• Je passe une partie de la journée de lundi à tenter de joindre le service de réservation du Festival des Transeuropéennes organisé en mars par la Crea (ex Agglo de Rouen) de Laurent le Fabuleux. Jamais je n’obtiens la communication, la ligne est toujours occupée. Le mardi, je recommence. On décroche mais trop tard, plus de place pour les spectacles qui m’intéressent.

     Les salles de l’agglomération rouennaise sont petites. Elles ne peuvent accueillir que quelques centaines de spectateurs. Pourquoi ne pas donner ces concerts gratuits en plein air afin que chacun(e) puisse en profiter ?

    Oui mais alors, plus moyen pour l’organisateur de se féliciter du succès de l’opération en annonçant au micro le nombre de déçu(e)s resté(e)s dehors. Plus moyen non plus pour celles et ceux qui font partie de la Cour de se vanter d’avoir une invite (comme ils disent) leur donnant droit de s’asseoir dans l’une des rangées réservées à leur haute proximité avec le Fabuleux.

    Ce même mardi, je trouve le courrier de la copropriété jeté sous la porte cochère par un facteur ou une factrice qui n’a pas su ouvrir et n’a même pas eu l’idée de sonner. J’appelle le numéro de La Poste figurant dans l’annuaire. Un message m’apprend qu’il n’est plus valable. Il faut désormais appeler un trente-six quelque chose. Je le fais. Un nouveau message me dit de taper Un. Je supporte une musique niaise pendant plusieurs minutes. Une voix féminine me dit qu’elle va me passer le service des réclamations. Je supporte une nouvelle fois la musique niaise. Une voix masculine me dit qu’on va ouvrir un dossier et m’interroge policièrement puis me dit ensuite de patienter. Je supporte une troisième fois la musique niaise. La voix masculine reprend la communisation, me donne à noter un numéro de dossier à sept chiffres, me dit que je recevrai une réponse écrite dans cinq jours. Je lui dis que je m’en fous de sa réponse écrite, que je ne veux pas trouver mon courrier et celui de mes voisins dans la poussière ou la boue demain midi, qu’il fasse donc le nécessaire.

    -Je vous remercie d’avoir confiance dans le services de La Poste, conclut-il.

    -Je n’ai plus confiance dans le service de La Poste, lui dis-je, elle n’est pas encore privatisée mais elle est déjà totalement sarkozée.

    *

    Alors que je sors du Fournil d’Isabelle, rue de la République, avec sous le bras mon pain aux douze céréales, un homme m’interpelle :

    -Excusez-moi, vous n’étiez pas à Torcello la semaine dernière ?

    J’avoue que oui.

    -Vous descendiez du vaporetto quand nous y remontions, me dit-il. J’ai dit à ma femme, ce monsieur-là, je le croise souvent à Rouen.

    *

    Soleil printanier, une fille à sa copine dans la rue : « C’est limite je me mets en jupe ».

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  • Samedi vingt-huit février, dernière journée à Venise, le ciel est bleu, nous laissons nos valises en garde à l’hôtel Città di Milano, reparcourons le Grand Canal en vaporetto et les quartiers de San Polo Santa Croce et du Dorsoduro à pied en tous sens, allant prendre le soleil le long des Zattere.

    A midi, nous déjeunons en terrasse et en chemise à la trattoria bar Pontini au bord du canal de Cannaregio ; le soir venu, valises récupérées, prenons quelques cicchetti et un verre de vin dans un café du Ghetto, il est temps de rentrer en se promettant de revenir. L’arrivée à Paris est prévue dimanche un peu après huit heures.

    Deux couples calmes nous tiennent compagnie dans le compartiment à couchettes. Je dors plus que prévu et elle bien aussi. A sept heures, en nous réveillant, nous constatons que le train est immobilisé en Suisse à Saint-Maurice (Canton de Vaud).

    -Cela fait plusieurs heures qu’il ne bouge plus, me dit-elle.

    Je me renseigne au wagon-restaurant. Il y a eu du vent fort pendant la nuit, des lignes sont tombées, on va repartir quand on pourra.

    Nous prenons un petit-déjeuner basique à neuf euros puis trouvons place assise au bar devant une fenêtre, ce qui nous permet quand le train reprend vie d’admirer le lac Léman et les montagnes enneigées. Nous voici à Montreux, ville de Nabokov, puis à Vevey, ville de Chaplin. Là, nous restons bloqués devant un bâtiment industriel que celle qui m’accompagne entreprend de dessiner. On attend un mécanicien ou un machiniste, je ne sais plus. Un homme à gilet jaune est dans le train qui informe en diverses langues. Le bar ne désemplit pas. Le Français râleur trouve à s’exprimer : « C’est inadmissible » « Je vais me plaindre » « Je veux la facture de mon petit-déjeuner pour me faire rembourser par mon assurance » et tutti.

    Un groupe de branlotin(e)s travaillé(e)s par la libido fait le grumeau près de nous, puis le troupeau s’ébroue, remplacé par un père trop vieux qui fait vomir son moutard dans un sac en plastique. Nous mangeons des petits gâteaux vénitiens et des clémentines.

    Le train repart, passe Lausanne, va comme il peut, nous voici dans la neige du Jura, eaux limoneuses et courantes des rivières, eaux gelées des étangs. A Dole, nouvel arrêt, nous sommes ravitaillés en eau minérale. Elle fume sur le quai. Les toilettes sont de plus en plus dégoûtantes.

    On repart cahin-caha jusqu’à Dijon où nous trouvons refuge dans un compartiment rien que pour nous deux après le départ de celles et ceux pour qui le voyage s’achève dans la capitale de la moutarde. Il est quinze heures. On nous distribue des coffrets-repas. Ce qu’on y trouve est fort bon et nous fait du bien. Il n’empêche que, peu après, nous nous découvrons elle et moi bien plus fatigués que nous le pensions.

    Le train de nuit poursuit son long périple. Il est dix-sept trente heures quand il arrive à Paris Bercy. L’accompagnateur nous dit au revoir. Pour lui l’aventure continue : dans quatre heures, il repartira dans l’autre sens et travaillera toute la nuit.

    Je quitte trop vite celle qui doit rester à Paris. Elle m’embrasse chaudement à l’entrée de la ligne Quatorze. Muni de mon billet valable uniquement pour le train Paris Rouen de dix heures seize dimanche matin, je saute dans celui qui se trouve en gare et part dans cinq minutes, A Mantes-la-Jolie, je crois voir un vaporetto, ce n’est qu’un misérable bus. Sans avoir à m’expliquer avec un contrôleur, j’arrive chez moi à dix-neuf heures.

    Vingt-quatre heures de train, ça ne fait pas que du bien. C’est la faute à Xynthia, fichue tempête, comme je l’apprends juste avant qu’elle ne me téléphone pour savoir si tout va bien. On se dit des mots d’amour, bien tristes de ne plus y être, bien tristes d’être séparés.

    *

    Titres des journaux de Venise la semaine dernière : « Collision de deux vaporetti dans le brouillard » «  Tentative de suicide d’une jeune fille dans son école suite à une désillusion sentimentale ».

    *

    Rouen lundi matin. La grue à forte mâchoire commence à boulotter les ruines du Palais des Congrès. Une lance dont le jet n’atteint que le deuxième étage tente d’abattre la poussière. La télévision régionale est là. Le conducteur de l’engin grignoteur est la vedette du jour. Comme ce doit être jouissif de détruire ce que d’autres ont construit, me dis-je, faisant le badaud.

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  • Celle avec qui je pars en vacances m’attend au bout du quai à la gare Saint-Lazare, samedi vingt février à quatorze heures neuf. Je l’aperçois avant qu’elle ne me voie. Elle dessine un sourire sur son visage quand elle me découvre dans le flot des valises à roulettes. Nous allons pour une semaine à Venise, une ville à découvrir pour elle, à redécouvrir pour moi.

    Sérieusement en avance, c’est dans les jardins de Bercy, près du bâtiment de Frank Gehry dans lequel niche maintenant  la Cinémathèque, que nous passons l’après-midi avant de trouver couchette dans le train de nuit.

    Nous sommes six dans le compartiment parmi lesquel(le)s une chieuse qui ne veut pas dormir dans la couchette qu’elle a réservée, une jeune mère avec son bébé étonnamment calme et un ronfleur chronique. Celle qui m’accompagne récupère de toute sa fatigue amassée, je sommeille une ou deux heures, c’est le prix à payer pour au petit matin, sitôt sortis de la gare de Santa Lucia, s’émerveiller. Ses larmes aux yeux tiennent lieu de mots.

    Nous achetons un laisser naviguer de sept jours et un premier vaporetto nous emmène à l’Hôtel Città di Milano, à mi-chemin entre le Rialto et San Marco. Internet m’a permis d’y obtenir une chambre avec salle de bains pour cinquante euros la nuit (petits-déjeuners inclus).

    Chaque jour nous explorons en bateau et à pied la cité et ses dépendances, ne nous attardant pas là où se trouvent les masses, vagabondant longuement dans les quartiers délaissés et les îles boudées, par temps de brouillard, de petite pluie, de ciel nuageux ou tout bleu.

    C’est ainsi qu’on nous voit passer dans l’île Sant’Erasmo où Venise tient potager (nous y cherchons en vain un café), sur la Guidecca (nous y faisons nos courses chez Prix, magasin discompte), au cimetière de San Michele (nous y saluons Igor Stravinsky, Serge de Diaghilev et Ezra Pound, ce dernier trouvé avec l’aide patiente d’un jardinier), dans la Galerie Contini (nous y visitons l’exposition Zoran Music qui aurait eu cent ans cette année), à Murano (nous y déjeunons avec les ouvriers à l’osteria Ai Bisatei), à Burano dont les maisons colorées trouent la brume (marchant sur la digue, à gauche la mer, à droite ses débordements, nous y découvrons l’aqua alta), à la Fondation Guggenheim (je la photographie en compagnie de la sculpture de Marino Marini The Angel of the City dont le sexe pointe vers le Grand Canal), à Cannaregio (nous y grignotons des ciccheti au bar de la Cantina Aziende Agricole où le verre de vin est à quatre-vingts centimes), au pied de la Salute (d’où nous contemplons la ville près du Boy with frog de Charles Ray, qui appartient à la Fondation Pinault et dont la nudité blanche est sévèrement gardée par un vigile), au Florian (nous y buvons le caffe’ espresso et le cioccolata in tazza, assis sur le velours rouge où nombre d’augustes fesses se sont posées avant les nôtres), à Dorsiduro (nous y jouons les pique-assiettes chez Venice Projets le soir du vernissage d’Esseri, l’exposition des œuvres inintéressantes de Massimo Lunardon), au marché du Rialto (nous y considérons les Vénitien(ne)s botté(e)s achetant les pieds dans l’eau un matin de forte aqua alta).

    J’en passe et beaucoup, nous marchons et vaporettons jusqu’au bout de la semaine, jusqu’à ce que le train du retour s’impose à nous.

    Le grand déplaisir de Venise, c’est qu’il faut en revenir.

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    Il en est aussi un petit : la présence des touristes (dont nous sommes, mais essayant de ne pas y ressembler), parmi lesquel(le)s de lamentables Français(e)s piquant des croissants sur la table d’à côté au petit-déjeuner sans se soucier de la présence de la serveuse d’origine étrangère, simple meuble.

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    Pitoyables aussi, celles et ceux qui se photographient avec leur téléphone au Florian et envoie ça directement à leurs connaissances. L’une photographie la carte, qu’on n’ait pas de doute dans son entourage sur le prix des consommations.

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