• Dimanche matin, après le vide grenier de Vernon, je me gare sur la pelouse du parquigne gratuit de Giverny, direction le Musée des Impressionnismes pour y voir l’exposition Maximilien Luce, néo-impressionniste.

    Plus de soixante-dix peintures et dessins permettent de faire le tour de l’œuvre du méconnu Luce, disciple à ses débuts de Seurat et de Signac, par ailleurs anarchiste, illustrateur pour Le Père Peinard et mal vu de la Police (ce qui lui valut d’être incarcéré pendant un mois après l’assassinat de Sadi Carnot par Sante Caserio).

    J’aime peu finalement. Celle qui me tient la main aime assez les peintures d’usines et de hauts-fourneaux. Si j’avais été peintre impressionniste, me dit-elle, je n’aurais peint que des usines. Nous nous retrouvons pour ne pas aimer les toiles où figurent des humains, surtout celles, quasiment soviétiques, à la gloire de la classe ouvrière.

    Je note quand même, sur la feuille où figure la recette de son plat à faire lors de la venue mardi soir de mes sœur et beau-frère, de me souvenir des deux dessins de Maximilien Luce représentant Félix Fénéon et de celui de Paul Signac intitulé Maximilien Luce lisant La Révolte.

    Sortis de ce beau lieu qui semble trop grand pour les tableaux et dessins de Luce, nous nous baladons sur un chemin qui contourne le Moulin des Chennevierres, grande maison à chambres d’hôtes sise entre plusieurs bras de l’Epte, pour un face à face avec autruches, wallabies, cochons exotiques, émeus et autres bêtes non identifiées.

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    Le lundi avec elle, journée qualifiée de Bad Day, consacrée au ménage et au rangement de mon appartement qui en a bien besoin, longue discussion sur comment faire pour avoir moins de livres, en revendre où, comment.

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  • Dimanche, bien tôt levés, nous sommes en route pour Vernon où se tient un vide grenier nouveau, trois cents exposant(e)s attendu(e)s. Celle qui est assise à côté de moi s’enthousiasme des lapinous courant au bord de la chaussée. Je surveille le compteur. C’est difficile de s’en tenir aux limitations de vitesse quand on est près de chez soi.

    Où donc se cache ce déballage ? Je suis les voitures qui me précèdent. Elles nous y mènent.

    Deux places et une portion de boulevard sont livrées à la marchandise d’occasion. Nous parcourons les allées, assez déçus, moins d’exposant(e)s que promis, essentiellement des professionnel(le)s.

    Néanmoins, nous trouvons de quoi : pour elle un chargeur de téléphone portatif qui remplacera celui égaré l’an dernier, pour moi un choix de livres dont La vie sexuelle dans la Chine ancienne de Robert Van Gulik (Tel Gallimard). Le bouquiniste est un joyeux luron que je presse de terminer son déballage. Celle qui m’accompagne l’aide à vider les derniers cartons. Il s’en réjouit bruyamment en direction de son collègue qui s’installe en face.

    -Regarde, j’en ai attrapé une qui travaille gratuitement pour moi.

    Acheter des livres est un plaisir en soi, les choisir sur une scène de théâtre est un plus dont nous profitons ce dimanche matin à Vernon sous les yeux de quelques badauds intrigués.

    Le sympathique marchand nous offre Nous autres d’Evgueni Zamiatine (L’Imaginaire Gallimard). Ce sera pour elle qui, côté lecture, a envie d’explorer la Russie.

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    La phase choc du bouquiniste de Vernon : « On est des Parisiens mais on boit du cidre comme tout le monde. »

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    Celle qui m’accompagne, en terrasse à l’Espiguette : « J’aimerais être à j’sais pas quand. »

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    Chaipacan, ville introuvable du Mexique.

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  • Ce n’est pas par nostalgie, c’est que dorénavant ma fille vit pas loin, nous voici ce vendredi après-midi, celle qui m’accompagne et moi, contournant Evreux par la voie rapide puis prenant la route de Garel, hameau du Plessis-Grohan.

    Arrivés là, je lui montre le logement au-dessus de la Mairie où il y a trente-cinq ans j’ai habité un an le temps de faire l’instituteur dans la classe maternelle puis de devoir partir n’étant pas titulaire (comme on dit dans l’Education Nationale). Le hameau n’a guère changé, hormis la présence de fâcheuses maisons individuelles tout autour et la fermeture du restaurant dans la rue principale. Celle qui me tient la main se demande si elle aussi, dans trente ou quarante ans, passera par les lieux où elle a vécu jusqu’ici.

    Nous repartons et, moins d’un kilomètre plus loin, je m’arrête dans un autre hameau, celui des Grands-Baux, commune des Baux-Sainte-Croix. Lui aussi est abîmé par des constructions nouvelles, notamment derrière la mare dont on ne peut plus faire le tour comme lorsque je vivais ici, deux ans avant Garel, avec d’autres élèves de l’Ecole Normale d’Evreux,

    Je retrouve la maison, un corps de ferme jouxté d’un terrain tout en longueur. Un homme jeune s’occupe à couper de l’herbe jaunie tandis que son fils joue au ballon. Le mur du fond de jardin, autrefois en torchis, a été refait avec des agglos gris. La toiture du bâtiment donnant sur la rue est effondrée. Une partie de celui à gauche de la grille est fermée par des agglos. Des fenêtres en pévécé remplacent celles d’avant. Je lui montre, inchangée, la porte des toilettes d’alors, simple bidon qu’il fallait vider régulièrement.

    -Je n’imaginais pas ça comme ça, me dit-elle. En fait, je n’imaginais rien.

    L’épicerie café des Baux-Sainte-Croix où nous allions nous ravitailler, parfois en triporteur, est toujours là mais fermée pour vacances. Nul endroit où boire un verre, je l’emmène dans la forêt du duc de Broglie. Je me gare à l’ombre, que les tartelettes au citron ne souffrent pas trop. Nous nous promenons sur les chemin privés jusqu’à près de seize heures, puis gagnons le village proche où ma fille et son ami viennent de s’installer dans l’attente d’un événement.

    Je trouve assez facilement l’élégante petite maison au bord de l’Iton. Sous le noyer, nous discutons longuement.

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    Tiens, Michel Rocard semble avoir retrouver sa lucidité, qui déclare dans Marianne après les derniers propos de Sarko, le fat sot : «Quand on va chercher l’électorat au Front national, voilà sur quels scandales on débouche. La loi sur les mineurs délinquants passe de la responsabilité pénale individuelle à la responsabilité collective. On n’avait pas vu ça depuis Vichy, on n’avait pas vu ça depuis les nazis. Mettre la priorité sur la répression, c’est une politique de guerre civile.»

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  • Premier livre acheté à mon retour à Rouen : La vie sexuelle des grands écrivains, un essai de Marc Lefrançois, trouvé au Rêve de l’Escalier, ouvrage au format de poche édité par La Part Commune, que je lis le jour même à la terrasse du Son du Cor, vite déçu.

    Concernant les écrivain(e)s mort(e)s, ce livre n’est qu’une recension de faits archiconnus parsemés de réflexions de bas niveau. Un exemple : Comme diraient les chinois, il ne faut pas gaspiller en vain son yang, niaiserie où l’on trouve à la fois une absence de majuscule et un pléonasme (Marc Lefrançois a été professeur de lettres).

    Quand il s’agit des vivants, l’auteur préfère l’insinuation anonyme : On connaît tous cet écrivain vieillissant et bedonnant, assidu des plateaux télé, adepte des chemises bleus et des gros cigares… Il a commencé sa carrière en se faisant le gigolo d’une femme âgée de plus de vingt ans que lui.

    Que Philippe Sollers ait été l’amant de la romancière Dominique Rolin, nul doute, qu’il ait été pour autant un gigolo, cela reste à démontrer, et quant à le mettre dans la cohorte des « grands écrivains », cela me fait sourire.

    En bouquet final de cet essai sont reproduites la fameuse lettre de George Sand à Alfred de Musset et la non moins fameuse réponse de celui-ci, deux documents que le moindre chercheur sait être des faux, mais pas Marc Lefrançois qui claironne On peut être certain que cette nuit-là Alfred de Musset rejoignit George Sand.

    Quoi faire de ce livre maintenant ?

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    Passer l’été avec Philippe Sollers, c’est bien la dernière chose dont j’aie envie et pourtant c’est à quoi m’invite France Culture. J’écoute donc le boursouflé de l’ego raconter sa vie passionnante « Quand j’allais chercher Lacan… » « Quand j’allais chercher Barthes… » Quand j’allais chercher Bataille… » et lire complaisamment des extraits de ses excellents livres (je ne supporte pas le silence et suis trop paresseux pour mettre et enlever des cédés dans la machine).

    Une certitude : rien ne restera de Philippe Sollers au lendemain de sa mort. En attendant, vu sa place éminente dans le monde de l’édition, continuer à le flatter.

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    Autre catastrophe d’août sur France Cul : trois heures et demie chaque matin avec Françoise Sagan. Cela s’appelle Françoise Sagan plus grave que prévu. La polysémie de cette formule me ravit, que je ne crois pas voulue.

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    Dernier objet d’énervement, Sur le banc, une émission d’été consacrée à de méritantes personnes d’origine étrangère tutoyées par Raphäl Yem et Chloé Juhel dont les questions complaisantes sont exaspérantes.

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    Fuyant Sagan, je passe la Seine ce jeudi matin sous les jupes de la Camille d’Arne Quinze, œuvre franchement défigurée en ses extrémités par plusieurs barrières fléchées. Je suis le seul à marcher au milieu de la chaussée du pont Boieldieu. Les autres passant(e)s s’en tiennent aux trottoirs comme au bon temps de la circulation automobile.

    Je me rends au marché des Emmurées. Il se tient désormais dans l’ombre. Un incendie de voitures en juin en a détruit l’éclairage. C’est sinistre, à l’image de Rouen l’été.

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  • -Je n’arrive pas à lire le Journal de l’abbé Mugnier, m’a-t-elle dit avant notre départ, il faudrait que ce soit toi qui me le lises pour que j’entre dedans.

    Elle apporte donc son exemplaire (collection Le Temps retrouvé au Mercure de France) et chaque jour de notre périple je lui en lis une année ou deux, de mil huit cent soixante-dix-neuf à mil neuf cent trente-neuf, moi ravi de retrouver le cher abbé et elle séduite au fil des ans.

    Défenseur des Communards, soutien de Dreyfus, contempteur de l’antisémitisme, opposant à la guerre, partisan des méthodes d’éducation active, adversaire de l’immobilisme de son église, l’abbé ne pèche que par sa condamnation de l’homosexualité et une certaine misogynie rattrapée par un goût évident pour les jeunes filles ( Marthe de Bibesco, Loulou de Vilmorin)

    On en fréquente du beau monde avec lui, des duchesses, des marquises et des reines et surtout nombre d’artistes et d’écrivain(e)s (parmi lesquel(le)s Huysmans, Descaves, Cocteau, Céline, Proust, Colette, Bergson, Gide, Barrès, Claudel, Satie, Picasso, Varèse, les Noailles, Pirandello, Valéry et Léautaud). On en apprend de méchants ragots sur les un(e)s et sur les autres, j’ai déjà parlé de ça.

    Les débuts de la guerre de Quatorze le voient particulièrement lucide, quatre exemples dont deux déjà cités autrefois (une piqûre de rappel, ça fait du bien) :

    Quel courage il faut pour être soi ! On a contre soi la masse des autres qui ont abdiqué d’avance. Ils se regardent, ils se copient, ils se singent mutuellement. (douze septembre mil neuf cent quatorze)

    Ce sont les révolutionnaires du présent qui ont raison dans l’avenir. C’est le flux qui l’emporte. Supprimer successivement les limites, voilà la vie ! Pas de limites à la pensée, si ce n’est celles qu’elle se trace, en les constatant. Pas de limites à l’amour, si ce n’est celles qu’il subit. Les limites de la loi sont nulles. (vingt-trois mai mil neuf cent quinze)

    Fou que je serais de sacrifier des matinées libres à l’administration ecclésiastique ! Rentrer dans les sacristies vulgaires quand j’ai devant moi des branches qui remuent et des oiseaux qui viennent au bord de ma fenêtre ! Et Lélia ouvert sur ma table ! Restons pauvres et indépendants. (vingt-quatre septembre mil neuf cent quinze)

    Pour moi, le plus grand mal c’est de vivre en société. Le mensonge est une nécessité sociale. On ne peut pas être soi, au milieu des hommes. Ils vous engagent, vous enrégimentent, vous solidarisent, mettent la main sur votre liberté intérieure et extérieure. Toutes les institutions font main basse sur le moi humain. (treize octobre mil neuf cent quinze)

    Quel plaisir de relire le Journal de l’abbé Mugnier, au bord d’un étang ou d’une rivière, sous un chêne ou près d’une route qu’une tortue hardie entreprend de traverser, plaisir doublé de celui de le faire pour celle qui est assise à mes côtés, et cela en Corrèze pas loin de Lubersac où le fol abbé comme l’appelait Huysmans passa son enfance.

    J’achève cette lecture la veille de notre retour, l’abbé va encore vivre quatre ans et demi mais aveugle n’écrira plus, ses derniers mots (le vingt-sept novembre mil neuf cent trente-neuf) : L’enthousiasme a été le meilleur de ma vie.

    Une note liminaire indique que « ce livre est publié avec l’aimable autorisation de mesdames de Moustier et de Yturbe filles de la comtesse de Castries, légataire de l’abbé Mugnier, et la participation de Christian de Bartillat, petit-fils par alliance de Rosita de Castries. » et l’avertissement précise qu’il s’agit d’un choix, au prétexte que beaucoup de ce que notait l’abbé Mugnier « reste trop proche du quotidien pour retenir le lecteur d’aujourd’hui »

    De quoi se mêle-t-on ?

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    Monsieur le Mercure de France, je veux une édition intégrale du Journal de l’abbé Mugnier.

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  • Non loin de Tarnac, nous trouvons à satisfaire notre goût commun pour l’art, une première fois dans l’île de Vassivière, une seconde fois à Eymoutiers.

    Dans l’île de Vassivière se cache le Centre International d’Art et du Paysage dessiné par Aldo Rossi et Xavier Fabre. Ma voiture n’étant pas un « véhicule autorisé », c’est à pied, par deux grands ponts, sous le ciel menaçant, que celle qui me tient la main et moi y allons. Nous sommes le vingt-deux juillet dans l’après-midi. Un bateau promenade fend la brume dans un paysage qui nous rappelle celui du lac Léman.

    Nous entrons d’abord dans le phare conique dont nous grimpons l’escalier métallique, jouant avec l’acoustique impressionnante au moyen de quelques chansons bêtes et débouchant sur le belvédère. Personne d’autre que nous deux là-haut pour jouir du paysage.

    Redescendus sur terre après une série de photos, nous pénétrons dans la nef dédiée aux expositions temporaires, elle gratuitement, moi en payant. Cet été sont là exposés Marissa Mertz et Kengo Kuma. On se fiche un peu des œuvres de la première, elle s’intéresse un peu au Fu-an (pavillon de thé) du second, fine structure blanche portée par un ballon d’hélium.

    Ce qui nous plaît, c’est de déambuler en toute liberté dans le bâtiment dont toutes les portes sont restées ouvertes et sans surveillance, jusqu’à ce que la responsable de la buvette s’en alerte et nous remette dans le droit chemin. Une drache s’abat alors sur le toit, cliquetant bruyamment. Nous attendons qu’elle se calme puis, zappant le jardin des sculptures, sous les parapluies, nous repassons les deux ponts,

    La samedi suivant, à la même heure, nous poussons les portes de l’Espace Paul Rebeyrolle à Eymoutiers. De Paul Rebeyrolle nous connaissons peu, quelques toiles vues au Musée de Caen.

    Nous sommes séduits par ses grandes toiles violentes, dérangeantes, effrayantes pour certaines, mêlant peinture et matières collées sur la toile (terre, crin, ferraille, chiffons, etc.), montrant des corps mutilés mi abstraits mi figurés, scènes de torture et danses macabres, autant d’images du monde moderne, dont Le Cyclope -Hommage à Georges Guingouin-  (le maquisard qui fit sauter des trains).

    En parallèle avec l’exposition permanente sont montrés des Oeuvres Graphiques et Grands Livres Illustrés de Joan Miro, près de cent vingt estampes (gravures, lithographies, dessins) et les ouvrages réalisés en collaboration avec André Breton, Paul Eluard, Tristan Tzara, Francis Ponge, René Char, Michel Leiris, Jacques Prévert, etc., tout cela dialoguant parfaitement avec les œuvres de Rebeyrolle.

    Miro, c’est toujours bien. On en emporterait volontiers quelques-uns, mais cela ne se fait pas.

    *

    « Eh, tu n'oublieras pas la fête de l'étang à Albignac? » m’écrit-elle après avoir lu ce que j’ai écrit de nos pérégrinations dans le milieu de la France, alors retour en arrière quelque part dans la Corrèze le dimanche dix-huit. Nous campons chez celui que les gens d’ici appellent Dédé. Il nous met sur le bon plan : la fête de l’étang d’Albignac.

    Je me gare difficilement au bord d’une route étroite près du petit étang caché dans la forêt. Là, pour dix euros, vin et café compris, nous festoyons avec les locaux qui nous adoptent vite. S’ensuit une courte sieste à l’ombre tandis que se mettent en place concours de pêche et de pétanque.

    Entre deux parties de concours, la voici invitée à jouer en doublette par des éliminé(e)s. C’est sa première et elle va la gagner. Assis dans l’herbe, je la photographie une boule dans chaque main.

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  • Le vingt juillet, nous arrivons à Tarnac, « village remarquable » dit la pancarte à l’entrée, connu pour ses deux chênes et pour une autre raison. Je me gare sur la place principale, pas loin de l’église, entre les deux arbres. A l’employée de la boulangerie, je demande où se trouve l’épicerie de Julien Coupat. Avec un grand sourire, elle nous indique la route de Peyrelevade. Bientôt, nous sommes assis à la terrasse du café du Magasin Général. Il est neuf heures moins le quart, c’est bientôt l’ouverture de l’épicerie et du café restaurant. Arrive le beau camion blanc avec lequel se fait la tournée dans les villages avoisinants. La boisson bue, celle qui m’accompagne demande une chaise afin de s’installer confortablement de l’autre côté de la rue. Elle dessine l’épicerie et le camion. Assis près d’elle, je considère le va-et-vient des client(e)s de l’épicerie et du café, jeunes et vieux, bébés avec leur mères, paysans. On se plaît ici et nous décidons d’y rester un peu.

    A cette fin, nous trouvons place au campigne municipal où elle monte la tente tandis que je déploie le fil à linge.

    A midi, nous testons le repas ouvrier du Magasin Général. C’est délicieux : soupe de melon glacée, assiette de charcuterie et de crudités, plat de pâtes, plateau de fromages locaux, gâteau au chocolat, vin rosé et café, tout cela pour douze euros avec un service des plus professionnels. Je demande comment ça va pour les gens d’ici qui ont des ennuis. On me répond que ça va un peu mieux, que le contrôle judiciaire est moins strict mais qu’il y aura le procès un jour ou l’autre. Après quelques courses à l’épicerie, nous rentrons au campement.

    Dans la nuit la pluie tombe drue et ce n’est pas pour se terminer, une bonne raison de rester plus que prévu à Tarnac. Nous allons nous réchauffer au café du Magasin Général où nous faisons bientôt figure d’habitués. L’un des serveurs nous offre café et chocolat. Nous réservons une table pour la soirée grillades du mercredi soir.

    Le lendemain, attendant que le temps s’améliore, nous sommes toujours là, en terrasse du café de ce Magasin Général où l’on parle aussi bien anglais et allemand que français. Un camion empli d’animaux vivants, comme le précise la pancarte au cul du véhicule, s’arrête. En descendent le marchand plus vrai que vrai, lunettes d’écailles et bretelles sur ventre conséquent, accompagné de son aide. Ils sont rejoints par un paysan incroyablement vieux, plié en deux, appuyé sur une canne en bois, qui serre énergiquement la main de tout le monde. Ils boivent un coup pour fêter une affaire. Ici, c’est le bistrot du village, complètement corrézien avec ouverture sur l’international. A tout moment, celui que l’on prend pour un client peut se révéler être le barman ou l’épicier de secours.

    Nous sommes encore présents le vendredi, déjeunant une nouvelle fois excellemment et servis copieusement. Sur la table une bouteille de pinard (comme on dit ici). On décide d’inscrire l’endroit dans notre guide Chic et pas cher. L’une des jeunes mères nous rappelle la fête du soir.

    Nous y arrivons parmi les premiers alors que Mana Orchestra termine sa répétition et que Benjamin, l’épicier itinérant, remplit le camion blanc. Arrive un vieil homme en fauteuil roulant poussé par une jeune femme exotique. Celle-ci se transforme en serveuse de tapas pour la soirée, tandis qu’au bar on sert la sangria à la louche. Elle s’appelle Zoe, est anglaise plus que nature, une grosse fleur rouge dans les cheveux.

    Deux jeunes mères sont dans l’orchestre, l’une à l’accordéon, l’autre à la clarinette, bien douées toutes les deux, et trois garçons, au violon, à la contrebasse et à la batterie, pour un répertoire qui passe par Astor Piazzola et Boby Lapointe. Michael, l’un des serveurs, massacre Amsterdam et Poupée de cire, poupée de son. La sangria aidant, me voici bientôt dansant avec elle au milieu des gens du cru et des terroristes. Parmi les danseurs, un bébé de quatre semaines dont c’est le premier bal.

    Le lendemain matin, nous allons dire au revoir (on repassera un jour ou l’autre, espérons-nous). Avant de partir, j’achète à l’épicerie pour elle et pour moi la carte postale montrant l’intervention des gendarmes cagoulés le onze novembre deux mille huit. En légende, une citation d’Audrey Goutard tirée du Journal de France Deux du même jour : « Ils vivaient dans une petite épicerie tapie dans l’ombre ».

    *

    S’arrêter, comme nous le faisons après Tarnac devant les immenses filets du Centre de Transmission de la Marine à Rosnay (Indre), cela s’appelle aggraver son cas.

    Il est interdit de photographier ces mâts de trois cent cinquante mètres de haut d’où descendent moult fils entremêlés. Je les compare banalement à des toiles d’araignée, mais, a-t-elle écrit sur le carnet où elle résume notre périple, « ça a quelque chose de marin finalement, hyper léger comme des mollusques translucides ».

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  • Parti bon train en voiture le six juillet au matin pour Sarlat (Dordogne) avec celle qui me tient la main une carte routière sur les genoux, je bifurque vers Saint-Benoît-du-Sault (Indre), l’ « un des plus beaux villages de France », qui ne m’est pas inconnu, pour avoir toute mon enfance entendu ma mère en parler. Petite fille, elle y passait ses étés dans la colonie de vacances de la ville de Bondy (Seine-Saint-Denis), le seul bon souvenir de sa vie. Nous pique-niquons devant l’église. À côté, les imposants bâtiments de l’ancienne colonie, sise dans le prieuré, sont en piteux état.

    Ce détour décide de la suite. Pas plus elle que moi n’avons envie de retrouver l’autoroute. Nous choisissons de rejoindre mollement Sarlat en glandouillant dans le milieu de la France, Indre, Creuse, Haute-Vienne, Corrèze, départements méprisés par les touristes, passant la nuit dans des campignes quasi déserts.

    Le quatorze juillet, nous atteignons la Dordogne où nous avons chacun des souvenirs, visitons Sarlat (trop de monde), Domme (trop de boutiques) et La-Roque-Gageac. C’est surtout Beynac-et-Cazenac, l’ « un des plus beaux villages de France », qui nous plaît.

    Pour deux fois treize euros cinquante, nous y déjeunons magnifiquement chez Lembert : terrine d’esturgeon de la Dordogne et son coulis de tomates puis canard à l’orange pour elle, foie gras de canard puis cassoulet périgourdin aux deux confits pour moi, et énorme glace rhum raisin pour nous deux (une bouteille d’excellent rosé de Domme à neuf euros accompagnant ces mets réjouissants).

    Cette cuisine serait de nature à nous retenir dans le Périgord. La foule nous en éloigne.

    Nous remontons là où l’on croise peu de monde, où naissent des chemins qui mènent à un étang ou à une rivière, au hasard des routes, enfin presque.

    Sur la carte routière du plateau de Millevaches clignote le nom d’un village : Tarnac.

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    Une nuit dans un campigne tenu par des Hollandais au sein de leur ferme qui ressemble à celle de Delphine et Marinette, les deux cochons : Rock et Roll.

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    Un repas à Uzerche (Corrèze) chez Martine où déjeunent également deux gendarmes et une gendarmette, celle-ci hilare à la fin ; sur leur table : un cruchon de vin. A la sortie, tous trois en fument une à l’ombre. Un ouvrier à côté : « Comment j’te les f’rai souffler au ballon, moi ! ».

    C’est le treize juillet et l’on fête la Révolution avec le navrant orchestre Traffic : « Allez Uzerche, on lève les bras. »

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    En Corrèze, elle rêve de rencontrer Chirac, en vacances comme nous, mais logé dans son château. Il est en photo à la une du Populaire du Centre en chemise à carreaux.

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