• Dimanche, dixième jour du dixième mois de l’an dix, elle retenue à Paris par une arrivée de Letton(e)s, c’est en solitaire, le jour à peine levé, que j’arpente, pour l’ultime vide grenier de l’année, Perriers-sur-Andelle, charmant village de l’Eure qui prend ses aises entre colline boisée et paisible rivière.

    J’ai un objectif : remplacer pour trois fois rien mon téléphone filaire en panne. Il me faut parcourir plusieurs fois la longue rue où se déploient les étalages avant de trouver. Noir, élégant, de marque Alcatel, pour un euro il est à moi.

    Sur la route du retour, je m’arrête à Fresne-le-Plan, village charmant de Seine-Maritime, où dans une salle communale se tient une vente de livres. Il est neuf heures et demie mais ce n’est pas prêt. A voir la tête des vendeuses, je devine qu’il n’y aura rien pour moi, aussi, sans attendre, je file à Rouen.

    A la dixième minute de la dixième heure du dixième jour du dixième mois de la dixième année, je suis chez moi et ai une pensée particulière pour celle qui n’est pas là.

    Il fait un temps à déjeuner dans le jardin mais ce n’est pas une activité à laquelle je me livre seul. Le repas terminé, je choisis d’aller passer l’après-midi à la terrasse d’un café. Au bout de la ruelle, une voiture de police est arrêtée. Deux policiers y font je ne sais quoi.

    J’opte non pour le Son du Cor dont je fuis en ce moment les habitué(e)s encombrant(e)s, mais pour le Café de la Jeanne, place de la Pucelle.

    Au soleil, j’y lis Octobre de Christopher Isherwood, journal d’un mois de vie commune avec son ami Don, écrit en soixante-dix-neuf. Il y est question de paresse incorrigible, de vieillesse redoutée et de la mort des autres. Cela commence ainsi, à la date du premier octobre : C’est l’anniversaire de mon frère Richard. Aujourd’hui il aurait eu soixante-huit ans. Il est mort le 15 mai dernier d’une crise cardiaque… La place de la Pucelle a un air d’été. Son centre est encombré par une imposante construction vitrée, studio provisoire d’Europe Un en visite à Rouen mercredi et jeudi prochains.

    Deux heures plus tard, quand le soleil se cache derrière l’immeuble d’en face, je rentre. Au bout de la rue, la voiture de police est toujours là, rejointe par une autre. Les policiers sont dans la cour de l’immeuble dont le rez-de-chaussée est occupé par un céramiste. J’imagine une perquisition. Ce n’est que plus tard que je comprends, quand, penché à ma fenêtre, je vois arriver deux hommes en blouse blanche apportant une civière à roulettes.

    Dix minutes après, la police s’étant assuré qu’il n’y a aucun(e) passant(e) dans le coin, les hommes en blanc ressortent poussant un cadavre caché sous une couverture mauve.

    Le lendemain, j’apprends qu’il s’agissait de celui d’une vieille dame à l’accent anglais que j’ai souvent croisée sans lui parler dans la rue Saint-Romain promenant son chien et discutant avec les commerçant(e)s. Crise cardiaque ou suicide, je ne sais. Le chien est à la Essepéha.

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  • Cinquante-trois chanteuses et chanteurs sur la scène et Laurence Equilbey à la manœuvre, accentus est de retour ce vendredi soir à l’Opéra de Rouen. Je suis au fond du premier balcon, vue d’ensemble de la scène et lecture de justesse du surtitrage.

    La langue est russe et le répertoire moitié sacré moitié révolutionnaire, ce qui est au fond la même chose, dans l’un et l’autre on attend « le jour du jugement ». Se succèdent des extraits de la Liturgie de Saint-Jean Chrysostome de Piotr Ilitch Tchaïkovski, les Cinq chœurs sur des textes de Lakov Polonski de Sergueï Taneïev et les Dix poèmes sur des textes révolutionnaires de Dimitri Chostakovitch. Cette dernière œuvre peut expliquer la présence dans la salle de plusieurs membres du Nouveau Parti Anticapitaliste.

    accentus, c’est forcément bien mais n’est-ce pas aussi toujours la même chose, me dis-je en applaudissant copieusement à la fin de la prestation. Laurence Equilbey (pour tout contact : Véronique Jourdain Artists Management) nous offre en rappel un Ave Maria de Sergeï Rachmaninov, l’un des morceaux nouvellement enregistrés sur un cédé que l’on peut acheter en sortant.

    Des spectacles nouveaux pour lesquels je n’ai pas de place, des spectacles habituels qui commencent à m’ennuyer, le moment n’est-il pas venu pour moi de rendre ma carte d’abonné à l’Opéra de Rouen, c’est la question que je me pose en chemin vers chez moi.

    *

    La voiture électrique, quatorze exemplaires vendus en deux mille neuf, une révolution selon des politiciens de droite et de gauche, et écologique en plus. Pour sûr : branchée directement sur une centrale nucléaire.

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  • Sorti du vernissage de l’Ecole des Beaux-Arts de Rouen, je remonte jeudi soir la rue de la République, laquelle en son extrémité est interdite à la circulation automobile à grand renfort de gyrophares bleus. S’y mêlent les gyrophares rouges des pompiers. Le kebab en forme d’étroit trapèze situé à l’angle de cette rue de la Rép et de la rue Richard-Lallemant vient de brûler. Il n’en reste rien. Une pelleteuse arrache les débris calcinés qui sont chargés dans un camion. Je fais le badaud un instant puis reprends mon chemin. Il me mène au Théâtre des Deux Rives (ou au Centre Dramatique Régional de Haute-Normandie ainsi que l’on aime à dire depuis deux ans).

    J’y vais ouïr et voir Serge Merlin lire des extraits d’Extinction de Thomas Bernhard, que j’ai lu entièrement en juillet deux mille sept. Un bon moment d’attente en bas des marches puis la salle s’emplit d’un public d’âge mûr complété de scolaires (comme on dit). Sur la scène un bureau derrière lequel finit par s’asseoir l’acteur qui y étale son texte. Il est éclairé par trois projecteurs dans le genre pénombre. Un micro amplifie sa voix qui serait audible sans cela.

    Il vocifère, il tonitrue, il vitupère, il clame Extinction en plusieurs épisodes séparés par des parties enregistrées plus calmes. C’est un grand numéro d’acteur (dit-on dans ces cas-là). Il me rappelle une mienne connaissance d’il y a longtemps qui faisait bien l’Antonin Artaud mais comme il n’était pas comédien, cela s’est mal terminé pour lui.

    A l’issue, l’acteur-totalement-habité-par-son-rôle salue d’un air égaré.

    Serge Merlin a joué les pièces de Thomas Bernhard pendant vingt ans. Il se fait de l’écrivain une idée qui n’est pas la mienne. Mon Thomas Bernhard est tout de colère rentrée, intérieure, ruminée, ressassant en silence ses haines et ses rancœurs.

    Je redescends vers chez moi. Le kebab incendié est entouré de barrières marquées « Danger ». Juste à côté, le sexe-cheupe est ouvert, qui clignote dans le noir, indemne mais ayant eu chaud aux fesses.

    *

    Rouen, vendredi, vers dix heures : arrivée massive de pompiers et d’urgentistes devant le Palais de Justice. Les sauveteurs s’engouffrent à l’intérieur de la station de métro. Dans les rues voisines on s’interroge mutuellement sur le pas des portes. Keskispasse ? Un accident ? Un attentat ? Rien qu’un incident électrique. On rentre à la maison, déçu.

    *

    Le Tout Puissant de la République dans les jupes du pape et de ses cardinaux. Il s’agit de rassurer les catholiques. Ils doivent l’être : Sarkozy, ce fat sot, a pour eux la même considération que pour le reste de la population française, il les prend pour des imbéciles.

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  • Je suis ce jeudi à dix-sept heures trente à l’Ecole Régionale des Beaux-Arts de Rouen pour le vernissage d’une double exposition vite installée après la rentrée.

    Et même trop vite si j’en juge par ce que me dit son directeur François Lasgi. Ça va mal pour Vincent Ganivet. Un fâcheux retour de bâche due à un coup de vent a salopé son monochrome rouge peint au fumigène l’après-midi même dans la cour de l’Ecole et ses parpaings sciés ne sont par enfoncés dans le sol comme il le voulait.

    Côté Josué Rauscher, tout est okay avec des « sculptures assez rudimentaires, combinant des éléments issus de l’univers du bricolage à des objets trouvés » (indique le communiqué de presse).

    Du déjà vu pour l’un comme pour l’autre, mais j’aime bien l’odeur de fumigène qui emplit la galerie, au point qu’elle gêne la dame qui officie derrière le bar. J’entends dire que cette année le rosé est bon. J’en prends un verre et m’emplit la main de cochonneries à grignoter.

    Je discute avec une beauzarteuse de ma connaissance. Elle a travaillé cet été comme gardienne de l’exposition impressionniste et me raconte qu’elle n’a jamais vu autant de vieux de sa vie. Le vin rosé est identique à celui des années passées : dégueu.

    *

    Larry Clark, photographe maltraité par la Mairie socialiste de Paris, dans un entretien au Monde publié le deux octobre dernier : « Cette censure est une attaque des adultes contre les adolescents. C'est une façon de leur dire : retournez dans votre chambre ; allez plutôt regarder toute cette merde sur Internet. Mais nous ne voulons pas que vous alliez dans un musée voir de l'art qui parle de vous, de ce qui vous arrive. »

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  • Forte présence de contrôleurs et de membres de la Sécurité Ferroviaire à la gare de Rouen mercredi matin à l’heure où j’attends un train pour Paris, dont le retard est estimé à dix minutes suite à un mystérieux « problème d’acheminement du personnel ».

    Il arrive huit minutes après l’heure prévue. Je m’installe et commence la lecture du Naufrage de la Méduse, le témoignage de deux rescapés, Alexandre Corréard et Jean-Baptiste Savigny, dans l’édition de poche Folio/Gallimard.

    Dans la préface, Alain Jaubert constate que dans cette histoire « colonialisme, esclavage, traite des nègres, naufrage, mutineries, ivresse, délires, suicides, haine, racismes, misogynie, massacre, lutte des classes, sélection des faibles, cannibalisme enfin, cette sarabande de sauvagerie, de folie et de mort nous fascine au-delà du raisonnable. » et s’interroge : « placés nous-mêmes dans de telles situations, savons-nous vraiment comment nous nous comporterions ? »

    A Paris, je fais le tour des librairies habituelles puis à midi je retrouve celle qui étudie l’architecture intérieure. Direction Charonne, le restaurant Chez Sofiane où l’on nous accueille d’un « Bonjour, comment allez-vous ? ». Nous sommes connus ici et reconnus. Bien que nous partageant seulement un demi pichet de vin rouge, nous voici un peu ivres à la fin du repas et pas moyen d’aller prendre un café au Quatre-Vingt-Seize, le bar libertaire semble définitivement fermé.

    Elle retourne à l’Ecole et je reprends mes pérégrinations. Au Centre Pompidou, je visite l’exposition Gabriel Orozco, un pêle-mêle (photos, sculptures en terre cuite, dessins, collages, objets restructurés et peintures) qui ne m’intéresse guère hormis Four Bicycles (There Is Always One Direction), un assemblage de bicyclettes, et surtout La DS, une voiture découpée en trois parties dans le sens de la longueur dont la partie centrale et le moteur ont été ôtés puis les deux parties restantes rassemblées l’une contre l’autre. Je ferai bien mienne cette voiture à place unique devant et derrière. Le pire dans cette exposition, ce sont les deux faux policiers intervenant à coups de sifflet dès qu’un pied franchit l’une des lignes dessinées au sol, complètement grotesque.

    Dans la salle voisine, je vais voir à quoi ressemble Anthologie de l’humour noir de Sâadane Afif, œuvre qui a valu à son auteur le prix Marcel Duchamp deux mille neuf (j’ignore qui a vendu le nom de Duchamp). C’est un grand cercueil de deux mètres de long en forme de Centre Pompidou, entouré de textes muraux en anglais et en français commentant le travail de l’artiste, parmi lesquels un signé Chloé Delaume, tout cela pas intéressant et pas drôle (pauvre Marcel Duchamp, accessoirement pauvre André Breton).

    Je quitte donc Beaubourg assez rapidement et vais terminer l’après-midi chez Book-Off près de l’Opéra. J’y achète, entre autres, les Lettres et carnets de Hans et Sophie Scholl (Tallandier).

    La région Haute-Normandie me ramène à Rouen dans un train trop climatisé. Je lutte contre le sommeil, aidé par la conversation d’un rouspéteur. Quand passent les contrôleurs, il ne loupe pas l’occasion :

    -Alors, vous allez faire grève pour nous ? leur dit-il ironiquement.

    Il se plaint ensuite de trains arrivés en retard et leur demande de noter ses doléances sur un carnet en leur possession.

    Quand les deux agents des chemins de fer se sont éloignés, l’énervé indique à sa voisine qu’il est père de six enfants et que si on veut une bonne retraite, il faut faire comme lui plutôt que la grève.

    *

    Je viens juste de passer le quintette La Truite sur le Gramophone. Ecouter l’andantino, ça me donne envie d’être une truite. Dans ce morceau de Schubert, on sent et on respire vraiment les brises et les senteurs, on entend crier de joie les oiseaux et la création tout entière. Et la répétition du thème au piano, telle l’eau fraîche, pure, étincelante, oh, quel enchantement. écrivait, le dix-sept février mil neuf cent quarante-trois, la très belle Sophie Scholl, vingt et un ans, membre de la Rose blanche, organisation antihitlérienne allemande. Le lendemain, elle était arrêtée. Quatre jours plus tard, décapitée.

    *

    Jeudi matin, j’achète le Libération du jour, en couverture une photo de Larry Clark interdite au moins de dix-huit ans. Les branlotins n’ont pas le droit de voir d’autres branlotins faire la même chose qu’eux. En revanche, les adultes (comme on dit) ont tout loisir de les regarder, cela au nom de la lutte contre la pédophilie. Ainsi raisonne le socialiste Delanoë, élu Maire de Paris une fois de trop.

    *

    Ce même matin, une manifestation immobile de cheveux gris bloque totalement la rue de la Jeanne, ce sont les adhérent(e)s de l’Union Nationale des Retraités Personnes Agées et ça ne donne pas envie.

    *

    Vie rouennaise : de quoi se plaint, auprès de la maire socialiste Valérie Fourneyron, l’écolo municipal Guillaume Grima ? De n’avoir pu organiser un concours de balcons fleuris.

    (Un Vert aux espaces verts, c’était déjà une brimade.)

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  • A peine le bruit des marteaux piqueurs démolissant les fondations du Palais des Congrès se taisent-ils que celui des piaillements des étourneaux réfugiés dans les arbres prend le relais, c’est ce que je constate, heureux de ne pas habiter là, quand je rejoins l’Opéra mardi soir pour la Présentation de la Compagnie.

    Un concert en deux temps que je suis d’une chaise sur la fosse, bien placé pour voir de près celles et ceux qui jouent ou chantent ce soir.

    Avant l’entracte, ce sont Teona Kharadze, Tristan Benveniste (violons), Patrick Dussart (alto), Jacques Perez (violoncelle) et Alice Ader (piano) pour le Quintette en fa mineur de César Franck, une longue et fougueuse composition en trois mouvements qui emporte l’adhésion du public.

    -Je ne connaissais pas ce quintette de César Franck, me dit l’une de mes connaissances à la pause.

    Moi non plus et nous sommes contents tous les deux de l’avoir découvert.

    Je lui raconte mes malheurs d’abonné. En novembre, je suis sans billet pour trois spectacles (un où c’est sans espoir, deux où je suis en liste d’attente). Il blêmît, réalisant qu’il n’a pas envoyé sa demande, la faute à la grève de onze jours des factrices et facteurs de Rouen. Le travail a repris depuis plusieurs jours mais le courrier de l’Opéra traîne encore au fond d’un sac.

    -Ils auraient pu nous envoyer un mail, se plaint-il.

    Il a raison.

    Après cet entracte, c’est donc à la Compagnie de se présenter, quatre jeunes artistes lyriques engagés pour deux saisons par la maison. C’est l’examen d’entrée. Les deux chanteuses (Mélanie Ricciolini, soprano et Albane Carrère, mezzo-soprano) et l’un des chanteurs (Patrick Kabongo, ténor) sont un peu tendus, l’autre chanteur (Guillaume Paire, baryton) est à l’aise, aidé par son répertoire guilleret : Quatre poèmes sur des textes d’Apollinaire de Francis Poulenc et la Danse macabre (texte d’Henri Cazalis) de Camille Saint-Saëns.

    Tous quatre sont bien applaudis. Il semble que le public de l’Opéra de Rouen veuille bien d’elles et d’eux, les dames ayant déjà un faible pour le baryton au regard effronté.

    *

    Dans ma boîte à lettres, Le Familistère de Guise (Aisne) Un Palais social, le très beau supplément gratuit offert uniquement aux Parisien(ne)s avec Libération jeudi dernier. J’ai bien fait de râler.

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  • J’en suis dans le deuxième volume des Mémoires d’un touriste de Stendhal, édition Ressouvenances, ces deux tomes ayant appartenu au docteur Delabrousse de Louviers. Stendhal y narre à sa façon désinvolte ses multiples voyages dans les villes françaises (avec détours par Genève et Gênes), s’attardant à Lyon, Nantes et Marseille, passant entre autres à Avignon, Beaucaire, Tours, Vannes, Granville et Rouen.

    Rouen, à une date non précisée de l’année mil huit cent trente-sept, où dès son arrivée il croise un petit homme alerte et simple, le célèbre Louis Brune, qui a eu la croix et je ne sais combien de médailles de tous les souverains pour avoir sauvé la vie à trente-cinq personnes qui se noyaient.

    Ce héros se charge de lui trouver une chambre, les hôtels étant complets, tout en lui racontant sa vie de sauveteur (on semble beaucoup se noyer à Rouen à cette époque).

    -Quand je vois un pauvre imbécile qui tombe dans l’eau, c’est plus fort que moi, me disait-il ; je ne puis m’empêcher de me jeter.

    Après quoi, Stendhal fait une originale découverte :

    Ce qui est admirable à Rouen, c’est que les murs de toutes les maisons sont formés par de grands morceaux de bois placés verticalement à un pied les uns des autres : l’intervalle est rempli par de la maçonnerie.

    Ensuite l’Henri cite les principales églises de la ville : Rouen est l’Athènes du genre gothique ; j’en ai fait une description de quarante pages que je n’ai garde de placer ici. Une note infrapaginale indique « Voir l’appendice », mais point d’appendice.

    Il se plaint d’une statue de la Jeanne élevée à la place même où la cruauté anglaise la fit brûler puis revient au point de départ : En arrivant, je suis allé tout seul rue de la Pie, voir la maison où naquit en 1606 Pierre Corneille ; elle est en bois, et le premier étage avance de deux pieds sur le rez-de-chaussée ; c’est ainsi que sont toutes les maisons du Moyen Age à Rouen. Bien vu, Henri.

    Il passe par une bibliothèque où il compte neuf lecteurs puis admire la salle des pas perdus du Palais de Justice songeant au fameux procès que le duc de Saint-Simon vint plaider à Rouen, et dont le récit est si plaisant sans que l’auteur s’en doute.

    En résumé, c’est une succession de banalités et l’avertissement figurant en tête de cette édition est de nature à l’expliquer : « Dans une « Défense de l’ouvrage », Yves Gandon rappelait les emprunts que Stendhal, pour rédiger ce guide de commande, avait effectués à l’égard de Mérimée et de quelques auteurs oubliés depuis. Impécunieux, Stendhal ne put se rendre, lors de son travail, sur tous les lieux qu’il retrace avec des précisions puisées chez d’autres, comme la pratique en était plus répandue, du moins plus admise alors que de nos jours. »

    Stendhal est-il donc venu à Rouen ? J’en doute un peu.

    *

    Louis Brune a sa rue à Rouen dans le quartier des Augustins. Après son hypothétique rencontre avec Stendhal, il a continué à sauver des vies, jusqu’au jour de Noël mil neuf huit cent quarante-trois où un saut dans la Seine du pont Boieldieu lui fut fatal. Il en était à soixante-trois.

    *

    A Paris, le véritable amour ne descend guère plus bas que le cinquième étage, d’où quelquefois il se jette par la fenêtre. Stendhal (Mémoires d’un touriste)

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  • Grand déballage dans toutes les rues et sur les places du centre de Vernon en ce premier dimanche d’octobre où celle qui m’accompagne et moi posons le pied après avoir garé la voiture au bord de la Seine. Nous en faisons le tour sans trouvaille qui mérite d’être notée.

    A Louviers, c’est la même chose en l’honneur de Saint Michel. Elle trouve que ma ville d’enfance et la sienne, Parthenay, se ressemblent, suintant d’ennui l’une et l’autre. Ce dimanche, la foule qui envahit les rues du centre donne un peu le change. Il y a même trop de monde, badauds venus surtout pour la foire commerciale que nous évitons. Je lui montre les magasins qui n’ont pas changé depuis les années soixante. Pour parfaire ce retour en arrière, une radio d’occasion diffuse la bande son de cette époque lointaine : Marie Laforêt Ivan Boris Natacha et moi, les Rolling Stones Satisfaction, Enrico Macias Enfants de tous pays

    -On aurait pu éviter cette étape, lui dis-je alors que nous regagnons la voiture par l’une des rares rues à colombages.

    De retour à Rouen, nous finissons par là où nous aurions peut-être dû commencer, le vide grenier de la place de la Rougemare. J’y rencontre deux de mes lecteurs, l’un acheteur, l’autre vendeur, deux bons, des fidèles, capables de me parler de tel ou tel texte paru il y a plusieurs mois.

    Tous deux ont en tête l’épisode du spectateur de l’Opéra me faisant du pied. Celui qui expose a pour espoir que je lui achète Prince et Léonardours de Mathieu Lindon, paru chez Pol en quatre-vingt-sept, avec de jolis dessins explicites de Gérard Bitton. C’est une histoire homosexuelle et il me conseille de tenir la main de celle qui m’accompagne, si je ne veux pas passer pour.

    Un autre livre est auparavant devenu mien Le Principe de Peter (Pourquoi tout va toujours si mal) de Peter et Hull dans l’édition de mil neuf cent soixante et onze, chez Stock, avec les dessins de Ronald Searle.

    Je lui en lis des extraits cependant qu’elle prépare notre repas. C’est peut-être la dernière fois de l’année que nous déjeunons dans le jardin.

    *

    Le Principe de Peter, gros succès de librairie autrefois quand je l’ai lu en édition de poche, s’énonce ainsi : tout employé tend à s'élever à son niveau d'incompétence. Il entraîne le corollaire suivant : Avec le temps, tout poste sera occupé par un incompétent incapable d'en assumer la responsabilité. Un second corollaire en découle : la majorité du travail est effectuée par des salarié(e)s n'ayant pas encore atteint leur seuil d'incompétence.

    Le Principe de Peter, énoncé au Canada en soixante-huit, est toujours d’actualité.

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  • Il pleut quand je rejoins le boulevard Clemenceau pour la manifestation de ouiquennede censée multiplier les mécontent(e)s de la retraite repoussée. Je crains d’abord le bide, un quart d’heure avant le départ prévu, nous ne sommes que quelques centaines. Pendant que les adhérent(e)s du Hennepéha marquent leur territoire (un rectangle de gazon entre deux voix routières) avec des drapeaux rouges plantés dans le sol, je constate que les gouttes se font plus rares et les manifestant(e)s plus nombreux. Je referme mon parapluie.

    Le cortège tarde à s’ébranler. La Cégété annonce un accident mortel à l’autre bout du pont Corneille (il ne s’agit que d’un accrochage bénin entre un cycliste et un bus) et envisage un nouveau parcours.

    Avec pas mal de retard, on démarre en empruntant le parcours prévu. Je me demande à quel endroit va me retrouver celle qui arrive de Paris, et même si elle va y réussir.

    Je marche à l’avant, derrière trois ouvriers du bâtiment en tenue de travail ; sur leurs têtes des casques de chantier de couleur bleue, au bout de leurs bras des pancartes manuscrites où l’étymologie est appelée à la rescousse : « Travail : du latin tripalium, instrument de torture » « Labeur : du latin labor : fatigue, peine ». Pas loin marche également l’élégante femme d’un commerçant rouennais fort connu.

    Alors que la manifestation descend la rue de la Jeanne en envoyant quelques vigoureux messages en direction des banques, elle se précipite dans mes bras. Main dans la main, nous poursuivons jusqu’à la rue Grand-Pont où nous nous arrêtons pour regarder passer la suite du défilé.

    La banderole de l’Afpa résume la situation : « La France d’en haut, des couilles en or. La France d’en bas, des nouilles encore. » Une pancarte s’adresse gentiment au Tout Puissant de la République : « Nicolas, il va falloir partir ».

    Pour cela, il faudrait que l’on soit plus nombreux à le lui dire. Il y a du monde certes, mais pas plus qu’en semaine et les jeunes attendu(e)s ne sont pas là.

    C’est la fin du défilé, le moment des partis et groupuscules politiques. Le lideure des Alternatifs (qui fut le laquais du Pécé pour transformer la manifestation de soutien aux Roms en manifestation de soutien à un prisonnier franco palestinien en Israël) s’égosille au micro d’une sono qui ne fonctionne pas. Les communistes sont derrière avec une bonne sono. Elle diffuse les chansons révolutionnaires de Yannick Noah et de Sinsemilia.

    « On vous souhaite tout le bonheur du monde », quelle crétinerie nous disons-nous en nous rapprochant de mon logis.

    *

    « Nicolas, il va falloir partir », c’est ce que lui diront ses ami(e)s politiques à l’approche des élections présidentielles, considérant les sondages annonçant la victoire de la Gauche.

    Le respectable Fillon sera le candidat de la droite et l’emportera sur Aubry (Strauss-Kahn ayant renoncé, ne voulant pas être obligé de dialoguer avec l’écolo Eva Joly qui en sait trop long sur lui).

    Je n’ai pas besoin de boule de cristal pour prédire l’avenir.

    *

    Peu intéressante la querelle municipale rouennaise entre le Parti Socialiste et les Verts, elle confirme juste que le Parti Communiste est prêt à toutes les lâchetés pour conserver ses postes d’élu(e)s.

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  • J’en ai fini avec Minutes d’un testament d’Eduardo Arroyo, vrai faux testament du peintre espagnol publié chez Grasset en avril deux mille dix, acheté une broutille au dernier quai aux livres rouennais. Ces minutes sont une suite de digressions reposantes pour le cerveau, Arroyo passant de l’âne au coq sans souci des transitions.

    Il y célèbre son goût des listes (celles, personnelles, qu’ils donnent en exemple sont décevantes), des cuisines et des cimetières, règle quelques comptes avec le monde de l’art et de la politique, raconte qu’il est parti payer ses impôts en Espagne le jour où plutôt que passer comme il en avait l’habitude par le Ministre de la Culture pour faire prolonger sa carte de résident français il a suivi le chemin de l’immigré de base et en a subi l’humiliation, fait le portrait de ses diverses maisons et de ses amis décédés (Giacometti, Delvaux, Grüber, Baudy), parle de rien et de tout.

    Exemple assez réjouissant, sa narration de la vente des effets du Mythe Errant :

    « Les chapeaux de Tonton vendus aux enchères ! » Tel est le titre de La Gazette-Drouot annonçant la vente à l’encan des souvenirs et de la garde-robe de François Mitterrand. Organisée à l’initiative de sa veuve au profit de la Fondation France Libertés dont elle est la présidente, elle a totalisé la somme de 184 571 €. Chapeau sombre Arny’s, de feutre noir, taille 57 : 9 666 €, TVA et frais compris. Le Part Socialiste s’en est porté acquéreur à la demande de son secrétaire général (…/…)

    La robe d’avocat signée Cerruti a été adjugée 8 000 €, les chaussons Church de velours noir brodés d’une rose rouge 1 000 €.  (…/…) L’acteur Alain Chabat a emporté l’enchère pour une boîte de cigares marquée d’une devise bien particulière : « Fabriqués spécialement pour François Mitterrand Président de la République Française ». Un attaché-case en métal doré et peau de crocodile trouvait preneur à 4 700 €, un agenda et un sac en crocodile à 1 300 €. Ces cadeaux portaient la mention  « Commandant en chef Fidel Castro ».

    Un passage qui m’a particulièrement intéressé, celui où Arroyo raconte ses rapports avec les livres :

      A force de parcourir marchés aux livres et librairies, les anses de plastique tendues comme des cordes de violon sous le poids des achats nous scient cruellement les mains. Ces poignées amincies s’enfoncent sans miséricorde dans nos chairs rougies par la tension et nos jambes faiblissent.

    (…/…)

    Ces livres que nos achetons parfois de façon compulsive, comment les lire tous ? Certains, nous les dévorons sans délai ; nous attendons des mois avant d’ouvrir les autres et nous en parcourons quelques-uns en diagonale : nous photographions instantanément la première page et les suivantes ; mais quand nous arrivons au dernier mot de l’angle inférieur droit de la dernière page nous n’avons rien retenu. Sauter des pages, des paragraphes, commencer par la fin, feuilleter, ce n’est pas lire, mais nous le faisons quand même tellement nous sommes rongés par l’idée insupportable de ne pas posséder notre bibliothèque, de ne pas pouvoir lire tous les volumes que nous avons accumulés et que nous continuerons à accumuler : grandeurs et misères du lecteur.

    Si Arroyo emploie le nous, c’est qu’il parle aussi de moi (et de quelques autres).

    *

    Evoquant le dernier testament de Stendhal, Eduardo Arroyo raconte le désir de celui-ci d’être enterré en Italie, donnant même l’épitaphe prévue, précisant qu’à cette fin Stendhal cesse d’être français dans son bureau de consul de France à Civitàvecchia, il donne pour certain cet enterrement italien. Comme j’ai vu, il y a quelques mois, la tombe d’Henry Beyle au cimetière de Montmartre, je m’interroge.

    *

    En bas de la rue Grand-Pont, un quidam à un Conseiller Général socialiste:

    -Bonjour, vous allez bien ?

    -Oui, toujours, par principe, lui répond l’élu du peuple.

    *

    Quatre employées de bureau se nourrissant mal pendant la pause du midi en terrasse au Son du Cor, l’une d’elles aux autres :

    -Ce que je reproche à certaines personnes, c’est d’en parler avec certaines personnes et pas aux autres.           

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