• Ce dimanche, c’est dans l’Eure que ça se passe et d’abord à Gaillon où, je le sais d’expérience, moult exposant(e)s s’installent lors du vide grenier, encore plus quand le soleil est assuré.

    S’il fait frisquet quand j’arrive vers sept heures, le rond jaune ne demande qu’à pointer ses rayons. Il suffit de l’attendre.

    Les merles chantent, des moutons broutent sur les collines, le château se tient tranquille, la fourrière emmène quelques voitures, je cherche des livres à ma convenance.

    J’en trouve, peu, mais des prometteurs.

    Le premier est Austerlitz de W. G. Sebald, écrivain allemand dont je n’ai rien lu mais dont j’entends dire le plus grand bien, livre illustré, dans l’édition de poche de chez Folio. Il s’agit du dernier ouvrage écrit par Sebald, mort en deux mille un, lis-je en page de garde. Hasard heureux, j’aime commencer par la fin.

    Le second est Poèmes d’Alvaro de Campos de Fernando Pessoa, l’écrivain portugais aux multiples hétéronymes, que j’aime particulièrement, en nouvelle édition chez Christian Bourgois (deux mille un), d’où je tire un poème au hasard qui commence ainsi :

    J’ai un gros rhume,

    Et tout le monde sait comment les gros rhumes

    Altèrent tout le système de l’univers,

    Nous fâchent avec la vie,

    Et nous font éternuer jusqu’à la métaphysique.

    J’ai perdu la journée entière tout fourbu de me moucher.

    La tête me fait mal indistinctement.

    Triste condition pour un poète mineur !

    et s’achève comme ça :

                J’ai besoin de vérité et d’aspirine.

                A La Haye-Malherbe, c’est moins bien, ni merles, ni moutons, et le beau café en briques place de la Mairie annonce sa fermeture prochaine et qu’il vend tables, chaises et tout le reste, s’adresser à la direction.

                Point de livres à ma convenance, cependant j’y trouve pour cinq euros, encore sous plastique, le coffret Jérusalem délivrée de Le Tasse, publié aux Belles Lettres au prix pas donné de cent quinze euros, que j’espère revendre à moitié prix, ce qui me permettra d’acheter d’autres livres à ma convenance, et cætera…

    *

                J’en écoute une qui raconte qu’elle est devenue propriétaire d’une maison à la campagne (où l’on peut faire des barbeuques avec ses peutes), mais maintenant elle est en bisbille avec le voisin qui lui a adressé un mail avec ses positions. Elle a voulu envoyer ce mail augmenté de ses arguments contre le voisin à son avocat, mais, distraite, elle a cliqué sur « répondre à » et son mail est parti chez son adversaire.

    *

                Une histoire bête qui me fait rire : Qui mange du chien chie ouah ouah.

    Partager via Gmail Yahoo!

  • C’est le Printemps de Rouen, une animation musicale cent pour cent fourneyresque dont l’avantage cette année tient au fait que s’en occupe Hélios Azoulay. Samedi soir, je me présente donc en avance à la salle Sainte-Croix-des-Pelletiers où cet individu se donne en spectacle avec son Ensemble de Musique Incidentale. Les portes sont ouvertes. Je demande au veilleur si on peut entrer, oui. Il me donne un billet. Je ne suis pas étonné d’être le premier.

    Hélios Azoualy est sur scène, rêvant à son piano. Nous nous saluons. Il s’étonne de la salle déjà ouverte et demande à ce que non.

    -Mais bien sûr vous pouvez rester Michel vous ne me dérangez absolument pas.

    J’ai en main le programme où ne figure rien d’autre que Agir en primitif et penser en stratège, forte pensée chère à son cœur, de René Char, tirée des Feuillets d’Hypnos.

    -Vous le connaissez déjà en partie le programme, Michel, d’ailleurs bientôt vous allez écrire qu’Hélios Azoulay c’est toujours la même chose.

    -Comme Mozart, lui dis-je.

    -Je prends ça comme un compliment.

    Il va et vient. J’en profite pour regarder de plus près le nouvel aménagement à moindre frais de la salle. Des sièges en plastique blanc (avec un liseré rouge), emboîtables, forment dix-huit rangées de quatorze, de quoi s’asseoir pour deux cent cinquante-deux. Ce qui est bien avec ce nouveau mobilier c’est qu’on peut empiler tout ça au fond de la salle et y mettre plein de gens debout, m’a dit l’autre jour un organisateur de concerts où l’on saute en l’air. Ce soir c’est assis. Je regagne ma place et Hélios de retour au piano m’offre une Gnosienne commentée. C’est la préférée de celle qui n’est pas là, retenue par le travail à Paris, dommage pour elle.

    C’est l’heure de la vraie ouverture des portes. On s’installe ici et là. Il reste pas mal de chaises vides, les vacances peut-être, et d’autres concerts en concurrence ce samedi. Derrière moi deux femmes sont dubitatives, la virginité du programme les inquiète.

    -Faut pas que ça dure trop longtemps parce qu’on risque de s’ennuyer si c’est pas génial.

    De génie il est bientôt question, de celui de tout un chacun chantant n’importe comment L’Air du toréador de Carmen, un matériau dont Hélios Azoulay a fait une œuvre (refusée par la Sacem), ici interprétée brillamment par Arnaud Kientz (baryton-basse) accompagné par Laurent Wagschal au piano, œuvre dont je ne me lasse pas. Il en est d’autres que j’ai déjà entendues et des nouvelles comme ce Pompes et circonstance (hommage à Elgar et à la musique anglaise en général), un cédé en fait les frais pulvérisé à grands coups de pompes. Comme aussi Œuf  de George Brecht, et il en est dans la salle pour frémir au bruit de l’œuf que l’on casse sur le piano avant de le vider à l’intérieur d’icelui. Comme aussi Music for a while (d’après Purcell) de Bertran Berrenger dont Marielle Rubens (mezzo-soprano) a à souffrir, manipulée sans ménagement par Hélios. Comme aussi Etude pour public d’Hélios Azoulay qui sert de pause : un billet de vingt euros sorti de la poche du compositeur est posé par lui-même sur un pupitre au pied de la scène ; après un temps d’attente raisonnable, une spectatrice se dévoue et l’empoche.

    Emouvante parenthèse : Marielle Rubens donne une chanson composée au camp de concentration de Terezin (Theresienstadt), telle une bande-annonce pour le concert Musique des camps organisé le huit mai prochain au Temple Saint-Eloi par ce même Hélios Azoulay.

    Celui-ci achève le public et le concert avec Nigthmare. A l’issue, nous sommes encore une douzaine dans la salle à constater que le meilleur de l’œuvre est dans le silence qui la suit.

    Partager via Gmail Yahoo!

  • Samedi matin, je prends la route de Louviers où se tient au Moulin une vente de livres organisée par le Secours Populaire local. Où donc est ce Moulin ? Du côté de la Porte de l’Eau, m’a-t-on dit la veille au téléphone. Je connais cette place où se tenait autrefois l’usine des plastiques Pleyel que je me souviens avoir vu brûler (j’étais lycéen peut-être), un des plus beaux incendies auquel il m’a été donné d’assister.

    Je demande le Moulin à un pêcheur qui trempe son fil dans l’Eure. Il ne sait rien de cet endroit dont je découvre l’entrée juste après, à trois mètres de lui. C’est un ancien bâtiment industriel en briques rouges qui plairait bien à celle qui n’est pas là mais avec qui j’ai passé une chaude après-midi hier. On y fait des concerts et d’autres activités culturelles. L’Eure l’entoure de ses bras et y pousse un Arbre du Millénaire.

    Ce jour, plusieurs associations y sont installées dont le Secours Populaire et ses livres d’occasion à vendre. Je suis en avance évidemment mais les bénévoles du Secours Pop me laissent entrer, qui sont bien différent(e)s des Rouennais(e)s. Ici, on est décontracté, sociable et souriant et les livres à un prix dérisoire. Quatre livres de poche pour un euro, qui dit mieux ?

    Je repars avec un sac bien rempli. Dans mon butin, un ouvrage dont j’ignorais jusqu’à l’existence : Vivre autrement dès maintenant, un dossier du Mlac Rouen Centre publié dans la Petite Collection des Editions Maspero en mil neuf cent soixante-quinze. Ce livre relate deux ans de pratique du Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception à Rouen.

    Je n’ai pas fait partie du Mlac mais je l’ai accompagné dans les moments forts de sa lutte. Je me souviens particulièrement des projections du film Histoire d’A de Charles Belmont et Marielle Issartel en soixante-treize. Ce film qui montre un avortement par la méthode de Karman était totalement interdit de projection par le Ministre de la Culture, Maurice Druon.

    Je l’ai vu deux fois, cette année-là. La première, c’était à Evreux, rue Victor-Hugo, dans l’un des cinémas d’Ageorges père, un homme courageux, la bobine pouvait être saisie à tout moment par les forces de l’ordre et lui avoir de sérieux ennuis. La seconde fois, c’était quelques jours plus tard à Rouen où parmi les propriétaires des nombreux cinémas d’alors, aucun n’avait fait montre de courage. La projection eut lieu à la Halle aux Toiles, clandestinement, dans une salle louée à la Mairie de Rouen (époque du Canuet) au nom d’une association bidon (Jean-Baptiste Clément). Les plus costauds des gauchistes (comme on disait alors) attendaient dans l’escalier la maréchaussée qui ne vint pas.

    *

    Rentré à Rouen, ce samedi, je signe une nouvelle fois la pétition contre la fermeture des marchés à treize heures ou plutôt j’en signe une nouvelle mouture, non plus centrée sur la défense du commerce ambulant mais sur la perte d’animation qu’entraînerait le fâcheux projet de Madame le Maire. On se presse autour de cette pétition et j’entends des « Quand je pense que j’ai voté pour elle ».

    Ce n’est pas la première fois, j’ai déjà entendu ça lors du massacre de la Médiathèque, lors de la fausse consultation sur l’avenir de l’espace dégagé par la démolition du Palais des Congrès, lors de la parution de nouveaux textes municipaux restreignant les activités des bars de nuit, lors de la réception par des associations d’amendes pour affichage libre. A chaque fois : « Quand je pense que j’ai voté pour elle ». Il ne va pas lui en rester lourd des électeurs et des électrices à Valérie.

    *

    Encore une belle bessonnerie locale, madame Karapetian et Hranush, l’une de ses filles (mineure), que j’étais allé soutenir il y a quelque temps devant le Tribunal Administratif de Rouen, ont été arrêtées jeudi dernier, à neuf heures vingt-cinq, dans leur appartement de Maromme, par huit policiers assistés d’un interprète (son mari et son autre fille, absents, ont échappés à l’arrestation).

    Embastillées au Centre de Rétention de Oissel, elles ont comparu ce samedi devant le  juge des Libertés et de la Détention qui les a libérées, l’arrestation étant entachée d’irrégularité.

    Pendant cette audience, où je n’ai pu être mais où se trouvaient beaucoup d’autres membres du Réseau Education Sans Frontières et le Maire de Maromme, il a été fait état de la lettre du Préfet de Seine-Maritime aux policiers. Elle dit ceci : « L’enfant mineur étant scolarisé, vous voudrez bien  procéder à ces investigations au cours de la période des vacances de Pâques. »  Nous avons à Rouen pour Préfet un fin tacticien.

    Partager via Gmail Yahoo!

  • Depuis trois ou quatre semaines, je découvre Fesse Bouc où j’ai réussi à me faire quelques ami(e)s et où je suis devenu membre de quelques groupes dont le « Comité de soutien à l’écrivain Bob Garcia contre Moulinsart ».

    Bob Garcia est écrivain et passionné par l'œuvre de Hergé, ce qui lui a valu d’être attaqué en justice par Moulinsart (société qui gère les droits de la boutique) pour les ouvrages qu’il a consacrés à Tintin et à son créateur.

    « Son tort, écrit ce Comité de soutien, avoir écrit cinq petites études sur l'œuvre de Hergé; tirées à quelques centaines d’exemplaires par une association tintinophile sans but lucratif. Personne n’a gagné d’argent dans cette entreprise, ni fait le moindre tort moral ou financier aux « ayant-droit » de Hergé, il s'agit d'un hommage de passionné, d'un long travail sur le sujet. »

    Bob Garcia raconte ses mésaventures dans son blog Le Spectre du tocard, comment il a été condamné à cinquante mille euros d’amende et comment sa maison a été mise sous hypothèque. On peut aussi y lire comment l’aider.

    *

    Autre groupe Fesse Bouc dont je fais partie : « Pour l’ouverture d’un Starbucks à Rouen ! »

    « Ah non! pas vous! » s’indigne l’un de mes lecteurs et ami Fesse Book à qui je réponds « Un café sans radio merdique, sans télé, et où on peut rester longtemps à lire ou écrire sans se faire virer, je suis preneur. »

    *

    Je n’ai pas beaucoup d’ami(e)s sur le réseau social. Je me fais plus facilement des ennemi(e)s mais Fesse Bouc ne leur permet pas de se déclarer. Dommage pour Elisabeth, Isabelle, Alain, Daniel, Marie-Laure, Emmanuel, j’en oublie, mais pas la meilleure : Christine.

    Partager via Gmail Yahoo!

  • Mercredi onze heures, sortant de la Bouquinerie du Centre, avenue de Clichy, j’aperçois un bus allant à Châtelet. Comme je marche plus vite que lui, j’y grimpe au premier arrêt. Le véhicule est bientôt bloqué dans le formidable embouteillage dû aux travaux de la place Clichy, lesquels doivent répondre à une demande des écolos municipaux si j’en juge par les affiches alentour « Verts=Bouchon=Pollution ». Bus, engins de chantier, scouteurs, camionnettes de livraison, voitures particulières, c’est au plus fort la pouque (comme on dit dans le Pays de Caux) et notre chauffeur s’en sort plutôt bien.

    Arrivé dans le vrai centre de Paris, je passe de bouquinerie en bouquinerie (Gibert et Gibert, Boulinier et Gilda) m’alourdissant de sacs au contenu varié : Au piano de Jean Echenoz (Minuit), Français en Résistance (carnets de guerre, correspondances, journaux personnels) (Bouquins/Laffont) bradé parce que la couverture est collée à l’envers, Vie érotique de Delphine de Malherbe avec des dessins d’Isild Le Besco (Laffont), Ces corps vides de Frédéric Chouraki (Le Dilettante) acheté pour la dédicace de l’auteur : « Pour des week-ends »torrides », suggestion en pages « people », amicalement », Lolita en anglais (Vintage International) avec en couverture une délicieuse photo d’Andrea Gentl, Profession fouetteuse de Nina Garnier aidée de Corine Allouch (Blanche), Politique de l’amour d’Alina Reyes (Zulma Poche), Les Violettes sont les fleurs du désir d’Ana Clavel (Métailié) et Louis-René des Forêts par Jean Roudaut (Le Seuil).

    Je me souviens avoir croisé Louis-René des Forêts rue de Buci où il faisait ses courses avec sa femme pendant la période de Noël, il y a une dizaine d’années, peu avant sa mort.

    Ayant provisoirement assouvi ma faim de livres, j’entre dans la Galerie de France, rue de la Verrerie, pour y voir Dessins en grande largeur, une exposition de bonne dimension où se côtoient dans l’ordre alphabétique les œuvres de Gilles Aillaud, Jean-Pierre Bertrand, John Cage, Paul Chan, Brion Gysin, Rebecca Horn, Eugène Leroy, Giuseppe Penone, Michelangelo Pistoletto, Viktor Pivovarov, Judit Reigl, Pascale Marthine Tayou et Agnès Thurnauer.

    Viktor Pivovarov bat de peu Gilles Aillaud : cinq cent cinquante-deux centimètres contre cinq cent cinquante. Mon grand dessin préféré est celui de Paul Chan, panneau graffité posé sur une paire de chaussures noires, où l’on peut lire : « anxiety, metamorphosis symbolic sadism, ideal paranoia, fetichism, unconscious, hetero-perversion, zoophilia, hysteria, incest, delirium trans-sexually, nympho-lust, or dementia, psycho-homo-epilectic fetishistic, pedophilia, masochism, necrophilic, I see a case of symptom of a sign of I see a symptom of I see I see I see I see I see… », je m’arrête là, la suite est à lire Galerie de France.

    C’est chez Book-Off, rue Saint-Augustin, que me rejoint celle qui me tient la main et m’invite ce soir au restaurant. Une averse presse notre balade dans le quartier. A point nommé se présente le passage Choiseul où vécut Louis-Ferdinand Céline enfant. Nous y découvrons le restaurant Little Seoul.  Nous nous y attablons. C’est une bonne adresse, la nourriture coréenne est excellente et le patron bien sympathique, qui nous raconte la vie trépidante de Séoul, de quoi passer une bonne soirée ensemble, n’étaient quelques nuages noirs.

    *

    Elle s’inquiète lorsqu’elle constate que les piles de livres à lire s’élèvent chaque semaine un peu plus dans mon escalier. Ces livres sont là pour que je ne sois jamais seul.

    *

    Ce vendredi matin, au Clos Saint-Marc, je trouve dans le bazar, en parfait état un numéro de la revue Recherches (directeur : Félix Guattari) que je n’ai pas. Il s’agit du numéro vingt-six de mars mil neuf cent soixante-seize consacré aux folles femmes de leurs corps (les prostituées) dont l’auteur est Judith Belladona.

    En attendant le vendeur, parti garer son camion, je signe la pétition contre le projet de la socialiste Fourneyron (maire de Rouen) de clore tous les marchés de sa ville à treize heures.

    Partager via Gmail Yahoo!

  • Plus d’une fois les cheminots choisissent pour faire grève le jour où j’ai prévu d’aller à Paris. Cela complique un peu le voyage mais a l’heureux effet de livrer tous les trains à mon billet au tarif réduit. Il en est ainsi ce mercredi. Je pars un peu plus tard que prévu et dans le train lit Une fille pour l’été de Roland Jacquard (Zulma Poche), autre écrivain pleurnicheur (ah les problèmes existentiels de qui avait juré se suicider et ne l’a pas fait). Devant moi, un homme s'intéresse à la chimie de mouillage, mais cela n'a rien à voir avec les filles.

    Une fille pour l’été narre les amours imaginaires d’un homme vieillissant avec des étudiantes. Jacquard, qui se veut élève de Cioran, s’y montre souvent pompeux et pédant. Si je le lis, c’est qu’il a beaucoup lu et beaucoup vu. Je croise avec plaisir dans son opuscule Pessoa, Scutenaire, Bukowski, Jacob, Schnitzler, et note sur mon carnet pour aller y voir de plus près les noms de Kim Yong-ha (auteur de La Mort à demi-mots), d’Ennio Flaiano (auteur du Journal des erreurs) et de Peter Altenberg (auteur d’aphorismes) dont il dit ce Nietzsche des bistrots viennois nourrissait une passion pour les nymphettes qu’il photographiait dans des poses qui, aujourd’hui, lui vaudrait les foudres de la justice. J’en ai terminé quand le train entre en gare.

    C’est le hasard qui détermine ma matinée (j’ai vendu la veille un livre que je vais livrer). De Saint-Lazare, je rejoins la rue Caulaincourt à pied. Le livre glissé dans une boîte à lettres et le soleil de la partie, je vais dire bonjour à quelques amis au cimetière d’à côté, en attendant dix heures et l’ouverture de la Bouquinerie du Centre.

    Priorité des priorités : Marcel Jouhandeau dont je repère facilement l’emplacement de la tombe sur le plan. Sur le terrain les choses sont plus compliquées, pas moyen de la trouver malgré plusieurs allées et venues qui dérangent les chats. Je tombe (si je puis dire) sur celle de sa femme « Ici repose Elise Jouhandeau ». Lui et elle ne gisent pas ensemble (ce qui est bénéfique à la tranquillité du lieu). Tant pis pour Marcel, me dis-je, je reviendrai le voir un autre jour avec celle qui doit me rejoindre en fin d’après-midi chez Book-Off.

    Je cherche alors Stendhal et le trouve facilement. Il est en bord d’allée sous le nom d’Henry Beyle. Stendhal est entre parenthèses. Sa tombe est due à ses amis de mil neuf cent quatre-vingt-douze. Enfin, je me mets en quête de François Truffaut. Là aussi je me perds, pas moyen de le dénicher. En revanche, dans son quartier, je trouve Godard (Pierre).

    La Bouquinerie du Centre, avenue de Clichy, n’est plus aussi pimpante qu’il y a une dizaine d’années lorsque je la fréquentais régulièrement (celle qui me tenait alors la main habitait tout près). Néanmoins, j’en repars avec Censures (de la Bible au Larmes d’Eros), le catalogue de l’exposition du même nom organisée par la Bibliothèque publique d’information du Centre Georges Pompidou en mil neuf cent quatre-vingt-sept/quatre-vingt-huit.

    A la fin de cet ouvrage se trouve la liste des écrivains ayant eu des ennuis. On y trouve Stendhal dont toutes les œuvres furent mises à l’Index en mil huit cent quarante-huit. Jouhandeau qui écrivit bien pire (ou bien mieux) n’y est pas. Prudent ou pusillanime, il publiait anonymement et en édition très limitée ses ouvrages à scandale.

    *

    On a retrouvé Dominique Raffin, victime autrefois d’un envoi de Serge Doubrovsky. L’un de mes fidèles lecteurs l’a déniché en sixième occurrence chez Gougueule, son nom étant cité par Ouiquipédia dans l’article consacré à Paris Normandie. Mon lecteur me qualifie affectueusement de menteur. C’est juste que je suis allé un peu vite, ne regardant que les premières réponses du moteur de recherche. Je suis heureux d’apprendre que Dominique Raffin fut rédacteur en chef du quotidien régional dans les années quatre-vingt-dix.

    *

    L’auteur du Livre brisé et de l’Après-vivre me vaut un second mail, celui d’une lectrice de hasard prénommée Elisabeth et qui signe « Une admiratrice de Serge Doubrovsky ». Elle n’aime pas ce que j’en ai dit et prophétise : « On trouvera toujours, même à deux euros, des livres de Serge Doubrovsky, mais de vous, que restera-t-il ? » Elle est méchante, Elisabeth.

    Partager via Gmail Yahoo!

  •            Je finis de lire la nuit en grande diagonale L’Après-vivre de Serge Doubrovsky, paru chez Grasset en mil neuf cent quatre-vingt-quatorze, roman (récit) qui se présente comme la suite du Livre brisé où l’écrivain racontait la mort de sa compagne d’overdose d’alcool, fin tragique dont il fut peut-être en partie responsable par le simple fait de raconter leur vie commune dans son futur livre et de le lui faire lire.

    Je n’aime guère les livres de Serge Doubrovsky (qui se présente comme l’inventeur de l’autofiction). Il m’énerve à geindre sans cesse et il m’incommode avec ses lourds effets de style : Moi, plus vieux. Pluvieux, dans les ténèbres mouillées, trempé, je n’ai plus la trempe. Pourtant je le lis, mais vite fait.

    Page deux cent quarante-sept de son Après-vivre, Doubrovsky raconte la séance de signature de son Livre brisé : Deux après-midi durant, j’ai rempli mes fonctions, faire fonctionner la machine à livres, dédicaçant l’un à X, l’autre à Y, que je ne connais ni d’Eve ni d’Adam, mais qui occupent des positions stratégiques dans le journalisme, l’édition, tous les membres de tous les jurys des prix littéraires, des personnalités du Tout-Paris de la culture. J’y vais de mes hommages cordiaux, très cordiaux, les plus cordiaux, selon le destinataire, l’humeur.

    Mon exemplaire de L’Après-vivre provient du marché du Clos Saint-Marc où je l’ai acheté deux euros. Il bénéficie d’un envoi de Serge Doubrovsky (daté du vingt-deux mars quatre-vingt-quatorze) à Dominique Raffin « avec le plus cordial hommage de l’auteur ».

    Qui est Dominique Raffin ? Je n’en sais rien et Gougueule non plus.

    Jean Cocteau, un jour se promenant le long des quais à Paris y trouva dans une boîte de bouquiniste l’un de ses livres envoyé au critique André Rousseaux en ces termes « avec tous mes compliments ». Il l'acheta et le renvoya à l’indélicat : « A André Rousseaux avec mes compliments renouvelés ».

    Je tiens mon exemplaire de L’Après-vivre à la disposition de Serge Doubrovsky s’il veut faire de même.

    *

    Retour du soleil et de la température douce, je retrouve la terrasse du Son du Cor, rue Eau-de-Robec, où je termine la lecture de Metropolis de Jerome Charyn. Extrait : J’étais maigre et tout voûté. Mais dans ma tête argentée, je me voyais comme un gros avec une moustache de phoque : Flaubert. Je ne disposais cependant pas des rentes de Flaubert. J’aurais crevé de faim derrière ma moustache métaphysique si je n’avais pas réussi à enseigner à l’université.

    *

    Rien n’a changé au Son du Cor depuis l’an dernier, les mêmes sont à la même place et disent la même chose.

    L’un d’eux : « J’aimerais bien bouger mon cul, voir d’autres gens, voir d’autres têtes ».

    *

    Si, il y a un changement : le café a baissé de dix centimes, la raison est que dorénavant les prix en terrasse sont les mêmes qu’en salle. La clientèle entre et sort. On ne s’y retrouvait plus.

    *

    Je rentre à temps pour écouter Le mardi des auteurs, l’émission de Matthieu Garrigou-Lagrange sur France Culture. L’auteur de la semaine, c’est Vladimir Nabokov. L’émission est illustrée par des chansons de Christophe que j’écoute raconter sa vie, toujours sur France Cul, chaque soir de la semaine dans A voix nue.

    Partager via Gmail Yahoo!

  • Samedi matin, seul, je renonce au vide grenier du Manoir (Eure), il pleut. Dimanche matin, avec celle qui me tient la main, nouveau renoncement, pas possible d’aller à Clères (Seine-Maritime) sous une telle pluie. Après un rapide tour de marché, nous choisissons de visiter les estaminets du Clos Saint-Marc, passant du café thé croissants au kir sans cacahuètes, car « à moins le quart, on change de bar ». Lundi, c’est encore Pâques et cela va mieux côté ciel.

    Dès potron-minet, nous sommes sur la route et arrivons suffisamment tôt à Appeville-dit-Annebault, près de Montfort-sur-Risle (Eure), pour trouver une place dans le parquigne à l’entrée du village. On nous promet là quatre cent cinquante exposant(e)s.

    Il y en a sans doute moins et pas de la première qualité, beaucoup de cochonneries à vendre chez les particuliers et les professionnel(le)s. On semble pauvres dans le coin. Cela se voit dans l’habillement et s’entend dans les conversations. Que de haine dans la bouche des locaux, me fait remarquer celle qui m’accompagne. On n’entend que femmes ou hommes disant du mal d’autrui « Untel ce connard », « Unetelle cette salope ». Je cherche des livres et elle cherche une tasse pour boire son thé à l’école, facile de trouver la tasse.

    Je repère quand même un livre, une monographie consacrée au photographe François Kollar, sous-titrée Le choix de l'esthétique, due à Françoise Denoiyelle et publiée en mil neuf cent quatre-vingt-quinze à La Manufacture, que je suis heureux de faire mienne pour un euro cinquante.

    Elle craquerait bien pour un numéro de Charlie Hebdo de la bonne époque : La Sainte Vierge violée par les Rois Mages (« Ils étaient trois dont un Noir » pleurniche la mère de Jesus), deux euros, mais c’est tout ce qui lui reste dans le porte-monnaie.

    Nous allons voir l’église entourée d’un cimetière assez désolé, notons pour une autre fois le restaurant routier qui vient d’ouvrir dans le village, puis elle me suggère de passer par Le Bec-Hellouin avant de rentrer.

    Aussitôt dit, aussitôt fait, (comme dit madame Michu). Nous arrivons dans un village guère animé (où sont les Pâques que j’ai connues quand je vivais ici) et jouissons de l’envolée des cloches louées posées sur le sol près du magasin de l’Abbaye que nous allons écouter de près pour en prendre plein les oreilles, puis jetons un œil (comme on dit) à l’intérieur de l’église où l’on se prépare à la messe, pas d’espoir que mon ami moine soit disponible, étant requis comme tous pour la cérémonie.

    Quand nous sortons de l’Abbaye y arrivent les religieuses du Monastère Sainte-Françoise-Romaine dans leur bus.

    -J’ai déjà vu des cars de Céhéresses, me dit-elle, mais un car de bonnes sœurs, ça c’est la première fois.

    *

    Dimanche matin au Clos Saint-Marc, une courageuse bouquiniste s’installe malgré la pluie.

    -Passe-moi la caisse d’amour, mon cœur, dit-elle à sa fille.

    -La caisse d’amour ?

    -Ben oui, me répond-elle, les livres Harlequin.

    Partager via Gmail Yahoo!

  • Le mal que se donne le Conservatoire de Rouen pour ne pas faire connaître les concerts gratuits qui s’y déroulent lors des semaines d’accueil en résidence de compositeurs ou de musiciens n’est pas totalement payé de retour, nous sommes quand même quelques vrais spectateurs (en complément des gens de la maison) à assister vendredi soir au concert donné à l’issue de la semaine Musique mixte (instrumentale et électro-acoustique).

    La soirée est entre les mains de La Grande Fabrique de Dieppe et l’invité principal est l’ensemble Proxima Centauri qui promeut la musique du vingt-et-unième siècle.

    Cela commence par six jeunes filles qui jouent avec leur méta-mallette (ainsi appelle-t-on ici ce que l’on nomme en anglais joystick) sous la direction de Thomas Collin qui à la fin joue aussi avec la sienne, puis c’est Thel de Christophe Havel, composition pour saxophone soprano et voix soprano, Second Life de Thomas Collin, composition pour saxophone baryton et méta instrument (celui-ci porté sur les épaules et se jouant par mouvements de bras et de mains), Comme de Christophe Havel, composition pour saxophone soprano, voix soprano et marimba.

    Après un intermède pendant lequel La Grande Fabrique s’affaire sur scène, l’ensemble Proxima Centauri joue Portales de Miguel Farias (sax baryton et percussion), Dissidences de Christophe Havel (violon et dispositif électro-acoustique) et Lando de Juan Arroyo (sax, percussions et électro).

    Ces musiques électro-acoustiques et instrumentales me siéent tout à fait. Je passe une bien meilleure soirée que l’autre jour à l’Opéra pour la musique baroque. Il faut croire que je suis plus homme du vingt-et-unième siècle que certain(e)s pourraient le penser.

    *

    Quevilly, petite équipe de foute du coin, fait des étincelles et joue la demi-finale de la Coupe de France. Il n’en faut pas plus pour que Laurent le Fabuleux et Didier Marie (chef de département) se promènent dans la télévision une écharpe jaune autour du cou. Ils ne sont pas les seuls à faire le supporteur. La plupart des politiciens locaux (droite et gauche) y vont de leur communiqué louangeur (puisque ces abrutis d’électeurs aiment ça, feignons de nous y intéresser).

    *

    Jerome Charyn dans Metropolis quand il rencontre Rodevick G. W. Chu, Receveur principal des Impôts et des Finances de l’Etat de New York : Les services de Rod occupaient tout un coin du World Trade Center, la folie des Rockefeller. Jamais des tours jumelles n’avaient agressé New York de cette manière. Ces monolithes ruineux ne possédaient ni poésie ni fantaisie. Ils s’emparaient du ciel à la façon d’un vingtième siècle rêvé par un bourreau. Cela est écrit en mil neuf cent quatre-vingt-six.

    *

    Café du Marché, quartier de Martainville, samedi après-midi :

    -J’vais aller voir ma fille. Elle vient de faire couper les couilles à son chat. J’lui ai dit : « T’as qu’à lui acheter des œufs de Pâques pour remplacer ».

    Partager via Gmail Yahoo!

  •  Ce vendredi matin au Clos Saint-Marc, c’est l’habituel déballage sauvage de ce qu’on appelle dans le métier la drouille, résultat de débarras de maisons, un joli foutoir dans lequel fouillent de nombreux et nombreuses maniaques. J’y cherche des livres, avec les yeux d’abord, avant d’y mettre la main si je sens que ça peut être bon. Là, ce n’est pas un livre qui m’attire mais un bloc Rhodia qui laisse voir sur ses premières pages une écriture de fille. Je regarde de plus près. Me voici en présence des débuts littéraires d’une demoiselle nommée Sophie P.

    Je demande à l’aimable vendeur combien je lui dois.

    -Je vous le donne, me répond-il.

    Rentré chez moi, je me plonge dans le monde de Sophie, auteure d’un roman avorté titré Butterfly (l’esprit Rebel) dont elle a dessiné la couverture : une cabane avec un cœur dans la porte, des étoiles, une seringue et plein de bisous (faits avec sa bouche couverte de rouge à lèvres). Son héroïne, Ewy, a dix-sept ans, ce qui devait être l’âge de la demoiselle à l’écriture ronde quand elle écrivait.

    Ça commence comme ça :

    J’ouvre les yeux, le soleil passe à travers les rideaux bleu marine de ma chambre.

    -Merde !

    Ewy a raté le début des cours, elle sèche, va fumer une cigarette dans un parc, rencontre une bande de jeunes (c’est elle qui les appelle ainsi) :

    Hugo est brun, il a un piercing à l’arcade, un bouc, il porte un treillis militaire, des vans et un pull à capuche noir.

    Ginger est rousse, elle a un tatouage dans le cou, comme moi, elle a un piercing au (mot illisible), elle porte un jean moulant, un gros ceinturon et un haut super sexy.

    Courtney est blonde, elle a l’air si parfaite, elle a une french manicure, un piercing à la langue, un jean hyper moulant, un haut presque transparent qui dévoile qu’elle ne porte pas de soutien-gorge.

    Après, il y a Karen qui me ressemble, je trouve, elle a les cheveux très noirs

    Après, ça s’arrête là. Elle a bien fait. Pourtant la suite ne demandait qu’à être écrite. Sophie P. avait fait le plan de son roman. Je résume : Ewy, parisienne, ne voit pas beaucoup son père. Il meurt dans un crash d’avion. Elle déménage à New York, entre en troisième, se drogue, fugue, se prostitue, est sauvée par sa prof de sport madame Juliana, est dénoncée (par qui, pourquoi, mystère), fugue à nouveau et meurt (suicide ?).

    Sophie P. a aussi écrit des poèmes, un qui parle de son père Daddy Slow : Laisse-moi, oublie-moi/ arrête de me crier dessus/ j’ai mal quand tu cries/ je me referme comme une fleur/ je fane et je sombre, un autre qui parle des professeurs Effet secondaire (un bon titre) : Ils savent juste t’humilier et te donnent envie de te foutre en l’air !

    Pourquoi donc ses écritures se sont-elles retrouvées un vendredi matin dans la drouille du Clos Saint-Marc ? Question que je me pose.

    *

    Retour au Clos Saint-Marc où je remplis un sac de bananes. Je cherche le vendeur. C’est le jeune homme à côté de moi.

    -Je n’avais pas compris que c’était vous le marchand.

    -Marchand, voleur, on fait tout ici.

    -Ah, voleur, ça je savais, lui dis-je.

    Nous rions de concert.

    -Au revoir jeune homme, me dit-il.

    Il n’y a plus que les marchands de fruits et légumes arabes pour m’appeler jeune homme.

    *

    Jean Couturier, producteur à France Culture, est mort de maladie. C’est grâce à lui et à Irène Oméliamenko que trois de mes textes furent mis en onde dans l’émission Clair de Nuit  il y a quelques années.

    Jean Couturier fut aussi, à la fin des années soixante-dix, le seul ami de Valérie Valère, l’auteure du Pavillon des enfants fous, morte à vingt et un ans d’overdose médicamenteuse et dont la silhouette d’anorexique orne l’une de mes bibliothèques.

    Partager via Gmail Yahoo!