• Je viens de lire Les Folies Bergère de Rouen, l’ouvrage richement illustré de Sébastien Lefebvre, publié par l’Association le Pucheux, sise à Fontaine-le-Bourg.

    J’en sais donc un peu plus sur cet établissement de spectacles privé de l’île Lacroix, connu de moi par le Journal de Léautaud, et que je n’imaginais pas avoir duré si longtemps. Détruit lors de la Deuxième Guerre Mondiale, il renaquit dans les années cinquante en Théâtre de la Lyre.

    Aristide Bruant, Charlus, Mayol, Maurice Chevalier, Ouvrard, Mistinguett, Polaire, Dranem, Yvette Guilbert, la belle Otéro, Berthe Sylva et Georgius firent les beaux jours des Folies Bergère rouennaises et nombre d’artistes passèrent également par le Théâtre de la Lyre, dont Juliette Gréco, Yves Montand, Charles Trenet et Luis Mariano. La salle du second comptait mille places assises et cent cinquante debout au promenoir. Les Folies contenaient mille quatre cents places, essentiellement assises.

    Aux Folies Bergère, en dehors des soirées avec vedettes, c’étaient chaque soir moquerie des notables locaux, numéros de cirque, opérettes et danseuses levant haut la jambe tout comme à Paris.

    Le Théâtre de la Lyre fut finalement exproprié en juin mil neuf cent soixante-quatre par la Mairie de Rouen qui fit de l’île Lacroix au moyen de constructions modernes le dortoir que l’on connaît.

    *

    Avant même les Folies Bergère, ai-je aussi appris dans ce livre, existait dans l’île Lacroix le Tivoli Rouennais où se tenaient des bals masqués de huit heures du soir à cinq heures du matin, pas de Direction de la Tranquillité Publique à cette époque pour nuire à la gaîté publique.

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    Plus rien n’existe de la sorte à Rouen où la dernière salle de spectacle privée, l’Exo Sept, ferme à la fin du mois, victime du bientôt ouvert établissement public le Cent Six (le propriétaire de l’Exo partant à la retraite n’a pu trouver de repreneur).

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    Le Hangar Vingt-Trois, autre établissement public, survivra-t-il longtemps à l’ouverture du Cent Six. J’en doute. La récente mise à pied de son directeur pour harcèlement moral, que celui-ci soit finalement déclaré coupable ou innocent, tombe à pic.

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  • Le festival Normandie Impressionniste passe aussi par l’Ecole des Beaux-Arts de Rouen, bien obligés les pauvres, moyennant quoi Paris prête ses œuvres à la province (la galerie Emmanuel Perrotin, celles de Martin Oppel et la galerie Thaddaeus Ropac, celles de Lori Hersberger) et on expose ça sous le titre Weather Reports : « Evocation du temps et de ses perceptions, Oppel et Hersberger mettent en commun leurs travaux sur la lumière, les formes et les couleurs en peintures et sculptures » explique le dépliant publicitaire « Rouen, un été impressionnant ». J’y suis ce jeudi pour le vernissage.

    Je connais l’œuvre de Lori Hersberger pour l’avoir déjà vue non à Paris mais à Lyon. Cela s’appelait alors Phantom Studies et côtoyait l’exposition Kendell Geers au Musée d’Art Contemporain. J’en découvre l’auteur, sympathique ludion occupé à photographier les reflets de ses peintures acryliques sur l’immense miroir brisé qui recouvre le sol de la première salle. Finalement, j’aime assez ça, le côté violent de la chose, mais pas du tout ses peintures dont la plus grande me rappelle fâcheusement celles faites par un prêtre coréen exposées dans la Cathédrale de Rouen.

    Pour ce qui est des œuvres de Martin Oppel, je vois de loin que ça ne va pas m’intéresser. La présence dans cette deuxième salle de Laurence Tison, adjointe à la Culture, m’empêche de m’en approcher. S’il est une chose dont j’ai peu envie, c’est d’être présenté à un politicien(ne).

    Jacques-Sylvain Klein, commissaire général du festival Normandie Impressionniste est là aussi mais doit partir. Il a quand même le temps d’expliquer à Lori Hersberger (qui n’entend guère le français) en quoi il est un digne continuateur des Impressionnistes.

    On n’échappe pas aux discours, celui de l’adjointe à la Culture qui brode sur l’Impressionnisme et ses suites et termine en souhaitant une médiation entre l’art contemporain et le public (autrement dit : on n’y comprend rien, il faut qu’on nous explique), celui de François Lasgi, directeur de l’Ecole, qui fort opportunément (s’appuyant sur Boulez) règle leur compte à tous les mouvements artistiques néo ceci néo cela, régressif retour à la matrice, dit-il, enfin celui que refuse de prononcer Catherine Schwartz, commissaire de l’exposition Weather Reports.

    Dehors le ciel s’obscurcit, pas besoin de bulletin météo pour savoir qu’il risque de pleuvoir. Avant l’éventuelle averse, je bois un verre de cidre et mange des trucs en matière indéfinissable. Le formidable festival n’améliore pas l’ordinaire à l’Ecole des Beaux-Arts de Rouen.

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    Déjà raconté dans ce Journal comment j’ai signé L’Appel du 18 Joint de Libération dans les années soixante-dix du siècle précédent. Le Collectif d’Information et de Recherche Cannabique propose aux p’tits jeunes de faire de même aujourd’hui. On avance, c’est sûr.

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    Au hasard de mes pérégrinations sur Fessebeuque (comme le prononçait une journaliste américaine l’autre semaine sur France Cul), je trouve ceci, qui me plaît bien, de Maurice Blanchot : La réponse est le malheur de la question.

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  •             Mercredi, je me présente une demi-heure avant le spectacle au guichet de l’Opéra de Rouen et y retire ma place, une foutue place de deuxième balcon. La guichetière me dit qu’aucune autre place n’est libre. Je ne discute plus.

    De nombreuses places étant libres, je m’installe à l’une d’elles puis, quand dans la loge voisine sont lâché(e)s trois moutard(e)s sans surveillance, je préfère aller m’asseoir ailleurs, en corbeille bien centrée. Je suis là pour L’Ile de Tulipatan de Jacques Offenbach dans une mise en scène de Yann Dacosta. L’Orchestre est dirigé par Samuel Jean.

                De Yann Dacosta, j’avais aimé la mise en scène du Baiser de la Femme araignée de Manuel Puig au Centre Marc Sangnier à Mont-Saint-Aignan et je ne suis pas allé voir Drink me, Dream me (Alice au Pays des Merveilles) d’après Lewis Caroll au Théâtre des Deux Rives à Rouen pour la raison que sa directrice, Elisabeth Macocco, a reçu la Légion d’Honneur (promotion du Quatorze Juillet) le huit juin deux mille neuf.

    Suis ravi de retrouver le travail de Yann Dacosta ce soir et pas déçu. Ça virevolte de belle manière grâce à l’ingénieuse construction illuminée qui permet aux comédien(ne)s chanteurs et chanteuses d’évoluer parmi les musicien(ne)s. Le livret est signé d’Henri Chivot et Alfred Duru, deux talentueux pères de famille. C’est une histoire de familles, celle de Romboïdal et Théodorine dont la fille Hermosa (superbement jouée par Flannan Obé) est un peu virile et celle de Cacatois le Douzième, duc de Tulipatan, dont le fils est un peu flou.

                C’est épatant, comme on disait dans l’temps. A la fin, on applaudit fort cette barcarolle qui peut être vue comme une bande-annonce de la rouennaise Lesbian and Gay Pride de samedi prochain, départ de Saint-Sever à quatorze heures, parcours habituel des manifestations, arrivée place de la Cathédrale.

    En chemin, je m’y joindrai avec celle qui me tient la main le ouiquennede.

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    Autre promu du Quatorze Juillet de l’an dernier : Pierre Michon, écrivain. Tellement navrant de l’imaginer avec la rosette (comme on dit chez les marchands de saucissons), qui plus est, reçue sous le gouvernement national sarkoziste.

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    En France, le deuil des convictions se porte en rouge et à la boutonnière. écrivait Jules Renard dans son Journal.

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                Chanceux lycéens et lycéennes de l’an prochain qui étudieront en littérature les Mémoires de guerre du Général Gueudaulle rangés jusqu’à ce jour en Histoire par ces ignorant(e)s de libraires. Heureusement que le Tout Puissant de la République est là pour mettre un peu d’ordre dans les rayonnages.

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    Qu’au moins celles qui accouchent et ceux qui en sont la cause nous épargnent la publication de la photo de leur bébé, c’est mon souhait du jour.

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  • Une mienne connaissance m’écrit qu’il espère que je me lève d'un meilleur pied et si celui-ci peut me conduire à la galerie Bertran rue Molière, j’y verrai parmi beaucoup de tableaux que je n’aimerai pas une Nature morte à la soupière qui est le clou de la manif impressionniste, un tableau qui de plus a une superbe histoire que l’on me narrera de vive voix à l’occasion.

    Bon, bon, c’est à côté, allons-y voir. Ne suis encore jamais entré dans cette galerie Bertran où l’on trouve tout de la prétendue Ecole de Rouen. Je n’y suis pas seul en ce mercredi après-midi. On s’y presse pour l’exposition Empreintes impressionnistes. C’est de la peinture qui rassure. Je demande où la Nature morte à la soupière.

    -Ah, le Duchamp, me dit la dame, il est sur ce mur.

    Duchamp a été jeune lui aussi. Comme beaucoup, il a commencé par des croûtes. Il en est d’autres de lui au Musée des Beaux-Arts de Rouen, des paysages de Blainville-Crevon qui comme cette nature morte ne vaudraient pas un clou s’il n’y avait eu la suite. N’étant pas duchampolâtre, je mettrais bien tout ça au rebut.

    Dans le catalogue de l’exposition Empreintes impressionnistes, je lis que Marcel Duchamp « plante ses racines dans le terreau impressionniste ».

    Bien lui en a pris de les couper.

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    Pas que les Impressionnistes à avoir pâti des critiques de leur temps, les Fauves en ont pris pour leur grade aussi. Lors du Salon d’Automne mil neuf cent cinq, Le Figaro parla d’un pot de peinture jeté à la face du public tandis que l’on pouvait lire dans le Journal de Rouen du vingt novembre mil neuf cent cinq :

    « Nous arrivons à la salle la plus stupéfiante de ce salon fertile, cependant, en étonnements. Ici, toute description, tout compte rendu, comme toute critique, deviennent également impossibles, ce qui nous est représenté n’ayant –à part les matériaux employés- aucun rapport avec la peinture ; des bricolages informes ; du bleu, du rouge, du jaune, du vert, des taches de coloration juxtaposées au petit bonheur ; les jeux barbares et naïfs d’un enfant qui s’exerce avec la boite à couleurs dont on lui fit don pour ses étrennes. »

    Vlaminck aimait présenter cet article qu’il avait toujours dans sa poche, apprends-je en lisant Bohèmes de Dan Franck (Calmann-Lévy).

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    Ce n’est pas Paris Normandie qui commettrait pareille bourde. Aujourd’hui, dans le domaine artistique, la presse régionale aime tout. Et au fond n’en a rien à foutre.

    *

                Suis bien content de ne pas habiter l’un de ces trous perdus où la Fête de la Musique c’est le samedi dix-neuf juin (Mont-Saint-Aignan, Beaumont-le-Roger, par exemple).

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  • J’achève la lecture de Monet, sa vie, son œuvre de Gustave Geoffroy, republié chez Macula, livre acheté il y a peu dans le bric-à-brac du marché du vendredi, ce qui me rafraîchit la mémoire en ce temps de grotesque festival Normandie Impressionniste.

    Un peu foutraque le livre du journaliste Geoffroy, s’y mêlent analyses et anecdotes, souvenirs personnels et correspondances dans un désordre bien venu. C’est un bon témoignage de l’incompréhension que subirent les Impressionnistes. Un exemple parmi cent, en mil huit cent soixante-dix-sept, lors de la troisième exposition impressionniste, Roger Ballu, inspecteur des Beaux-Arts, écrit :

    « MM. Claude Monet et Cézanne, heureux de se produire, ont exposé, le premier trente toiles, le second quatorze. Il faut les avoir vues pour s’imaginer ce qu’elles sont. Elles provoquent le rire et sont lamentables. Elles dénotent la plus profonde ignorance du dessin, de la composition, du coloris. Quand les enfants s’amusent avec du papier et des couleurs, ils font mieux. »

    Gustave Geoffroy montre bien également la solidarité des peintres d’alors.

    Ainsi en mil huit cent soixante-quinze, Edouard Manet écrit à Théodore Duret :

    « Je suis allé voir Monet hier. Je l’ai trouvé navré et tout à fait à la côte. Il m’a demandé de lui trouver quelqu’un qui lui prendrait au choix de dix à vingt tableaux, à raison de cent francs. Voulez-vous que nous fassions l’affaire à nous deux, soit cinq cent francs chacun ?

    Bien entendu chacun, et lui le premier, ignorera que c’est nous qui faisons l’affaire. J’avais pensé à un marchand ou à un amateur quelconque, mais j’entrevois la possibilité d’un refus. »

    Et en mil huit cent quatre-vingt-trois, Camille Pissarro écrit à Claude Monet :

    « Si je puis vous être utile, je me mets à votre disposition ; je suis bien mal loti et la besace plate, mais à l’occasion, une bonne nouvelle se présentant je serai heureux de vous en faire part ; rien pour l’instant, quelques petites ventes de loin en loin faites par de petits amateurs timides, et bien heureux d’avoir eu Caillebotte pour m’aider à passer le cap de l’été, sans lui mes ventes ne m’auraient certes pas sauvé du naufrage. »

    *

    Un plaisir particulier lors de la lecture de ce Monet, sa vie, son œuvre, celui d’y croiser le lapidaire Félix Fénéon à l’ouvrage. Deux de ses descriptions des tableaux de Monet :

    Un Verger au Printemps : une jeune fille, dans une lumière filtrée par des branches florales, lit.

    La Meule : dans un pré dont le confin se marque d’un rang d’arbres plumerleux, une femme bleue et un enfant cachou, adossés à l’ellipsoïdal tas, se décolorent.

    *

    On y croise aussi Eugène Murer, pâtissier de son état boulevard Voltaire à Paris, chez qui se restauraient entres autres Pissarro et Renoir en échange de tableaux, mais Murer en achetait aussi, qui eut bientôt bon nombre de Monet, Renoir, Degas, Cézanne, Pissarro, Guillaumin, Sisley, Vignon.

    Devenu hôtelier à Rouen, Eugène Murer fit profiter le public de sa collection en ces termes, dans les années quatre-vingt-dix du dix-neuvième siècle:

    « Rouen. Hôtel du Dauphin et d’Espagne, 4 et 6 place de la République. Magnifique collection d’Impressionnistes, dont 30 toiles du grand artiste Renoir, visibles gratuitement tous les jours de 10 à 6 heures. »

    *

    Samedi dernier au milieu de l’après-midi, avec celle qui me tient la main, suis allé considérer le public de la formidable exposition impressionniste de Laurent Fabius. Nulle file d’attente au guichet installé dans la cabane devant le Musée des Beaux-Arts. Nulles files non plus à l’intérieur sous la verrière devant les deux entrées de l’expo. Le nombre effrayant de visiteurs, sera-ce pour juillet et août ?

    *

    Plumerleux, j’aime ce mot inconnu des dictionnaires et de Gougueule (jusqu’à aujourd’hui).

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  • De plus ou moins bon pied, m’appuyant sur celle qui marche à mes côtés, je rejoins ma voiture ce dimanche et nous voilà partis pour une tournée de vide greniers, laquelle commence à Rouen dans le quartier Saint-Julien.

    Au petit matin, l’endroit nous est comme hostile, nous n’y faisons qu’un aller et retour sans y trouver quoi que ce soit et partons pour l’attrayant village d’Houppeville où la pêche n’est pas meilleure.

    La carte routière sur les genoux, elle m’emmène à Saint-Jacques de Darnétal. Je me gare devant la gendarmerie. Le soleil nous rattrape dans le parc où se tient le déballage. Je la laisse devant un éventaire qui propose des paires de chaussures, cherchant de mon côté quelque livre excitant.

    Elle me rejoint avec sur les bras deux boîtes de chaussures.

    -Tu les as payées combien ?

    -Elle me les a données, se réjouit-elle.

    Ce n’est pas la première fois qu’on lui fait des cadeaux en de tels lieux.

    Nous rentrons à Rouen où, sous un soleil à éclipses, nous déjeunons dans le jardin en buvant modérément car ensuite je reprends la voiture pour visiter le vide grenier de l’hippodrome de Bihorel. Deux tours d’hippodrome c’est bon pour les chevaux mais pas pour un homme clopinant.

    Cependant, il faut croire que je n’en ai pas assez puisque après l’avoir reconduite dans sa famille, je retourne à Saint-Julien dont le visage n’est plus rébarbatif, Il fait chaud soleil et la foule du quartier a envahi les rues. J’achète pour celle qui n’est plus là un Bataille qu’elle n’a pas : Les larmes d’Eros dans l’édition Dix-Huit, en couverture l’Ange anatomique de Gautier d’Agoty. Ce sont les Surréalistes qui ont donné ce titre au dessin, apprends-je rentré chez moi, lequel se nomme en réalité Femme vue de dos, disséquée de la nuque au sacrum.

    *

    Quand même quelques livres dans mon sac au bout de ce dimanche : les Histoires impossibles d’Ambrose Bierce (Cahiers Rouges Grasset), Mal de pierres, récit familial sarde de Milena Agus (Liana Levi) et Sylvia de Leonard Michaels (Christian Bourgois). 

    Ce dernier est le récit quasi clinique de la relation qu’eut l’auteur trente ans plus tôt avec Sylvia Bloch, une histoire terminée tragiquement dans laquelle on croise Miles Davis, Jack Kerouac et Lenny Bruce.

    *

    A pied, pour mon pied, une deuxième fois lundi matin chez mon nouveau médecin. La fois précédente, mardi dernier, une visiteuse médicale (comme on dit dans ce milieu), c’est-à-dire une commerciale (comme on dit ailleurs), est venue le convier à la présentation d’un nouveau médicament un mercredi à venir. Son argument massue : « C’est chez Gill ». Lui, a répondu qu’il ne travaille pas le mercredi.

    Gill, le restaurant le plus étoilé à Rouen par la maison Michelin, on ne se refuse rien chez les marchands de médicaments. Cela sera inclus ensuite dans le prix du nouveau produit et remboursé par la Sécurité Sociale (en déficit).

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  • Jeudi après-midi, malgré mon mal de pied, je passe pour la troisième fois à l’Opéra de Rouen où j’espère qu’une place se sera libérée pour le concert du jour (il paraît que c’est complet).

    « Non » répond la guichetière à ma question. Je remonte la rue de la Jeanne jusqu’au cabinet de radiologie où l’on fait des images de l’intérieur de mon pied gauche. « Pas d’arthrose » me dit la radiologue « peut-être une tendinite ».

    Un peu avant dix-neuf heures, sous un ciel menaçant, je suis devant l’Opéra. A côté, une banderole décore la Chambre de Commerce et d’Industrie. J’en note le texte sur mon carnet : « Sur l’axe Seine, au fil de l’eau l’économie impressionne ». Il s’agit d’une exposition du festival Normandie Impressionniste, money et mots niais.

    A l’ouverture des portes, nous sommes un certain nombre à vouloir une place, des non abonné(e)s et des abonné(e)s, d’abord séparé(e)s en deux files par des guichetières visiblement pas prêtes, puis rassemblé(e)s en une seul file, bref traité(e)s comme bétail, ce qui, je le fais savoir verbalement avec l’amabilité qu’on me connaît, m’irrite au plus haut point, et toujours officiellement aucune place.

    Celui qui s’impatiente derrière moi, abonné aussi, juge qu’au minimum il aurait dû exister une liste d’attente comme dans les aéroports afin que l’on ne soit pas obligé d’attendre comme des veaux.

    Soudain, sans que quiconque ne soit venu rendre des billets, la guichetière se met à en vendre à tour de bras. La file avance à grands pas. C’est à moi. J’ai une place en loge de corbeille.

    Cinq minutes avant le début du concert, des étudiant(e)s s’installent avec des billets de dernière minute et à la fermeture des portes il reste au moins quinze places libres. J’imagine qu’aux premier et second balcons il en reste bien davantage.

    La musique ce soir est estampillée Normandie Impressionniste. David Greilsammer, pianiste invité, est souffrant et remplacé par Georges Pludermacher, le programme modifié en conséquence.

    Il débute avec le Prélude à l’après-midi d’un faune de Claude Debussy, qui m’ennuie, tandis que la pluie se fait entendre sur le toit de la maison. Je ne m’anime qu’avec le Concerto pour piano en sol de Maurice Ravel, pour lequel Georges Pludermacher reçoit moult applaudissements qui nous valent un supplément de programme :

    -Je devrais jouer Jardin sous la pluie de Debussy, nous dit notre pianiste, mais je ne l’ai pas dans les doigts.

    Il joue donc autre chose dont je n’entends ni le titre ni le compositeur puis en deuxième rappel l’Ondine de Maurice Ravel et emporte avec lui la sympathie du public.

    Pendant l’entracte, l’orage continue, Rouen luit. On me demande si j’étais au vernissage de l’exposition Emaux atmosphériques (la céramique « impressionniste ») au Musée de la Céramique. Non, j’ai oublié.

    Ça ne m’empêche pas d’en parler. Il paraît que j’aurais été bien content car Valérie Fourneyron, Maire de Rouen, dans son discours ne cessait d’employer le mot « fabuleux », tandis qu’à ses côtés, muet et souriant, se tenait Laurent le Fabuleux.

    Le concert reprend avec le Prélude de l’acte un de Lohengrin de Richard Wagner. L’orage est toujours là, grondant. Les percussionnistes se regardent et sourient de cet encombrant concurrent.

    Pour finir en beauté, c’est La Mer de Claude Debussy, gros succès pour l’Orchestre et son chef Oswald Sallaberger.

    -Ce soir, c’était un peu Singin’ in the Rain, nous dit-il.

    Il reste suffisamment d’eau dans les rues pour que je fasse le Gene Kelly en rentrant. Seul mon pied douloureux m’en empêche.

    *

    Je me souviens d’Yves Montand disant : « Quand tu es vieux, si un jour tu te réveilles sans avoir mal quelque part, c’est que tu es mort ».

    *

    Vendredi soir, comptant réviser mon Bach avec le Conservatoire, je me présente une demi-heure avant le concert à la porte de l’église Saint-Maclou. Elle est curieusement close. J’attends un peu, près de la Banque du miel, œuvre d’art où bourdonnent les abeilles. Deux femmes se heurtent également à la porte et repartent. Je choisis moi aussi de rentrer, croisant rue Saint-Romain des dadais qui se dirigent vers le foute leur paque de bière à la main.

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  • Clopinant sous le ciel gris, je commence ma tournée des librairies par le Book-Off du Faubourg Saint-Antoine, emplis un peu mon sac, puis déjeune d’un menu vapeur chez Délices Traiteur.

    Près de là, des Sans Papiers occupent les abords de l’Opéra Bastille. Ils sont une vingtaine de Chinois et plusieurs centaines d’Africains, en grève depuis des mois afin d’être régularisés. L’autre jeudi, les policiers les ont sévèrement évacués. Ils sont revenus, ont réinstallé leurs bâches en plastique bleu (certaines fixées à l’auvent d’un café), leurs cartons sur le sol, leurs duvets qui sèchent après la pluie de la nuit. C’est l’heure du repas improvisé dans le camp de réfugiés surveillé par les Céhéresses dont certains mangent un sandouiche dans leur camion.

    Les passant(e)s passent et vont à leurs affaires. Je mets une pièce dans leur tirelire et fais de même.

    Me voici à Saint-Michel où je poursuis ma quête de livres tandis que la pluie se met à tomber. Je m’en abrite au Malongo de la rue Saint-André-des-Arts le temps d’un café, espérant qu’elle cesse mais c’est foutu. Je me demande comment ça se passe sous cette flotte pour les Sans Papiers de l’Opéra Bastille.

    Je reste un long moment  à l’abri sous l’auvent de Gibert Jeune, puis d’un coup de métro termine mon périple au Book-Off de la rue Monsigny. Il pleut toujours. J’ai mal au pied. Je vais m’asseoir à la gare Saint-Lazare où les trains circulent plus ou moins bien. Retards annoncés, trains supprimés, réservations non marquées, du haut-parleur ne cessent de surgir des messages au bord de la crise de nerf. Je lis l’une de mes acquisitions, les Lettres à Madame Calandrini de Mademoiselle Aïssé dans l’édition Rivages Poche. Cette demoiselle, ancienne princesse circassienne, fut achetée à l’âge de quatre ans au début de l’année mil six cent quatre-vingt-dix-huit par un diplomate français qui voulait plus tard en faire sa fille ou sa maîtresse et qui, comme l’indique sobrement la quatrième de couverture  « choisit de faire coïncider les deux rôles ».

    Mon train fait partie de ceux qui partent à l’heure. J’y consulte les livres achetés, dont Enfants des morts, gros roman d’Elfriede Jelinek (Le Seuil), Un beau matin d’été et Instants de guerre, deux des ouvrages autobiographiques sur fond de Guerre d’Espagne de Laurie Lee (Libretto Phébus) et Plein de vie, biographie de John Fante par Stephen Cooper (Dix/Dix-Huit).

    A l’arrivée à Rouen, juste dix minutes de retard à cause des pierres de Rolleboise, j’appelle celle qui s’inquiète pour moi à Paris et qui découvre en ce moment sur les chantiers certaines réalités du monde du bâtiment.

    L’autre samedi, elle me racontait qu’il arrive lorsqu’on détruit un édifice d’y trouver un squelette, celui d’un ouvrier sans papiers mort accidentellement et dont, pour éviter les ennuis, on a coulé le corps dans le béton.

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  • Malgré un pied douloureux et une pluie annoncée, je prends le chemin de la gare de Rouen ce mercredi à l’heure où les rues de l’hyper centre, quasi désertes, sont parcourues par les laveuses qui réveillent au carchère les touristes et les autres et par des voitures de police à la recherche de je ne sais qui.

    Place des Carmes, un employé municipal décolle une affichette des anarchistes sur laquelle ils se plaignent des misères que leur fait la socialiste Fourneyron, maire de la ville où l’affichage libre est sévèrement réglementé, allez hop, quinze euros de plus à payer pour ces rebelles (qu’ils ne paieront pas).

    Dans le train, je lis Les juins ont tous la même peau (rapport sur Boris Vian), mince livre de Chloé Delaume, dans l’édition de poche Points Seuil. Chloé y raconte comment adolescente elle fut sauvée par la lecture de L’Ecume des jours, précisément par cette phrase : Il n’est pas malheureux, dit la souris, il a de la peine.

    Les années quatre-vingt à Houilles, Yvelines (78) : j’ai rencontré un homme dit Boris Vian Boris. Et il m’a révélé en quoi ça consistait, ça consistait en vrai, le mot littérature. Celle qui peut sans abus s’emmitoufler première de pleins et de déliés dès l’amorce majuscule. Celle qui ne parle pas mais dit. Celle qui sait que son sang se tarit endémique si seule la narration s’y tapit aux globules, celle qui ne délègue pas son pouls à la fiction. écrit Chloé Delaume qui a ensuite tout lu de lui et tout su de lui.

    Les années soixante, à Louviers, Eure (27) : j’ai rencontré le même homme par le même livre qui m’a sauvé également, bien que ma vie d’alors fut moins tragique que celle de Chloé Delaume sous ses yeux de qui, quand elle avait neuf ans, le père tua la mère puis se suicida.

    Cela se passait un trente juin et Boris Vian est mort un vingt-trois juin, d’où le titre.

    J’ai tout lu de Boris Vian pendant mon adolescence, tout su de lui et comme Chloé Delaume fut déçu de ne pas aimer le jazz comme lui. Aujourd'hui, j'ai toujours du Vian dans mon crâne.

    Ma lecture du rapport sur Boris Vian est terminée depuis longtemps quand après être passé à Houilles le train arrive à Saint-Lazare. Dix minutes de retard pour cause de risque de chutes de pierre dans le tunnel de Rolleboise, puis dix minutes de retard pour cause de problème de signalisation aux Mureaux, ça ne fait que vingt minutes de temps perdu selon la définition qu’en donnait le Bison Ravi, cité par Chloé Delaume : Le temps perdu c’est le temps pendant lequel on est à la merci des autres.

    *

    Il écrivait aussi (cité par elle) : Je veux une vie en forme de toi. ce qui me fait songer à celle qui est en stage à Paris où je ne la verrai pas.

    *

    Dans le métro, comme ailleurs, je n’entends parler que de la Coupe du Monde. C’est reparti avec le foute, cette peste émotionnelle, pour reprendre le titre du livre de Jean-Marie Brohm et Marc Perelman publié chez Folio, cette école du nationalisme, du racisme, de la violence et de la triche, cette infantilisation permanente pour toutes les classes d'âge, toutes les générations, toutes les catégories sociales.

    L’apéro géant (avec écran de même grandeur) organisé chaque soir par la Mairie de Rouen se tiendra cette année place du Vieux, et non plus place de l’Hôtel de Ville comme par le passé, d’où l’espoir d’un peu moins de pisseurs de bière dans ma ruelle.

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  • Alerté par une amie du réseau social Effe Bé, j’en lis une bien bonne dans Le Monde. Christian Manable, président socialiste du Conseil Général de la Somme, a interdit une semaine avant son ouverture l’exposition prudemment intitulée Pour adultes seulement qui devait se tenir à la Bibliothèque Départementale de Prêt à Amiens.

    On aurait dû y voir, jusqu'au dix-neuf juillet, une soixantaine de dessins, peintures et gravures érotiques, tous des originaux et la plupart inédits, réalisés par vingt-six artistes connus pour leurs oeuvres destinées aux enfants : Tomi Ungerer, Léo Kouper, André François, Jean Claverie, Nicole Claveloux, Alain Gauthier, Georges Lemoine, etc.

    Parmi ces œuvres, deux ont particulièrement choqué le politicien socialiste : Le train de petite ceinture, une peinture d’Alain Gauthier montrant un train qui circule sur le porte-jarretelles d’une femme épilée et une gravure de Bruno Heitz représentant une femme nue à quatre pattes dans l'herbe qui pose pour un peintre assis sous un arbre, avec, sur sa planche à dessin, la tête de la Vache qui rit.

    « …ces deux oeuvres, au moins, heurtent mes valeurs de gauche. » a déclaré le Président du Conseil Général de la Somme. « La modèle dans le pré donne une image dégradante de la femme, et celle qui a le sexe épilé est ambiguë par rapport à la représentation de l'enfance. Et puis des textes qui analysent les œuvres sont également choquants. »

    La responsable de l’exposition annulée par le politicien, Janine Kotwica, agrégée de lettres, retraitée de l'Education Nationale et spécialiste de l'illustration pour la jeunesse et du dessin de presse, est consternée : « Je suis grand-mère, la toile de Gauthier figure dans mon salon, mes petits-enfants la voient tout le temps, et on me parle de pédophilie... »

    Cela se passe donc à Amiens, la ville de Clovis Trouille, encore il y a peu exposé au Musée, où l’on a maintenant des valeurs de gauche.

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    Il se déroule heureusement des évènements plus réjouissants. Ainsi à Dieppe, ces deux mille lycéen(ne)s dans les rues de la ville pour soutenir Jessica, élève de première au lycée Jehan-Ango, menacée de reconduite à la frontière par le gouvernement national sarkoziste. Avant de partir à Paris ce mercredi, je signe pour elle, son frère et ses parents, sur le site du Réseau Education Sans Frontières.

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