• Trois jours à jouer à cache-cache avec les nuages et ce qu’il en tombe, l’été normand de deux mille onze est pourri. Avec celle qui m’a rejoint pour ce long ouiquennede du quinze août, je mets le nez dehors chaque fois que c’est possible, balades en ville ou sur les quais, repas au jardin souvent interrompus par la drache. Ils sont loin les beaux jours d’avril/mai et muets les météorologistes qui en déduisaient un été torride.

    Lundi matin, le soleil est de retour et nous levés tôt. A sept heures, nous sommes au Vaudreuil dans le département de l’Eure où se tient le vide grenier habituel. Elle cherche un sac. Je cherche un livre indispensable. Nous rentrons bredouilles.

    Quelques nuages blancs traversent le ciel lorsque, de retour à Rouen, nous déjeunons dehors ayant placé le banc sous le soleil. La cuisine faite par ses soins est excellente et le vin correct. Le jardin, lui, n’a jamais été aussi moche, terre nue tassée par la pluie et fleurs entre la vie et la mort après avoir été plantées n’importe où et n’importe comment (beaucoup plus de touffes d’herbe que de fleurs d’ailleurs).

    Il semble qu’un professionnel soit passé par là au printemps un jour où je n’étais pas présent. Il a réussi à faire encore pire que la voisine qui s’en occupe habituellement. Etant le plus ancien habitant du lieu, j’ai en mémoire l’heureuse époque où un paysagiste rendait ce jardin magnifique avant d’en être chassé par des copropriétaires sans doute soucieux de diminuer leurs charges (les miennes n’ont pourtant pas baissé pour l’occasion).

    Moche comme il est, le jardin nous est quand même un bien, une des raisons pour lesquelles je reste dans cet ancien monastère, ayant parfois envie de partir.

    *

    Entre le paysagiste efficace et la voisine de bonne volonté, je me souviens qu’il y eut un autre professionnel assez médiocre. La sympathique vieille dame qui habitait le premier étage en face de chez moi ouvrait sa fenêtre à chaque fois qu’il intervenait et lui criait des encouragements : « Il est pas beau le jardin, je paierai pas mes charges. »

    *

    Une vieille dame chasse l’autre : celle qui s’assoit chaque jour face à ma porte entend bien mériter le surnom que je lui ai donné (et que m’a vivement reproché sa nièce ce samedi) : la voilà ce lundi traitant de « vieille folle » la pauvre femme qui, lui apportant ses courses jeudi dernier, n’a pas réussi à entrer dans la copropriété (aucun(e) des habitant(e)s chez qui elle a sonné n’a jugé bon de lui ouvrir la porte, sauf moi qui suis pourtant si mal aimable).

    *

    L’une des mauvaises surprises de celui qui écrit : découvrir qu’il est lu par ses voisin(e)s.

    *

    La mauvaise nouvelle de ce ouiquennede du quinze août, le suicide d’Allain Leprest dont j’aimais les textes mais pas la façon de les interpréter, ce pourquoi je ne suis jamais allé le voir en concert.

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  • Entre soleil et nuages au Son du Cor, café verre d’eau, je lis Histoires de censure, l’ouvrage de Bernard Joubert, dans la collection de poche de La Musardine. Bernard Joubert y narre chronologiquement l’histoire des livres dits érotiques qui eurent à subir la censure, avec extraits choisis desdits. Cela va de Claude Le Petit (Le Bordel des muses), mis au bûcher en mil six cent soixante-deux à l’âge de vingt-trois ans après avoir eu la main droite tranchée, à Esparbec (La Veuve et l’Orphelin), interdit en mil neuf cent quatre-vingt-quinze sans qu’on lui ait coupé quoi que ce soit.

    Dans sa conclusion, écrite en août deux mille six, Joubert indique que plus aucun livre érotique n’est désormais censuré en France ni ne risque de l’être contrairement à ce que prétendent certains, parmi lesquels l’avocat alarmiste : Le censeur moderne, déguisé en anticenseur. Une nuisance accrue. Dans les années 90, l’avocat alarmiste a développé un marketing de la peur, martelant dans les médias que, contrairement à ce qu’imaginent les observateurs non avisés, les écrits érotiques sont toujours terriblement menacés, attaqués. Les éditeurs ont-ils conscience qu’ils s’exposent à la ruine, à la prison ? Il les exhorte à la prudence, ils doivent bien mesurer les risques. Lui-même plaide « trop souvent en vain » lorsque des éditeurs de romans lestes (leurs noms sont tus) font tardivement appel à lui, à l’heure du procès. La condamnation est alors inévitable. Mieux aurait valu qu’un juriste avisé vérifie les manuscrits, pratique des coupes, modifie l’âge des protagonistes. L’autocensure est inévitable, et il le déplore car il est un défenseur de la liberté d’expression. Il tâchera de censurer avec tact, mais il faut censurer.

    En illustration de ses dires, Joubert cite les propos de l’avocat Emmanuel Pierrat dans Livres Hebdo (fin des années quatre-vingt-dix), repris dans son Droit de l’édition appliqué paru au Cercle de la Librairie en deux mille : A nouvelle morale, nouvelles infractions. La morale d’aujourd’hui permettrait sans doute de réprimer bon nombre de livres publiés impunément il y a quelques années. Il n’est pas sûr qu’aujourd’hui Lolita, les romans de Tony Duvert (…), s’ils étaient d’auteurs inconnus, seraient accueillis sans réaction judiciaire aucune.

    Ce qui me fait songer à ce que j’écrivais moi-même sur cet avocat dans ce Journal le mardi trois février deux mille neuf  et qui ne lui avait guère plu.

    Bernard Joubert conclut : Nous ne sommes avocat  que du barreau de chaise, mais nous nous permettrons d’affirmer le contraire : les éditeurs peuvent, sans suer la peur, publier les Lolita et Duvert d’aujourd’hui. Et sans les faire expurger par un spécialiste du droit.

    Il reste à en convaincre les pusillanimes éditeurs français du vingt-et-unième siècle.

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  • Mercredi matin, gare de Rouen, à l’heure où doit s’afficher la voie du train de sept heures cinquante-sept apparaît la mention « supprimé ». Un message vocal met ça sur le compte d’un incident matériel. J’appelle d’une cabine celle qui doit m’attendre à Saint-Lazare puis plus qu’à prendre celui de huit heures neuf, un mou de la turbine qui s’arrête dans toutes les gares et part en plus en retard. Le contrôleur présente ses plates excuses et remercie les voyageurs « pour leur compréhension et leur patience » (sourires ironiques sur tous les visages).

    Peu avant l’arrivée, ce même contrôleur invite les voyageurs « en rupture de correspondance » à se rendre dans leur gare « le plus rapidement possible » (sourires ironiques sur les visages) et conseille à qui va gare de Lyon de prendre la ligne Quinze du métro (soupirs consternés de celles et ceux qui savent compter jusqu’à Quatorze).

    Elle est au bout du quai dix-neuf et me propose puisqu’il fait exceptionnellement beau d’aller aux Buttes-Chaumont qu’elle ne connaît pas. Le parc est plutôt désert, ça et là des groupes de Chinois(e)s adeptes du taï-chi-chuan et, isolés, des coureurs et coureuses se ruinant la santé. Des jardiniers ramassent des feuilles déjà mortes. Quelques touristes font des photos. Celle qui me tient la main me parle de son problème : comment trouver un logement quand on a pas de travail et comment trouver un travail à Paris quand on n’y a de logement. J’aimerais bien l’aider mais comment ? Le jardin ne nous plait pas vraiment. On descend vers Belleville où sur les trottoirs sont en vente moult nourritures de ramadan.

    Cherchant un restaurant ouvert et qui nous convienne, nous allons au hasard, passant par la rue Simon-Bolivar qui me rappelle une chanson de David Mac Neil, pour finalement atterrir chez un kebabier à terrasse dont le vin est exécrable. Des éclairs café et chocolat mangés au bord du canal Saint-Martin font notre dessert. Après un café en terrasse chez Réda, la pelouse de l’Hôpital Saint-Louis nous accueille pour l’après-midi. Je m’y fais une amie en la personne d’une bruyante téléphoneuse à qui je ferme le caquet. C’est déjà bien assez d’entendre les infirmières et infirmiers s’engueuler dans le local de la Cégété (quand ça devient trop violent, ils ferment la fenêtre). Comme il est bon de ne rien faire au soleil.

    En fin d’après-midi, un bus nous emmène à Beaubourg d’où nous rejoignons la gare Saint-Lazare par la ligne Quatorze. Il faut se séparer.

    *

    Le défi de cette journée parisienne : ne pas acheter un livre. Je l’ai relevé sans difficulté.

    *

    Sur le mur de l’école Rampal, rue du même nom, à la peinture noire en lettres majuscules : Il n’y a pas de bon maître. L’accent circonflexe a été ajouté en rouge (peut-être par l’un des maîtres).

    *

    Au cours de notre errance pédestre, nous avons le plaisir de passer par la rue Juliette-Dodu et par la rue Dieu.

    *

    Dieu fut (c’est sûr) un général. Il est mort des suites de blessures reçues à la bataille de Solferino.

    Juliette Dodu fut (peut-être) une espionne pendant la guerre de Mil Huit Cent Soixante-Dix. Elle est morte chez son beau-frère, un certain Odilon Redon.

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  • Deux moitiés d’après-midi me suffisent pour lire Gioconda, le récit d’une première fois sur fond de tragédie nazie de Nikos Kokantzis, un ouvrage au format de poche publié élégamment par les Editions de l’Aube.

    Nikos Kokantzis, dont c’est le seul livre, y raconte son amoureuse déportée à Auschwitz. Cela se passe à Thessalonique. « C’est le livre que je préfère au monde » déclare Dominique A en quatrième de couverture.

    Pour ma part, j’ai du mal à y croire à cette histoire. Les nazis y sont un peu trop humains, qui attendent patiemment que la famille de Gioconda rassemble ses affaires et dise au revoir à ses voisins avant de l’emmener. Michel Volkovitch, le traducteur, note d’ailleurs en postface « que cette histoire vraie, ancrée dans la réalité la plus précise, ne cesse de dériver, insensiblement, vers les territoires du rêve » ajoutant que « cette réalité si nettement gravée dans la mémoire du narrateur tourne plus d’une fois, comme dans la scène du bombardement, à la fantasmagorie. »

    Ce n’est pas le livre que je préfère au monde mais j’en aime les passages érotiques, ainsi celui-ci :

    Puis la Guerre est venue, puis l’Occupation, j’ai eu treize ans, quatorze ans, et elle, depuis ses dix ans ou presque, avait des formes, son visage était sensuel et féminin depuis l’enfance, elle avait gardé dans l’adolescence la grâce de ses gestes : à douze ans c’était déjà une femme, avec un regard comme traversé de brume, des lèvres charnues, un corps tout en courbes douces, une femme à tous points de vue, par son regard, sa voix, ses façons –mais en restant, et cela m’attirait, incroyablement ignorante et douce.

    et celui-là :

    (…) un instant elle leva les yeux, rencontra les miens, sourit timidement dans la lumière du soir d’été et son regard était comme un accueil, une promesse pour tout ce qui s’était accumulé en nous dans l’attente de ce moment-là. Puis, soudain, elle se frotta très légèrement contre moi et ce fut plus que je n’en pouvais supporter : avec elle pour de bon, cette fois, je me vidai, plusieurs violentes secousses, un joyeux désordre en moi, ma tête posée contre ses cheveux, ma main serrant ses seins fermes et ronds.

    *

    Autre lecture de ces jours de pluie, dans un genre différent : le Petit traité à l’usage de ceux qui veulent toujours avoir raison de Georges Picard (publié chez José Corti) dans lequel je n’apprends rien sur le fond mais dont j’aime la forme. Echantillon : Pour qui aime observer les ruades de l’imbécillité humaine dans ce qu’elle a de plus généralisable, les étripages de couple sont de purs objets de laboratoire.

    *

    Quand même ceci à méditer chez Picard : En français, le verbe avoir introduit une lourdeur dans le débat. I am right, par exemple, est plus essentialiste que j’ai raison qui insiste sur l’aspect accapareur de l’argument. Ainsi, nous accordons-nous le droit d’avoir raison tout en étant dans notre tort.

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  • Dimanche matin, la pluie ayant cessé, je prends la route avec celle qui me rejoint le ouiquennede. Il s’agit avant tout de quitter Rouen ville morte et éventuellement d’acheter quelque livre indispensable à Caudebec-en-Caux où se tient un Salon des Bouquinistes sur la place d’Armes.

    Nous y arrivons un peu avant l’heure officielle d’ouverture, retrouvant là un certain nombre de bouquinistes qui feront défaut au marché rouennais dominical du Clos Saint-Marc et d’autres venus d’ailleurs. Les prix des ouvrages sont divers (du correct à l’extravagant). Aucun ne me manque au point que j’aie envie de l’acheter.

    L’église Notre-Dame (gothique flamboyant) est à deux pas. Nous en poussons la porte latérale et tombons sur une troupe de Sud-Américain(e)s de petite taille en prière. Nous rebroussons, entrons par l’arrière et visitons (beaux vitraux, statues intéressantes, orgue imposant qui servira pour un concert du soir).

    Avant de quitter la bourgade cauchoise où des dizaines de boulistes sont en compétition, nous marchons au bord de la Seine sans pouvoir aller bien loin.

    En rentrant, nous faisons le crochet de l’abbaye de Saint-Wandrille, lieu de bons souvenirs, sans entrer dans l’église (pour cause de messe), ni dans la boutique (pas encore ouverte).

    L’après-midi, on met quand même le pied dans les rues de Rouen. Seul(e)s les touristes y vont et viennent. Le hasard nous conduit rue de la Pie. La porte de la maison de Corneille est ouverte. Une affichette indique la gratuité de la visite. Après avoir scouaté le socle de sa statue pendant six jours, c’est bien le moins que d’aller lui dire bonjour.

    *

    Ce samedi, Roman Opalka s’est effacé dans un hôpital de Rome à l’âge de soixante-dix-neuf ans. Je ne sais à quel nombre s’est arrêté de peindre celui qui disait : « Pour achever une œuvre, je prends la mort pour outil ».

    *

    Roman Opalka, R.I.P., écrit-on ici et là. Je déteste ce « Requiescat in pace ». C’est déjà assez d’être mort. S’il faut en plus reposer en paix.

    *

    Ce R.I.P m’évoque d’ailleurs autre chose. Roman Opalka, ripé. Dérapage fatal. Glissade finale. Comme Agota Kristof, la semaine dernière.

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  • Jeudi en fin d’après-midi, revenant bredouille de chez Détéherre, l’immense hangar à livres de Quévreville-la-Poterie, je passe par la place des Arts.

    Il pleut sévèrement. Une quarantaine de gothiques, manguettes et plus ou moins ponques sont collé(e)s contre le rideau de fer de l’Opéra de Rouen. Ma photo, encore présente le matin aux pieds de Corneille, n’est plus là.

    Rentré chez moi, je me connecte au réseau social Effe Bé. L’une de mes connaissances m’apprend qu’elle était toujours en place à douze heures quinze, il l’a photographiée. Un que je ne connais pas en sait davantage : « A quinze heures des gars de la ville, ville, ville, tournaient autour de l'affiche arrachée.» La chose a même eu lieu précisément à quinze heures dix, ajoute-t-il. La pluie a dû leur faciliter la tâche.

    Il était temps, le renom de ces employés municipaux chargés du décollage des affiches commençait à ternir et j’en avais marre de me voir.

    Reste à savoir s’il me faudra payer l’amende de quinze euros punissant tout affichage illicite dans la capitale de la Haute-Normandie.

    *

    Vendredi matin, il pleut autant que la veille sur la capitale de la Haute-Normandie. Pluie ou soleil, cela ne change rien. Rouen ferme pour le mois d’août, comme le lui impose son statut de ville moyenne.

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  • Celle qui passe la semaine à Paris me téléphone ce mercredi soir :

    -Je viens de lire ton texte. C’est incroyable. Tu sais où je suis allée ce matin ? Chez le Tampographe. Comment tu fais pour être ainsi dans mes pensées ?

    C’est en effet un hasard curieux, d’autant que l’idée d’écrire sur ce sujet m’est venue brutalement mercredi matin. Peut-être est-ce elle qui prend le contrôle de mon cerveau.

    Elle me raconte que le Tampographe Sardon s’est montré à la hauteur de sa réputation.

    -Je peux entrer ? lui a-t-elle demandé.

    -Vous êtes déjà entrée, lui a-t-il répondu, mais c’est pas ouvert et je vous préviens je suis de mauvaise humeur.

    Il n’empêche qu’ils ont discuté pendant une heure et demie. Elle a ainsi appris que le matin même, il avait supprimé son nom personnel du réseau social Effe Bé, avant donc que mon texte y circule grâce à certain(e)s de mes « ami(e)s » dont l’une écrit en commentaire « Si Michel Perdrial a un défaut, c'est de ne pas mettre de liens dans ses posts ».

    « Les liens attachent, les liens se défont », lui réponds-je.

    Je ne suis pas un blogueur, je ne mets pas de « posts » en ligne, je me sers juste de cet outil pour publier mon Journal sans intermédiaire. Ma seule intention (ou ambition) est littéraire. Il n’y aura donc jamais de liens vers quelque site que ce soit dans mes textes et pas davantage la possibilité de les commenter (j’ai trouvé il y a quelque temps une formule qui résume bien ma pensée : tout commentaire affaiblit le texte qu’il commente).

    *

    Les liens attachent, les liens se défont ou se cassent, ce pourquoi avec celle qui me tient la main on ne s’est rien promis.

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  • Un particulier que j’aime bien sans le connaître, c’est le Tampographe Sardon dont j’ai découvert l’existence grâce au prodigieux réseau social Effe Bé.

    Cet individu vit à Paris du côté du Père Lachaise dans la bien nommée rue du Repos où il occupe ses mains à d’utiles tâches.

    La principale est la confection, au moyen d’une presse à vulcaniser, de tampons à encrer qu’il vend par correspondance via son site Internet, et parfois sur place quand il invite à visiter son caveau : « Il y aura des cuissons de tampons, un atelier en bordel, des tampons pas chers, des affiches, du caoutchouc et de la sciure de bois. Je me livrerai à quelques démonstrations de tampographie, En fin d'après-midi il y aura des bières et des chips au vinaigre, du vin rouge et des gâteaux portugais. »

    Avec l’argent, il s’achète à boire.

    Parmi les tampons de Vincent Sardon, on trouve « J’en ai rien à foutre », « Petite bite », « Dans ton cul » (un coup de tampon sur la lettre de l’organisme de crédit qui vous propose un emprunt ou sur celle du politicien qui veut qu’on vote pour lui et hop retour à l’expéditeur). On peut aussi acheter celui du « Ministère des vieilles qui ont peur » si on a envie d’être Ministre ou ceux qui permettent de faire des faux Chaissac, Ben Vautier ou Yves Klein si on n’en a pas de vrais chez soi.

    Sa petite entreprise ne se limite pas au tamponnage. Le sieur Sardon réfléchit aussi à une solution hygiénique pour les enterrements de pauvres (à base de sacs poubelles), fabrique d’authentiques permis non disponibles dans les préfectures : « Permis de se masturber aux enterrements », « Permis de chasser les animaux domestiques », « Permis de siffloter au théâtre », « Permis de gifler les enfants des autres » et travaille avec un ami pâtissier à la confection de gaufrettes déprimantes : « Tu vieillis mal », « T’es fini », « La mort t’attend », « Perd toute illusion » (cette dernière rendue encore plus déprimante par sa faute d’orthographe).

    Vincent Sardon a fait des études d’art et est toujours de bonne humeur, comme en témoigne cet avertissement : « Le Tampographe ne fabrique jamais de tampons sur commande. Il n'aime pas les artistes, il s'intéresse pas à leur travail, il n'a aucune curiosité pour les merdes qu'ils produisent généralement, s'il pouvait il les emploierait volontiers à goudronner les routes, curer les fossés, vider les poubelles ou creuser le canal Seine-Volga. »

    J’irai le voir un jour, sans doute devancé par celle qui me tient la main.

    *

    Parmi tous les tampons signés Sardon, une série est destinée aux éditeurs submergés de tapuscrits (plus par les miens). Il serait bien qu’ils l’achètent plutôt que d’envoyer leur sempiternelle lettre de refus polie signée photocopie. Mon préféré : « Si tu continues à nous envoyer tes livres pourris, on paie des gitans pour tout péter chez toi. »

    Celui-ci n’est pas mal non plus : « Votre manuscrit recèle certaines qualités : réduit en poudre et mélangé à du yoghourt il semble guérir la gastro-entérite. »

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  • S’il en est une qui est moins rapide que l’employée municipale rouennaise déchireuse d’affiche, c’est la journaliste de Paris Normandie qui ne lit qu’après-coup le mail où je l’informais de l’action Inside Out (une idée qui m’est venue samedi matin, la présence de la presse pouvant être bénéfique en cas d’intervention policière). Je lui raconte donc au téléphone dimanche après-midi ce qui s’est passé la veille et lui envoie une photo qui ce lundi matin devient L’image du jour.

    L’après-midi, en terrasse au Son du Cor, je lis Le Massacre des illusions, le premier tome du Zibaldone de Giacomo Leopardi publié chez Allia : Il n’existe, il n’a jamais existé, il n’existera jamais un seul peuple, ni peut-être un seul individu, qui ne soit sans cesse gêné, entravé, lésé par le fonctionnement intrinsèquement vicieux de son gouvernement, quel qu’ait été, quel que soit, quel que puisse être celui-ci. A côté de moi, on lit ce qu’on appelle « le journal » ou bien on l’attend impatiemment quand il est, comme on dit, « en mains ». Je tremble d’être reconnu, qu’on me dise « mais c’est vous sur la photo » et qu’on m’empêche de lire le clairvoyant Leopardi. Heureusement, il n’en est rien et j’avance dans ma lecture, en sautant des pages, car Giacomo se répète parfois ou développe trop longuement une idée qui aurait gagné à être synthétisée.

    Quelques lettres du disgracieux écrivain reclus dans sa chambre parsèment le Zibaldone. Il s’y laisse un peu aller. Elles me plaisent davantage que ses écrits théoriques.

    A Pietro Brighenti, le vingt-deux juin mil huit cent vingt et un : Le monde est fait à l’envers, comme ces damnés de Dante qui avaient le cul devant et la poitrine derrière : les larmes leur coulaient dans la raie des fesses. Et il serait plus ridicule de vouloir le redresser que de se contenter de le regarder et de le poursuivre de nos sifflets.

    A Fanny Targioni Tozzetti, le cinq décembre mil huit cent trente et un : Mes amis me scandalisent ; ils ont raison de rechercher la gloire et de vouloir être utiles aux hommes ; mais moi qui ne prétends être utile à personne et qui n’aspire point à la gloire, je n’ai pas tort de passer ma journée allongé sur un sofa, sans lever une paupière. Et je trouve fort raisonnable cette habitude des Turcs et de tous les Orientaux, qui se contentent de rester assis en tailleur tout le jour en gardant l’œil stupidement fixé sur leur ridicule existence.

    Rester assis en tailleur tout le jour en gardant l’œil stupidement fixé sur leur ridicule existence, c’est précisément ce que font, devant l’Opéra de Rouen, les dizaines de sympathiques branlotin(e)s à qui j’ai confié la garde de ma trombine, comme dit la journaliste de Paris Normandie, laquelle trombine est toujours en place sur le socle de la statue de Corneille, et intacte, ce mardi matin.

    *

    Rouen. La Poste centrale fermée pour travaux, celle de la Champmeslé porte close pour cause de rideau métallique bloqué, plus qu’à aller rue Orbe où évidemment la machine à affranchir est en panne. Au retour, j’aperçois deux ouvriers sur le toit de l’Hôtel de Ville, l’un assis dans la gouttière, l’autre en équilibre sur la pente au-dessus d’un vasistas. Aucun n’est attaché. J’en fais trois photos.

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  • Il est temps de passer à l’action. Ma photo géante obtenue après une heure et demie d’attente au Centre Pompidou où JR a installé son photomaton géant est restée roulée depuis le premier juin. Celle qui m’accompagne a la sienne depuis ce vendredi obtenue après trois heures d’attente.

    Le contrat est clair. La photo est gratuite et doit être collée sur la voie publique à un endroit qui compte pour celle ou celui qui figure sur l’image. Pour elle ce sera l’église Jeanne d’Arc, place du Vieux-Marché, à proximité immédiate de statue de la sainte (pour des raisons qui lui sont personnelles). Pour moi ce sera le socle de la statue de Pierre Corneille (en raison de mon goût pour la littérature) face à l’Opéra de Rouen/Théâtre des Arts (où j’ai mes habitudes). Deux atteintes au patrimoine local, il s’agit de mettre un peu de piquant à la chose. L’évènement est prévu pour ce samedi à dix-sept heures.

    Quand elle arrive vers trois heures avec son affiche sous le bras, c’est pour m’apprendre qu’au dernier moment sa mère a refusé de lui passer le pinceau à colle et la raclette idoine, objets que je ne possède pas. Nous filons chez Intermarché en faire l’emplette.

    Dans l’incertitude du sort de nos deux beaux portraits, nous les photographions suspendus à la fenêtre donnant sur la ruelle (avec l’aide d’un touriste de passage), puis à celle du jardin, puis sur la pelouse du jardin, puis sur notre lit. Il est temps de préparer la colle, ce dont elle se charge avec brio.

    Nous partons, moi un peu nerveux, elle détendue, munis d’un appareil photo, n’emmenant que mon affiche par prudence. L’intervention policière n’est pas à exclure.

    Elle fait quelques photos d’avant l’action, affiche roulée, devant le fier Corneille, en arrière-plan le Théâtre des Arts et l’échantillon de la jeunesse rouennaise qui se tient vautré en permanence sur le parvis (fans de mangas, gothiques et autres). Arrivent, alertés par le réseau social Effe Bé, l’ami Masson et le Major. A l’heure dite, j’attaque Corneille par derrière, les pieds dans la plate-bande parsemée de bouteilles de bière vides.

    -On voit que ça fait longtemps que tu n’as pas collé de papier peint, remarque l’un de mes deux amis.

    Je n’en ai jamais collé, me contentant de celui présent dans mes différents logements, mais en vérité je ne me débrouille pas si mal et mon rectangle de colle est quasiment parfait. J’y plaque mon portrait et passe au lissage dans l’indifférence des branlotin(e)s occupé(e)s à ne rien faire, tandis que le Major et celle qui m’accompagne font les photos qui seront envoyées à JR via son site Inside Out.

    Je demande aux jeunes avachi(e)s de veiller sur mon affiche et tous quatre nous repassons à la maison pour prendre la photo numéro deux et remplir le pot de colle.

    A dix-sept heures trente, nous sommes près du bûcher derrière l’église Jeanne d’Arc. Elle grimpe sur le muret délimitant la jardinière au pied de la statue de la sainte. Le jeune père qui y était assis, donnant le biberon, juge préférable de s’éloigner. Le Major et moi-même photographions, tandis que l’ami Masson donne des conseils techniques qui n’empêchent pas l’affiche d’être un peu de traviole. Deux touristes noirs me demandent qui est la jeune fille sur la photo.

    -C’est celle qui la colle.

    Ils la trouvent très jolie. Je leur explique ce qu’est le projet artistique Inside Out. Des Japonais font des photos. C’est bon, sa photo est en place, la sainte la considère de haut, le regard désespéré.

    -On est quand même égocentriques, me dit-elle considérant avec satisfaction son collage.

    -Et narcissiques, lui dis-je.

    Elle, moi et les deux larrons avons bien mérité d’aller boire un verre.

    En nous éloignant, nous faisons une dernière photo quand soudain une jeune femme se rue sur l’affiche et entreprend de la déchirer. Celle qui l’a collée se précipite et tente de l’arrêter. Je photographie la scène de loin. La discussion est animée. La jeune femme ne se départit pas d’un sourire extatique. Une mama black crie quelque chose que l’on n’entend pas. Quand celle dont l’image vient d’être détruite renonce, l’autre achève de la décoller et la jette dans une poubelle proche. Ce n’est pas, comme je le pensais, une catholique indignée mais une brave employée municipale prévenue par on ne sait qui, ne sachant que répéter : « Je fais mon travail ». Inutile de lui parler du projet de JR : « La question n'est pas là, c'est un bâtiment du patrimoine historique et je fais son travail ». Quand à la mama black, elle approuvait, criant que c’était mal de coller une affiche sur une église.

    -Bon, on boit un verre quand même, décrète le Major.

    La terrasse du Café de Rouen nous accueille. Il est six heures moins cinq, l’heure de l’apéritif. Nous le buvons en discutant de choses et d’autres.

    Un peu avant dix-neuf heures, elle et moi retournons devant l’Opéra, ma photo tient bon. Trois policiers arrivent. Je les photographie tandis qu’ils passent devant sans s’en préoccuper.

    *

    Il n’a pas fallu plus de cinq minutes à la vaillante employée municipale pour agir. Il serait juste que Valérie Fourneyron, Maire socialiste de Rouen, ville où l’affichage libre est sévèrement réglementé, lui attribue une prime de rapidité sur son prochain salaire.

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