• Celle pour qui j’avais pris une place près de la mienne à l’Opéra de Rouen pour la présentation de la saison deux mille onze deux mille douze ce samedi soir n’est pas là, retenue à Paris par trop de travail, le passage du diplôme c’est pour bientôt. Une vieille femme s’installe là où elle aurait dû être assise, séparée de son mari installé à cinq sièges de là. Je leur propose de permuter lui et moi. C’est mieux pour eux et c’est mieux pour moi.

    Assis en dernier rang de corbeille, je suis entouré de mémères, dont plusieurs dans la loge derrière font connaissance. Je devine qu’elles vont avoir du mal avec Hélios Azoulay à qui Frédéric Roels a demandé d’animer la soirée.

    Avant que n’arrive le trublion, il nous faut écouter le discours de Valérie Fourneyron, Maire de Rouen, que mes voisines appellent la mairesse et qui ne devrait pas s’habiller chez Jacqueline Riu (« Normandie Impressionniste » « Rouen pôle d’excellence » « la chapelle du Lycée Corneille bientôt auditorium » « cher Frédéric »  « cher Luciano »). Frédéric Roels, directeur, prend la parole à son tour (« comme l’a dit Valérie »). Luciano Acocella, chef d’orchestre, ne dit rien. Hélios Azoulay et ses complices de l’Ensemble de Musique Incidentale prennent place à leur place.

    Avec le bagou que certain(e)s lui connaissent et que d’autres découvrent, Hélios feuillette à rebours le luxueux livret programme illustré d’une plaisante photo hors sujet de Romain Leblanc. Il agrémente son propos de plaisanteries que déplore mon entourage. Certaines néanmoins en font rire certaines malgré elles. D’autres les choquent affreusement, ainsi « Clara Schumann prise en sandwich entre Robert Schumann et Johannes Brahms » ou « Je n’aime pas Wagner parce qu’il est juif » (une dame allemande vivant à Rouen depuis quarante ans ne trouve pas ça drôle).

    Si elles ne chérissent pas le discours, ces dames ne goûtent pas davantage les poncifs proposés en intermède par l’Ensemble de Musique Incidentale (« c’est dommage, il joue si bien du piano », à propos de Laurent Wagschal perturbé par son tourneur de pages). Elles trouvent de toute façon ça trop long. C’est un peu long c’est vrai, mais il faut bien présenter l’ensemble du programme (je note le retour en danse d’Anne Teresa De Keersmaeker, il était temps à l’heure où elle entre au répertoire de l’Opéra de Paris).

    Cela se termine comme à l’accoutumée par un buffet pris d’assaut. Il est offert par la maison Bonnaire Traiteur, fort correct mais sans doute en deçà de celui mis en place par l’Institut National de la Boulangerie Pâtisserie jeudi dernier lors de la première soirée de présentation (j’étais au buffet de la gare de Bamako).

    Durant ces agapes, les musicien(ne)s de l’Ensemble de Musique Incidentale installé(e)s sur une estrade jouent Les Quatre Saisons de Vivaldi, une œuvre d’Hélios Azoulay, dirigée par lui-même, ce qu’apprécient fort celles et ceux qui restent jusqu’au bout, dont moi, une coupe de champagne en main.

    *

    Citation de circonstance notée par Hélios Azoulay dans le dépliant annonçant cette soirée de présentation de saison, de Paul Valéry : Je n’hésite jamais à le déclarer, le diplôme est l’ennemi mortel de la culture.

    *

    Plus d’effet de surprise pour moi, je connaissais la totalité des œuvres d’Azoulay présentées ce samedi soir, ayant eu plusieurs fois l’occasion de les entendre. Je me souviens du plaisir de la première fois en l’église Saint-Maclou pour les Dessous du Patrimoine. Je m’étais dit que ce serait bien qu’un jour elles soient jouées à l’Opéra de Rouen. C’est fait.

    Oui, mais à la marge, là où on maintient ceux que l’on prend peu ou prou pour des bouffons.

    *

    En rentrant, je croise deux alcoolisés devant la crêperie de la rue Saint-Romain. Dialogue :

    -Tu te souviens quand on a dépensé huit cents euros en films de cul à Amsterdam, c’était le bon temps.

    -Ah, monsieur est nostalgique ?

    -Oui, je suis nostalgique du passé.

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  • L’appel au rassemblement fixe le rendez-vous samedi à dix-sept heures place de l’Hôtel de Ville. « La contagion des indignés va-t-elle gagner la Normandie ? » s’interroge Paris Normandie par voie d’affichettes et la une du journal ce matin est consacrée à ça, autrement dit à un évènement qui n’a pas encore eu lieu (ne pas se faire dépasser par l’actualité). Quasi personne quand j’arrive, trois jeunes assis par terre et un plus vieux à casquette qui se promène avec une pancarte où il raconte qu’il est indigné mais pas résigné. Deux guitaristes sont en retrait qui jouent et chantent du bon blouze. Je m’assois pour les écouter. Arrive un jeune homme fébrile. Il fonce droit sur les musiciens :

    -Bonjour messieurs, vous venez pour la révolution, leur demande-t-il.

    -Il n’y a pas beaucoup de monde pour la révolution, répond l’un d’eux.

    -Ne vous en faites pas, ça va venir.

    Il en vient effectivement, pas plus de deux cents au meilleur moment, avec en arrière-plan les mariages qui se dirigent vers la Mairie (deux mondes se frôlent et s’ignorent).

    Quelqu’un que je connais est là, fâché autrefois par mes écritures et avec qui désormais je m’entends bien. Je m’en rapproche et reste en sa compagnie un peu sur le côté. Parmi les présents, je reconnais des trotskystes du Hennepéha et d’ailleurs (toujours prêts à récupérer un mouvement social), aussi le Vert Grima (un mouvement qui rejettent les politiciens, ça les titille). Un garçon prend la parole au mégaphone pour dire qu’il veut la passer aux autres. Certain(e)s lui succèdent pour ne pas dire grand-chose, dont une trotskyste anonyme parlant de mandat impératif. Un homme en noir qui avoue être prof dit se méfier des mots, ne pas se sentir indigné (l’indignation, ce n’est qu’une catégorie morale) et ne pas savoir ce qu’est la démocratie réelle, le pouvoir au peuple non plus il ne sait pas ce que c’est. « Le peuple, dit-il, c’est juste les connards qui crient tous ensemble parce qu’ils croient avoir gagné la Coupe du Monde ». Le jeune homme fébrile fait plusieurs interventions. A chaque fois, il dit que c’est dommage que les gens ne se disent pas bonjour dans la rue.

    -Il est en boucle, dis-je à celui qui est près de moi.

    -Oui, et aussi au maximum de ses capacités intellectuelles, me répond-il.

    Le mouvement doit s’organiser, disent plusieurs intervenant(e)s. Mon voisin craint que cela ne finisse en ateliers. Effectivement, quelques-un(e)s veulent faire des petits groupes, des commissions de ceci et de cela.

    Le prof reprend le mégaphone et dit son désaccord. La seule chose qui compte, c’est que la prochaine fois on soit cinq cents et puis mille et puis trois mille et alors là on verra ce qui se passe. Nous deux, on l’applaudit. Une fille fait tourner un paquet de chips. « C’est déjà la communion »  commente celui que je côtoie.

    Un autre prend le micro pour dire qu’on est ici pour être là. « Et réciproquement » me dis-je. Il est question d’un nouveau rendez-vous mercredi prochain avec un barbeuque géant. « Je sens que les flics vont bien aimer le barbecue », dis-je à celui qui m’a tenu compagnie avant de le saluer. Ce soir, c’est la présentation de la nouvelle saison de l’Opéra de Rouen et j’en suis.

    *

    Strauss-Kahn nommé président du Fonds Monétaire International avec le soutien de Sarkozy, Lagarde proposée au même poste avec le soutien de Hollande et d’Aubry, ce pourquoi ni les uns ni les autres.

    *

    Pas encore vu le Rollon du jardin de l’Hôtel de Ville qui a retrouvé son bras et son doigt tendu vers le sol à la demande d’érudits locaux pour les onze cents ans de la Normandie. Pas pressé d’y aller voir, j’aime les statues mutilées.

    *

    A une exception près : la Vénus de Milo. Je veux qu’on lui redonne ses bras et ses mains, notamment celle nichée entre ses cuisses.

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  • Le collectif « D’ailleurs nous sommes d’ici » invite à la manifestation ce samedi après-midi vingt-huit mai, jour anniversaire de la création du fâcheux Ministère de l’Immigration et de l’Identité Nationale, lequel n’existe plus mais c’est tout comme, avec à la tête de l’Intérieur : Claude Néant, le membre d’honneur du Front National. Il s’agit de demander l’abrogation des lois anti-immigrés, la fermeture des Centres de Rétention et la régularisation de tous les Sans Papiers (ce qui explique pourquoi les socialistes ne sont pas là).

    A quatorze heures trente, je suis avec quelques centaines d’autres devant la Préfecture de Rouen. On me raconte le bus empli des élèves de deux classes du collège Georges-Braque venus à Douai soutenir les Kaloian devant la Cour d’Appel. Le responsable du Collectif pour la Défense des Libertés Fondamentales évoque au micro les motifs du récent jugement qui a sorti cette famille du Centre de Rétention de Oissel et puis on part vers le Palais de Justice, un défilé plan plan aux slogans trop entendus où je m’ennuie un peu.

    Heureusement, quand on atteint la rue de la Jeanne, nous nous heurtons à une autre manifestation qui descend depuis la gare. Les majorettes de Fécamp nous passent devant, suivies de leur fanfare. Une autre troupe les suit qui s’arrête pour que l’une des gamines à courte jupe grimpe sur les épaules d’une autre puis une troisième escalade les deux autres. On applaudit la prouesse et on en profite pour avancer. Notre manifestation de soutien aux Sans Papiers est maintenant intégrée dans la parade à la grande surprise des spectatrices et des spectateurs.

    Les perturbé(e)s ne l’entendent pas ainsi. Devant nous, les musiciens de la fanfare se rangent des deux côtés de la rue et nous rendent les honneurs, puis les Albatros (comme se nomment les majorettes de Fécamp) font de même en deux lignes, surveillées par des femmes au regard hostile.

    Le cortège reprend son train train, tourne à gauche rue Alsace-Lorraine où j’apprends incidemment que l’ouverture de la cantine bibliothèque de la Croix de Pierre n’est pas annulée, simplement retardée. Ensuite, la manifestation doit aller à droite en direction de Saint-Sever. C’est là que je l’abandonne, au moment où une passante refusant un tract fait bruyamment état de son opinion : « On est la poubelle du monde. »

    *

    Un autocollant récupéré dans la manifestation me va bien : « Français(e)s d’origine incontrôlable ».

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  • Averti que les petites bibliothèques de quartier rouennaises proposaient à la vente plus de sept mille documents issus du désherbage de leurs collections ce samedi matin, je suis avant dix heures devant l’une des entrées de l’Espace du Palais et pas tout seul (la vente doit avoir lieu dans une boutique désaffectée). Les bouquinistes bien connus sont là mais déguisés en quidams car « la vente est réservée aux particuliers ». Quand s’ouvrent les portes, c’est la ruée.

    Le lieu est petit, les documents désherbés (sans doute bien moins nombreux qu’annoncé) sont concentrés dans un quart de l’espace disponible. La foule y est aussi compacte que dans le métro parisien aux heures dites de pointe. Guy Pessiot, adjoint aux Bibliothèques, considère cette bande de maniaques d’un œil placide. Un professionnel travesti en amateur peste contre la mauvaise organisation et trouve qu’il n’y a que de la daube. Il a raison sur le premier point, pas sur le second.

    Je me défends assez bien et sors de là vivant. Après avoir attendu mon tour, je tire de ma poche quatre euros. Un employé me délivre un reçu conforme à la comptabilité publique. Je suis maintenant propriétaire de quatre nouveaux livres : Le Prince foudroyé (la vie de Nicolas de Staël) de Nicolas Greilsamer (Fayard) ayant appartenu à une bibliothèque municipale non précisée, Du chocolat à la morphine (Tout ce que vous avez besoin de savoir sur les drogues et qu’on a vous jamais osé vous dire) d’Andrew Weil et Winifred Rosen (Editions du Lézard) venant de la bibliothèque du Châtelet, Oradour de Jean-Jacques Fouché (Liana Levi) et L’espèce humaine de Robert Anthelme (L’Imaginaire/ Gallimard) tous deux venant de la bibliothèque Saint-Sever, quatre ouvrages qui manqueront aux lectrices et lecteurs rouennais (ils eussent été à l’aise dans la Médiathèque mais on connaît l’histoire).

    *

    Les deux premiers livres sont tamponnés « Document retiré BM Rouen », ceux venus de Saint-Sever, non. On va croire que je les ai volés.

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  • Je suis vendredi soir à l’Opéra de Rouen en dernier rang d’orchestre, donc surélevé, pour Jenufa de Leos Janacek. Celui-ci n’est pas seulement l’auteur de la musique, il a aussi écrit le livret, d’après Sa belle-fille, pièce de théâtre de Gabriela Preissova. Cela, m’apprend Frédéric Roels, directeur de la maison (qui signe la présentation du livret programme), au moment où mourait de maladie sa fille, Janacek notant sur son manuscrit : « 8 mars 1903, trois semaines après la terrible lutte contre la mort de ma pauvre Olga. C’est fini ».

    Le rideau s’ouvre sur un terrain accidenté surmonté d’une toiture en vé renversé, de quoi accueillir à la fois les scènes d’extérieur et d’intérieur. Pour ce qui est de l’histoire, il est question d’une fille mère (Jenufa) partagée entre deux hommes (Steva et Laca) de qui celle qu’on appelle La Sacristine tue pour son bien l’enfant. L’important n’est pas là mais dans la musique de Janacek et le chant des interprètes.

    Au premier entracte, derrière moi, on se demande où se trouve la Moravie, on sait que ce n’est pas loin des Carpates, mais on ne sait pas où sont les Carpates. Au deuxième entracte, on ne parle que du talent des deux principales interprètes et de l’un des chanteurs. A la fin, c’est beaucoup d’applaudissements et des bravos, surtout pour Barbara Haverman (Jenufa) et Hegwig Fassbinder (La Sacristine) deux voix puissantes et splendides, également pour Atilla Kiss-Balbinat (Laca), moins pour James Mac Lean (Steva) trop vieux pour le rôle. Les autres solistes et le chœur accentus sont aussi félicités et le chef Sallaberger (qui arrive tout rouge de la fosse) et le metteur en scène Friedrich Meyer-Oertel, né en mille neuf cent trente-six, ancien étudiant en publicité, arts graphiques, composition, hautbois, arts du théâtre et musicologie.

    C’était le dernier opéra de la saison et pas le moindre. Si j’avais un abonnement de luxe permettant de voir autant de fois qu’on le veut les spectacles de l’Opéra de Rouen, je retournerai voir cette Jenufa merveilleusement chantée.

    *

    « La vérité de Jenufa, c’est que cette œuvre nous apprend à écouter et aimer ce qui nous vient d’ailleurs », écrit Frédéric Roels en conclusion de son texte, le genre de cucuterie qui m’énerve.

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  • Soleil parti, vent et pluie, c’est en voiture que je me rends au Hangar Vingt-Trois ce jeudi soir pour le dernier concert de la saison, un assis debout, au programme le Super Rail Band de Bamako.

    La porte s’ouvre assez vite et me voici installé à l’une des tables de fond de salle où il est loisible de prendre un verre et d’assister au concert assis. « Vous êtes nombreux ? » me demande une mère de famille. « Pas vraiment » lui réponds-je. La famille s’installe. Les deux moutards jouent aux cartes en se chamaillant. J’observe les arrivant(e)s qui n’ont qu’une idée en tête : trouver une chaise (regard désemparé des derniers arrivés). Quelques futé(e)s dénichent je ne sais où de quoi poser leurs fesses, passent avec la chose pliée sous le bras et vont se poser devant la scène.

    Ce concert bénéficie d’une première partie confiée aux trois guitaristes de la seconde partie, c’est pratique, et écoutable bien qu’un peu mou. Les assis derrière ragent de découvrir que les debout leur cachent la scène. Les assis devant n’ont pas ce souci mais à la pause, un vigile les vire.

    Je me lève quand apparaissent les six musiciens et les deux chanteurs du Super Rail Band de Bamako, groupe mythique (comme il est écrit partout) dont les débuts remontent à mil neuf cent soixante-neuf au Buffet-Hôtel de la gare de Bamako. Au siècle dernier, les chanteurs en étaient Salif Keïta et Mory Kanté. Je ne connais pas les noms de ceux d’aujourd’hui. Ils tiennent leur place et les musiciens aussi, de différents âges, qui font danser beaucoup de monde, surtout des femmes, et même moi un peu. Une fille blonde et svelte grimpe sur le plateau. Elle ôte une couche de vêtement et montre ce qu’elle sait faire. C’est sexuel. Une autre fille et un garçon la rejoignent, qui auraient mieux fait de rester en bas.

    A la fin, salutations des huit dont l’un se déplace avec une béquille, chanson supplémentaire, puis invitation à se retrouver dans l’entrée pour acheter des cédés, ce que je ne fais pas.

    *

    La toiture du Hangar Vingt-Trois va être complètement refaite cet été. Il ne fermera donc pas, contrairement à mes craintes.

    *

    Ce jeudi vingt-six mai, à Cahors, Philippe Pissier, adepte de l’art postal poursuit hardiment devant la justice le postier et le gendarme qui l’avaient mené au tribunal où il a été relaxé dans l’affaire des cartes postales montrant un sein au téton serré par une pince à linge (histoire que j’ai racontée en deux mille neuf), le postier pour dénonciation mensongère et le gendarme pour recel de détournement de correspondance.

    « Il n'apprécie pas qu'à cause d'une carte postale, Cahors soit connu dans le monde entier. » déclare l’avocat du gendarme, cité par La Dépêche.

    Le jugement sera rendu le sept juillet.

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  • Mercredi après-midi, je quitte l’air climatisé de l’exposition Odilon Redon, passe par l’air chaud de l’extérieur et entre d’une rotation de porte tourniquet dans le Leviathan à l’air suffocant de l’artiste indien Anish Kapoor, invité deux mille onze de Monumenta.

    Ce Leviathan est une énorme bulle rouge qui ne tient que par l’air soufflé. On peut y voir ce que l’on veut, une serre tropicale, un aéronef ou un estomac, ou dans mon cas une matrice. On s’y promène. On s’y fait photographier. On imagine ce qui se passerait si la soufflerie s’arrêtait puis on ressort bien content de pouvoir respirer de nouveau.

    La deuxième partie de la visite consiste à voir la chose de l’extérieur. Semblant plus vaste que lorsqu’on est dedans, elle occupe une grande partie du bâtiment jusqu’à presque en toucher la verrière.

    Je lis que certains jours on fait de la musique ou du jonglage à l’intérieur de la matrice. Ludique doit être l’art. Guère étonnant qu’Anish Kapoor prépare une sculpture de cent seize mètres de haut nommée Orbit pour les Jeux Olympiques de Londres.

    Quittant les Champs Elysées, je rejoins le seizième arrondissement, précisément le quartier où celle qui étudie durement loge à titre gratuit contre deux promenades quotidiennes de chien. J’ai l’espoir de la trouver par hasard, l’animal au bout d’une laisse, dans ces rues au nom d’écrivains où vivent des personnes que je ne peux nommer.

    Vers dix-huit heures, craignant de la manquer, je l’appelle d’une cabine téléphonique. Elle vient de sortir de son école. Je l’attends sur un banc à la station Michel-Ange-Molitor face à la concession Maserati et Rolls-Royce (dont les modèles mixent la voiture bélier au corbillard) cependant qu’à côté un vendeur à la sauvette tente de se débarrasser de ses fruits à deux euros deux euros deux euros deux euros…

    Quand elle arrive, chargée et fatiguée, j’achète à l’homme courageux deux barquettes de petites tomates. Nous les mangeons en terrasse du bar nommé Le Tunnel, boulevard Exelmans, curieux endroit, pas du tout à sa place dans ce quartier huppé, ce pourquoi il n’est fréquenté que par les alcoolos du coin. L’un d’eux soliloque agressivement tandis que nous buvons une boisson fraîche. C’est difficile en ce moment pour elle, le dernier effort avant le diplôme.

    *

    Le Rêve de l’Escalier se lance dans la production de badges artisanaux, portraits de gens connus ornés d’un humour qui n’est pas le mien. J’achète néanmoins le Céline Voyage Voyage et le Perec Voyelles A . I O U Y

    *

    Du côté de l’Agglo élargie de Rouen, on achète des voitures électriques. Un employé de ladite à Paris Normandie, après un essai en compagnie de Pauline Lefrançois : « j’ai la conscience tranquille de ne pas avoir pollué avec mon véhicule ». « Et moi aussi ! » conclut la journaliste, n’ayant pas remarqué le fil qui relie la voiture à la centrale nucléaire de Penly.

    *

    Jaime Pastor, sociologue espagnol, à propos des mouvements zactuels : « Les révoltés dans le monde arabe sont confrontés à de vraies dictatures et ici, nous avons une démocratie de mauvaise qualité soumise à la dictature des marchés ».

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  • « Hier, à cette place, quelqu’un voyageait sans billet. Vous vous dites peut-être que ce n’est pas grave. Que ça ne va pas changer la face du monde. Et pourtant ça pourrait changer celle de votre train. Car toutes les fraudes sur les lignes Intercités s’élèvent à 20 millions d’euros par an. C’est autant d’argent perdu pour moderniser votre train, améliorer votre confort… et installer une prise électrique à cette place.

    La fraude, on a tous à y perdre. C’est pourquoi la SNCF agit. » est-il écrit sur une affichette translucide collée sur la vitre au-dessus du siège que je n’occupe pas dans le train qui me mène à Paris ce mercredi tôt. Méprisant ces propos démagogiques (récemment ralliés par le professeur Rollin dans sa chronique sur France Cul) et peu sympathiques pour les contrôleurs accusés par leur employeur de ne pas faire leur boulot, je lis la Correspondance de Stéphane Mallarmé dans l’édition Folio.

    Peu avant l’arrivée, je passe par la case toilettes et y découvre une autre affichette « Hier, une personne s’est cachée dans les toilettes car elle voyageait sans billet, etc. » La Société Nationale de Chemins de Fer Français est une grande paranoïaque. Je quitte le train chargé d’un pesant colis contenant des livres que je viens de vendre et m’en déleste rue du Louvre où La Poste travaille vingt-quatre heures sur vingt-quatre, puis passe rive gauche sous un soleil radieux en acheter quelques autres.

    Vers midi, j’arrive au Grand Palais où se tient l’exposition Odilon Redon, prince du rêve. J’y entre sans la moindre attente et suis le seul au guichet et au vestiaire. Rien de comparable avec ce que l’on doit subir habituellement en ce lieu. Odilon n’est pas très connu, point de touristes ici, à peine quelques étrangers, aucune visite guidée. C’est parfait pour voir ce qu’il y a à voir : lithographies, fusains, huiles, pastels où s’exprime la fantasmagorie pré surréaliste de l’artiste : gnome, esprit des bois, ange déchu, œil ballon, chimère, araignée souriante, centaure, sirène, cyclope, en noir et en couleur, hommages à Goya, Poe et Flaubert (celui de La Tentation de Saint Antoine), tout cela présenté sur murs sombres avec épaisses moquettes assorties sous lesquelles craque le parquet. « Oui, c’est quand même spécial », entends-je près de moi. Un autre prétend qu’« il a dû prendre des hallucinogènes pour peindre des trucs comme ça ». Que non, Redon l’exprime sur le mur : « Tout se crée par la soumission docile à la venue de l’inconscient. ». L’œuvre que je préfère est un fusain intitulé Tête laurée derrière une grille. Réalisée vers mil huit cent quatre-vingt-deux, elle montre une prisonnière aux yeux implorants.

    Je descends l’escalier hélicoïdal pour atteindre la fin de l’exposition et de la vie d’Odilon, une salle entière de vases emplis de fleurs, des peintures qu’on pourrait offrir pour la fête des mères, puis une autre montrant les décors sans intérêt de la salle à manger du château de Domecy. On termine heureusement par deux chef-d’œuvres tant de fois reproduits : Le Char d’Apollon et Le Cyclope.

    *

    Stéphane Mallarmé était un admirateur d’Odilon Redon de qui il jalousait les légendes. C’est cependant le hasard qui en a fait ma lecture de train.

    *

    Jeune, le poète fit le professeur d’anglais et connut les surprises de la nomination. Je l’entends se plaindre à Armand Renaud le vingt décembre mil huit cent soixante-trois : Tournon est un petit village, noir, très sale, habité moitié par des hommes, moitié par des cochons. Les hommes sont auvergnats, et les cochons, maigres.

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  • Deux mille onze étant l’année des trente ans de l’élection du Mythe Errant, elle est par conséquent l’année des trente ans des radios qui furent dites libres à leur début, puis bien vite commerciales.

    Cela me fait songer à celle véritablement libre dont j’étais le responsable au Bec-Hellouin au début des années quatre-vingt, une radio qui émettait une fois par mois pendant une heure et demie depuis l’école où je faisais l’instituteur. Je m’occupais de diffuser les reportages enregistrés et les chansonnettes, mes élèves de parler dans les micros.

    « Vous écoutez Radio Ribouldingue, ça distingue » entendait-on dans un rayon de cinq kilomètres autour du village. C’est Jean-Marie Lanchon qui m’avait proposé l’émetteur. Il le tenait d’un ami à lui, l’un des deux téméraires qui animèrent, sous Giscard (d’Estaing), la seule radio pirate de Rouen : Radio Méandres.

    Ces deux garçons enregistraient leurs émissions puis les diffusaient en différé, l’émetteur étant installé en haut d’un arbre dans la forêt dominant la capitale haut normande. L’aventure n’avait pas duré longtemps. Un jour, les deux hors-la-loi furent poursuivis par les policiers dans les bois et quand derrière eux on tira en l’air, ils s’arrêtèrent de courir. Un procès eut lieu, avec une peine assez légère. Le matériel fut confisqué et séquestré au Palais de Justice où ses propriétaires allèrent le rechercher quand le Mythe Errant libéra les ondes.

    Je me souviens de l’arrivée à l’école des membres de ce qu’on appelait la Haute Autorité de l’Audiovisuel venus vérifier que cet émetteur ne gênait pas les communications de la gendarmerie de Brionne. Je me souviens aussi de la menace d’interdiction du Préfet pour cause d’émissions trop rares. C’est la seule fois de ma vie où je suis allé voir un député. Le socialiste François Loncle m’a reçu en sa permanence de Brionne et m’a dit « Continuez, je m’occupe du Préfet ».

    Radio Ribouldingue, dont le nom fut choisi par les enfants en référence à une chanson d’Henri Dès, a émis quelques années jusqu’à ce que je quitte l’école. Me restent les cassettes des émissions et une copie du reportage que fit un samedi matin la télévision régionale venue voir de quoi il retournait.

    *

    Plus de fraises au marché, depuis quelques années on ne vend que de la gariguette (à prononcer avec l’accent chantant du Midi).

    *

    A quoi l’on répondra qu’on ne se fond jamais à Rouen. On s’y morfond, tout au plus. Félix Phellion rouen chronicle.

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  • Lecture en terrasse au soleil entre midi et quatorze heures au Son du Cor des Lettres à une amoureuse de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais dans la curieuse coédition bleu marine Le Seuil L’Ecole des Loisirs de mil neuf cent quatre-vingt-seize, minuscule livre à papier bible, réédition des Lettres à Madame de Godeville publiées chez Lemerre en mil neuf cent vingt-huit.

    Dans ces missives écrites entre le vingt-quatre février mil sept cent soixante-dix-sept et le vingt et un février mil sept cent soixante-dix-neuf, je découvre un Beaumarchais plus occupé par les affaires que par la littérature et ayant du mal à trouver du temps pour tromper (comme on dit) celle qu’il appelle sa ménagère, Marie-Thérèse de Willermawlaz dont il vient d’avoir une fille, avec celle que le duc de Castries appelle « une redoutable aventurière », cela avec style et sens de la formule :

    Il est certain, boudeuse, que vous auriez raison si j’avais tort.

    Si tu ne m’aimes plus, tant pis pour nous.

    Tu ne sais faire l’amour que sur un lit. Il est quelquefois charmant sur une feuille de papier.

    J’ouvre ta lettre, j’y trouve : comment te portes-tu ? que fais-tu ? m’aimes-tu ? A cela je réponds : Bien, rien, oui.

    Je ne voudrais point d’une maîtresse qui fût une putain ; mais je ne hais pas que ma maîtresse soit un peu putain.

    L’amitié n’est qu’un sentiment austère et fait pour les gens de même sexe, ou qui n’en ont plus.

    Le viol est la seule violence que l’amour puisse pardonner. (euh suis pas sûr)

    Je note quelques savoureux passages :

    La maternité est un état austère, il n’en faut point faire un badinage et se jouer d’avance du sort d’une petite créature qui ne nous prie point de la faire naître pour la rendre ensuite malheureuse.

    (…)

    Sois maîtresse tendre, et crains d’être mère sensible. Tu deviendrais plus malheureuse que ton enfant.

    Foutre pour l’amour, mais voilà tout. (six mai mil sept cent soixante-dix-sept)

    Parlant d’une ancienne amante : Quand nous nous étions bien chamaillés, et qu’elle me voyait prêt à partir furieux, elle me disait : Eh bien ! va-t’en, je n’ai pas besoin d’amant, moi : je m’en conte fort bien à moi-même ; et tout en grondant elle se renversait et me donnant le spectacle de ses cuisses émues et du charmant exercice de son doigt sur le plus joli petit con. Va-t’en donc, disait-elle, va-t’en donc. (dix-huit août mil sept cent soixante-dix-sept)

    La grande question n’est donc plus que de savoir si nous baisons parce que nous aimons ou si nous aimons parce que nous baisons. Sujet interminable de dispute, et tout cela pour briller. Donc celui qui a dit

                Aimer sans foutre est quelque chose

                foutre sans aimer n’est rien,

    n’a pas plus décidé la question que s’il avait dit le contraire. (vingt-deux août mil sept cent soixante-dix-sept)

                J’ai vu souvent que foutre pour l’amour, à propos prononcé, pendant que votre amant, d’un doigt agile, irritait vos désirs, faisait descendre à gros bouillons l’humide volupté du fond de votre tête au lieu que vous savez ! (quatre février mil sept cent soixante-dix-huit)

                Parlant des servantes (télescopage avec l’actualité new-yorkaise) : Vraies, franches libres, en un mot bonnes petites chiennes, sont-elles saisies dans une garde-robe, ou dans un couloir, en un tour de main elles vous ont baisé, ouvert leurs cuisses, tourné les yeux, dardé la langue, agité la ceinture, avalé, tortillé la chose, arraché le plaisir, et, secouant leur jupe, elles courent à la sonnette qui les appelle, il n’y paraît plus. (vingt-trois janvier mil sept cent soixante-dix-neuf).

    *

                Vers la fin de leur relation Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais doit venir financièrement en aide à Madame de Godeville emprisonnée pour dettes, c’est peut-être pour cela qu’elle cesse.

    *

    Beaumarchais, six ans plus tôt avait lui aussi goûté à la prison pour s’être battu avec le duc de Chaumes de qui il avait séduit la jeune protégée Mademoiselle Ménard, il y retournera pour cinq jours sur ordre de Louis le Seizième irrité du succès du Mariage de Figaro, puis pour deux jours en quatre-vingt-douze sur ordre des Révolutionnaires et encore un peu en Angleterre pour dettes.

    *

               Je ne manquerai pas de saluer Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais la prochaine fois que je passerai devant sa statue rue Saint-Antoine à Paris.

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