C’est quoi cette histoire de petite fille que tu avais trouvé au concert de Jean Ferrat ? » me demande-t-elle. Je lui raconte.

    -Elle doit avoir quarante-cinq ans maintenant, me fait-elle remarquer. L’âge de ma mère. C’était peut-être elle.

    J’en doute un peu.

    *

    Je reçois un message du service juridique d’Overblog. Une mécontente demande le retrait de deux de mes billets. « Merci de faire le nécessaire si cette demande est justifiée » me dit-on. Je réponds. « Cette demande n'est pas justifiée. Ces textes ne sont ni diffamatoires, ni injurieux. Je les maintiens. »

    *

    Musée : adjectif dans « Rouen, cette ville si jolie, si musée ». (André Frédérique : Dictionnaire du second degré)

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  • Je passe tous les jours devant, alors ce mardi j’entre à La Rose des Vents (boutique d’un peu de tout rue Saint-Nicolas) pour mieux voir les petits dessins d’emiligraziotti regroupés sous le titre drawing. Un tiers sont en vitrine, les deux autres tiers sur deux murs à l’intérieur.

    emiligraziotti est une ancienne élève des Beaux-Arts de Rennes, elle vit à Rouen et s’intéresse beaucoup au sexe féminin, ce pourquoi ses dessins ont attiré mon œil. On y voit des paires de jambes en l’air ouvertes ou ligotées aux extrémités fleuries ou phalliques. C’est frais et mignon et, oserai-je écrire, féminin.

    Pendant que je regarde ces dessins, une jeune femme essaie une robe blanche et une étole de même couleur. Je sens qu’elle va bientôt faire une bêtise. Le futur mari n’est pas là. Le commerçant donne conseil. Je ressors aussi discrètement que je suis entré.

    Rentré chez moi, je fais un tour sur le blog d’emiligraziotti et y suis retenu par ses vidéos : MaNon, l’invaginante, HardCorps première boum, fe-male La Bouche et par la série de photomontages fe-male, bouches effrayantes, attirantes, dévorantes.

    Tout cela moins gentillet que les dessins de La Rose des Vents et que j’espère voir pour du vrai un jour à Rouen ou ailleurs.

    *

    Une liste de gôchunie sans Sébastien Jumel, le nucléo maire communiste de Dieppe, ville dans laquelle l’Esperanza, le navire de Greenpeace, est interdit d’accostage, je me préparais à voter nul au deuxième tour des Régionales juste pour le plaisir de barrer son nom, eh bien je pourrai faire l’abstentionniste dimanche prochain.

    *

    Sur les grilles de l’Ecole Bachelet, près du Conservatoire de Rouen, une affichette écrite à la main : « Les lycéens soutiennent la lutte contre l’expulsion de Melissa ».

    *

    Au Vascoeuil où je prends un café, un couple de sexagénaires.

    Elle : « Il a sa filleule de seize ans, elle était sur Internet toute décolletée ! »

    Lui : « A s’rendait pas compte ! »

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  • Je termine la lecture de L’Art parodic’, l’essai excentrique d’Arnaud Labelle-Rojoux publié chez Zulma (deuxième édition deux mille trois). L’auteur, artiste plasticien, y explore ce qu’on appelait autrefois en mathématiques dites modernes l’intersection entre deux ensembles, celui de la subversion et celui de la déconnade chez les écrivains, plasticiens et musiciens (je laisse tout ça au masculin, les femmes sont peu représentées) car sa question est la suivante : que refoulent les grands airs confits pris par le « grand Art », la « grande Littérature » ou la « grande Musique », ou plutôt que libère ou provoque le défoulé lorsqu’il s’opère à partir de l’une ou l’autre de ces sacro-saintes catégories ? Il va chercher des éléments de réponse chez Alphonse Allais, les Pieds Nickelés, Frank Zappa, Clovis Trouille, les Pin-Up, Marcel Duchamp, Nino Ferrer, Ben, Erik Satie, les Incohérents, Sreamin’ Jay Hawkins  et cætera.

    Cette lecture m’est plaisante par laquelle j’apprends incidemment que le mot calembour vient de celui du héros des Facéties de Bebelius (érudit allemand du seizième siècle) le curé de Calemberg et que ce pauvre Catulle Mendès est mort broyé par un train sous le tunnel de Saint-Germain en mil neuf cent neuf.

    Je me réjouis d’y voir les Belges à l’honneur sous la forme d’un central Dictionnaire pratique (abrégé) des Belges mytheux compilé en leur hommage dans lequel figurent Wim Delvoye, James Ensor, Jan Fabre, Noël Godin dit Georges Le Gloupier (l’entarteur), Marcel Mariëm (Plaisir d’amour n’est dur qu’un moment), Benoît Poelvoorde, Louis Scutenaire (Le monde se condamne qui pense à Napoléon quand il s’agit d’honneur et à Sade quand il s’agit d’ordure) et l’immense Jean-Pierre Verheggen, l’auteur du Degré Zorro de l’écriture, de Divan le Terrible, de Ninietzsche peau de chien, des Folies-Belgières et de Ridiculum vitae (Acier-toi pas là, ton cul va tout rouiller). Il est des jours où l’on regrette de ne pas être né belgien.

    Un qui manque dans L’Art parodic’, me dis-je en le refermant, c’est Hélios Azoulay. Comme je suis plutôt sociable et altruiste en ce moment (ça m’inquiète, suis peut-être malade), j’envoie un message à Arnaud Labelle-Rojoux aux bons soins de la Galerie Loevenbruck, pour le lui faire remarquer. Il y aura peut-être une troisième édition revue et augmentée (comme on dit).

    *

    Résultats des Régionales à la télévision : mauvaise foi de la droite nationale sarkoziste qui ne veut pas voir que son public l’abandonne, illusion douce des socialistes et des écolos qui ne veulent pas voir qu’en raison de cette abstention leur score est à diviser par deux.

    Divisons par deux,  ici, en Haute-Normandie : ça fait moins de cinq pour cent à la liste Europe Ecologie (phagocytée par les Verts de Rouen) et donc quatre-vingt-quinze pour cent d’électeurs et d’électrices qui lui sont hostiles ou indifférents. Ce qui correspond assez bien à la réalité du terrain : une centrale nucléaire, un éco quartier, et sera la recette pour la confection de la liste de gôchunie du deuxième tour.

    C’est comme la recette du pâté d’alouette : un cheval, une alouette. Je n’aime pas le pâté d’alouette, trop de cheval.

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  • Heureusement qu’il y en a qui courent dans les rues en tenue de sport le dimanche matin tôt, se livrant volontairement à cette fatigante occupation dangereuse pour la santé, sinon à qui pourrais-je m’adresser pour trouver les vide-greniers que je ne sais pas situer.

    Ce jour d’Elections Régionales, un homme en chorte m’indique comment aller jusqu’au Centre Commercial des Bruyères du Petit-Quevilly. Là, les exposant(e)s s’installent  sur le parquigne autour duquel que des magasins de discompte. Je ne m’attends pas à trouver des merveilles et cela se confirme. Je repars du P’tit Cul avec rien qui vaille la peine d’être noté.

    Rentré à Rouen, je fais le tour du Clos, côté bouquinistes et vieilleries diverses. Une dame s’approche d’un vendeur d’assiettes anciennes.

    -J’en ai des assiettes comme ça à vendre, lui dit-elle.

    Il fait le type pas intéressé (vieille tactique de métier) puis demande l’adresse. La dame lui dit de venir l’après-midi quand son mari n’est pas là. Après son départ, le commerçant s’adresse à son voisin collègue.

    -Elle veut garder l’argent pour elle et elle m’a même pas demandé le prix où j’les vends, c’est bon.

    Un autre qui essaie de faire des affaires ce matin met en avant un trente-trois tours de Jean Ferrat, mort la veille en tombant de son lit à l'Hôpital d'Aubenas.

    -Jean Ferrat qui meurt, c’est le dernier des grands qui s’en va, après Léo Ferré, Georges Brassens et Jacques Brel, a dit hier soir Michel Drucker dans ma télévision.

    Il ne faut pas exagérer. Le dernier mort n’est pas à la hauteur des trois premiers. Egoïstement, je pense que c’est encore un morceau de mon enfance qui s’en va. Le Ferrat du début, c’est celui que j’aime toujours, que j’écoute encore sur la route des vacances avec celle qui revient aujourd’hui de Riga, le Ferrat de Ma môme, La Montagne, Nuit et brouillard, Deux enfants au soleil, Federico Garcia Lorca, Les Nomades, Mes amours, La Fête aux copains, C’est beau la vie, Quatre cents enfants noirs, Nous dormirons ensemble et De Nogent jusqu’à la mer :

    Tu t'éveilles et tu souris
    De Nogent jusqu'à Paris
    Je t'enlace doucement
    De Paris jusqu'à Rouen
    C'est l'amour qui nous est offert
    De Rouen jusqu'à la mer
    La mer où les amoureux
    Peuvent s'embarquer
    Du Havre vers le monde entier

    Après, il y a le Ferrat compagnon de route du Parti Communiste (comme ils disent), lucide sur la Tchécoslovaquie (Camarade), aveugle sur Cuba (Cuba si), mettant en pesante musique de pesants poèmes d’Aragon.

    En quelle année est-ce que j’ai vu et écouté Jean Ferrat dans le parc du Château des Sablons au Vaudreuil pour la fête de la section de l’Eure du Parti Communiste ? Je ne sais plus. C’est forcément avant mil neuf cent soixante-douze, date à laquelle il a cessé de chanter en public. Lors de ce concert, j’ai trouvé une petite fille perdue.

    Le Château des Sablons appartenait alors à l’une des villes de la banlieue rouge (comme on disait aussi) de Paris. Elle y faisait ses colonies de vacances. Aujourd’hui, il est en ruine pour avoir été inclus dans le périmètre de Val-de-Reuil, la ville nouvelle qui n’a pas tenue ses promesses.

    Vais-je ou non voter pour ce premier tour des Régionales ? C’est la question qui me trotte dans la tête toute la matinée.

    Vers midi et demi, après avoir jeté dix bulletins de vote à la poubelle, je jette celui du Hennepéha dans l’urne au lycée Camille Saint-Saëns. C’est juste pour dire non. Je ne suis pas un compagnon de route des trotskystes.

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  • Dilemme vendredi soir, vais-je aller au vernissage de l’exposition Explorama de Marc Hamandjian au Frac Haute-Normandie ou à celui (double) des nouvelles expositions du Pôle Image. Je choisis la photo.

    L’acte un se passe à dix-sept heures trente au Pavillon Germont du Céhachu où j’allais dans les années quatre-vingt pour le dépistage anonyme et gratuit du Véhihache. J’y étais un numéro. Ce vendredi soir, j’y suis un inconnu. Florence Brochoire expose dans cet hôpital, sous le titre Etre singuliers, les photos qu’elle a prises à l’Hôpital Psychiatrique de Navarre, sis à Evreux, dans le quartier éponyme.

    Le lieu d’exposition n’est pas très approprié. On y trouve déjà une installation de je ne sais qui composée d’une série de sculptures de têtes d’enfants soclées posées au sol et d’une échelle de corde torsadée reliant le sol à un plafond en miroir. Ça gêne. Le public du vernissage est essentiellement médical et parle boutique. Tiens, voici qu’arrive la Sénatrice. C’est l’heure des discours : félicitations et remerciements. Denis Lucas, chargé de mission régionale Culture à l’hôpital et attaché culturel du Céhachu de Rouen, cite le peintre Robert Filliou « L’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art ». Robert Filliou n’est pas peintre, mais on ne peut pas tout savoir.

    Florence Brochoire a photographié malades et soignant(e)s en situation, puis a fait le portrait en quatre photos de certain(e)s. Ces portraits sont légendés par les propos des sujets. Me réjouissent ceux de l’un des malades :

    « Je laisse toujours la veilleuse de ma chambre allumée la nuit. Ça évite qu’on vienne me voir. »

    « Je crois en Marie, Joseph et Sainte-Thérèse de l’enfant Jésus mais pas au Christ. Le Christ, c’est un charlatan. »

    « Qu’est-ce que vous emmèneriez comme objet sur une île déserte ? Une femme. »

    L’acte deux se passe à dix-neuf heures à la Galerie Photo du Pôle Image, rue de la Chaîne, où sont exposées les photographies prises à l’Hôpital Psychiatrique de Navarre par l’Allemand Peter Granser sous le titre (repris des déclarations d’un malade mental) J’ai perdu ma tête. Nous sommes là dans la catégorie supérieure. Cadrage, lumière, mise en scène, rien n’est laissé au hasard. Ces images rendent parfaitement la souffrance, que ce soit en montrant un mur où figure la trace d’un coup de poing ou des draps froissés ou un groupe de malades serrés les uns contre les autres sur un immense gazon ou des hommes crispés devant un mur orange ou des visages sidérés en plan rapproché.

    Autres discours mais sans la Sénatrice, Peter Granser conseille aux présent(e)s de revenir un autre jour pour mieux percevoir les images. Je bois un verre de vin blanc et demande à Florence Brochoire si c’est volontairement que dans son texte de présentation au Céhachu elle parle de gens « saints d’esprit ».

    -Ah non, je n’ai pas vu, c’est une coquille.

    Je lui conseille de ne pas corriger et elle en est d’accord.

    Les deux expositions s’attachent à montrer qu’il y a peu entre la santé mentale et la maladie mentale, ce que chacun(e) sait.

    Je me souviens d’une kermesse à l’Hôpital Psychiatrique de Navarre (en soixante-treize ou soixante-quatorze) où j’étais venu en voisin quand j’habitais cette pseudo communauté aux Baux-Sainte-Croix : impossible d’y différencier malades, soignants et visiteurs.

    En Mai Soixante-Huit,  ma grand-mère Eugénie devenue folle est morte à Navarre. Ce fut toute une affaire pour l’enterrer, les employés des Pompes Funèbres étant en grève comme tout le monde.

    *

    Navarre, quand j’étais enfant à Louviers, cela voulait dire chez les fous. « La femme d’Untel est partie à Navarre », « Untel va finir à Navarre », et cætera. Une chose que je ne comprenais pas, c’était comment on pouvait être Roi de France et de Navarre.

    *

    Samedi matin, j’entre chez King Kong, le monstre des affaires, rue de Crosne. L’été dernier, j’y ai trouvé des vins de bonne provenance, bradés, dont certains se sont révélés imbuvables. Cette fois, j’y trouve le Guide deux mille cinq des restaurants routiers pour un euro quatre-vingt-dix-neuf.  Je demande un sachet à la dame :

    -C’est trois centimes, me répond-elle, vous voyez c’est écrit là en gros.

    Pour l’instant, le ticket de caisse reste gratuit, sur lequel mon achat est appelé gadget.

    *

    L’après-midi, café verre d’eau, je lis Théâtre intime de Jérôme Garcin, acheté le matin même au Clos parce qu’on y croise Georges Perros. La scène se passe au café Le Métropole, rue de la Jeanne, établissement qui se vante sur son mur d’avoir eu comme clients Jean-Sol Partre et la duchesse de Bovouard. Nous sommes une demi-douzaine à l’intérieur. Soudain, on s’y met à ranger les chaises, à passer la toile et à inviter les client(e)s à payer et déguerpir. Il est quatre heures moins le quart. C’est ce qui s’appelle faire la fermeture. Un peu tôt peut-être.

    *

    Je retrouve ça, noté sur un bout de papier, tiré du Journal de Georg Lukács, écrit par lui le vingt-sept avril mil neuf cent dix : Il va bien se passer quelque chose un jour.

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  • Des problèmes d’électricité bourdonnante et d’incompatibilité entre ordinateurs tendent l’atmosphère quand j’arrive jeudi un peu avant quinze heures dans la salle qui sert d’auditorium à l’Ecole des Beaux-Arts de Rouen pour y ouïr un concert donné par Rainier Lericolais en complément de l’exposition Intangible du même présentée en ces lieux il y a un mois.

    Rainer Lericolais reste calme. Il y a ici un orgue de Barbarie sur lequel on peut au moins compter.

    Je m’assois au fond de la salle en compagnie de Jean-Pierre Turmel, lequel m’offre l’exemplaire numéro quatre-vingt de Mité Magazine, une coproduction Sordide Sentimental/ Rainier Lericolais incluant un cédé. Mité signifie Regarde en japonais et le cédé est une compilation par laquelle l’artiste rend hommage à ses ami(e)s. Arrivent Le Major avec sa caméra (Sommes-nous toujours brouillés ? (comme dirait Félix Phellion). Oui) et un journaliste anonyme de ma connaissance avec son stylo.

    Les problèmes techniques se résolvent. Je reçois un deuxième cadeau des mains de Catherine Schwartz, cheville ouvrière (comme on disait autrefois) d’Intangible et de ses suites, le numéro spécial trilingue, français, anglais, japonais, coproduit par Sordide Sentimental de ParAître (journal de l’Ecole Régionale des Beaux-Arts de Rouen) incluant un disque quarante-cinq tours.

    Catherine Schwartz le présente ainsi :

    « Le disque qui accompagne une partie des exemplaires de cette édition est un 45tours: il s'agit là non pas de nostalgie technique mais bien de contact analogique. Il fut conçu par Rainier Lericolais avec la participation de collaborateurs de longue date : Geoffroy Montel (label Brocoli et membre du groupe Minizza), David Sanson (avec lequel Rainier Lericolais fonda son premier groupe), l’omniprésente Lili-Kim, et Simon Fisher Turner (musicien anglais auteur de nombreuses musiques de films -notamment pour Derek Jarman- et du projet noimage avec R.L.) ainsi que de Stephan Eicher, qui saisit cette occasion de s’associer pour la première fois à un projet de Rainier Lericolais en proposant une « traduction » expérimentale et sensible du texte de Jean-Pierre Turmel. »

    Arrivent tranquillement quelques beauzarteuses et beauzarteux, pour qui ce concert en deux temps est organisé.

    Caroline Jourdain interprète d’abord à l’orgue de Barbarie une première œuvre de Rainier Lericolais. Celui-ci a reproduit sur le carton les quatre-vingt-huit constellations, pour chaque étoile un trou. La galaxie défile en cinq minutes de musique intersidérale.

    Rainier Lericolais s’installe ensuite devant son ordinateur pour un savant mixage de musiques électroniques et de voix féminine japonaise et masculine allemande pendant que sont projetés sur le mur des films animaliers de Jean Painlevé qu’admirait André Breton. Nous nous instruisons sur Les Amours de la pieuvre et Comment naissent les méduses. La musique, les images, tout cela est très sexuel et dure une demi-heure pour mon contentement.

    L’artiste l’a expliqué, ces films ne sont projetés que parce qu’il est vite lassant de regarder quelqu’un installé derrière un ordinateur. Il n’empêche qu’à l’issue les questions portent sur les coïncidences ou concordances de la musique avec l’image.

    -Je ne vois pas les images, répond-il, elles ne sont là que pour les spectateurs.

    -On peut mettre n’importe quelle musique sur un film et ce sera la même chose, ajoute-t-il, ça marche à tous les coups.

    En réponse à une nouvelle question, il explique comment il procède techniquement pour mixer ses fichiers et puis c’est l’heure de fumer une cigarette dehors, fin de ce concert plus ou moins privé ouvert seulement aux élèves et au personnel de l’Ecole.

    *

    Au Vascoeuil, je lis en grande diagonale un roman écrit en mil neuf cent quatre-vingt-huit par la Chilienne Diamela Eltit, vanté en ces termes par son éditeur Christian Bourgois « Quart-monde fait partie de ces romans « scandaleux » qu’on vouait autrefois à l’Enfer des bibliothèques. » Ce pourquoi sans doute je l’ai acheté il y a bien longtemps, je ne sais plus où (il porte en première page un cachet Ministère de l’Intérieur Centre de Documentation et Dépôt Légal). Rien de scandaleux (même avec des guillemets) dans cette histoire d’inceste entre un frère et sa sœur traitée avec cet onirisme soûlant que l’on trouve régulièrement dans la littérature sud-américaine. Je me suis fait avoir par Christian Bourgois, lequel en a pourtant publié des romans « scandaleux » (c’était dans la décennie soixante-dix), comme ce roman de Gianni Segré intitulé La Confirmation, toujours disponible et réédité en poche au Cercle. Je n’ai jamais pu savoir qui est Gianni Segré.

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  • L’attente est interminable mercredi soir aux portes de la salle de la Halle aux Toiles qui accueille le récital Matthias Stier programmé par l’Opéra de Rouen. Un accordeur de piano n’en finit pas de mettre au niveau celui sur lequel Raffaella Iozzi va promener ses doigts. Je suis l’un des premiers de la file qui s’allonge. Les moins chanceux sont en (dés)équilibre dans le monumental escalier. Près de moi, des dames parlent des premiers films qu’elles ont vus au Nordique (petit nom du Festival du Cinéma Nordique que je ne fréquente pas) et les deux ouvreurs d’un match de foute avec Lyon (ce qui m’intéresse encore moins).

    Le ténor Matthias Stier a vingt-sept ans, m’apprend le livret programme. L’âge de la pianiste Raffaella Iozzi n’est pas précisé (à l’Opéra, on a de bonnes manières). Elle est vraisemblablement plus jeune que lui, ayant terminé ses études de littérature moderne en deux mille sept. L’accordage terminé, tous deux font une répétition express, lui chantant en tournant autour du piano d’elle.

    Le public à bout de nerfs peut enfin entrer. Je me place là où j’aime être. Il reste des places libres quand ça commence. Raffalela Iozzi s’installe. Elle déplie les partitions en accordéon qui lui permettent de se passer de tourneur ou tourneuse de pages. Matthias Stier se case dans le creux du piano. Il chante Robert Schumann pour commencer avec les Dichterliebe (Les amours du poète). Le poète, c’est Heinrich Heine. Etrangement, personne ne tousse ce soir, ce qui me permet de mieux entendre le scouitch scouitch des chaussures frottant sur le parquet d’une nerveuse anorexique ainsi que le bruit des pages tournées par les nombreuses et nombreux qui suivent le texte sur le livret (dans le genre : je me mets à l’allemand ce soir).

    Il n’y a pourtant pas de quoi s’exciter sur les poèmes de Heine (de la tisane). Avec le premier vers de chaque (traduits par Jacques Fournier) et sans en changer l’ordre, je compose mentalement la petite histoire en prose qui évite de les lire tous :

    Au merveilleux mois de mai, de mes larmes jaillissent la rose, le lys, la colombe, le soleil, lorsque je regarde dans tes yeux. Je veux plonger mon âme dans les ondes du Rhin. Je ne t’en veux pas, mon cœur se briserait-il, et si les fleurs, les petites fleurs savaient aux accents des flûtes et des violons quand j’entends la chanson « Un jeune homme aime une jeune fille » par un radieux matin d’été (J’ai pleuré en rêve). Toutes les nuits, je te vois en rêve, de vieux contes de fées, les vieilles chansons méchantes.

    A l’entracte, derrière moi, on s’interroge pour savoir s’il y a encore des poètes. On croit savoir qu’il n’y en a plus (les derniers étaient Mallarmé et Desnos). Tout au moins chez nous, car au Japon on fait toujours des haïkus (« ma belle-fille est japonisante, elle m’en a montré »).

    Arrivent de nouveau le ténor et sa pianiste pour Chanson triste, Extase et Phidylé d’Henri Duparc, en français donc mais incompréhensible, textes de Jean Lahor et Lecomte de Lisle, puis on passe à Francesco Paolo Tosti. C’est la Chanson de l’adieu (texte d’Edmond d’Haraucourt : Partir, c’est mourir un peu et cætera) que Matthias Stier semble prendre au mot car il sort soudain. Il revient avec un pupitre et les textes et partitions des suivantes en italien. Le concert s’achève avec Sole e Amore de Giacomo Puccini, suivi de beaucoup d’applaudissements pour le ténor et la pianiste.

    Ceux-ci saluent, raides et empruntés, encore débutants mais l’air déjà si vieux. Ils donnent en rappel À la musique et La Sérénade de Franz Schubert. Je rentre par le tunnel du chantier de destruction du Palais des Congrès, frôlant la pelleteuse géante grimpée sur son énorme tas de gravats en une étreinte silencieuse et spectaculaire.

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    Après Rouen érotique, Patrice Quéréel prépare un nouvel ouvrage : Rouen scatologique, m’apprend Paris Normandie. Il fait appel au peuple pour l’aider dans sa tâche. Voici ma modeste proposition, trois extraits de la Correspondance de Gustave Flaubert, trouvées dans l’Art parodic’ d’Arnaud Labelle-Rojoux (Editions Zulma).

    Un : Je ne voudrais pas crever avant d’avoir déversé encore quelques pots de merde sur la tête des bourgeois

    Deux : je désire cracher encore des cuves de bile sur la tête des bourgeois

    Trois : il me monte de la merde à la bouche… j’en veux faire une pâte dont je barbouillerai le dix-neuvième siècle

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