• Il y a quelques jours, voulant faire un cadeau sans choisir à la place de sa destinataire, je me présente un peu enneigé au magasin Hippy Market de Rouen pour m’enquérir de la possibilité d’un chèque-cadeau. La maison n’en propose point. Je demande s’il est possible d’en établir un, fait à la main sur une facture. Que non, on n’a pas de liasse de factures et on n’en imprime pas, le ticket de caisse en fait office. Je repars me faire fouetter par la neige.

    Le lendemain matin, j’y retourne par temps sec avec une idée en tête. Puis-je faire ce chèque-cadeau moi-même, Hippy Market y collant un coup de tampon ? Non, non et non, me répond-on. Je veux savoir pourquoi. On me dit qu’on n’a pas le droit, que si on le faisait pour moi il faudrait le faire pour d’autres et que, de toute façon, on ne veut pas recevoir de l’argent par avance

    Eh bien, oui, me dis-je en rentrant dépité, il existe à Rouen au moins une commerçante qui n’est pas prête à tout pour emplir son tiroir-caisse.

    *

    Une qui n’a pas eu de scrupules, c’est la particulière qui a récupéré gratuitement avant qu’il ne soit détruit le lustre disagne de feu le Palais des Congrès de Rouen et qui le met maintenant en vente aux enchères via Internet au prix de départ de douze mille euros.

    Pourquoi n’ai-je pas eu cette idée moi-même ?

    *

    Que de rêves ces dernières nuits, la faute à la neige ou à la pleine lune ou au solstice, je ne sais. En général, je n’en raconte pas car ceux des autres m’ennuient. Je fais exception pour l’un de cette nuit de lundi à mardi : Obama tué par Al-Qaida et ma larme à l’oeil quand je l’annonçais à je ne sais qui.

    *

    Dans le numéro de Libération du jeudi six décembre deux mille dix, une entrevue du journaliste Eric Loret avec Marcel Cohen à l’occasion de la sortie du troisième et dernier volume de Faits, textes courts évoquant de façon plus ou moins directe la Shoah.

    A l’une des questions, cette réponse de Marcel Cohen : « L’avantage des textes courts, c’est qu’il est difficile d’en faire un résumé qui ne soit pas plus long.»

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  • Cette chose blanche commence à tomber dimanche matin à l’heure où je suis prêt  pour le marché du clos Saint-Marc avec celle qui est rentrée de Londres et qui me tient la main. Les flocons de rien du tout mais nombreux et teigneux ne mettent pas longtemps à constituer tapis s’épaississant. Sous le perron de l’église Saint-Maclou, un très bon accordéoniste fait image d’Epinal. Ce matin, nous sommes aussi en Roumanie.

    Nous renonçons à la moindre emplette, préférant boire une boisson chaude au café nommé Le Clos Saint-Marc en regardant par la vitre la neige de plus en plus dense. Une heure plus tard, marchant sur la route désertée, nous retrouvons l’accordéoniste chevronné. Celle qui m’accompagne lui donne presque toute sa fortune du jour puis nous poussons jusqu'à la boulangerie et rentrons.

    Quoi de meilleur que d’être à deux sous la couette pendant que sur le toit continue à tomber la neige. Je ne crois pas en avoir vu autant à Rouen depuis mon arrivée, il y a une douzaine d’années. Vers le soir, elle appelle sa mère pour lui dire que vu le temps elle ne rentre pas et nous allons découvrir la cité blanchie. Dans le jardin de l’Hôtel de Ville, c’est la fête des moutard(e)s : certain(e)s glissent sur des luges, d’autres achèvent la construction de bonhommes. L’un d’eux est perché sur le socle de Rollon momentanément absent.

    Le meilleur, nous ne le découvrons que ce lundi matin sur le blog de Rouen, grâce à l’ami Franck, un phallus de neige du plus bel effet devant la Mairie de Bihorel. Que Bihorel soit une ville érotique n’est pas pour nous surprendre. C’est là qu’elle remonte à pied au début de l’après-midi, ne mettant qu’une heure pour parcourir les quatre kilomètres.

    *

    Maintenant dans les restaurants, outre le « Bonne continuation » qui accompagne depuis je ne sais combien d’années le deuxième plat et les suivants, on a droit à la fin de chaque plat à un « Ça s’est bien passé ? ». Comme si on venait de subir une visite médicale, un examen de permis de conduire, que sais-je encore…

    *

    Les temps sont durs pour les fleuristes rouennais de la rue du Père Adam. Le Jardin d’Eglantine a fermé sa porte et Ephémère est à louer.

    Baptiser sa boutique Ephémère, c’est, soit ne pas craindre le mauvais sort, soit être réaliste.

    *

    Quel cadeau dans mes grands souliers à Noël ? Peut-être bien une convocation judiciaire.

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  • « Au fil du temps, et de son propre aveu, Michel Perdrial s’est fait sur le web des ennemis, et des amis. » écrivait Sébastien Bailly, il y a peu, sur le site de Paris Normandie. Heureusement pour moi, le nombre des ami(e)s est bien supérieur à celui des ennemi(e)s.

    Vendredi midi, mon téléphone sonne. C’est une ancienne commerçante rouennaise qui a déjà essayé de faire arracher deux pages de mon Journal par mon hébergeur, pages ayant été ôtées sans mon accord puis remises par mes soins. Elle me demande de les enlever, prétendant que je l’y dénigre. Je refuse. Elle m’annonce qu’elle va porter plainte. Je l’y encourage.

    Une demi-heure plus tard, nouvel appel, il s’agit cette fois de son mari. Il exige la même chose sur un ton plus agressif. Ne pouvant discuter avec lui, je raccroche et mets le répondeur.

    Le téléphone sonne une troisième fois. C’est encore elle, qui me laisse le message suivant : « Oui monsieur Perdrial, c’est madame Xxxxxx, alors enregistrez bien la communication surtout, parce que, y a pas de propos menaçants ni quoi que ce soit, hein, de toute façon j’ai trouvé dans vos articles des choses encore plus vicieuses, donc y a pas de souci, on enclenche une procédure et je vais certainement vous demander des dommages et intérêts, donc préparez une petite cagnotte et je vous souhaite donc de très bonnes fêtes de fin d’année et continuez à écrire parce que c’est vraiment très croustillant, je pense que ça va intéresser plein de gens parce que je vais certainement monter un collectif avec les boulangers et les bouquinistes de Rouen, on va pas se gêner, à très bientôt. »

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  •             Jeudi souère, je m’en vais vouère pour la deuxième foisse Cadmus et Hermione, premier opéra français, éclairé à la chandelle et chanté en ancienne parlure (surtitrée) à l’Opéra de Rouen (la première fois, c’était en février deux mille huit).

    La musique est toujours signée Jean-Baptiste Lully et le livret (d’après les Métamorphoses d’Ovide) Philippe Quinault. Le nom du premier est le seul sur l’affiche. C’est bien injuste. J’aime l’écriture de Philippe Quinault, sa façon légère de dire que sans amour on n’est rien du tout.

    Bien que peu amateur de musique baroque, je revois donc avec plaisir ce Cadmus et Hermione et peux me citer : tout est rassemblé pour que je passe un bon moment, la musique confiée à l’orchestre du Poème Harmonique (dirigé par Vincent Dumestre), l’agréable mise en scène de Benjamin Lazar, les costumes somptueux signés Alain Blanchot et la voix sublime de Claire Lefilliâtre dans le rôle d’Hermione.

    Le décor, quelque chose entre l’amas nuageux et la grotte, et les costumes chatoyants et surchargés me font penser à la crèche napolitaine du Musée des Beaux-Arts de Rouen, cela fait un moment que je ne l’ai vue. Il faudra que j’y aille avec celle qui rentre bientôt de Londres, à qui répéter ces vers de Philippe Quinault :

    L’Amour contente,

    Tout en est bon.

    Dans les beaux jours de notre vie

    Les plaisirs sont dans leur saison,

    Et quelque peu d'amoureuse folie

    Vaut souvent mieux que trop de raison.

    *

    A la Caisse d’Epargne de la rue du Gros où j’imprime les billets de train d’un futur voyage, une sept ou huit ans écrit des signes cabalistiques sur l’un des imprimés de la banque, signe et glisse son message dans la boîte à lettres :

    -Voilà, j’ai fait mon testament, dit-elle.

    *

    En haut de cette même rue, la nouvelle boulangerie, qui remplace celle nommée Meier, s’appelle Yvonne en hommage à la grand-mère de la boulangère. Cette Yvonne a-t-elle connu Grand-Mère Auzou, fabricante de macarons ?

    *

    Vingt-quatre heures en Seine-Saint-Denis ce vendredi pour France Culture, pas moyen d’échapper aux textes indigents des slameurs et des slameuses.

    J’imagine l’effort que doivent faire les animatrices et les animateurs de la radio pour faire semblant de trouver ça intéressant.

    Ces malheureux sont en mission de service publique.

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  • Le sol glisse un peu quand je rejoins à pied sous le parapluie le lointain Cent Six. Je slalome sur le terrain vague maudissant Laurent le Fabuleux d’avoir eu l’idée de la poser là, sa Scène de Musiques Zactuelles (l’une de ses contributions personnelles à « Rouen, ville ratée », un travail collectif des politiciens locaux de droite et de gauche). Je finis par atteindre mon but m’abritant sous l’avancée construite exprès pour ça et qui doit permettre au public d’attendre en longue file qu’on veuille bien lui ouvrir les portes.

    C’est compter sans l’indiscipline. L’essentiel du troupeau s’amasse en vrac sur la chaussée et peste d’avoir à se peler si longtemps. Quand enfin les vigiles ouvrent la porte à deux battants, une pré-branlotine se tourne vers sa mère : « Qu’est-ce qu’on fait, on pousse ? ».

    -Non mais tu te crois où ? demande la maman.

    -Au self du collège.

    On entre lentement, la faute à la fouille. Je signale à celui qui me tripote que c’est insupportable, à quoi il me répond que c’est partout comme ça, à quoi je lui dis que je n’ai jamais été fouillé au Hangar Vingt-Trois. Je suis le seul à me rebeller. Les autres acceptent ça bien sagement. On se retrouve tous dans le hangar de stabulation libre. Il est enfumé pour l’occasion, ce qui cache un peu sa laideur.

    Ce mercredi, c’est Coco and Curry en entrée et Katerine en plat du jour. Coco and Curry sont deux garçons qui ont beaucoup d’énergie à dépenser, l’un à la batterie, l’autre aux claviers. Leur musique est bien faite et bruyante comme on l’aime maintenant, un peu lourde pour mon estomac délicat.

    A l’issue, je la digère comme je peux en m’ennuyant ferme pendant que des garçons de scène installent longuement le matériel pour la suite, dont un écran en forme de rideau et un escabeau. Enfin, les musiciens s’installent (batteur, bassiste, guitariste) et le rideau se lève sur un Philippe Katerine en joguigne et deux danseuses choristes en tenue assortie du meilleur mauvais goût.

    Katerine donne à ouïr les chansons de son dernier opus dont les paroles sont réduites à peu de chose tandis que les deux filles agrémentent ses gesticulations de chorégraphies cruchesques. Après une étape intermédiaire en caleçon rouge étoilé et le torse nu, il est enfin en chaussettes rouges et en mini short de djine bleu délavé, prêt à manger ses bananes. L’une vole vers la scène, d’autres sont boulottées par des spectateurs subtils. On s’amuse bien et ça donne soif.

    -C’est vrai qu’ici vous ne pouvez pas boire d’alcool, compatit le chanteur, mais je suis sûr qu’il y en a qui l’ont fait sur le parquigne. Je vais le dire à Laurent, Laurent vous savez, Laurent Fabiu, il va venir avec son Famas et il va vous descendre tous.

    Au moment des rappels, l’escabeau sert enfin à quelque chose. Katerine y grimpe et montre son cul. Il rejoint le micro et hésite à faire voir le reste. Les filles près de moi regrettent d’être si petites. Elles se hissent sur la pointe des pieds. Pour rien, après en avoir appelé à Marcel Duchamp, Maupassant, Vincent Delerm et Dominique Laboubée, le fanfaron se dégonfle.

    J’ai mal à la clavicule à force d’être planté debout. Dire qu’on pourrait assister au même spectacle bien assis si on n’était pas dans une Salle de Musiques Zactuelles, me dis-je tandis que Katerine narre sa fâcheuse rencontre avec Marine Le Pen. « Ce jour-là, je me suis dit que j’aurais mieux fait de rester chez moi à boire une petite bière ». Il en ouvre une.

    -J’le fais pas pour vous provoquer. J’le fais pas pour vous chercher la merde. Je fais ça à tous les concerts. En plus je peux pas vous en donner. Je ferais de vous des délinquants. Et Fabiu y serait pas content.

    Il la passe quand même à un assoiffé du premier rang « Ah, tu me dégoûtes, tiens ! »  puis nous invite à faire un petit tour de vélo : Si/ Je/ Peux/ Vous donner un conseil/ Faites du Vélib' la nuit/ Sous ecstasy.

    Pour finir il est question de couper le son. Les deux filles, les trois musiciens (dont l’insupportable batteur qui aimerait bien être la vedette du spectacle) et le chanteur drôle et distrayant saluent. C’est le moment de se rhabiller.

    *

    Nouvelles du village : Monoprix des Docks échec et mat, Laurent Salomé des Beaux-Arts mute et l’Ecole Normale de Filles pour la Matmut.

    *

    Lors de l’ouverture en deux mille neuf de l’excentré centre commercial des Docks Soixante-Seize, j’écrivais que ça tiendrait bien jusqu’à Noël. Me suis un peu trompé, mais à l’approche de Noël deux mille dix, ne voilà-t-il pas que le Monoprix de là-bas annonce sa fermeture. Je l’ai fréquenté deux fois il y a peu pour acheter des sandouiches pendant l’Agora du Cinéma Coréen, étonné d’en être le seul client.

    *

    Le site de Paris Normandie m’apprend le départ de Laurent Salomé, directeur du Musée des Beaux-Arts de Rouen, pour le Grand Palais de Paris. Ne sais pas ce qu’il y fera, n’ayant accès qu’aux trois premières lignes de l’article. S’il se dépêche un peu, il y retrouvera Claude Monet sans avoir à supporter Laurent Fabius.

    *

    A Rouen, la Matmut est partout. La voici désormais, grâce aux édiles socialistes locaux, propriétaire de l’ancienne Ecole Normale de Filles dont elle fera un restaurant et un hôtel de grand standigne, ainsi qu’un ensemble résidentiel et un centre de congrès de mil cent places, tout cela un peu loin du programme de Valérie Fourneyron, Maire : « aménagement du jardin de la Roseraie, ouverture d’une crèche, accueil du Comité Départemental du Tourisme ».

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  • Quand j’arrive au Vascœuil, mardi vers quatorze heures trente, la plupart des tables sont encombrées par les reliefs des déjeuneurs et déjeuneuses parti(e)s depuis un moment et quelques-unes sont occupées par des pas pressé(e)s d’aller travailler. Je prends celle qui est disponible contre la vitre, trop près de la porte qui reste souvent ouverte. J’en secoue le tapis plein de miettes et jamais lavé.

    La serveuse met un certain temps avant de prendre conscience de mon existence. Je bois mon café en regardant un jeune prof à l’air paysan corriger ses copies et en écoutant la conversation des convives d’à côté. L’un est un boulanger au crâne rasé. L’autre est un ancien boulanger devenu commercial en farines suite à son divorce. Il se vante d’avoir arnaqué son ancienne femme qui travaillait gratuitement pour lui.

    -Je lui ai dit si tu me mets aux prud’hommes, je te mets un coup de fusil.

    Il raconte aussi à son invité comment il s’est fait payer la nouvelle toiture de sa maison par les impôts en leur faisant croire que c’était celle de sa boulangerie.

    Ces deux lourdauds finissement par partir et arrive un ami du professeur. Ce dernier abandonne ses copies et lui montre le trombinoscope d’une de ses classes, des têtes de lycéen(ne)s en couleur dont il se moque, tentant de faire partager son hilarité à celui qui mange son sandouiche en buvant une bière.

    -Regarde la tronche de celle-ci, et celui-là, on dirait un présentateur de la Rai.

    Je tire la porte derrière moi, me promettant de ne plus revenir.

    *

    Un livre que je dois me procurer : Hymnes à la haine de Dorothy Parker (Phébus Libretto)

    Je hais les fêtes :
    Elles réveillent en moi ce que j'ai de pire...

    *

    Un livre dont j’aurais dû me passer : Si je devais… de Germaine Beaumont (Le Dilettante)

    La supériorité des ballons rouges sur les avions, c’est qu’ils ne vont nulle part.

    Je te corrige, Germaine : La supériorité des ballons rouges sur les avions, c’est qu’on ne sache pas où ils vont.

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  • Il fait beau et froid ce lundi à Paris. Sur les marches des stations de métro et sur les trottoirs, des traces de sel et de sable témoignent de l’épisode neigeux (Météo France dixit) du milieu de la semaine dernière. Comme tous les provinciaux, je l’ai suivi avec émotion sur un écran de télévision. C'était dans mon hôtel de Nantes. Un prochain épisode neigeux est annoncé pour le milieu de cette semaine et j’ai hâte de voir une nouvelle fois, pendant les trois quarts du journal télévisé, les habitant(e)s de la capitale faire face aux éléments déchaînés.

    Aujourd’hui, tout est tranquille. Une dizaine de cars de la Gendarmerie Mobile veille sur le Quartier Latin où comme ailleurs on ne pense qu’à magasiner pour Noël, d’où trop de monde dans mes librairies habituelles. Je ne m’y attarde pas, préférant le calme du Centre Pompidou de l’autre côté de la Seine.

    J’y visite rapidement l’exposition Nancy Spero, artiste féministe dont les œuvres parfois inspirées d’Artaud ou de Genet m’intéressent peu, notant juste sur mon carnet cette phrase du second, tirée de Notre-Dame-des-Fleurs, manuscrite sur l’un des dessins de la dame Les bourgeois passent, font la foule et ne voient rien, ne savent rien, à peine sont-ils insensiblement déplacés dans leur calme état de confiance par ce rien. Je me demande si je dois prendre ça pour moi.

    N’ayant pas envie de revoir elles@centrepompidou, je passe à l’étage Art Moderne, un peu moins calme, la faute aux groupes scolaires qui obligent les gardien(ne)s à quitter leur chaise. « On va où là ? » demandent des excité(e)s à l’une des accompagnatrices. « Je sais pas. De toute façon, on suit monsieur Micheton. Comme ça, y a pas de problème. »

    Je tente de m’isoler, découvrant au hasard de mes pérégrinations un Francis Bacon nouveau Van Gogh in a Landscape (datant de mil neuf cent cinquante-sept), retrouvant des portraits signés Richard Avedon déjà vus au Jeu de Paume (dont ceux de Jean Genet et Francis Bacon), m’attardant devant les installations Ghost Drum Set de Claes Oldenbourg (batterie molle) et Oracle de Robert Rauschenberg (métallique et tout en angles : baignoire, escalier, montant de fenêtre, portière de voiture, tuyau et poste de radio).

    Assis sur une banquette, face à la salle contenant les deux Balthus, l’Otto Dix et le Christian Schad dont je ne me lasse pas, j’observe l’usage abusif de l’appareil photo.

    Un dernier passage chez Kandinsky d’où me chassent des élèves en vadrouille et l’institutrice qui leur fait découvrir l’art par le petit bout de la lorgnette : « Ça, c’est quelque chose que vous pouvez faire en classe, une déclinaison avec des couleurs. »

    Je quitte Beaubourg et, avant de rejoindre Saint-Lazare, je passe chez Book-Off, rue Monsigny. Les librairies comme les cafés sont le refuge des doux dingues. L’un est là qui pérore sur la quantité de livres à lire et le temps qu’il faut pour cela, saoulant tout le monde. Un client lui fait remarquer que les livres sont faits pour être lus, ce à quoi il répond que des livres il fallait qu’il en lise deux par nuit dans l’école où il était.

    -Alors, vous étiez dans un camp de concentration, réplique le client en quittant la librairie, ce qui fait bien rire les jeunes vendeuses et vendeurs, Français et Japonais.

    A la gare Saint-Lazare, c’est la pagaille habituelle pour les banlieusard(e)s : trains annulés, retardés ou annoncés à la dernière minute. En direction de la Normandie, c’est au quai. Je rentre dans l’un de ces nouveaux trains régionaux où l’on se pèle pendant tout le voyage, me demandant comment ça se passe pour celle qui est à Londres avec son école cette semaine.

    *

    J’écris cela en écoutant La Fabrique de l’Histoire sur France Cul où il est question ce mardi matin de l’insurrection de la caserne Richepanse à Rouen en mil neuf cent cinquante-cinq durant la guerre d’Algérie.

    *

    Terminé la Correspondance Gustave Flaubert Ivan Tourgueniev (Flammarion), deux extraits signés Flaubert :

    Ah ! que je voudrais ne plus songer à la France, ni à mes contemporains, ni à l’humanité ! Tout cela me soulève le cœur de dégoût. (samedi dix-sept juin mil huit cent soixante et onze)

    Je me demande si dans quelque temps il sera possible de vivre sans m’occuper d’argent, sans être banquier, sans vendre ou acheter n’importe quoi. –Jolie perspective pour l’humanité ! –Tous épiciers ! (mardi seize janvier mil huit cent soixante-dix-sept)

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  • Ce onze décembre, je dîne avec celle qui me rejoint le ouiquennede d’une potée confectionnée par ses soins à Paris et, placé devant l’alternative boire ou conduire, je choisis de partager avec elle une bonne bouteille de bordeaux. C’est donc à pied, malgré l’orteil lésé, que nous rejoignons un peu plus tard le Hangar Vingt-Trois pour le p’tit bal du samedi soir animé par Raúl Paz.

    Nous nous délestons au vestiaire et attendons à l’une des tables que ça veuille bien commencer. Ça débute doucement avec ce qui ressemble à de la chansonnette puis Raúl, ses musiciens et sa choriste mettent la gomme. De quoi bien bouger à défaut de danser mais on est à peine en état de profiter de ce bal cubain que c’est déjà fini. Un concert de Raúl Paz, ça ne dure même pas une heure et quart.

    Bien dépités, nous récupérons nos vêtements au vestiaire où l’on tente de nous retenir en nous promettant un didjai pour le reste de la soirée.

    A pied, au long du quai, nous rentrons pas tard à la maison, conscient d’avoir assister au concert le plus court qui puisse être.

    Raúl, t’es pas coule.

    *

    J’apprends en lisant la chronique rouennaise de Félix Phellion que la municipalité de Rouen entend lutter contre la saleté de la ville en achetant une nouvelle série de machines bruyantes, polluantes et inopérantes.

    Aucune ne pourra passer par la ruelle où j’habite que je n’ai jamais vue aussi sale qu’aujourd’hui (au moins un mois que l’employé municipal n’y a pas poussé le balai). Quant aux graffitis qui en défigurent les murs, personne ne s’en préoccupe à la Mairie.

    De récents séjours à Metz et à Nantes, où je n’ai pas croisé le ballet des machines bruyantes, polluantes et inopérantes, m’ont montré des villes propres de murs et de trottoirs. On n’y parle pas sans cesse de nettoyage.

    *

    Et que dire des conteneurs pour ordures ménagères enterrés à grands frais il y a quelques années devant l’Espiguette, près de l’église Saint-Maclou et ailleurs ? Ils sont aujourd’hui hors d’usage faute de maintenance et on vient d’installer dessus les vilains bacs en plastique noir que l’on voit partout dans les rues de la ville.

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  • Lundi dernier quand j’arrive à Nantes, la ville bruit de la disparition d’un étudiant à la sortie d’une boîte de nuit proche de la Loire et la pluie se met à tomber, ce qu’elle ne cesse de faire jusqu’au mercredi soir. Ici, on appelle ça « un gros temps de merde ». Je loge à l’hôtel Saint-Patrick près de l’église Saint-Nicolas et de la place Royale encombrée par un marché de Noël et passe pas mal de temps à l’abri, du Musée des Beaux-Arts à la Médiathèque Jacques-Demy, du café de la Cigale à celui du Cercle Rouge (le premier : art déco, classé et fréquenté par les descendants des négriers, le second : art brico, déclassé et fréquenté par les étudiants et commerçants du quartier).

    Jeudi matin, ciel bleu et temps froid, malgré une vive douleur au petit orteil gauche due au choc nocturne de mon pied contre le porte-bagages métallique de ma chambre, je rattrape le kilomètre perdu en gagnant la gare maritime devant laquelle je prends la navette pour Trentemoult, village coloré d’anciens marins, avant de faire le voyage dans l’autre sens et de parcourir d’un pied vaillant le sol glissant de l’île de Nantes. Celle qui étudie à Paris est venue ici avec son école et je la suis pas à pas du magnifique Palais de Justice de Jean Nouvel (dans lequel tu sens vraiment sur tes épaules le poids de la condamnation future) au Hangar des Machines de Royal de Luxe où l’on me taxe de sept euros pour une visite décevante. Je fais de nombreuses photos des énormes grues des anciens chantiers navals et des anneaux de Daniel Buren et Patrick Bouchain, sans être dérangé par qui que ce soit, il n’y a qu’un touriste sur l’île à Nantes et c’est moi. Ensuite, toujours à pied, je vais revoir le Lieu Unique, découvert il y a quelques années avec celle qui n’est pas avec moi, payant mes deux euros pour grimper dans la tour Lu, où m’a-t-elle dit, les sons des voix des visiteurs se propagent de façon étonnante, ce que je ne peux vérifier, suis seul pour faire tourner la plate-forme.

    Vendredi, jour de mon départ, la ville de Nantes bruit de la disparition d’un deuxième étudiant au même endroit mais un autre jour, et il fait aussi beau que la veille. D’un coup de tramouais, je rejoins l’Erdre que je longe à pied sur le sol salé en direction du centre. Dans le quartier du Bouffay, je déjeune excellemment pour dix euros à la Mangeoire dont le serveur est aussi empressé que timide, puis après avoir récupéré ma valise à l’hôtel Saint-Patrick, je vais attendre mon train au café du Lieu Unique, lisant sur fond de musique electro les Souvenirs de Juliette Drouet qui y narre notamment l’un de ses voyages (bien moins confortable que le mien) avec Victor Hugo dit Toto (« Je voudrais dormir, mon Toto s’y oppose avec raison »). A dix-huit heures trente au Lieu Unique, c’est le vernissage de l’exposition de Nicolas Rubinstein Vous êtes ici, mais je n’y suis plus, en chemin pour Paris dans un véloce tégévé.

    *

    Le Musée des Beaux-Arts de Nantes ne peut rivaliser avec celui de Rouen pour la période ancienne, mais pour la période moderne il lui met la pâtée : Picasso, Dubuffet, Kandinsky, Chaissac, Raysse, Spoerri, Soulages, etc. On peut aussi y ouïr la Cantate des mots camés de François Dufrène. Je retiens deux sculptures : Gorille enlevant une femme d’Emmanuel Fremiet (mil huit cent quatre-vingt sept) et l’autruche mâle naturalisée occupée à faire l’autruche de Maurizio Cattelan (mil neuf cent quatre-vingt-dix-sept), des plus réalistes l’une et l’autre.

    *

    Endroit sympathique que ce Cercle Rouge de la rue des Carmes : murs rouges jaunes verts, bar des années cinquante, tables en formica rouge et jaune, chaises de bois dépareillées, banquette défoncée, luminaires plus ou moins industriels et odeur entêtante d’humidité sale. On peut y lire gratuitement Libération en écoutant, selon la serveuse ou le serveur, Fip ou Miossec. Aux murs, une honorable exposition de photographies carrées en couleur mettant en scène des baigneurs et baigneuses d’une piscine d’extérieur de Toulouse: Immersion à Nakache Plage d’Emmanuel Grimault.

    *

    Le Hangar des Machines de l’Ile : sept euros pour voir quelques machines de petite taille puis l’immense atelier de fabrication des futures grandes machines (payer pour voir des ouvriers travailler, c’est la première fois que je faisais ça).

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  • Encore de la musique baroque au programme ce samedi soir à l’Opéra de Rouen avec les Kujiken et les Hantaï, deux familles où l’on se passe la viole de gambe et le flûtiau de génération en génération. J’ai une place en corbeille et celle qui m’accompagne en obtient une pour cinq euros au premier balcon. Nous faisons en sorte d’être ensemble en occupant une loge.

    En première partie, après un long accordage, les deux familles jouent la Suite en sol mineur (extrait des pièces en trio) de Marin Marais, la Pièce à trois violes en ré mineur  d’Antoine Forqueray (un excellent soporifique) et le Troisième Concert de Jean-Philippe Rameau.

    La musique baroque est décidément une musique sommaire. Elle m’ennuie au plus haut point. Celle qui me tient la main est un peu moins radicale. Elle aime le dernier mouvement de Rameau. L’une de nos connaissances s’approche à l’entracte. Ce mélomane nous dit que lui peut aimer, mais pas ce soir. Je lui dis que pour moi, c’est de la musique pour Journées du Patrimoine, supportable un ouiquennede par an.

    Nous restons quand même pour la suite, trois pièces de François Couperin : la Sonate La Sultane, le Treizième Concert en sol majeur à deux flûtes (extrait des Goûts réunis) et la Sonate du Deuxième Ordre L’Espagnole (extraite des Nations), tout cela ennuyeux. Beaucoup applaudissent, pendant que quelques-un(e)s partent vite. Les Kujiken et les Hantaï jouent le morceau prévu en rappel puis se font de nouveau applaudir par celles et ceux qui aiment ça. La femme devant nous se lève, s’habille et reste là debout à regarder les musiciens et la musicienne qui saluent. Je lui plante un doigt dans le dos. Elle manque tomber en avant puis s’excuse de nous avoir gênés.

    -Je suis désolé de t’avoir amenée là, dis-je à celle qui allume une cigarette tandis que nous rentrons sous la pluie et sans parapluie.

    *

    Dimanche matin, dans la boulangerie de la rue Saint-Nicolas, où la baguette Tradition est rebaptisée La Petite Marie et où on vend des galettes des rois début décembre, une dame demande une Tradition. Je lui dis qu’il n’y a plus de tradition, la preuve cette galette des rois vendue début décembre. « C’est ce que je me suis dis aussi », dit un homme à chapeau. « Il faut dire ça à Leclerc et à Carrefour, on est bien obligé de faire comme eux », nous dit la boulangère, « il y a de la demande ».

    *

    Nous rentrons, une Petite Marie sous le bras, discutant de la fameuse demande, cet alibi qui permet aux commerçant(e)s de faire n’importe quoi pour remplir leur tiroir-caisse.

    *

    On l’aime bien la Petite Marie, surtout quand elle est chaude.

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