• Samedi soir, revenus du Cimetière mondial de l’Art, elle et moi nous dirigeons vers l’Opéra de Rouen où l’on donne un concert Bouffes-Parisiens. J’ai mon billet d’abonné pas très bien placé, elle en espère un de dernière minute à cinq euros.

    Je la laisse au guichet et monte à l’étage, considérant de là-haut la vie rouennaise, croisement de péniches, de voitures et de rames de métro dont l’une grotesquement repeinte à la manière impressionniste. Celle que j’attends ne tarde guère à me rejoindre avec en main une place gratuite offerte par une spectatrice.

    Afin d’être ensemble, nous attendons la presque fermeture des portes et prenons place en corbeille au bout d’une rangée dont plusieurs places sont restées libres.

    L’Orchestre s’installe et s’accorde. Entrent le chef Benjamin Lévy et les chanteuses Bénédicte Tauran (soprano) et Carine Séchaye (mezzo-soprano) pour des extraits d’Orphée aux enfers de Jacques Offenbach, puis arrive Christophe Crapez (ténor), très à l’aise dans le répertoire bouffon. Outre celles d’Offenbach sont au programme des œuvres d’Emmanuel Chabrier et de Léo Delibes. Benjamin Lévy au micro nous en narre un peu l’histoire. Celle qui me tient la main trouve qu’il ressemble à un farfadet.

    Pas grand-chose à dire de plus, nous oyons avec plaisir des histoires bêtes « de nature à plaire aux intelligences cultivées et à la masse des spectateurs » comme le déclarait Offenbach. Quel bonheur d’être des intelligences cultivées. La masse des spectateurs applaudit bien fort et nous aussi. En récompense, nous avons droit en rappel au Couplet des baisers extrait de l'Orphée aux enfers du maître Jacques. Nous voici toutes et tous à faire smack smack, smack smack, ah ce qu’on s’amuse à l’Opéra de Rouen.

    Courant presque pour éviter une drache qui éclate à notre arrivée dans la ruelle, nous entrons vite et nous cachons sous la couette où smack smack, smack smack, la soirée s’achève de bonne façon.

    *

    Au Son du Cor, je lis le Journal d’adolescence de la psychanalyste Karen Horney, commencé à treize ans, arrêté à vingt-six, paru aux Editions des Femmes en mil neuf cent quatre-vingt-sept. Extrait du huit janvier mil neuf cent six (elle a vingt ans) :

    Et les vieux ?

    Première catégorie : ruines,

    Deuxième catégorie : enfants,

    Troisième catégorie : hypocrites ou abrutis.

    *

    A une table voisine, deux éméchés buveurs de bière.

    L’un : « D’un point de vue écologique, il vaut mieux boire du vin que de la bière. Dans mon verre, là, tu vois, y a de quoi donner à manger à une Africaine pendant une semaine. Ben oui, c’est des céréales et on en fait de la bière au lieu d’en faire de la nourriture, alors que le vin…

    L’autre : J’entends bien mais j’ai un amour profond pour la bière.

    *

    Titre d’un tract des Jeunes Communistes d’ici : « Attaque unilatérale d’un convoi humanitaire : La barbarie n’a plus de limites ! »

    C’était si bien quand la barbarie avait des limites.

    *

    Arrivé trop tôt au Rêve de l’Escalier, je fais un tour rue Cauchoise où le commerce périclite (à louer, à vendre, changement de propriétaire). Un avis officiel attire mon œil sur la vitre du Zooloo Bar, siglé Mairie de Rouen, Direction de la Tranquillité Publique, signé Christine Rambaud (dite Rambo par les commerçant(e)s du marché). Ce bar de zoulous est condamné par la dame à fermer à minuit « considérant les plaintes des riverains relatives au bruit produit par la musique amplifiée, aux attroupements  bruyants et aux débordements ».

    Rouen a donc maintenant une Direction de la Tranquillité Publique, de quoi mériter un peu plus son titre de Belle Endormie.

    -Christine, qu’est-ce que tu fais ce soir ?

    -Oh bah, une verveine, un épisode de Derrick, et puis au lit.

    Partager via Gmail Yahoo!