• A voir le monde qui attend au pied de l’escalier menant à la salle Un de l’Omnia ce jeudi soir, on pourrait croire que le cinéma ça marche à nouveau, mais non il s’agit de la soirée de présentation de la nouvelle saison du Hangar Vingt-Trois, une innovation de son nouveau directeur, laquelle ne peut se tenir dans sa salle dont on répare la toiture. Après une attente fatigante, le feu vert est donné. Je m’installe là où on peut allonger ses jambes. La salle se remplit incomplètement.

    On commence avec une chanson d’Abir Nasraoui puis celui qui ne se présente pas mais que l’on devine être le nouveau directeur, un certain Sébastien Lab est-il écrit dans le programme, dit quelques mots et donne la parole à Madame le Maire de Rouen. Celle-ci démarre à son habitude par une phrase sans verbe : « Beaucoup de plaisir à être là ce soir. »

    Comme on pouvait s'y attendre, elle ne dit pas un mot d’Ahmed Merghoub, l’ancien directeur du Hangar Vingt-Trois, viré par ses soins parce que soupçonné de harcèlement moral. Elle se félicite d’être à l’Omnia dont elle cite le nombre de spectateurs sans dire que c’est moins que prévu (ma voisine me dit que venue voir récemment un film pour enfant, elle était seule dans la salle avec son petit-fils). Elle affiche sa priorité, le spectacle pour la famille, pas de quoi me séduire.

    On en vient à la présentation de la saison par Sébastien (pas un mot de remerciement à l’ancien directeur, l’histoire du Hangar Vingt-Trois semble commencer avec lui) et Tiphaine (une certaine Tiphaine Le Maout, m’apprend le programme, chargée de la communication du Hangar). Heureusement que la vidéo est là pour faire passer le pensum, me dis-je, agacé que ce qu’on appelle la chanson française soit délaissée au profit du cirque, de la magie, et autres distractions « tout public ».

    Il est l’heure de se restaurer. Le personnel du Hangar distribue des pâtisseries orientales et des boissons sucrées qu’il faut bien manger et boire. Il en reste. Les serveuses et serveurs repassent insistant pour qu’on en reprenne. C’est presque du harcèlement alimentaire et une sorte d’hommage en creux à Ahmed Merghoub.

    Le spectacle est aussi pour lui, semble-t-il. Abir Nasraoui revient avec ses musiciens. Elle est Tunisienne, vit à Paris, et chante l’amour et la liberté devant un public clairsemé (certain(e)s sont partis à la pause). C’est le meilleur moment de la soirée.

    *

    Ce vendredi matin, je croise Patrice Quéréel au Clos :

    -J’ai une bonne nouvelle à t’annoncer, me dit-il, même deux. Sylvain Amic, le nouveau directeur du Musée, prépare une expo Flaubert et une expo Duchamp.

    -C’était bien à craindre, lui réponds-je.

    Je dois lui expliquer que j’en ai assez de ce nombrilisme culturel, marre de ces expositions rouenno-rouennaises.

    *

    Une expo Flaubert oui mais à Carcassonne, une expo Duchamp pourquoi pas à Valenciennes.

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  • L’autre matin, réveillé tôt, j’écoute France Culture où l’on rediffuse une émission sur la documentariste Françoise Romand. Un nom résonne en moi, celui d’Ovida Delect, à qui la cinéaste a consacré un film.

    Je revois Ovida Delect à Val-de-Reuil au début des années quatre-vingt dans l’école maternelle où je faisais l’instituteur. Que faisait-elle là ? Je suppose qu’elle accompagnait sa femme, institutrice à l’école maternelle de Saint-Pierre-du-Vauvray, pour une réunion quelconque.

    Ovida Delect ne passait pas inaperçue. Vêtue dans le style d’Huguette, sa voix masculine rappelait qu’avant cinquante-cinq ans, elle était Jean-Pierre Voidies. Ce fut mon unique rencontre avec le poète devenu poétesse (troquant du jour au lendemain son apparence masculine par une apparence féminine, il se présenta à la boulangerie de Saint-Pierre-du-Vauvray en déclarant à la commerçante : « A partir d’aujourd’hui, appelez-moi Madame ».)

    De ses poésies, je n’avais lues que quelques-unes, pas à mon goût. Huguette et elle étaient aussi connues pour être communistes. Je me rappelle avoir vu Appelez-moi Madame, le film de Françoise Romand, à la télévision dans ces années-là.

                Voulant me rafraîchir la mémoire (comme on dit), je m’adresse à Gougueule et constate que Ouiquipédia ignore Olivia Delect tout autant que Jean-Pierre Voidies.

                J’en trouve néanmoins quelques traces sur des sites consacrés au transsexualisme, ainsi que sur certains relatifs à la Résistance, y lisant par exemple (je l’ai forcément su mais l’avais oublié), qu’élève du lycée Malherbe de Caen, Jean-Pierre Voidies, à l’âge de dix-sept ans, vola d’importants documents dans les locaux des Jeunesses Nationales Populaires avec lesquels il sema la pagaille dans cette organisation collabo en propageant une série de fausses nouvelles. Arrêté par la Gestapo, il sera longuement torturé puis déporté au camp de Neuengamme.

                Ovida Delect est morte en mil neuf cent quatre-vingt-seize. Je ne sais ce qu’il en est d’Huguette Voidies.

    *

    Pas moyen de marcher le matin dans l’hypercentre de Rouen sans se faire arroser par l’une de ces laveuses de rue aussi bruyantes qu’inutiles. Quand le duo d’employés municipaux est blanc et noir, c’est l’homme blanc qui conduit et c’est l’homme noir qui s’épuise à manier la lance.

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  • Il y a deux jours, j’apprends cette lamentable histoire.

    Lundi matin douze septembre, quatre femmes du Réseau Education Sans Frontières de Rouen se rendent au Centre de Rétention de Oissel et y découvrent une frêle jeune femme entièrement nue.

    Depuis deux semaines, elle refuse de s’habiller et reste sans contact avec les autres Sans Papiers embastillé(e)s, ne fréquentant ni le réfectoire, ni la salle de télévision.

    Elle s’appelle Habi et est âgée de vingt-trois ans. Originaire du Congo, elle y a laissé un enfant de deux ans qui devait la rejoindre. Un oncle et une tante l’hébergeaient à Saint-Quentin. Elle prenait des cours de musique au Conservatoire.

    Si Habi refuse de se vêtir, c’est pour éviter qu’on ne l’emmène une nouvelle fois jusqu’à un avion (elle a déjà résisté deux fois lors d’un embarquement).

                Mardi matin, des policières l’ont habillée de force. Entravée, elle a été conduite à Roissy et renvoyée au Congo.

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  • Le ouiquennede est ensoleillé. Dès qu’arrive celle qui me tient la main samedi après-midi, nous grimpons les marches de la colline Sainte-Catherine. De son sommet, lequel manque toujours d’éoliennes, nous regardons la vie rouennaise de haut, tout en devisant. En redescendant, elle me fait un bouquet de fleurs des champs.

    Le dimanche matin, nous sommes seuls dans la rue du Gros à l’heure où le jour se lève, direction le quartier de la Madeleine pour l’important vide grenier habituel. J’y trouve de bons livres, notamment Gustave Flaubert et sa nièce Caroline, ouvrage à compte d’auteur de Lucie Chevalley-Sabatier à La Pensée Universelle (maison plusieurs fois condamnée par la justice et aujourd’hui disparue), Monsieur Dumollet sur le Mont-Blanc de Samivel, publié à Chamonix par les Editions Mythra, A l’Ombre des Tours Mortes d’Art Spiegleman chez Casterman et le tome un du Journal de Léon Bloy dans l’édition Bouquins/Laffont (point de tome deux malheureusement). De son côté, elle achète une poubelle et un moule à gâteaux et pour m’aider à transporter mon fardeau m’offre un élégant sac à roulettes mais tout est déjà bien rangé dans des sacs dont elle porte la moitié, je l’essaierai une autre fois. Nous croisons Adji qui tire une énorme valise à roulettes noire, achetée pour le transport de seize volumes de Victor Hugo.

    Des marchands d’un jour se plaignent des gens qui achètent pour deux euros et veulent en plus un sac pour emporter leur emplette. « Les gens sont chiants. Il faudrait s’en débarrasser. » leur dis-je, me faisant deux amis d’un coup.

    Quand nous avons parcouru deux fois l’ensemble des rues concernées, nous sommes contraints de repasser à la maison pour nous alléger puis nous montons vers les beaux quartiers. Le vide grenier de Jouvenet est de moindre importance et pauvre en livres. En revanche, comme elle me le fait remarquer, que de jolies filles. C’est ainsi chez les riches. Nous nous sentons anthropologues, plus soucieux d’étudier les mœurs de cette tribu que d’acheter quoi que ce soit. Chez les vendeuses et les vendeurs, il s’agit avant tout d’être entre soi dans sa rue au soleil une fois par an. Une dame résume cela d’une phrase : « On vend ce qu’on peut et le reste on le donne à l’Armée du Salut. »

    Elle croise un de ses anciens professeurs. Je croise deux de mes anciennes élèves. Nous redescendons vers la Cathédrale.

    Rue d’Ernemont, une affichette invite à visiter l’atelier d’Isabelle Patissier, une artiste polyvalente, aquarelle, théâtre et ondes Martenot, diplômée d’une école de Neuilly : « Venir sans chien et les enfants en bas âge les tenir par la main ».

    *

    En face de chez moi aussi l’atelier est ouvert. Les bourgeoises oisives qui l’occupent y montrent leurs œuvrettes et y récitent de petites poésies devant un public restreint malgré la promesse d’une orangeade.

    *

    C’est une semaine propice aux achats de livres. Au marché du Clos Saint-Marc, je m’offre le catalogue de l’exposition Klimt Schiele Kokoschka au Musée des Beaux-Arts de Rouen et je lui offre Les Gnomes et Le Livre secret des gnomes de Rien Poortvliet et Wil Huygen (Albin Michel).

    *

    Klimt Schiele Kokoschka, une excellente exposition de mil neuf cent quatre-vingt-quinze, vue avec celle qui me tenait alors la main, la preuve par le passé qu’on peut exposer à Rouen autre chose que les Impressionnistes.

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  • « Alors, on va voir notre nouveau directeur ! » entends-je ici et là parmi les invité(e)s du vernissage de l’exposition Le Parmesan (Dessins et gravures en clair-obscur) vendredi soir au Musée des Beaux-Arts de Rouen.

    Sylvain Amic arrive en compagnie d’Henry-Claude Cousseau, directeur de l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris, et de Laurence Tison, adjointe à la Culture. Mes voisines se haussent sur la pointe des pieds et finissent par comprendre que c’est celui avec les lunettes. Elles ne font pas de commentaires.

    Laurence Tison prend la parole : « Monsieur le Préfet, Monsieur le Directeur de l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris, Monsieur le Directeur des Musées de Rouen, Mesdames et Messieurs  les Amis du Musée ». J’écoute d’une oreille, entends qu’elle place tous ses espoirs dans le nouveau Directeur, n’oublie pas le petit personnel sans lequel le Musée, se félicite des expositions de dessins dont le Musée devient coutumier (ça ne coûte pas cher, me dis-je). Je m’abstiens d’applaudir.

    Henry-Claude Cousseau, décoré de l’écharpe blanche indispensable, vante les richesses artistiques de la ville de Rouen (en particulier l’orgue Cavaillé-Coll de l’abbatiale Saint-Ouen), appelle Laurence Tison « Madame le Maire », se félicite que tous les dessins du Parmesan exposés ici proviennent de son Ecole et termine en annonçant que c’est l’une de ses dernières prises de parole dans cette fonction (bientôt la retraite, me dis-je). Je l’applaudis sans excès.

    Sylvain Amic, au faux air de Luc Ferry, n’oublie pas de rendre hommage à son prédécesseur Laurent  Salomé, vante les richesses artistiques des Musées de Rouen, promet un grand évènement annuel et annonce qu’il désire devenir rouennais (le malheureux, me dis-je). Je l’applaudis comme il faut.

    Le commissaire de l’exposition (son nom ne figure nulle part) dit son mot et c’est la ruée vers les dessins pour une minorité et vers les petits fours pour une majorité dont je fais partie.

    Devant les trois buffets, c’est pire que les années passées, une lutte à mort pour le moindre petit four, à croire qu’entendre parler de parmesan ça donne faim. Je tiens ma place, à mi-chemin entre celle qui est là pour nourrir toute sa famille et celui qui ne peut se précipiter ainsi sur la nourriture.

    Trois coupes de champagne, pas vu un dessin ni une gravure, ce sera pour une autre fois.

    *

    Aucune allusion à l’opération d’art contemporain nommée Rouen Impressionnée dans le discours de Laurence Tison. L’os à ronger donné aux artistes locaux ne semble pas devoir intéresser les Amis du Musée.

    *

    L’une des œuvres labellisées Rouen Impressionnée est signée Benoît Thiollent. Rue Ganterie, Zone 3 ajuste la réglementation automobile aux déplacements piétonniers. Je trouve ça facile mais ça marche. Deux collégiennes sorties de Saint-Saëns m’en font la démonstration :

    L’une : Fais gaffe, y a un radar.

    L’autre : Flasher ceux qui courent, c’est vraiment n’importe quoi.

    *

    Sylvain Amic est capable du grand évènement. Il fut le commissaire d’une exposition Emil Nolde au Musée Fabre de Montpellier. Devenu rouennais, qu’en restera-t-il ?

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  • Mercredi, en fin d’après-midi, après furetage dans les bacs des librairies du Quartier Latin, je grimpe à Saint-Michel dans le bus numéro vingt-sept terminus Saint-Lazare. J’y suis chaleureusement salué par son conducteur. Je m’assois.

    -Allez on y va, you ou. Mesdames et messieurs à votre droite la célèbre Cathédrale de Parisse.

    Je comprends que je ne suis pas dans n’importe quel autobus parisien. Notre machiniste est un boute-en train qui en connaît un rayon sur les monuments de la capitale. Le voici nous racontant l’histoire du Pont-Neuf et pourquoi il faudrait l’appeler Pont-Rénové.

    -A votre gauche maintenant l’Ecole des Beaux-Arts. Par la fenêtre, parfois, on peut y apercevoir… un Artiste.

    Tout en émettant quelques considérations avisées sur la circulation automobile et piétonnière, il poursuit :

    -A votre droite, mesdames et messieurs, le Pont des Arts et ses trois mille cadenas. Les amoureux y scellent leur amour éternel puis jettent la clé dans la Seine. Ce qu’ils ne savent pas, c’est que la Mairie de Paris enlève régulièrement tous les cadenas. Le lundi, tu jures ton éternel amour ; le mercredi, la Mairie enlève le cadenas, je t’aime plus chérie.

    Chez les voyageuses et les voyageurs, cela va de l’hilarité à l’indifférence, avec une majorité de sourires réjouis.

    -A votre gauche, l’Institut de France et ses cinq Académies : l’Académie Française, l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, l’Académie des Sciences, l’Académie des Sciences Morales et Politiques et l’Académie des Beaux-Arts. Bientôt une sixième, la Star Academy, mais c’est pas sûr.

    Nous traversons le Louvre :

    -On ne va traîner par ici. On m’a dit qu’il y a un fantôme. Un certain Belphégor.

    Un peu plus loin :

    -J’ai une charade. Une bonne. Mon premier est une grande étendue d’eau. Mon deuxième est ce qu’on dit quand on a perdu dix francs. Mon troisième est très étroit. Mon tout est un grand théâtre.

    Les fronts se plissent. On cherche mais personne ne se risque à donner une réponse.

    -C’est facile pourtant. Mon premier est une grande étendue d’eau : lac. Mon deuxième est ce qu’on dit quand on a perdu dix francs : oh, mes dix francs ! Mon troisième est très étroit : très étroit, treize et trois : seize. La Comédie Française. Nous y sommes, messieurs mesdames.

    Un homme à canne monte :

    -Prenez votre temps, monsieur, allez vous asseoir. Quand vous êtes prêt, vous me dites top départ.

    Le vieil homme s’installe et murmure top départ.

    -Vous m’avez dit top départ. Oui ? Alors on y va, you ou.

    Nous sommes devant l’Opéra :

    -On doit son architecture à Charles Garnier mais l’intérieur est encore plus beau grâce au plafond de Chagall. Je vous dis ça mais moi je ne l’ai jamais vu, un jour peut-être, eh oui. Prochain arrêt : Auber. Auber ou au chocolat, c’est comme vous voulez.

    Le bus se faufile entre les voitures, approche des grands magasins.

    -Vous savez qu’aujourd’hui c’est l’automne, eh oui. Après l’automne, l’hiver et après l’hiver, le printemps, mais si vous voulez directement le Printemps, c’est au prochain arrêt.

    Le voyage se termine hélas. A Saint-Lazare, tout le monde descend. Un certain nombre de voyageuses et voyageurs vont voir le chauffeur pour le féliciter et le remercier, heureux d’avoir eu à la fois, pour le prix d’un ticket de bus, un commentaire Paris Vision et un spectacle de cabaret.

    J’espère retrouver un jour ce gai machiniste sur la ligne vingt-sept. Il est sans doute antillais et porte une barbichette pointue.

    *

    Comme il n’est pas encore l’heure de mon train, je m’arrête chez Léon, rue de l’Isly, l’un des deux routiers de Paris, pour un café verre d’eau. Les tables sont en formica, les chaises en bois avec l’assise en scaille, les nappes à petits carreaux rouges et blancs et Libération est sur le comptoir. Sur l’un des carnets de commande, je note les temps forts de mon voyage en bus par crainte d’oublier.

    *

    A la gare, mon train ne s’affiche pas. Au bout d’un moment, il est annoncé avec cinq minutes de retard, puis dix, puis quinze, puis vingt. Il est enfin indiqué voie dix-neuf. Tout le monde se précipite.

    Un message nous apprend que seules les cinq premières voitures partiront. On se masse devant les portes qui ne veulent pas s’ouvrir. Quand enfin on peut monter, chacun(e) s’efforce de trouver une place assise. Le contrôleur présente les excuses habituelles. J’arrive à Rouen avec vingt-quatre minutes de retard, à temps néanmoins pour échapper au simulacre d’accident prévu  dans la gare ce mercredi soir, à temps également pour entendre aux informations de France Culture les propos de Clément Chéroux captés par le micro de France Inter en début d’après-midi à l’exposition Munch du Centre Pompidou.

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  • A Paris, ce mercredi, rue Saint-Séverin, je déjeune tôt à la kebaberie habituelle cependant qu’une jeune femme en tenue de laborantine y prélève des échantillons de viande, de salade et de sauce blanche qu’elle range dans une mallette. La tâche accomplie, elle ôte sa blouse blanche et sa charlotte, dit au revoir, à bientôt. Il n’en faut pas plus pour que je trouve un goût bizarre à mon sandouiche mais les deux kebabiers n’ont pas l’air inquiet.

    En pleine forme, je traverse la Seine, regrettant que celle qui vit à Paris ne soit pas disponible pour visiter avec moi l’exposition Edvard Munch, l’œil moderne qui ouvre aujourd’hui au Centre Pompidou. Je me souviens du bon moment passé ensemble à l’exposition Munch de la Fondation Beyeler à Bâle en juin deux mille sept et de notre visite décevante d’Edvard Munch ou l’Anti-Cri à la Pinacothèque de Paris en avril deux mille dix.

    Cette nouvelle exposition parisienne est organisée en collaboration avec le Musée Munch d’Oslo. Ses commissaires sont Angela Lampe et Clément Chéroux. Leur parti pris est de démontrer en quoi Munch fut un homme de son temps. Ils partent pour cela de six chefs-d’œuvre des débuts : Deux êtres humains. Les solitaires (un homme, une femme, seuls à deux), Les jeunes filles sur le pont (l’une au moins doit songer à se suicider, me dis-je), L’enfant malade (souvenir de sa sœur décédée), Vampire (homme dévoré par son amante), Le baiser (couple fusionné) et Puberté (nymphette nue assise sur son lit, menacée par l’ombre de sa vie future).  Le Cri n’en est point, interdit de voyage.

    Le jeune Munch au tournant du vingtième siècle est au sommet de son art (comme on dit). La suite n’est que tentative d’aller plus loin. Munch explore la redite, la réinterprétation, l’impression de mouvement, le cadrage photographique, l’autoportrait et s’approche même de l’abstraction, parfois avec succès, parfois frôlant la croûte.

    Pas trop de monde dans les salles, je peux regarder ça tranquillement, en l’absence de visites guidées mais en présence d’une télévision non identifiée qui interroge Angela Lampe et de France Inter qui s’occupe de Clément Chéroux, lequel parle des photos de l’artiste (des autoportraits essentiellement) dont un certain nombre sont présentées. Un film de Munch montrant la vie parisienne de son temps est également visible. Parmi le public, je repère deux bûcherons norvégiens en tenue de travail (bizarre qu’ils parlent français).

    Le monde de Munch n’est pas de tout repos, loin des fleurettes impressionnistes de la même époque, bagarres, meurtres, émeutes, maisons brûlées, tirs sur des visiteurs indésirables, femmes en pleurs et drames intimes. J’aime particulièrement Jalousie (visage défait au premier plan de celui dont l’amie embrasse un autre en arrière-plan dans une pièce au papier peint barré), L’artiste et son modèle (sur le côté, un lit défait en dit plus long que le titre) et A la douce jeune fille (deux femmes décaties trinquent à celle qu’elles ne sont plus).

    L’un des tableaux les plus impressionnants montre des ouvriers au pas lourd sortant de leur usine. Il est remarquablement mis en valeur par un cadre découpé dans l’une des cloisons des salles d’exposition qui en fait surgir le personnage principal.

    La dernière salle (circulaire) est consacrée aux dessins que fit Munch lorsqu’il fut atteint de maladie oculaire à soixante-sept ans : nombreuses aquarelles montrant la rétine de l’artiste ainsi que des illusions optiques où naissent crânes, aigles et autres figures inquiétantes.

    Il n’en faut pas plus pour que j’aie mal aux yeux lorsque je quitte Beaubourg mais cela ne m’empêchera pas de revenir voir Edvard Munch, l’œil moderne avec celle qui n’est pas là.

    *

    Remis de mes émotions, j’entre chez Templon. On y expose les derniers Garouste sous le titre Walpurgisnachtstraum (Songe d’une nuit de Walpurgis), tableaux et sculptures inspirés du Faust de Goethe, dans la continuité du déjà vu ici. Comme modèles des connaissances et ami(e)s et lui-même, je reconnais la grosse tête de Jean-Michel Ribes. Pour chez moi, je pourrais choisir Sorcière au bouc dont la charge érotique donne à rêver.

    *

    Toujours ces déplorables panneaux publicitaires géants sur les édifices parisiens en travaux. Près d’un vantant une tablette Samsung, un calicot de bonne taille en jargon jargonnant : « Cet affichage contribue au financement des travaux de la restauration du patrimoine du Palais de Justice ».

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  • Choisir le jour de la Fête de l’Humanité où il pleut presque chaque année pour une animation de plein air est une folie. Les organisateurs du vide grenier de la Croix de Pierre et ceux du Quai des Livres rouennais semblent l’avoir oublié et en sont victimes. Ce dimanche matin, il pleut franchement et ça dure.

    Quand une éclaircie se profile, celle qui me tient la main m’invite à prendre le chemin de la Croix de Pierre. Comme attendu, de nombreux exposants ne se sont pas installés. Les présents en sont encore à éponger. Je trouve pour elle une jolie édition suisse d’Olivia, anonyme ouvrage de mil neuf cent quarante-neuf narrant « la passion d'une jeune pensionnaire anglaise pour l'une de ses enseignantes françaises » comme le résume Ouiquipédia. De son côté, elle achète un porte-monnaie qui date peut-être de cette époque et que la vendeuse qualifie de « vintage ».

    En début d’après-midi, seul, je fais un tour au Quai des Livres, partiellement sinistré, puis retourne à la Croix de Pierre, pour rien. Je suis à peine rentré que la pluie se remet à tomber.

    *

    Pas question dimanche soir de regarder sur Téheffun la mascarade télévisuelle organisée par Strauss-Kahn et l’amie de sa femme. En revanche, lundi soir, je regarde Tristane Banon sur Canal Plus. Cette fille a du courage.

    *

    Eclairant, sur Canal, le parallèle entre les propos de Strauss-Kahn et ceux de Clinton, les mêmes mots, l’un en français, l’autre en anglais. A Clinton, on ne pouvait reprocher que d’avoir trompé sa femme.

    *

    Tout homme ayant eu un rapport consenti (comme on dit) avec une femme qui ensuite l’accuserait de viol n’aurait pas de mots assez durs pour la qualifier. Strauss-Kahn, lui, ne dit rien de Nafissatou Diallo.

    *

    Dans cette affaire, un seul socialiste lucide et honnête : Rocard (vite obligé de revenir sur ses dires).

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  • Fuyant la Braderie de Rouen et la Journée Européenne du Patrimoine, nous rejoignons à pied par la rue Francis-Yard vachement pentue le Cimetière Monumental samedi en fin d’après-midi. Sur la plaque de sa rue, Francis Yard est qualifié de poète normand, une manière d’insulte. Je me souviens avoir appris une récitation de lui quand j’étais élève, une cucuterie. Peut-être est-il enterré ici mais pas envie de lui dire bonjour.

    A l’arrivée, nous apprenons que nous n’avons que quinze minutes. La fermeture de la porte est pour dix-sept heures trente. Rouen ville morte, ça marche aussi au cimetière. Nous filons directement saluer Gustave. Me souvenais plus qu’il avait une croix sur sa tombe. A côté, sa nièce Caroline que l’époux espérait retrouver dans l’éternité.

    Marcel est un peu plus bas. Un homme photographie sa tombe. Il nous demande si on a suivi la visite des Journées du Patrimoine. Je lui réponds que pas envie. Bien sûr on a eu tort. Il a appris des choses, insiste-t-il avant de s’éloigner. Il en aurait appris pareillement de la visite d’une fabrique d’hosties ou de godemichés, dis-je à celle qui m’accompagne. Contre la tombe du joueur d’échec sont posées une valise destinée à recevoir des messages (pleine d’eau) et la photo en Rrose Sélavy. Elles n’étaient pas là lors de notre dernière visite, en août deux mille cinq.

    Je la connaissais à peine. Nous nous étions allongés sur une pelouse que nous retrouvons mais l’herbe est trempée. Une sépulture pourvue de bancs nous accueille le temps qu’elle fume sa cigarette et il se met encore à pleuvoir.

    Il est presque dix-huit heures. Nous tentons de sortir par une deuxième porte, fermée elle aussi. Un couple, ayant également fait la visite guidée, s’en plaint, à qui l’on avait dit qu’il pouvait s’attarder. Nous quittons les lieux côté lycée Flaubert où ça ne fermera que dans quelques minutes. La gardienne nous considère avec autant d’aménité que si nous étions des délinquants. Il nous reste à dévaler la pente sous un unique parapluie et à arriver douchés à la maison.

    *

    Au passage, on regarde le Cyclope de Marc Hamandjian. La projection de diapositives est au point. Sur le pare-brise, deux pévés pour stationnement sur un emplacement piétonnier.

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  • L’attraction temporaire Rouen Impressionnée est de retour, limitée cette année aux locaux. Ce vendredi soir, il y a vernissage un peu partout en ville. Je choisis de me pencher sur le Projet Cyclope de Marc Hamandjian à la galerie Mam, rue Damiette. Y sont présentés des travaux liés à l’élaboration du Cyclope, un camion surmonté d’une sorte de canon à patates conique, que l’on attend et qui arrive un peu après dix-huit heures. L’artiste amateur de petites voitures géantes est au volant. Il gare l’engin place du Lieutenant-Aubert et branche le rétroprojecteur qui doit montrer dans l’œil du Cyclope des images circulaires de la ville de Rouen (ben ouais, on est à Rouen et c’est la ville qui paie). Ça n’a pas l’air de vouloir fonctionner.

    Un vieux chien pelé se balade parmi les présent(e)s. Il porte autour du cou un cône anti-grattage, semblant ainsi faire partie de l’installation de Marc Hamandjian. D’autres que moi s’en aperçoivent et tentent de le photographier devant le Cyclope mais l’animal ne comprend rien à l’art contemporain. Las d’attendre, je vais boire un verre de vin rouge au tonneau de Marie-Andrée Malleville. A mon retour, des images apparaissent mais leur diamètre est insuffisant.

    Il est temps de rejoindre l’aître Saint-Maclou où quand j’arrive Madame le Maire, Valérie Fourneyron, est en plein discours devant une nombreuse assemblée, se félicitant elle-même d’impressionner Rouen. A ses côtés, dans le rôle de la hocheuse de tête quand est prononcé le mot culture et dans celui du hocheur de tête quand est prononcé le mot patrimoine se tiennent Laurence Tison, adjointe à la Culture, et Guy Pessiot, adjoint au Patrimoine. Valérie Fourneyron conclut en invitant le public à se ruer sur le buffet d’abord et à visiter dans un deuxième temps l’exposition Massif(s) présentée par l’Ecole Supérieure d’Art de Design.

    J’ai une coupe de champagne dans une main et des petits pains au saumon dans l’autre quand arrive celle qui me rejoint le ouiquennede. Nous trinquons à nos retrouvailles puis je l’emmène voir chez Mam où la séduit une sorte de robot blanc.

    -J’ai envie de lui faire un bisou, déclare-t-elle à Marie-André Malleville.

    -A chacun ses fantasmes, lui répond celle-ci néanmoins prête à lui faire crédit sur dix ans pour l’achat de l’œuvre.

    Nous prenons un verre de vin rouge pour accompagner les makis qui viennent d’arriver, puis allons manger le fromage à la maison avant de retrouver la rue Damiette pour le concert des Agamemnonz au P’tit Bar. Ceux-ci sont en retard. On en profite pour ouïr le nichoir musical de l’arbre de la place Saint-Barthélemy, dû à je ne sais qui, installé le matin même par les services municipaux. Ses mélodies entre sifflement et scie donne envie de danser à celle qui m’accompagne. Un résident vient aux nouvelles, inquiet pour son sommeil, tandis que les camions de la fourrière emportent les voitures des intrépides garés sur le pavé piétonnier. Nous faisons croire à deux touristes que la musique du nichoir est destinée à accompagner le ballet de la fourrière.

    Le son des guitares nous ramène au P’tit Bar. Elle se perche sur un tabouret. Je me case derrière elle. Les Agamemnonz sont quatre, un batteur et trois guitaristes. Leur musique lui rappelle les Pogues sans les voix, à moi c’est plutôt les Shadows. On est d’accord pour aimer ça.

    *

    Ce vendredi matin, pas pu trouver le temps d’être au Tribunal Administratif de Rouen pour y soutenir un étudiant tunisien menacé de reconduite à la frontière (comme ils disent). J’apprends que, comme la famille rom début septembre, il a été expulsé juste avant son passage au Tribunal, lequel a néanmoins siégé et décidé sa libération du Centre de Rétention de Oissel.

    *

    Samedi matin au marché des Emmurées, une distributrice de La Gazette (feuille de chou de la droite rouennaise) me tend sa propagande :

    - C’est bientôt fini Sarkozy, lui apprends-je.

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