• Quatre ans que cela dure et que j’y prends plaisir tout en trouvant des lectrices et des lecteurs, fidèles ou de passage, donc pas de raison d’arrêter et allons-y carrément fêtons l’anniversaire de ce Journal avec un jour d’avance.

    Quatre ans aussi que la maison Overblog héberge gracieusement mes écritures et me donne liberté d’expression. Un récent échange avec son service juridique me l’a confirmé après qu’un incident m’en avait fait douter.

    Conclusion, je continue dans la même maison et toujours sans commentaires.

    *

    Finalement la vie de Jacques Prévert, que je lis racontée par Yves Courrière (Folio Gallimard), n’est pas si ennuyeuse. Il se marie avec une femme de son âge mais tombe par la fenêtre du premier étage d’un studio de radio sur les Champs Elysées et les choses s’animent, il se met à picoler, sa femme devient un peu dingue, ils se battent à l’occasion tous les deux et leur fille fait l’anorexique puis la droguée, cependant qu’il fume ses trois paquets de gauloises par jour, d’où le cancer du poumon final.

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    Un aphorisme de Vauvenargues qu’aimait bien Jacques Prévert : La servitude abaisse les hommes jusqu’à s’en faire aimer.

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    Café le Clos Saint-Marc, lundi après-midi, une Suissesse de Gstaad en vacances à Rouen déjeune tard tout en gérant bruyamment des affaires de compétition de sport d’hiver au téléphone. Son leitmotiv : « Il est hors de question ». Ne pouvant obtenir un verre de schnaps, elle essaie le calva, puis cherche à parler avec les locaux. Je reste le nez dans mon livre. Elle se rabat sur l’autre consommateur qui lui raconte qu’il a escaladé le Mont Blanc tout seul en partant du bas l’hiver mil huit cent quatre-vingt-dix-huit grâce au Gore-tex. Elle ne fait pas semblant de le croire et lui fâché quitte l’estaminet en pestant. Elle se tait, enfin un peu de calme.

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  • Je ne compte pas le nombre de fois où je lis ou entends le mot « éponyme » employé n’importe comment, c’est à dire au sens de « du même nom ».

    Pour ma part, cela fait longtemps que je sais qu’il n’en est rien. Madame Bovary est le personnage éponyme du roman de Gustave Flaubert, lequel est le roman éponyme du film de Claude Chabrol, mais non l’inverse puisque « éponyme » signifie « qui donne son nom à ».

    Vérifiant cela sur le Ouaibe, je constate que je ne sais peut-être pas tout. Eponyme ne s’emploierait que pour une personne réelle ou imaginaire, donc on ne pourrait écrire que la première partie de mon exemple. C’est du moins ce que je crois comprendre à la lecture de la définition qu’en donne le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, tandis qu’à l’extérieur ce lundi matin il pleut des cuvettes (comme on dit en Italie).

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    Pour deux mille dix, le prix Goncourt déshonore Michel Houellebecq, qualifié d’écrivain « apaisé » par le Président du Jury, Didier Decoin. Cela ne veut pas dire que son romain soit mauvais (je ne l’ai pas lu). De bons livres ont reçu le Goncourt (exemple Je m’en vais de Jean Echenoz) et si les derniers livres de Michel Houellebecq que j’ai lus sont en baisse, les premiers, notamment Extension du domaine de la lutte, tiennent la route.

    Pas pour rien que ce premier roman a été publié par Maurice Nadeau, l’un des meilleurs éditeurs français, aujourd’hui âgé de quatre-vingt-dix-neuf ans et toujours en activité.

    *

    Du prestige dont bénéficiaient certains écrivains autrefois :

    Une dame a raconté qu’un jour, quand elle était petite, elle se trouvait dans un tramway avec sa maman et que celle-ci lui avait chuchoté en désignant un vieillard assis à l’avant que c’était Tolstoï. Le tramway passait dans l’actuelle rue Kropotkine dénommée à l’époque Pretchistenka. Soudain, le vieillard se leva pour sortir du tramway. Et la dame dit :

    -Le temps qu’il gagne la sortie, tout le tramway s’était levé comme un seul homme.

    (Iouri Olecha Le Livre des adieux)

    *

    M’étonne cette rue portant le nom de l’anarchiste Kropotkine dans la stalinienne Union Soviétique.

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  • Je sais bien que la partie est perdue et que je pourrais rester bien à l’abri chez moi, mais j’y suis quand même et beaucoup d’autres le sont aussi, cours Clemenceau, samedi à quatorze heures, pour encore une fois dire non à la contre-réforme des retraites et aussi dire qu’on en a marre de celui que Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon appellent le Président des Riches. En chemin doit me rattraper celle qui me rejoint le ouiquennede. « T’as intérêt à me trouver », lui ai-je écrit.

    Deux cégétistes s’approchent de moi. L’un d’eux m’interpelle d’un « Salut Stéphane ». « Erreur » lui dis-je. Je traverse la rue. « Bonjour, comment vas-tu » me dit un autre inconnu. Je lui explique qu’on ne se connaît pas. Il ne veut pas le croire.

    -Je ne sais pas d’où je te connais, me dit-il, mais je suis sûr que je te connais et que je te connais en bien.

    Il pleut dru et cette fois cela ne s’arrête pas avant le départ de la manifestation dont le parcours est plus court que les fois précédentes, moins de monde aussi. Avec pas mal de retard, on démarre et on gagne la rive droite par le pont Corneille au bout duquel se trouvent des jeunes gens qui entendent pousser plus loin la contestation. L’un d’eux crie « La retraite on s’en fout, on n’veut pas bosser du tout ». D’autres portent des pancartes en carton qui vont dans le même sens. L’une d’elle dit « Plus de biens. Plus de liens ». Je suis beaucoup plus proche d’eux que de ceux avec qui je défile qui veulent du boulot pour les jeunes et les seniors et davantage de pouvoir d’achat. Je marche néanmoins jusqu’au bout, place de l’Hôtel de Ville, où j’assiste, grimpé sur un muret, à la dispersion, observant les syndiqués de la Haie Fessue quitter leur camionnette en courant, pisser dans les bosquets, y revenir et en ôter les panneaux aimantés de leur syndicat. Ne reste qu’une camionnette Rent a Car.

    Une jolie fille grimpe sur le muret à côté de moi.

    -Tiens, tu es là, toi ! lui dis-je. Tu en as mis du temps pour me retrouver ou bien tu viens juste d’arriver ?

     La deuxième hypothèse est la bonne. Nous nous embrassons sous nos parapluies puis battons en retraite, direction la maison.

    *

    Dimanche matin, il pleut toujours. « De moins en moins de manifestants dans les rues de Rouen », se réjouit discrètement par son affichette publicitaire la presse rouennaise que je lis parfois mais n’achète jamais. Au Vascoeuil, place Saint-Marc, dont les nouveaux propriétaires n’hésitent pas à proposer un apéro gourmand à neuf euros, nous buvons un thé café. Un inconnu s’approche et me demande si je vais bien. Lui m’a pris pour le directeur d’un établissement pour handicapés.

    *

    Le train d’enfer avance très difficilement en Allemagne après avoir quitté la France sans drame contrairement à l’année deux mille quatre. Combien savent que le sept novembre de cette année-là, Sébastien Briat, vingt et un ans, enchaîné à la voie ferrée à Avricourt en Meurthe-et-Moselle est mort écrasé par le convoi de déchets radioactifs.

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  • Vendredi après-midi, afin d’aller manifester contre le passage des Castors dans l’agglomération de Rouen, je grimpe dans un bus numéro dix qui passe devant la nouvelle bibliothèque de quartier Simone de Beauvoir (autre Castor) et j’en descends à l’arrêt Eglise de Sotteville. De l’autre côté de la rue se trouve la Maison du Peuple d’où sortent des syndicalistes de la Cégété. Je leur demande le chemin de la gare (des pronucléaires à qui je demande comment me rendre à une manifestation antinucléaire). Il me faut marcher longuement tout droit puis tourner à gauche après un café. Je redemande plus loin à un jeune père de famille ayant son bébé dans les bras. Il est saoul mais confirme.

    Quand je tourne à gauche, de fort nombreux Céhéresses m’indiquent que je suis au bon endroit. Je rejoins les deux manifestants déjà arrivés. A côté, un studio mobile de France Trois s’organise pour diffuser en direct dans le Journal du soir.

    Peu à peu, d’autres opposants au transport des déchets nucléaires arrivent. Un certain Bernard Frau fait le tour des présents à qui il serre la main en se présentant. Il m’ignore heureusement car je suis à l’écart. Ces politiciens sont décidemment insupportables (celui-ci appartient à la minuscule Alliance Ecologique Indépendante). Passe un hélicoptère de surveillance.

    Une bonne partie des troupes est maintenant là. D’autres viendront plus tard, apprend-on, car le train d’enfer a été bloqué par des manifestants enchaînés sur les voies près de Caen. C’est Guillaume Blavette du réseau Sortir du Nucléaire qui explique ça au mégaphone à sa façon fébrile et confuse (il parle de Céhéresses désincarcérant les manifestants). Pendant ce temps, nos Céhéresses à nous vont et viennent en nous contournant aimablement. Certains se postent au long des voies tandis que leurs copains de la Police Ferroviaire nous empêchent d’emprunter la passerelle.

    La conséquence du blocage du train de quatre cent cinquante mètres de long convoyant les dangereux déchets nucléaires venus de La Hague vers Gorleben en Allemagne, c’est un grand retard qu’on ne peut pas encore estimer

    Pas tant de manifestants que cela, me dis-je quand tout le monde est là, et pourquoi si peu de femmes (moins de vingt pour cent), je ne sais pas.

    Il y a là Greenpeace, Europe Ecologie, le Parti de Gauche (dont les membres se font photographier derrière leur banderole) ainsi que des cheminots de Sud Rail. Se font remarquer par leur absence : les Parti Socialiste et Parti Communiste (pronucléaires) ainsi que le Nouveau Parti Anticapitaliste.

    Deux des syndicalistes de Sud Rail décident de montrer aux forces de l’ordre (comme on les appelle) que leur blocage n’est pas parfait. Drapeaux au vent, ils contournent les bâtiments de la gare, traversent les voies et se font ramener par la troupe bottée et casquée.

    L’un d’eux m’apprend qu’on a relevé leur identité et qu’on fera un rapport à leur hiérarchie.

    Guillaume Blavette annonce que le Préfet a finalement accepté la présence de deux manifestants dont un cheminot au bord de la voie pour mesurer la radioactivité du convoi de Castors (il crache énormément, comme on dit ici) et que celui-ci n’arrivera à Sotteville qu’au mieux dans une heure et demie, deux heures. La télévision replie son studio mobile, plus question de direct. Elle laisse sur place un cadreur et un preneur de son. Beaucoup de manifestants s’en vont provisoirement ou définitivement. Je rentre à Rouen dans la voiture d’une de mes connaissances.

    De Castor, pas vu la queue d’un.

    *

    Castor est un mot valise formé avec les deux premiers termes de Cask for Storage and Transport of Radioactive Material.

    *

    Le train de Castors comprend plusieurs voitures de voyageurs exclusivement réservés aux Céhéresses. Ils s’en prennent une bonne dose.

    *

    Cahin-caha avance ce train d’enfer. Il trouvera des obstacles bien plus redoutables en Allemagne où l’attendent trente mille opposants au nucléaire. Certains envisagent de démonter les voies.

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  • La nuit, avant de m’endormir et quand je me réveille au milieu, je lis avec grand plaisir Le Livre des adieux. L’auteur en est Iouri Olecha. Il a été co-publié par Anatolia et les Editions du Rocher en deux mille six. On le trouve en ce moment soldé à Paris chez Mona Lisait.

    Je ne connaissais rien d’Olecha avant, jamais même croisé son nom. Maintenant, je sais que, d’origine polonaise, il est né près d’Odessa en mil huit cent quatre-vingt-dix-neuf et mort à Moscou en mil neuf cent soixante et qu’il est l’auteur de L’Envie, l’un des chefs-d’œuvre de la littérature russe de l’entre-deux-guerres.

    Pas de chance quand on est écrivain (ou artiste) de vivre à cette époque en cet endroit. Olecha doit se compromettre avec le régime stalinien et accepter que pour être jouées ses pièces soient censurées. Il se réfugie dans l’alcool et dans l’écriture de fragments qu’il empile du début des années trente à la fin des années cinquante sans espoir de les voir publiés.

    Ce sont ces fragments qui font Le Livre des adieux, moitié journal moitié mémoires, paru en Russie cent ans après la naissance de leur auteur.

    On y croise Gorki, Babel, Boulgakov, Meyerhold ou Maïakovski ainsi que des écrivains ou artistes moins connus dont certains furent fusillés ou déportés en ces temps de terreur communiste. Cette année, le printemps sue l’angoisse, note Olecha au début de ses fragments.

    Outre le côté témoignage, ce qui me plaît chez Iouri Olecha, c’est ce qu’il dit de lui, son absence d’illusions sur lui-même. Ainsi ceci :

    Mais il n’y a que du froid dans mon âme. Un vil égoïsme. Suis-je le seul à être ainsi ? Ou bien est-ce le cas général ? Si je suis le seul, cela signifie que je suis un monstre et que je dois me claquemurer entre mes quatre murs et me taire ; si c’est le cas général, alors, comment vivre ?

    Ou ceci :

    Je déménageai à Moscou, mon lien avec mes parents se rompit, mon père m’écrivait des lettres, je n’y répondis qu’une fois, des années passèrent ainsi, j’ai récemment reçu une lettre où mon père dit qu’il a trouvé un emploi dans un hôtel de Grodno. La tombe de ma sœur est restée sans plaque, je n’ai pas fait ce que m’avait demandé ma mère. Je ne regrette ni ma sœur, ni maman, ni mon père. L’intellectuel sentimental que je suis s’est conduit comme un barbare.

    La sœur d’Olecha est morte à vingt-deux ans quand lui en avait dix-neuf, du typhus qu’il lui avait donné :

    Ma sœur était pour moi un être étonnant. Non, à vrai dire, dans ma relation avec ma sœur, il y avait bien des choses qui aujourd’hui m’étonnent : il est absolument évident que je voyais en elle une femme. Je me livrais parfois à des actions qui donnaient à penser que je la voyais précisément ainsi. Ainsi je l’enlaçais, ainsi j’avais envie de l’embrasser dans le cou, d’embrasser ses bras nus lorsque je les voyais. Elle ne s’y opposait pas. Au contraire, cela lui plaisait. Je nous revois assis sur le bord du lit où je m’apprêtais à me coucher –ma chambre était à la croisée des pièces de l’appartement–, il est tard, tout le monde dort, nous ressentons l’état douloureux et doux d’êtres faits pour se donner l’un à l’autre mais qu’arrête la barrière de la honte, de la responsabilité et de la peur. Je la frôle à chaque instant, je frôle ses jambes et ses épaules nues (elle est sur le point de se mettre au lit) et elle dit pour transformer ce qui est en train de se passer en plaisanterie :

    -Tu as les oreilles brûlantes.

    Il me semble que c’est elle qui m’aurait fait connaître la plus grande volupté que peut procurer la possession d’une femme. Ce que je suis en train d’écrire est-il offensant pour sa mémoire ? Je ne crois pas ! Il me semble qu’une femme ne peut jamais se sentir offensée d’être reconnue comme telle, quand bien même cette reconnaissance serait le fait d’un babouin, pour ne pas parler d’un frère !

    Le fragment suivant débute ainsi : Elle est morte la veille de Noël. J’ai vu l’instant de sa mort.

    *

    Café verre d’eau au Marégraphe jeudi après-midi, il fait doux. Sur l’autre rive, la foire Saint-Romain se met doucement en route, cette année pas de grande roue.

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  • D’où vient qu’à Metz, Lyon, Strasbourg, Lille et autres villes de même importance, il ne me faut guère plus d’une journée pour trouver le café qui me convient, suffisamment fréquenté et animé et où je me sens bien pour lire ou écrire alors qu’à Rouen macache ?

    Je crois que la faute en est aux terrasses qui dans la capitale de Haute-Normandie s’étalent à plaisir, d’où plus personne à l’intérieur et dehors des client(e)s qui se pèlent mais peuvent fumer assis(e)s (à Metz, on sort et on fume debout).

    Ce jeudi, après avoir essayé les semaines passées pas mal d’estaminets locaux, je suis de retour à l’Echiquier. Plein de monde en terrasse malgré les travaux (l’Espace du Palais n’est plus étanche) et quasiment personne à l’intérieur où je m’installe.

    Mon café arrive sans que j’aie besoin de le demander (on se souvient de moi ici). J’ai besoin de me vider la tête après un long échange avec le service juridique de la maison Overblog qui héberge ce Journal. Pour cela, je parcours les faits divers de Paris Normandie puis reprends où je l’ai laissée la lecture de Jacques Prévert (En vérité), la biographie signée Yves Courrière parue chez Folio Gallimard. Je saute des pages ne trouvant guère d’intérêt à ce pavé. La vie de Prévert n’est pas palpitante et l’auteur s’embarque dans de nombreuses digressions.

    Un couple termine de déjeuner, qui participe à ma distraction. La femme s’en prend véhémentement à son vis-à-vis qui ne pipe mot. On dirait un petit garçon face à une méchante institutrice. Je n’entends pas bien ce qu’elle lui reproche. Il est question de manque de personnalité et de lâcheté. Quand enfin il ouvre la bouche, c’est pour dire :

    -Tu as raison, je je je…

    Elle le regarde avec haine :

    -Ce que j’aurais aimé, c’est qu’il t’arrive quelque chose de grave, de grave, de grave.

    Bientôt ils quittent les lieux. Elle, ouvrant la porte d’un geste brutal. Lui, la suivant sur ses béquilles.

    *

    Prévert, dans les soirées où les surréalistes s’interrogeaient les uns les autres à propos de leur sexualité, à la question de son âge préféré chez ses partenaires répondit « Quatorze ans » mais sa Jacqueline en a dix-sept quand il en a vingt de plus. Leur copain Francis Lemarque (bientôt chanteur), qui, à l’époque, filait le parfait amour avec la fille délurée de son patron chemisier –elle avait treize ans mais en paraissait dix-sept–, était très impressionnée par la beauté de Jacqueline qu’il baptisa « l’Inaccessible » même si elle était sa cadette de trois ans raconte Yves Courrière. Plus tard, Prévert rencontrera Claudy, laquelle en parle ainsi à Courrière : « J’étais mineure –je devais avoir seize ans– mais je ne m’en rendais pas compte et Jacques non plus qui ne m’a forcé à rien. J’étais très jeune et très heureuse d’être avec lui. »

    C’était dans les années trente du siècle précédent.

    *

    On fume debout dehors à Metz mais il est aussi au moins un endroit où on le fait à l’intérieur du bistrot, de même dans des villages de Lorraine, de Champagne-Ardenne, de Picardie. Rassurant de constater qu’il y a en France des régions où l’on est moins mouton qu’en Normandie.

    *

    À Rouen, la manie de la restauration atteint maintenant les statues. Celle de Rollon, le fier Viking qui a fondé la Normandie, en fait les frais. Elle a quitté son socle du jardin de l’Hôtel de Ville et y reviendra avec le bras et l’épée perdus depuis longtemps.

    La Vénus de Milo ne dit mot, planquée qu’elle est à Paris.

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  • Il est juste quatorze heures trente quand elle et moi nous présentons au guichet du Familistère de Guise ce jeudi vingt-huit octobre, juste le temps de payer et nous intégrons la première visite guidée, pas par goût pour ce genre d’exercice mais c’est obligatoire pour entrer dans certains des bâtiments créés par Jean-Baptiste André Godin, ce patron du dix-neuvième siècle inspiré par l’utopiste Fourier.

    La guide nous raconte donc l’histoire de Monsieur Godin qu’elle tient absolument à distinguer des paternalistes, de ses travailleurs socialisés et des bâtiments construits par lui pour eux à côté de l’usine (logements, économats, écoles, théâtre, buanderie, piscine et cætera). Elle prend appui sur le plan relief fait par l’un des ouvriers en mil neuf cent trente et un dont elle éclaire chaque lieu cité d’un rayon laser rouge puis nous emmène dans la cour intérieure magnifique et grandiose du pavillon central du Palais Social.

    L’essentiel de l’endroit est restauré et transformé en musée pour le projet Utopia mais y demeurent encore quelques habitant(e)s. Je n’écoute que d’une oreille ce que nous dit la guide préférant faire courir mes yeux des coursives à la verrière. J’entends que la suite de la visite se fait librement. Des questions ? Celle qui m’accompagne veut se renseigner sur l’envers du décor, qu’en était-il de ces tableaux muraux où les familistérien(ne)s inscrivaient les manquements de leurs voisin(e)s ? Elle n’obtient pour réponse qu’un « C’était après la mort de Godin ».

    C’est une bonne chose de laisser le curieux et la curieuse aller à leur guise.

    Nous entrons dans le bâtiment, montons les escaliers, parcourons les coursives,  découvrons la coupe qui en est faite de la cave au grenier. Toute cette brique rouge ravit celle qui me tient la main, ainsi que les différents modèles de poêles issus des usines du sieur Godin.

    Nous parcourons les deux appartements reconstitués, consultons certains des documents, ressortons pour aller voir dans l’aile droite le grand appartement bureau de Monsieur Godin et terminons la visite des bâtiments par ceux de la buanderie et de la piscine dont le plancher pouvait remonter afin que les moutard(e)s y aient pied. Les écoles ne se visitent pas, devenues communales quand les choses ont mal tourné pour l’usine coopérative des poêles Godin qui fut rachetée par des capitalistes, cela paradoxalement en mil neuf cent soixante-huit, les appartements du Familistère étant vendus à leurs occupant(e)s.

    Il est temps de songer à trouver un lit pour la nuit ce que nous ne réussissons à faire qu’à Saint-Quentin dans un sinistre hôtel Balladins dont le gérant au petit matin s’en prend à l’une des femmes de ménage à la peau noire.

    On préfère ne pas s’attarder et retourner ce vendredi vingt-neuf octobre chez Jean-Baptiste André Godin afin de parcourir ses jardins avant l’arrivée d’autrui. L’une des portes de l’aile droite du Palais Social est ouverte et, ignorant l’écriteau qui l’interdit aux visiteurs, nous entrons.

    Ce côté est encore habité et assez délabré. Elle en fait moult photos. Une porte pivotante utilisable à tout âge permet de s’esquiver dans le Jardin de la Presqu’île. Nous faisons le détour du kiosque à musique avant de nous y enfoncer.

    Personne d’autre que nous dans cette savane récemment tondue parcourue de curieux cheminements en bois dont ne comprenons pas l’usage et qui nous mènent au bord de l’Oise. Nous passons un pont et arrivons par une porte latérale dans le Jardin d’Agrément au fond duquel se trouve l’écrasant mausolée de Godin jouxté des statues d’un brave travailleur et d’une honnête mère de famille dont le poupon dégradé a des trous terrifiants dans le visage.

    Elle photographie ce malheureux enfant et souhaite ensuite faire un tour dans l’usine. Je lui dis qu’on ne nous laissera pas entrer et c’est exactement ce qui se passe.

    *

    Le signe qu’il est temps de partir : l’arrivée des campigne-cars. Dix heures et demie : deux de ces bouses blanches stationnent devant le Familistère.

    *

    Avant de quitter Guise, nous prenons un café thé au bar Pet Emu, un endroit où l’on sent bien que le monde d’aujourd’hui n’a rien à voir avec les rêves de Monsieur Godin.

    *

    M’aurait été utile lors de ce périple en Lorraine, Champagne-Ardenne et Picardie, d’avoir en poche le Tivibigone commercialisé par les Mutins de Pangée. Cette petite télécommande est capable d’arrêter toutes les télés. Au restaurant de l’Hôtel Beaudon, à Pierrefonds, pour notre ultime déjeuner de vacances, j’annonce à la patronne que si elle n’éteint pas son écran plat nous allons ailleurs. Commerçante avisée, elle obtempère.

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  • Un bien beau bâtiment que ce Centre Pompidou de Metz dû à Shigeru Ban et Jean de Gastines avec ses trois galeries axées vers les lieux forts de la ville et sa toiture de bois étoilé en forme de chapeau chinois, nous disons-nous au bout de la file d’attente arrêtée par un cordon amovible, ce lundi vingt-cinq octobre vers treize heures trente. Je le trouve néanmoins plus petit que je ne l’imaginais et m’interroge à voix haute :

    -Pourquoi donc nous faire attendre ainsi dehors ?

    S’ensuit une conversation animée avec un ancien Messin à qui je fais remarquer qu’on pourrait au moins s’impatienter à l’intérieur, l’espace inutilisé le permettant aisément.

    L’attente persistant, il finit par me dire qu’il est au regret d’être d’accord avec moi. Un vigile libère enfin le passage. Munis de billets, nous nous présentons à l’entrée de l’exposition Chefs-d’œuvre ? Elle occupe les trois niveaux, mais celui du bas nous est interdit pour le moment, trop de monde. Il nous faut commencer par le milieu, au premier niveau, où là aussi c’est peuplé.

    Beaucoup d’œuvres, en vrac, la plupart venues de Pompidou Paris, pas toutes de premier choix, servent à s’interroger sur la notion de chef-d’œuvre. Ce qu’il est difficile de bien faire dans ces espaces petits et fermés, parfois trop éclairés, parfois pas assez, au milieu de beaucoup de monde, pas moyen de respirer en ce lieu, contrairement aux vastes espaces de la maison mère parisienne. On monte au-dessus aussi encombré, puis d’un coup de vertigineux ascenseur nous terminons par le début où c’est la même chose.

    Quand on ressort, considérant la file d’attente encore allongée, on n’en sait pas plus sur la notion de chef-d’œuvre mais on est quand même content d’avoir revu certaines de nos œuvres préférées dont Le Peintre et son modèle de Balthus et La Poupée de Bellmer et de nous être attardés devant La Boutique de Ben ou les peintures de Martial Raysse : Raysse Beach et Salauds (quand on lui demande qui sont les salauds, Martial Raysse répond qu’il y en a beaucoup et qu’ils finissent toujours par se reconnaître).

    *

    Une petite fille à son père devant l’un des chefs-d’œuvre du Centre Pompidou de Metz :

    -Est-ce que c’est beau ?

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  • Ce n’est pas la pénurie d’essence qui nous cause souci durant notre périple d’une semaine dans l’Est de la France mais le manque de chambres d’hôtel et de chambres d’hôtes dans ces contrées qui vont de la Picardie à la Lorraine.

    Celle qui se tient à mes côtés dans la voiture se démène pour trouver où nous pourrions passer la nuit. Les chambres d’hôtes sont sur répondeur. Les hôtels sont fermés, complets ou hors de prix.

    « A Noyon impossible de se loger », nous dit l’ancien propriétaire d’un hôtel, il n’y a plus que le haut de gamme en ville et les chaînes de bas de gamme en zone industrielle.

    Parfois, nous devons nous résoudre à ces chambres en forme de cellule coincées entre un hypermarché et un entrepôt. Parfois, nous trouvons mieux comme à Coucy-le-Château ou à Marville. Chaque jour, c’est beaucoup de temps perdu et de kilomètres parcourus en vain au point de se dire qu’on ne reviendra pas par là puisqu’il est impossible de s’y loger.

    Quand même la Cathédrale de Reims, le Moulin de Valmy, Metz pendant deux jours (Cathédrale, Moselle, église Sainte-Ségolène, Centre Pompidou, gare teutonne et Comédie Café, cet attrayant café d’étudiant(e)s où boire le merlot en mangeant des rillettes), les vapeurs orange des hauts-fourneaux d’Hayange, Marville (le village à l’allure espagnole aux volets arc-en-ciel), Guise (le pays de Godin), les ruines de Coussy-le-Château et, ultime étape, Pierrefonds au sein de la forêt de Compiègne, bien des balades sur fond de cimetières militaires.

    Au retour, samedi, je prends garde aux gendarmes cachés partout avec leurs appareils photo, conduisant dans la limite des vitesses autorisées (conduite fatigante, énervante et donc dangereuse), content d’arriver avec elle là où nous passons ensemble une dernière nuit, clandestine.

    *

    A Metz, à l’issue de la deuxième nuit, nous retrouvons la voiture, garée avenue Louis-le-Débonnaire, derrière le Centre Pompidou, avec une vitre explosée. Des voyous ont voulu voir s’il y avait à voler à l’intérieur. Sept ou huit autres véhicules ont connu le même sort, m’apprend-on au Poste de Police des Sablons où je porte plainte. Grâce à la disponibilité et à la célérité du garage Renault du Pont Rouge, cette mésaventure ne nous coûte qu’une demi-journée de vacances.

    *

    Metz où des syndiqués neutralisent les horodateurs avec des sacs en plastique noir, une action directe pas dans leurs habitudes, une preuve de faiblesse qui annonce la fin d’un mouvement de résistance. L’autre, dans son Elysée, aura été le plus fort, bien que minoritaire.

    *

    A Thionville, le jour de notre passage, s’il est impossible de se loger, c’est la faute au Congrès National de la Ligue de Protection des Oiseaux. « Que des bonnes femmes dans mon hôtel » m’annonce élégamment l’un des responsables du Formule Un. Des enseignantes sans doute, dis-je à celle qui m’accompagne.

    *

    L’un des meilleurs moments de ces vacances carrément à l’Est, la visite dans le matin brumeux du cimetière Saint-Hilaire à deux kilomètres de Marville (Meuse) : les vieilles tombes sculptées envahies par la mousse, les petites tombes blanches des nouveaux-nés canadiens de l’ancienne base militaire de l’Otan et surtout l’ossuaire des quarante mille crânes et os longs rangés vers mil huit cent quatre-vingt-dix par le gardien Constant Motsch, dont elle fait de nombreuses photos avant que nous reprenions la route.

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