• Après une nuit paisible, c’est seul, elle chez ses parents, que je rejoins ma voiture dimanche dès potron-jacquet. Celle-ci, moins réveillée que moi, manque ne pas démarrer. Je l’échappe belle et peux rejoindre Pacy-sur-Eure où pour la deuxième fois se tient la Foire aux bouquinistes que le socialiste Champredon, Maire d’Evreux, a viré de chez lui.

    J’arrive quand on s’installe et côtoie donc ceux des bouquinistes professionnels qui préfèrent commencer la journée en achetant chez les bouquinistes amateurs. L’un deux est le sympathique titi parisien rencontré il y a quelques semaines à Vernon, un baratineur qui s’y entend pour faire baisser les prix (j’en profite un peu).

    L’ambiance est bon enfant. Je discute avec trois dames qui vendent pour améliorer l’ordinaire des vieux et vieilles d’une maison de retraite. L’une d’elle s’inquiète d’avoir à proposer un livre consacré à Sarkozy. Il s’agit de la Chronique du règne de Nicolas 1er de Patrick Rambaud. Elle a peur de faire fuir le client. Je lui dis qu’elle n’a rien à craindre, au contraire, puisqu’il s’agit d’une satire.

    Je m’attarde ensuite chez un autre vendeur. Il a une belle quantité de livres et du mal à les disposer. Il m’explique qu’il était imprimeur. Tous ces ouvrages proviennent de sa bibliothèque, il les a tous imprimés. Je devine qu’il n’en a lu aucun. Me prenant sans doute pour un professionnel, il propose de me faire un prix pour le grand carton rempli de « Bourgeois ». Cinquante livres publiés par Christian Bourgois dans les années quatre-vingt-dix pour vingt-cinq euros, comment résister ? Je rejoins ma voiture, heureusement garée près, avec sur les bras un lourd fardeau. Et puis j’y retourne.

    Notre ami le bouquiniste parisien regagnant sa camionnette garée à l’entrée du déballage pousse soudain de grands cris. Une policière municipale a jugé bon de lui mettre une prune pendant qu’il achetait ailleurs.

    -Je vais déballer quand même, s’insurge-t-il, mais c’est sûr l’an prochain on ne me verra pas ici.

    Les présent(e)s compatissent et bientôt le monde est occupé à dire du mal de la police qu’elle soit municipale ou nationale.

    Un vendeur me dit qu’il n’y aura peut-être pas d’an prochain ici à Pacy-sur-Eure car le Maire d’Evreux veut relancer l’affaire chez lui et à son nom.

    -Un grand classique, me dit-il, on vire une association, on laisse passer une ou deux années et puis on reprend l’animation pour son propre bénéfice.

    On dit un peu de mal des politiciens. J’achète d’autres livres et avant que le temps ne se dégrade, je file à La Chapelle-Réanville, près de Vernon, où se tient un imposant vide grenier, six cents exposant(e)s sur le plateau au-dessus du village.

    Une averse m’y accueille. Les exposant(e)s tentent de protéger leur déballage avec des plastiques, l’occasion pour les visiteuses et les visiteurs de se délecter un peu du malheur d’autrui. Un plaisir qui ne dure guère, le nuage passe et après avoir trouvé un lot de stylos noirs, je me charge encore de plusieurs livres.

    Revenu à Rouen, je suis contraint d’approcher la voiture de mon logis via les rues piétonnières (ce que je n’aime pas faire). Je la décharge puis vais la garer en face du garagiste, prête à lui être confiée le lendemain matin.

    *

    Parmi les livres trouvés à Pacy-sur-Eure, quelques pépites : Carnets en marge, le journal de Roland Dubillard (Gallimard), Mireille Havet, l’enfant terrible, la biographie d’icelle par Emmanuelle Retaillaud-Bajac (Grasset), Lettres de désir et de souffrance, la correspondance de René Crevel (Fayard), Journal du ghetto de Janusz Korczak (Laffont) et, joli petit objet publié aux Editions de l’Aube, Gioconda, le texte autobiographique de Nikos Kokantzis où il narre son histoire d’amour avec une jeune juive qui sera déportée à Auschwitz en mil neuf cent quarante-trois, un roman particulièrement apprécié par Dominique A.

    À La Chapelle-Réanville : Etrange étranger de Robert Bréchon, la biographie de Fernando Pessoa parue chez Christian Bourgois.

    *

    Voici donc Olivier Poivre (d’Arvor), petit frère de Patrick Poivre (d’Arvor), nommé directeur de France Culture, un couronnement pour celui qui n’a pas investi dans les implants capillaires.

    Olivier Poivre n’a pas toujours été chauve. Je me souviens de lui, dans les années soixante-dix, charmant l’une des filles de la Conservatrice du Musée de Louviers à grands coups de mèche romantique.

    Il déclare à Rue Quatre-vingt-neuf qu’il aimerait ajouter un « s » à Culture. Je me rappelle qu’il y a quelques années un autre ignorant avait ajouté un « s » à France Musique.

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  • Avant encore une année à étudier l’architecture intérieure, celle qui me tient la main me rejoint vendredi midi après l’orage pour, si possible, passer un bon moment.

    Nous déjeunons à la Pasta Tinto dont l’une des serveuses ne nous est pas inconnue, repas sans surprise : pâtes aux fruits de mer, tiramisu, cruchon de vin blanc, rien de neuf mais on vient ici pour que ce soit la même chose que les années passées et n’être pas déçus.

    Nous ne sommes pas déçus non plus de notre après-midi sous la couette tandis que sur le toit tombe la pluie.

    Samedi après une nuit de peu de sommeil, la faute à un voisin instable qui soigne sa déprime en regardant des films d’horreur, et un cachet d’aspirine au petit matin, je prends sous un ciel clair la route d’Alizay, elle à mes côtés. Le vide grenier s’y tient entre plusieurs bâtiments communaux dont au moins un gymnase et une école maternelle contre laquelle je fais pipi, nulle vengeance là-dedans, l’endroit est pratique c’est tout.

    Va-t-elle ou non acheter ce renard empaillé à deux euros ? Elle hésite et regrette quand repassant par là elle constate qu’il a été vendu. Elle opte alors pour un jeu de bulles de savon.

    Rentrés à Rouen, nous explorons l’autre vide grenier de ce samedi sur le quai rive gauche entre les mares d’eau mais c’est finalement au marché habituel du Clos Saint-Marc que je trouve pour trois euros chez une brocanteuse le livre qui me manquait : les Pensées de Giacomo Leopardi (Editions Allia).

    Entre nuages et soleil, nous déjeunons sur le banc et puis elle fait des bulles légères dont aucune n’arrive à fuir le jardin.

    *

    En perdant la jeunesse, l’homme perd la faculté de communiquer et pour tout dire d’inspirer à autrui sa propre présence ; il se trouve privé de ce magnétisme que le jeune homme émet autour de lui et qui le relie à son entourage par une sorte d’affinité naturelle ; et il comprend alors douloureusement qu’il est désormais en société comme séparé de tous, au milieu d’êtres sensibles à peine plus attentifs à son égard que des objets inanimés. (Giacomo Leopardi, Pensée Soixante et Une)

    *

     A Louviers, notre médecin de famille n’était pas le docteur Delabrousse dont les livres épars sont vendus ce samedi au Clos Saint-Marc mais le docteur Pestre. Je le revois descendant l’escalier après une visite, se tournant vers mes grands-parents et vers mes parents pour leur dire de bien voter dimanche prochain.

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  • Pas question de quitter les mois d’été sans aller visiter mon ami moine en son abbaye du Bec-Hellouin, ce que je fais mercredi avec celle qui est assise à ma droite dans la voiture.

    Nous prenons le chemin des vacanciers, vagabondant sur les routes de campagne. Je m’arrête dans le Roumois près du chêne de la Vierge (une statue d’icelle nichant dans une boîte en verre est fixée sur le tronc d’un arbre à glands). A pied, nous errons dans la nature par un chemin courant entre forêt et prés. Des volailles et des bovins se partagent l’herbe verte. Quelques rayons de soleil percent les nuages.

    Après cette promenade bucolique, je rejoins Appeville-dit-Annebault pour le déjeuner que nous prenons au Café Restaurant de la Poste, une bonne adresse repérée lors du dernier vide grenier, puis direction Le Bec-Hellouin où nous arrivons sans croiser l’alcootest de la gendarmerie, sous les premières gouttes de pluie et un peu en avance,

    Nous tentons de nous abriter dans l’église de l’abbaye mais celle-ci est fermée. Un marronnier nous sert de parapluie. Quand deux heures sonnent à l’église du village, nous traversons en diagonale la cour intérieure en direction de la lingerie. L’ami moine est là dénoyautant des mirabelles.

    Nous devisons dans un salon particulier où il nous offre une boisson chaude, lui content de savoir ma fille qu’il connaît depuis son arrivée en France devenue maman, se fichant un peu de moi devenu grand-père. Il nous narre les dernières péripéties de la vie du village (je ne peux pas raconter ça), se désolant d’y voir de plus en plus de résidences secondaires. Un peu d’animation est momentanément donnée, nous explique-t-il, par la fermeture pour travaux de l’église de Brionne, mariages et enterrements ayant lieu en l’église du Bec. « Nous ne sommes plus que douze moines au Bec-Hellouin », se désole-t-il. A lui seul, il occupe quatre ou cinq fonctions indispensables à la vie quotidienne de la communauté. Il est heureusement en meilleure santé que l’an dernier.

    -Ça fait combien de temps qu’on se connaît, vingt ans ? me demande-t-il.

    -Trente ans plutôt, même un peu plus.

    Je me souviens de notre première discussion, lui cueillant des fleurs dans le pré derrière l’école. Il va moins loin aujourd’hui pour récolter de quoi fleurir l’église, ce qu’il vient de faire en l’honneur de Saint Herluin, fondateur de l’abbaye, dont c’est la fête demain.

    Il nous parle de l’arrivée prochaine d’énormes cloches pour la tour Saint-Nicolas qui vient d’être réhabilitée. Un toit remplace la plateforme d’où l’on pouvait dominer la campagne environnante, plus question de grimper là-haut. Je ne compte pas les fois où je l’ai fait, spécialement à l’heure du coucher du soleil.

    Il nous parle aussi de ses potirons géants qui poussent sur le tas de fumier et nous voici partis pour le jardin dont pas mal de légumes et de fruits sont boulottés par les lapins. Les énormes cucurbitacées sont déjà une bonne dizaine et la question est : qu’en faire ?

    J’ai dans les mains deux courgettes et deux cornichons quand mon ami moine nous reconduit doucement vers la sortie. Il nous suggère la suite du programme. Il y a une exposition de peinture à la salle des fêtes, lui les a trouvés tristes ces tableaux, mais nous cela pourrait peut-être nous intéresser.

    Nous nous disons au revoir, je dépose mes légumes dans le coffre de la voiture et propose à celle qui m’accompagne de jeter un œil (comme on dit) sur cette peinture.

    Longtemps que je n’étais entré dans cette salle où chaque année j’organisais la fête de Noël et celle de la distribution des prix. Je suis tellement heureux d’être débarrassé de ce genre de corvée.

    Quant à la peinture que l’on montre au Bec-Hellouin, je préfère ne pas en parler, ni donner le nom de l’artiste. Une après-midi dans une abbaye peut faire de moi un être charitable. Temporairement.

    *

    Ce jeudi, avec celle qui me tient la main, je passe pour la presque dernière fois sous la Camille d’Arne Quinze et nous voici au marché des Emmurées parmi ceux qui fouillent un formidable amas de livres.

    De ce vrac, je tire les deux volumes des Mémoires d’un touriste de Stendhal, une élégante édition intégrale due aux Editions Ressouvenances.

    Un cachet indique que ces Mémoires d’un touriste, comme beaucoup d’autres livres du tas, ont appartenu au docteur Delabrousse, médecin à Louviers, un nom qui m’est familier, souvent entendu durant mon enfance.

    *

    Internet m’apprend que le docteur Roger Delabrousse est mort à l'âge de quatre-vingt-sept ans le dix-neuf juillet deux mille dix. Il n’a pas fallu longtemps pour que sa bibliothèque se retrouve sur le macadam.

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  • La pluie n’est pas encore de retour dimanche au lever du jour. Nous sommes sur la route de Muids. Elle s’amuse des petits lapins qui courent sur le talus près de la prison de Val-de-Reuil. Pas un ne traverse la route. Ils laissent le plaisir de se faire aplatir aux hérissons.

    Arrivés sur place, je me gare à l’entrée du village, près du cimetière. Celle qui m’accompagne cherche un sac et le trouve. Je cherche des livres et ne les trouve pas. Ensuite c’est la même chose à Pîtres, que nous rejoignons par la jolie route entre Seine et falaise. Là, non loin du pré du fatal concert de la veille, j’achète des rouleaux d’adhésif et elle rien.

    Je ne peux trouver des livres à chaque fois. D’ailleurs, ceux-ci s’amoncellent au point que j’oublie d’en noter certains, comme ce Twenty d’Erich von Götha, bande dessinée pour adultes trouvée samedi à Montaure, un ouvrage publié aux Editions International Presse Magazine à une date non précisée, où est narrée l’histoire d’une demoiselle livrée aux membres du Club des Pervers.

    En chemin, nous décidons de faire de ce dimanche le jour de notre repas Cro-Magnon. J’achète un poulet rôti au Clos Saint-Marc. Elle achète les frites maison à la kebaberie de la rue de la République.

    A l’ombre, dans le jardin, tout en mangeant avec les doigts, nous devisons de la rentrée prochaine. Elle voudrait que cela n’arrive pas ou bien déjà y être.

    *

    Le matin, avant de partir, Philippe Sollers sur France Culture, un chapelet de banalités dites avec une suffisance qui fera rire dans dix ou vingt ans lors des rediffusions nocturnes.

    *

    Enfin terminé La Fille sans qualités de Juli Zeh (Actes Sud), roman qui m’a plu jusqu’aux trois quarts et puis cette histoire de lycéen et lycéenne faisant chanter un professeur devient ennuyeuse, tourne au prêchi-prêcha, encore un de ces romans trop longs.

    *

    Le ravalement de l’immeuble d’en face s’achève. Arrive l’équipe chargée du démontage des échafaudages. Que des hommes à la peau noire.

    *

    On en trouve qui, au nom de la laïcité et de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, s’insurgent de la condamnation de la politique anti Roms de Sarkozy par Benoît le Seizième et reprochent à son prédécesseur de s’être tu pendant la deuxième Guerre Mondiale.

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  • Samedi soir, nous voici elle et moi à Pîtres où ce sont les Pitreries. Je me gare près de l’église afin d’éviter l’embouteillage en fin de soirée. Nous faisons d’abord connaissance avec deux dromadaires et un chameau peu farouches puis nous assistons à l’envol de la montgolfière de l’Eure. Elle emporte à son bord un commentateur, lequel s’émerveille d’apercevoir le barrage de Poses et la côte des Deux Amants. Comme tout cela est émouvant.

    Des vigiles d’occasion enlèvent les barrières du décollage afin que puisse s’amasser le monde venu là pour le concert gratuit des Fatals Picards. Le soleil se couche dans notre dos. Un à un démarrent les manèges de la fête foraine. Nous nous souvenons du concert des rigolos de Picardie en deux mille sept à Saint-Etienne-du-Rouvray, une bien bonne soirée.

    Longtemps qu’elle et moi n’avions vu autant de gothiques, ni de porteurs de ticheurtes à la gloire de Nirvana ou des Sex Pistols. Un quadragénaire accompagné de femme et enfants se distingue avec écrit sur son gros ventre « Les prolos se tuent à la tâche, les patrons se tuent à la hache ».

    Les artistes quant à eux se font attendre comme le font les artistes et quand ils apparaissent elle et moi nous posons la même question : Mais il est où le chanteur chauve ? Il ne reste que le comparse, le faire-valoir, qui interprète mal nos chansonnettes préférées et nous saoule de ses blagues à deux balles.

    L’ancien numéro deux devenu calife à la place du calife est un piètre numéro un. Il s’accroche que c’en est pitoyable.  Au bout de cinq ou six morceaux, nous décidons de filer.

    -Ce n’est pas grave, me dit-elle tandis que je reprends la route de Rouen, il nous reste le souvenir du précédent concert et les chansons du cédé Pamplemousse mécanique.

    *

    Si je m’étais intéressé à la carrière des Fatals Picards, j’aurais su qu’Ivan Callot, le chauve sachant chanter, celui qui avait de l’humour, a quitté le groupe fin deux mille sept, fatale décision.

    Reste Paul Léger qui ne porte pas bien son nom.

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  • Retour passager du beau temps en cette fin de semaine, c’est sous le soleil que celle qui me tient la main et moi partons pour Evreux jeudi après-midi. Je me gare près de la maternité. Il s’agit de faire connaissance avec la nouvelle née dont je suis le grand-père et dont la mère se remet douloureusement.

    Quelle que soit la façon dont il se déroule un accouchement reste un acte d’une grande violence, nous disons-nous sur la route du retour.

    Nous nous arrêtons à Acquigny, attirés par le plan d’eau visible de l’autoroute et difficile à trouver. Marcher nous fait du bien, à notre gauche le lac paisible garni de cygnes, à notre droite l’Iton limpide prêt à se jeter dans l’Eure. Du pont de chemin de fer désaffecté une demoiselle se jette à l’eau. Nous sommes un peu tristes l’un et l’autre.

    Le lendemain soir, je lui propose l’ascension de la côte Sainte-Catherine. Munis d’un pique-nique, nous en gravissons les marches et, arrivés au sommet, nous installons sur un banc de pierre, contemplant Rouen la vieille endormie et sa banlieue brumeuse. Deux ans que nous n’étions pas venus ici. Trains, péniches, camions et voitures assurent un minimum de mouvement. Les éoliennes sont toujours absentes.

    De là-haut, la Camille d’Arne Quinze ressemble à sa maquette montrée au Musée des Beaux-Arts, me dit celle qui mange à mes côtés. Elle y était ce matin, visitant l’exposition impressionniste de Fabius (beaucoup de monde essentiellement des vieilles et des vieux). Elle m’explique que cette maquette est fâcheusement coupée en trois morceaux.

    A notre gauche, un bâtiment blanc qui n’était point là la dernière fois est proche de l’achèvement. La Non Médiathèque de Rouen doit être inaugurée à l’automne, un beau gâchis.

    Nous ne sommes pas seuls au sommet, d’autres couples et un quatuor de peutes saucissonnent itou mais venus par la route. En redescendant, nous croisons cependant une petite famille courageuse.

    Samedi, au lever du soleil, nous gagnons Montaure dans l’Eure où c’est vide grenier dans les prés proche de l’école. Foule des grands jours, il s’agit de rattraper celui échoué par la pluie du Vaudreuil dimanche dernier. Elle repart de là avec un cédé de Nina Simone et j’ai dans mon sac le Journal de Petr Ginz (adolescent juif mort à Auschwitz) publié au Seuil, l’Enquête sur Edgar Allan Poe de Georges Walter (Phébus Libretto) et Fugitives, nouvelles d’Alice Munro (Points Seuil).

    Avant de rentrer à Rouen, nous nous baladons dans une forêt de Bord un peu défoncée par les sangliers.

    *

    Autre balade récente à deux, le tour de l’île Lacroix, zone de promenade délaissée, son église orthodoxe Saint Silouane où l’on promet par voie d’affichette des agapes futures dans une salle proche, son pont de chemin de fer où l’on peut voir les trains de dessous, sa patinoire en travaux où j’entre sans crainte d’y croiser un sportif. Sur le portail d’une maison, un avertissement : « Danger chien léchant ».

    *

    Donc, apprends-je par Le Monde, le porte-parole des Roms d’Autriche s’appelle Rudolf Sarközy. Le même jour, je contemple une photo des pieds de Carla Bruni et de son mari, elle en chaussures plates, lui aidé de talons épais.

    Le Tout Puissant de la République, aussi certain d’être grand que d’être français.

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  • Le téléphone sonne mardi soir. J’apprends que ça y est,  je suis grand-père. La mère et l’enfant vont bien, comme on dit dans ces cas-là. Je suis heureux pour la première, inquiet pour la seconde qui arrive au monde au moment où celui-ci tourne mal. Quant à être grand-père, putain, fait chier.

    Je dors plus ou moins bien et à six heures je suis debout pour aller à Paris. A la gare de Rouen, on sent le mois d’août. Une branlotine et un branlotin découvrent avec horreur la casquette verte qu’ils devront porter au titre de jeunes voyageurs accompagnés. Elle rejoint son père, il rejoint sa mère, pas le droit de voyager en solitaire. J’apprends que le train aura vingt minutes de retard.

    Quand apparaissent deux agentes de la Société Nationale de Chemin de Fer, certains se défoulent : « C’est tous les jours pareil », « Mon patron ne m’autorise pas à arriver vingt minutes en retard », etc. La plus courageuse des deux indique qu’elle n’y est pour rien, qu’il s’agit d’ « une restitution tardive de travaux ». Dans le train, je lis la vie de John Fante par Stephen Cooper. Elle se termine en chaise roulante, amputé des deux jambes et aveugle pour cause de diabète.

    Longtemps que je n’ai pas fait le tour des librairies d’occasion parisiennes. Ce mercredi, Sainte Mélanie la Jeune, patronne des bouquinistes, est de mon côté. De plus en plus lourdement chargé, je vais de rue en rue, heureux de côtoyer des touristes joyeux et jeunes comme on n’en voit pas à Rouen, la ville des déprimants retraités en troupeaux.

    Place du Châtelet, d’autres jeunes gens sont moins gais. Ils ont la peau noire et sont sans papiers. Ils manifestent, surveillés par des policiers dont certains sont bien rembourrés. Sur un panneau publicitaire est apposée une affiche blanche avec ces mots « racisme, morts, rafles, assez ».

    *

    C’est par celle qui n’est pas avec moi à Paris que j’ai appris que Sainte Mélanie la Jeune est la patronne des bouquinistes et que cette sainte a, depuis le trente avril deux mille six, une statue à Fontenoy-la-Joûte (village du livre) où nous sommes passés quand elle avait dix-huit ans.

    *

    Bonne pêche donc à Paris, des nouvelles : Des larmes invisibles au monde d’Anton Tchékhov (Editions des Syrtes) et L’amour d’une honnête femme d’Alice Munro (Rivages Poche), de la pornographie : Aventures lubriques de Paul Fosset (Bibliothèque Blanche) et Une nuit dans un harem maure d’un anonyme anglais (Picquier Poche), une étude littéraire : Arthur Cravan, précipité de Bertrand Lacarelle (Grasset), un témoignage : Iris Murdoch, le dénouement de John Bayley (Bayard), une journal intime : Les Carnets d’Edith d’Edith Velmans (Phébus), une étude philosophico-pédestre : L’Art de marcher de Rebecca Solnit (Actes Sud) et enfin un fourre-tout : Mes démangeaisons ( Ça gratte) de Ben (le mot et le reste).

    *

    Aussi pour celle qui rejoindra Paris à la fin du mois : Trois quartiers de Valérie Mréjen (J’ai lu), édition de poche qui regroupe les trois textes précédemment parus chez Allia : Mon grand-père, L’Agrume et Eau sauvage.

    Du premier :

    Mon grand-père partait tous les ans en Italie, d’où il envoyait une carte postale adressée à notre chienne.

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  • Je connais les prévisions météorologiques, pluie toute la journée du quinze août, mais je me fais quand même réveiller par France Culture à cinq heures trente. Le pavé est encore sec. Je me prépare à partir pour le vide grenier du Vaudreuil. Quand j’ouvre la porte ça commence à tomber. Combien furieux je suis.

    C’est foutu. Je me souviens comme il faisait beau à cette date l’an dernier, et comme ma clavicule me faisait souffrir. Elle se rappelle parfois à mon mauvais souvenir. Depuis cette mésaventure, je regarde où je mets le pied dans la rue. A Rouen notamment, où les pavés sont si inégaux.

    Guère de monde en cette saison dans la capitale haut normande où la pluie me contraint à rester, on peut même s’y ennuyer ferme. Côté centre commercial à ciel ouvert, beaucoup de boutiques sont fermées. Côté parc d’attraction (où j’habite), les vieux touristes suivent tristement le guide.

    Ils passent dans ma rue en râlant contre l’échafaudage qui les empêche de faire la photo que l’on trouve déjà sur Internet. L’immeuble voisin se fait ravaler. Poutres, fenêtres et volets sont repeints en rouge bordeaux.

    Ce dimanche matin, pas un chat dans ma ruelle. L’un passant par là aurait de quoi se réjouir : une jeune mouette gît sous la pluie dans le jardin d’en face. Va mourir si personne ne s’occupe d’elle.

    Toujours là dimanche soir le malheureux oiseau, quand elle et moi revenons d’un tour de la ville déserte sous le parapluie. Un groupe d’ami(e)s des animaux se demande comment aller à son secours. L’un l’a baptisé Titou. Impossible de parvenir jusqu’au volatile, tous les habitant(e)s de l’immeuble d’en face sont absent(e)s.

    Nous deux d’accord une fois rentrés : si cela avait été un clochard, aucun(e) ne se serait arrêté(e).

    *

    Un qui ne s’ennuie pas cet été, c’est Briseur de Feu, Ministre de l’Intérieur, occupé à traquer les Roms.

    *

    Un qui cherche à faire oublier qu’officiellement Ministre de l’Industrie, il n’est que le Ministre de la Fermeture des Usines et du Chômage, c’est le Maire de Nice réclamant des sanctions contre ses collègues présumés laxistes en matière de sécurité.

    *

    Un qui a été présent sous son nom au deuxième tour de l’élection présidentielle en deux mille deux puis élu Président en deux mille sept sous le nom de Nicolas Sarkozy, c’est Jean-Marie Le F-Haine.

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  • Vendredi, après une chaude sieste sous le signe du dard, de la ruche et du miel, j’invite celle qui passe une grande partie d’août avec moi à me suivre pas loin, place Barthélemy, dans La Banque du Miel d’Oliver Darné dont on ouvre, à partir de dix-sept heures, les portes à qui veut.

    Nous arrivons bien, aucune attente, c’est la fin de la visite précédente. Bientôt, nous sommes installés à l’intérieur du bâtiment noir où il fait tout bleu, assis six de chaque côté, avec nous une apicultrice en tenue de métier, blanche combinaison.

    Elle nous fait un cours sur les abeilles, me rappelant les professeures de sciences naturelles (comme on disait) du collège Ferdinand Buisson à Louviers. Pas un mot sur la démarche artistique d’Olivier Darné, elle ne le connaît pas, nous dit-elle. Comme si cette œuvre d’art n’était que le prétexte à catéchiser sur l’importance des bestioles qui bourdonnent au fond de la Banque.

    Celle qui est assise à ma gauche s’ennuie autant que moi. Elle ne s’anime que lorsqu’il est question de la reine jeune se faisant sauter par deux cent cinquante mâles et de la spermathèque qui en résulte.

    On entend bien les deux cent mille abeilles et aussi, à l’extérieur, quelques musiciens qui donnent l’aubade. Par une sorte de Velux j’ai vue sur un rectangle de l’église Saint-Maclou. Un à un, avec une lampe de poche, nous regardons un échantillon des infatigables travailleuses dans un hublot au dos du coffre-fort contenant le miel.

    L’happy cultrice minimise les dangers encourus par les abeilles. D’après elle, tout ne va pas si mal. Ce n’est pas ce que j’ai entendu sur France Cul dans l’émission Terre à terre de Ruth Stégassy. On frappe à la porte. Le groupe suivant s’impatiente. Je n’ai pas le temps de demander à la jeune femme en blanc s’il est exact qu’en cas de disparition des abeilles l’humanité n’en aurait plus pour longtemps.

    La Banque du Miel est une installation d’Olivier Darné et du Parti Poétique « dans le cadre de l’événement Rouen Impressionnée » (jargonne le document que je prends sur la table en sortant). Le partage du butin aura lieu début septembre. Je ne sais s’il y aura assez de miel pour tout le monde, ni si Olivier Darné sera là pour faire la distribution.

    *

    « On ne prête qu’aux ruches », slogan apicole d’Olivier Darné. J’offre « On ne prête qu’aux roches » aux géologues et je me réserve « On ne prête qu’aux rêches ».

    *

    Deux lectures parallèles en cet août pluvieux (quand elle n’est pas là). Le jour, sous l’auvent du Son du Cor, Plein de vie, la biographie de John Fante écrite par Stephen Cooper (Dix/Dix-Huit) et la nuit, dans mon lit, La Fille sans qualités de Juli Zeh (Actes Sud) qui me réconcilie ponctuellement avec le roman.

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    « Je ne suis pas partisan du capitalisme ni du communisme, mais du clitorisme. », lettre de John Fante à Carey McWilliams.

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  • L’autre semaine, j’appelle la Mutuelle Générale de l’Education Nationale qui s’est plantée dans le décompte d’un de mes remboursements, un numéro à quatre chiffres, « pour le prix d’une communication locale », m’apprend le message qui me répond.

    On va faire en sorte d’écourter mon attente, me dit-on encore, « qui est actuellement comprise entre une et trois minutes ». Pour cela, on m’envoie dans l’oreille une musique énervante et des messages en boucle, lesquels alternativement me félicitent d’avoir choisi la Mutuelle Générale de l’Education Nationale et me vantent Internet qui me permettrait de résoudre mes problèmes sans avoir à téléphoner.

    Cela dure bien plus de trois minutes.

    Une jeune femme enfin me parle. Je lui explique mon souci, lui donne mon numéro d’assuré. Elle regarde ça, me dit-elle, et sans prévenir m’envoie à nouveau la musique idiote et les messages lénifiants.

    Quand elle reprend la parole, c’est pour me dire qu’elle va faire le nécessaire. Je la remercie puis lui explique que je préfèrerais ne pas avoir à supporter, quand j’appelle ma mutuelle, la musique et le bavardage enregistrés, mais je m’aperçois qu’elle a déjà raccroché.

    Ce mercredi, j’appelle la librairie Colbert de Mont-Saint-Aignan afin de savoir si on y rachète toujours les livres, un numéro des plus ordinaires mais qui me conduit également vers une boîte vocale. On me dit que l’on s’efforce d’écourter mon attente sur fond de musique irritante, la même me semble-t-il que celle de ma mutuelle.

    Un jeune homme me répond au bout d’une minute ou deux, m’apprend que la librairie Chapitre Colbert ne rachète plus les livres pour les revendre d’occasion, c’est fini tout ça, il y a trop de stock. Avant que j’aie le temps de dire au revoir, il raccroche.

    *

    La librairie Colbert est une entreprise privée faisant désormais partie de la chaîne Chapitre. La Mutuelle Générale de l’Education Nationale a été créée par le Syndicat National des Instituteurs, on y est aujourd’hui aussi bien reçu téléphoniquement que dans une entreprise privée.

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