•                        Je reviens vers la princesse Palatine dont les Lettres à sa famille m’ont fait passer de bons moments. Femme de Monsieur, frère du Roi Louis le Quatorzième, lequel préfère les jouvenceaux, ce qui ne la dérange pas, elle est laide, dit-elle, et se demande si au bout de dix-neuf ans sans faire l’amour on redevient vierge. Ce qui me plaît en elle, c’est sa morale personnelle et le don qu’elle a pour écrire du mal des uns et des autres durant sa longue vie, d’abord mariée contre son gré, puis veuve, femme de caractère comme on dit, de qui il valait mieux ne pas être au service (quand un de ses pages se montrait récalcitrant, elle l’envoyait pour trois mois en prison se faire fustiger chaque matin).   

                Ce lundi après-midi, je tente de retrouver tous les papiers et carnets sur lesquels j’ai noté des bouts de sa correspondance pas encore cités dans ce Journal dont ceux-ci :

                Mon fils est allé à Paris, rendre visite à ses accouchées ; sa comédienne a mieux fait son affaire que Mme de Chartres : elle a un garçon. C’est malheureux que tous les bâtards de mon fils soient des garçons et ses enfants légitimes des filles… (trois novembre mil sept cent)

                Si l’on pouvait savoir dans l’autre monde ce qui se passe dans celui-ci, feu Monsieur serait fort content de moi, car j’ai cherché, dans ses bahuts, toutes les lettres que ses mignons lui ont écrites et les ai brûlées sans les lire, afin qu’elles ne tombent pas en d’autres mains… (trente juin mil sept cent un)

                Présentement, les jeunes gens se piquent de ne rien savoir ni connaître ; le jeune Tonnerre, qui est d’une des meilleures maisons, fait la révérence plus gauchement qu’aucun paysan derrière sa charrue : ne rien savoir, ne s’entendre à rien, être impoli, grossier, c’est là la gentillesse du temps actuel… (vingt-sept juillet mil sept cent dix)

                Ça m’est toujours un nouveau sujet d’étonnement que tant de gens aiment le café ; il a pourtant un goût horriblement désagréable. Je lui trouve une odeur d’haleine corrompue : le défunt archevêque de Paris sentait comme ça. (vingt-deux juillet mil sept cent quatorze)

                C’est inouï, les jeunes gens sont tels à cette heure que les cheveux vous dressent sur la tête ! Une fille n’a pas honte de procurer à son père une jolie femme de chambre, afin qu’il se montre indulgent quant à ses propres débauches. La mère laisse faire pour qu’on lui passe quelques frasques à elle aussi… (dix mars mil sept cent dix-huit)

                M. de Langeais, qui avait été déclaré impuissant après un congrès, avait quand même épousé une autre fille. Quand elle fut enceinte, Langeais dit à Benserade : « Eh bien voilà pourtant ma femme grosse. » Benserade répondit : « Hé, Monsieur, on n’a jamais douté de madame votre femme. » (dix-huit août mil sept cent dix-huit, Isaac de Benserade est né à Lyons-la-Forêt, je passais souvent devant sa maison l’année où je fis l’instituteur au hameau des Taisnières.)

                Je n’aimais pas le défunt pape ; mais pour dire la vérité vraie, il est impossible qu’il ait été amoureux de la femme du prétendant : premièrement il avait soixante-treize ans, secondement il était affligé d’une hernie ombilicale, si bien qu’il avait le corps tout ouvert et qu’il fallait contenir le ventre et les intestins à l’aide d’une plaque d’argent. Dans cet état-là on ne saurait être amoureux… (dix-neuf avril mil sept cent vingt et un)

    *

                Plutôt que relire ces Lettres de la princesse Palatine, il serait plus sage que je me plonge dans les Confessions d’un gang de filles de Joyce Carol Oates, livre qui pourrait m’aider à me prémunir de celles qui fomentent une conjuration contre moi, m’attendant quelque part avec leur batterie de cuisine, à qui j’ai répondu ceci :

                « Mesdemoiselles ou Mesdames

                C’est gentil de m’avertir des nouveaux horaires de votre cantine. Lesquels sont hélas bien réduits au regard de ceux qui étaient les siens au début.

                Comme je préfère les lieux ouverts pendant une plus grande amplitude, il est peu probable que je m’approche à nouveau de vos fourneaux. Je ne pourrai donc pas profiter de votre agréable accueil.

                Croyez que je le regrette.

                Bien cordialement. »

    Partager via Gmail Yahoo!

  •             Il fait soleil quand arrive ce samedi matin celle qui me rejoint le ouiquennede. Je lui propose de faire le tour du marché du Clos Saint-Marc où peu de brocanteurs et bouquinistes sont présents puis de trouver un restaurant qui donne envie. Nous cherchons autour de la place puis rue Eau-de-Robec, rue Damiette, en vain, et alors me revient en tête La Petite Auberge.

                Rue Martainville, nous déjeunons fort bien, comme d’habitude, en buvant l’excellent bordeaux de la Cuvée du Père Tranquille, d’où l’obligation d’une sieste.

                La nuit venue, nous nous baladons sur le quai de la rive droite. Au retour, une fanfare étudiante nous retient au bout de la rue du Gros, côté Cathédrale, dont le répertoire va de Bourvil à Lady Gaga, puis nous rentrons pour une soirée galette des rois frangipane punch planteur au rhum vieux et aux épices. Les ouiquennedes avec elle avant son départ pour New York se comptent désormais sur les doigts d’une main.

     

    *

                C’est moi qui ai eu la fève. Un type barbu vêtu d’une sorte de djellaba, en qui j’ai reconnu Ben Laden.

    *

                Cette fois-ci, c’est la bonne, Elle s’est fait secouer comme elle le méritait Valérie Fourneyron, Députée Maire de Rouen, la socialiste indifférente au sort des familles qui dorment depuis des semaines dans les rues de sa ville. Je regarde l'invasion de son Conseil Municipal de vendredi dernier par les membres de Droit Au Logement. C’est réjouissant et instructif. Il est bon qu’aient été filmés le bla bla de la Maire qui refuse de réquisitionner des logements comme le lui permet la loi Dalo et la manœuvre de Jean-Michel Bérégovoy, l’élu écolo qui veut bien déposer sa petite motion dans la case où il lui est permis de faire si les occupants acceptent de s’en aller.

    *

                Un socialiste qui relève le niveau, c’est le vieux Pierre Joxe, l’ancien Ministre de l’Intérieur du Mythe Errant, devenu avocat à soixante-dix-sept ans et n’acceptant de plaider que commis d’office pour la défense des mineur(e)s délinquant(e)s.

    Partager via Gmail Yahoo!

  •             Ce mercredi, quatre cars de police se sont garés devant le scouate de la rue Revel à Rouen et vingt-cinq policiers ont procédé à l'interpellation de Mariana et de ses deux enfants, cette famille rom de Roumanie ayant reçu une Obligation de Quitter le Territoire Français et ne s’y étant pas soumise. La mère et les deux enfants (une fille de onze ans et un garçon de quatorze ou quinze ans) ont aussitôt été embastillés au Centre de Rétention de Oissel.

                Jeudi matin, une manifestation où figurait Eric de Falco, Conseiller Général socialiste, parrain d’un des enfants, dénonçait cette situation devant les grilles du Centre. L’après-midi, la Police emmenait les membres de cette famille à l’Ambassade de Roumanie à Paris où leur était fourni des passeports pour ce pays. La famille était ensuite ramenée à Oissel.

                Vendredi midi, à l’appel du Réseau Education Sans Frontières et de Droit au Logement, je suis devant le Tribunal Administratif de Rouen qui doit statuer sur la régularité de la présence de Mariana et de ses enfants au Centre de Rétention. Le fourgon de police arrive, d’où descendent la famille et une femme mongole, elle aussi retenue à Oissel.

                Nous sommes nombreux à attendre dans la grande salle d’audience (il faut même ajouter quelques chaises). Certains des policiers mangent des kebabs dans une petite salle à côté. L’une de nous, prof à la retraite, retrouve deux de ses anciennes élèves : une parmi les soutiens et une devenue policière. Le Juge et sa greffière se présentent un peu après treize heures.

                Le cas de la femme mongole est d’abord évoqué, laquelle a également fait une demande d’asile en Pologne avant d’arriver en France. Son avocat tente de la sortir de ce mauvais pas. Maître Demir intervient ensuite pour Mariana et ses enfants. Il s’appuie évidemment sur l’arrêt Popov de la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui vient de condamner la France pour la rétention d’enfants à Oissel. « C’est une bombe dans la justice administrative », déclare-t-il. Il cite le point quatre-vingt-quinze de cet arrêté qui décrit le lieu où sont enfermés les enfants à Oissel et parle de situation inhumaine et dégradante. Il reproche à la Préfecture de ne pas avoir cherché une autre solution, assignation à domicile ou à l’hôtel.

                La représentante de la Préfecture explique la rétention par le risque de fuite de cette famille dont le concubin de la mère (qui n’est pas le père des enfants) n’a pu être arrêté, pas plus qu’un autre enfant majeur. Elle affirme que le Centre de Rétention c’est mieux qu’un scouate. « Un scouate n’est pas un domicile », dit-elle. Elle ajoute que cette mère de famille s’est mise elle-même dans cette situation en refusant l’aide au retour et en ignorant l’Obligation de Quitter le Territoire Français. « La Préfecture a tout fait afin de raccourcir l’expulsion, l’avion c’est pour dimanche » dit-elle. Elle évoque le risque de disparition dans la nature en cas de libération.

                Le juge se retire pour délibérer. Nous sortons prendre l’air. Un jeune homme en profite pour photographier les deux policières qui n’aiment pas ça du tout. Elles lui demandent d’effacer la photo. Il refuse et préfère partir. Elles vont voir une fille qui était assise près de lui et qui leur dit qu’elle ne le connaît pas.

                Quand le Juge revient, il annonce qu’il confirme la rétention de la femme mongole qui sera expulsée vers la Pologne (premier pays d’Europe où elle a fait une démarche) et qu’il annule celle de la famille roumaine. Il dira plus tard s’il s’appuie pour cela sur l’arrêt Popov ou sur le fait que la Préfecture n’ait pas cherché de solution alternative ou sur les deux. Il rappelle que cette famille rom est dans l’obligation de retourner en Roumanie.

                L’autre solution pour elle sera de se cacher.

    *

                Grâce à madame la représentante de la Préfecture de Rouen, j’apprends comment on nomme les embastillés des Centres de Rétention : des rétentionnaires.

    *

                Ce même jour, Dominique Baudis, Défenseur des Droits, invité des Matins de France Culture, commente l’arrêt Popov. Il est lui aussi contre l’enfermement des enfants en Centre de Rétention, il faut assigner les familles à domicile ou à l’hôtel.

    *

                Sur France Cul, j’apprends également que selon un sondage du Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences Po), trente-sept pour cent des policiers et militaires voteront Marine Le Pen aux Présidentielles (contre seulement trois pour cent des enseignants).

    Partager via Gmail Yahoo!

  •             Ce jeudi soir, le cinéma Omnia de Rouen projette The Ballad of Genesis and Lady Jaye de Marie Losier, film présenté par Jean-Pierre Turmel de Sordide Sentimental, et je ne peux y être, car en même temps au Trianon Transatlantique de Sotteville-lès-Rouen, j’ai rendez-vous avec Michael Lonsdale. Lorsque je m’en ouvre (comme on disait) à Jean-Pierre, celui-ci me répond qu’il serait bien venu lui aussi voir Lonsdale. « J’aime les cathos bizarres », m’écrit-il. C’est là l’un de nos points communs.

                Songeant que lorsque je pense à Lonsdale j’entends d’abord sa voix et puis me souviens de lui dans Une sale histoire de Jean Eustache, au lieu de prendre la route du Trianon je tourne à gauche et me retrouve sur le boulevard Industriel en direction du Rive Gauche. Errant dans une banlieue inconnue, passant par Saint-Etienne-du-Rouvray puis Le Grand-Quevilly, je finis par trouver une pancarte indiquant le Jardin des Plantes qui me mène à mon but. Malgré mon presque retard, je trouve facilement une place dans la salle qui ne fait pas le plein.

                Sur la scène, des chaises, un piano, un écran, autour de moi des gens de mon âge, dont une ancienne professeure d’anglais de Val-de-Reuil, que j’ai connue dans sa jeunesse au lycée de Louviers dont elle était l’une des élèves les plus délurées. A Val-de-Reuil, elle fut la triste prof de ma fille et fit semblant de ne pas me reconnaître. Elle avait la sale habitude de donner un prénom anglais à ses élèves. Pour ma fille, elle choisit Daisy, ce dont celle-ci fut particulièrement contente.

                Le spectacle de ce soir a pour titre Les Carnets de Léonard. Il est bâti à partir des innombrables carnets qu’a laissés Léonard de Vinci. Michael Lonsdale entre en scène, vêtu en gentilhomme campagnard, vieux et fatigué. Il est accompagné d’une comédienne, Monique Scheyder, et d’un pianiste, Patrick Scheyder, son mari. Ce couple m’est insupportable : elle minaude, il virtuose. Sur l’écran sont projetées des diapositives animées de la compagnie Skertzo, sans grand intérêt. La mise en scène est inexistante. On se croirait dans la salle du foyer rural de Saint-André-de-l’Eure le soir du spectacle de fin d’année de la troupe de théâtre amateur. Bien sûr Lonsdale fait du Lonsdale, mais que fait-il là ? Serait-il condamné à des Travaux d’Intérêt Général suite à quelque bêtise ? Ou bien ferait-il pénitence avant de mourir en bon chrétien comme Léonard ? Telles sont les questions que je me pose en concentrant mon regard sur lui.

    *

                Le meilleur passage de la lecture des textes de Léonard de Vinci par Michael Lonsdale :

                La verge a des rapports avec l'intelligence humaine et parfois elle possède une intelligence à elle ; en dépit de la volonté qui désire la stimuler, elle s'obstine et agit à sa guise, se mouvant parfois sans l'autorisation de l'homme et même à son insu, soit qu'il dorme, soit à l'état de veille.

                Il arrive que l'homme dorme, elle ne suit que son impulsion, elle veille et il arrive que l'homme soit éveillé et qu'elle dorme. Maintes fois, l'homme veut se servir d'elle qui s'y refuse. Maintes fois, elle voudrait et l'homme le lui interdit. Il semble donc que cet être ait souvent une vie et une intelligence distinctes de celles de l'homme. Ce dernier a tort d’avoir honte de la nommer et de l'exhiber, en cherchant à couvrir, à dissimuler ce qu'il devrait orner et exposer avec pompe, comme un officiant.

    *

                Je me garde bien en rentrant d’exhiber la mienne, même pour faire pipi dans un coin sombre, les policiers rouennais sont nerveux en ce moment, qui s’en sont pris vendredi dernier à deux lurons qui pissaient leur bière trop près de la statue de la Jeanne lors de la soirée électro d’un bar de la place du Vieux. Il s’en est suivi une échauffourée traitée au gaz lacrymogène et à la matraque, comme le raconte Manuel Sanson, journaliste des Inrocks, présent sur les lieux, les policiers s’étant montrés particulièrement charmants avec les filles : «Sale pute de gauchiste, on va te niquer.» «Bande de morues, salopes…».

    Partager via Gmail Yahoo!

  •             Lecture faite du Journal d’Alice James publié aux Editions des Femmes en mil neuf cent quatre-vingt-trois, j’en note les quelques pépites :

                Les coucous imitent parfaitement les horloges. (quatorze juin mil huit cent quatre-vingt-neuf)

                Les grands vivent apparemment surtout de la charité de leurs commerçants, les pauvres de celle des nantis : ce qui est plus noble. (sept juillet mil huit cent quatre-vingt-neuf)

                Toute perte est un gain ; depuis que je suis devenue si myope, je ne vois plus ni la poussière ni la saleté et, par conséquent, je crois vivre dans la splendeur. (seize juillet mil huit cent quatre-vingt-neuf)

                On ne peut imaginer un Anglo-Saxon prenant un jour au sérieux la Bible ou Shakespeare en français. (idem)

                Il paraît que le suicide de Mr Edmund Gurney ne laisse pas de doute… On a tort de le dissimuler ; toute personne cultivée qui se donne la mort agit pour diminuer la superstition. (cinq août mil huit cent quatre-vingt-neuf)

                Sarah Bernhard jouant la Passion est une chose révoltante. Cette femme est un abcès moral pourri de vanité. (neuf mars mil huit cent quatre-vingt-dix)

                Quel sentiment de supériorité l’on éprouve à ne pas lire un ouvrage que tout le monde connaît ! Je n’ai jamais voulu lire Amiel et, jusqu’ici, j’ai résisté au Journal de Marie Bashkirtseff. (seize juin mil huit cent quatre-vingt-dix)

    *

                Alice James écrit ce Journal dans les dernières années de sa vie. Elle meurt à Londres en mil huit cent quatre-vingt-douze à l’âge de quarante-trois ans d’un cancer du sein après une vie de dépression due au peu de cas que l’on faisait des filles dans la famille James, écrasée par ses frères : Henry l’écrivain (La vertu même de la femme la disqualifie pour toute dignité didactique. L'étude et la sagesse ne sont pas faites pour elle.) et William le psychologue qui voyait en elle une collection de symptômes, après l’avoir sûrement désirée dans son adolescence.

    *

                Un cahier photos de deux pages orne le Journal d’Alice James. Dans mon exemplaire, il est à l’envers.

                Après l’avoir lu, on range ce livre dans un élégant boîtier où lui tient compagnie un carnet de notes baptisée féminaire illustré du Portrait de jeune fille de Berthe Morisot. A peine as-tu le droit de lire Alice James si tu es un homme.

    *

                Jamais pu aller jusqu’au bout d’un roman d’Henry James (qui s’opposa à la parution du Journal de sa sœur, lequel ne fut publié pour la première fois qu’en mil neuf cent trente-quatre aux Etats-Unis).

    Partager via Gmail Yahoo!

  •             Celle que je rejoins à Paris ce samedi matin m’attend cachée derrière un pilier de la gare Saint-Lazare et lorsqu’elle me propose d’aller faire un tour à Belleville je dis oui. A la sortie du métro, nous avons l’oreille attirée par des percussions. Devant une épicerie chinoise se tiennent des ressortissants de ce pays en tenue jaune et y allant fort sur les tambours. Les accompagnent un dragon et deux autres animaux fantastiques et souples, entre le panda et la chenille. La cérémonie est assez mystérieuse, on y fait claquer des chapelets de pétards puis l’une des bêtes est aguichée par une laitue accrochée au bout d’une ficelle pendant d’un long bâton et finit par la dévorer. Des enveloppes rouges contenant de l’argent sont alors remises à la troupe par les épiciers. J’ai déjà vu ça il y a longtemps dans le treizième arrondissement où habitait mon frère Jacques avant qu’il n’aille mourir à La Rochelle. Pour celle qui me tient la main, c’est une première qui la ravit.

                Manger chinois (comme on dit) s’impose, ce que nous faisons au Da Lat, rue du Faubourg du Temple, vaste salle surtout fréquentée par les gens venus d’Asie. Nous optons pour le menu rôtisserie (porc caramélisé, canard laqué), avec en entrée une soupe de beignets de crevettes et pour le dessert, soit une salade de fruit « de la boîte » soit un flan au coco « comme à la maison », nous dit l’honnête restaurateur, vingt-cinq euros pour deux. Nous accompagnons ce bon repas d’un cruchon de vin rouge du Gard peu onéreux.

                A l’issue de ce repas, c’est Aux Folies (anciennement café théâtre), rue de Belleville, que nous prenons un café et un thé à la menthe dans une déco vrai faux vieux comme je les aime, avant que la pluie ne nous conseille de rentrer aux Amiraux.

    *

                Le vide grenier d’hiver ça existe à Paris et ce dimanche c’est rue Ordener où nous baguenaudons au matin. En revenant, dans une petite rue parallèle, nous croisons une équipe de tournage, caméra à l’épaule. Un homme a la main posée sur une Autolib’. Une jeune femme s’étonne : « Tiens, tu as acheté une voiture ? »

                Pas encore vu d’Autolib’ roulant et peu de parquées. Deux sont garées près de chez elle, dont l’une a la vitre arrière pulvérisée.

    *

                Dimanche après-midi, tentative de visiter avec elle Danser sa vie au Centre Pompidou et renoncement pour cause de file d’attente interminable. Ce n’est pas que la danse attire, c’est que sont mêlés celles et ceux qui viennent là pour cette exposition avec ceux et celles qui veulent voir l’exposition Munch. Manque de personnel sans doute. On a sorti le vigile noir que suppose le risque de rouspétance. Il est là pour dire que c’est comme ça et pas autrement. Je suggère à celle qui m’accompagne d’essayer de passer par le restaurant. Peine perdue, un jeune cerbère féminin, nous dit que soit elle nous conduits à une table, soit dehors. Plus qu’à se rabattre sur la collection permanente.

    *

                Lundi en solitaire, elle repartie au travail et à Clermont-Ferrand, j’erre fatigué après une nuit de peu de sommeil. Vers le milieu de l’après-midi, je trouve refuge Chez Léon où je termine la lecture du Journal d’Alice James (Editions des Femmes). Il y a là une jeune femme musicienne qui explique qu’elle va jouer ce soir pour les quatre-vingts ans de Michel Legrand, que j’ai toujours trouvé vieux, alors qu’il n’a que vingt ans de plus que moi. Les deux serveuses font le tour du répertoire de l’octogénaire. Quand elles en sont aux Parapluies de Cherbourg, il se met à pleuvoir. J’exagère à peine.

    *

                Le train de retour se traîne. Un homme chauve y lit Le Figaro puis sort d'une sacoche un Livre de Poche : Guide de l’ado à l’usage des parents. Le branlotin ou la branlotine n’a qu’à bien se tenir.

    Partager via Gmail Yahoo!

  •             Vendredi soir, au dernier rang des fauteuils d’orchestre, juste devant les sommités socialistes de la Culture qui jouent la surprise de se retrouver là au rang réservé, pas loin de Frédéric Roels, Directeur de l’Opéra de Rouen, j’ois la Missa Solemnis de Ludwig van Beethoven, œuvre monumentale jamais jouée entièrement du vivant de son auteur.

                Tout l’Orchestre est à la manœuvre. Le Chœur du Conservatoire donne puissamment de la voix derrière. Devant s’expriment les quatre excellent(e)s solistes : Polina Pasztircsák (soprano), Christine Solhosse (alto), Gilles Ragon (ténor) et Arnaud Richard (basse). Oswald Sallaberger, l’ancien Chef toujours présent, dirige avec énergie cette grosse machine (une heure trente sans entracte et ça dépote), il finit dans l’état du coureur de marathon, épuisé et tout rouge. Les applaudissements sont aussi nourris que longs. Ludwig van a fait du bon boulot. Il doit être assis à la droite de Dieu.

                Deux incidents ont fait le sel de la soirée : le pupitre d’Oswald s’enfonçant et qu’il doit revisser, le branlotin chanteur se levant lorsque ce même Oswald invite le chef de chœur Pascal Helliot à le faire.

    *

                Un flayeur (comme on ne dit pas dans la maison) annonce que l’Orchestre de l’Opéra de Rouen Haute-Normandie sort son premier cédé. Commencer à s’intéresser au cédé au moment où celui-ci disparaît, c’est la  pratique rouennaise constante qui veut qu’on s’y réveille toujours trop tard.

    *

                La dernière fois qu’on a vu l’actuel chef de l’Opéra de Rouen, Luciano Acocella, en concert, c’était le seize décembre dernier. On le reverra le vingt-deux mars prochain. Dans le dépliant envoyé aux abonné(e)s, il répond aux questions que lui pose sa propre maison :

                « - Quelle impression la ville de Rouen vous fait-elle ?

                - C’est une ville de contes de fées : l’architecture à colombages, le Gros-Horloge, tout cela me donne l’impression d’être dans l’univers de Cendrillon ! »

                Ce qu’on appelle des propos de touriste.

    Partager via Gmail Yahoo!

  •             Très bonne nouvelle ce jeudi, l’Etat français (et à travers lui Sarkozy, Hortefeux, Besson, Guéant et les autres) vient d’être condamné par la Cour Européenne des Droits de l’Homme pour l’enfermement des enfants Popov au Centre de Rétention de Oissel, une affaire que j’avais suivie de près et chroniquée dans ce Journal du huit au quatorze septembre deux mille sept. J’écrivais notamment ceci :

             Comme toutes les mauvaises actions, celle d’emprisonner des enfants doit restée discrète et même quasiment secrète. Heureusement qu’existent quelques associations pour dénoncer cela.

                A Oissel, près de Rouen, se trouvent la petite Véronique (trois ans et demi), son frère Geoffrey (six mois) et leurs parents Yekatarina et Vladimir Popov, envoyés là par la Préfète des Ardennes, Catherine Delmas-Comolli. Dans un communiqué à la presse, le Réseau Education Sans Frontières parle de « rétention indigne et sordide » : « Yekaterina n'avait eu ni lait Guigoz deuxième âge ni couches ni change pour le petit Geoffrey (six mois, mais stature dix-huit mois) avant l’intervention ce jour de militants du Réseau Education Sans Frontières de Rouen. Véronique, qui devrait être dans sa classe de maternelle à Andigné (Maine et Loire), est terrorisée par une policière qui menace chaque jour sa mère de lui enlever ses enfants et ne mange plus. »

                Cette famille fut l’objet de l’acharnement du pouvoir en place. Elle dut même entrer un moment dans la clandestinité avant d’être enfin régularisée et d’attaquer la France en justice devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Celle-ci lui a donné raison, lui octroyant dix mille euros pour dommage moral.

                Dans les attendus du jugement, on trouve au point quatre-vingt quinze la description du lieu où sont enfermés les enfants à Rouen-Oissel : « pas de lits pour enfants et des lits adultes avec des angles en fer pointus, aucune activité destinée aux enfants, petit espace de jeux très sommaire sur un bout de moquette, cour intérieure bétonnée de 20 m² avec vue sur un ciel grillagé, grilles au maillage serré aux fenêtres des chambres, ne permettant pas de voir à l’extérieur, fermeture automatique des portes des chambres, dangereuses pour les enfants. »

                C’est là qu’a été emprisonné récemment Amara, huit ans, pendant deux jours et deux nuits, avant d’être libéré par la Juge administrative. Il y a oublié son cartable.

    *

                A l’annonce de la bonne nouvelle, Grand Rouen donne la parole à l’avocate Cécile Madeline du cabinet Eden (c’est son confrère Nicolas Rouly du même cabinet qui plaidait à Rouen pour les Popov en deux mille sept). « Avec cet arrêt, ils ne vont plus oser », espère-t-elle.

     

    *

                A propos d’Amara  et de son père, le joueur de foute professionnel Habibou Traoré, j’ai été contacté par un journaliste de la région de Romorantin, un article va paraître là-bas vendredi prochain, et par le site Sharkfoot.fr qui va enquêter sur les joueurs que certains cleubes français font venir d’Afrique et ce qu’ils deviennent quand on n’a plus besoin d’eux.

    Partager via Gmail Yahoo!

  •             Par quelle fatalité quand on est contre le mauvais sort fait aux étrangers en France ou contre les centrales nucléaires est-on condamné à devoir côtoyer les politiciens d’extrême gauche et rien qu’eux dans les rassemblements ou manifestations, au point qu’on pourrait croire que tous ceux du centre, de la droite non sarkoziste et de la gauche sont xénophobes et ne se soucient pas d’être irradiés.

                La dernière fois, c’était vendredi à la Mairie de Rouen où il s’agissait d’obtenir un logement pour une famille de Sans Papiers qui dormait dans la rue. On ne m’y reprendra pas de sitôt. J’ai aussi peu de plaisir à fréquenter les trotskystes que les mormons d’à côté de chez moi.

                Les autres, je m’en tiens à distance, indifférence aux socialistes, aux centristes, aux gaullistes, et détestation des deux extrêmes droites, la sarkoziste et la lepeniste. Autant dire que je me désintéresse de l’actuelle campagne électorale. Hollande sera élu Président si Sarkozy est candidat. Il le sera peut-être aussi si c’est Fillon ou Juppé, hypothèse que j’ai hasardé il y a longtemps, et ça ne changera pas grand-chose.

                Localement, si Hollande est élu, la Maire de Rouen, Valérie Fourneyron, deviendra Ministre des Sports comme je l’avais prévu. Pour qui en douterait encore, elle est l’invitée des Etats Généraux du Renouveau organisés à Grenoble le dernier ouiquennede de janvier. Elle fera face à l’ancienne Ministre des Sports Chantal Jouanno sur le thème « Le sport est-il de droite ou  de gauche? », l’une des deux questions que je me pose depuis ma prime enfance, c‘est dire si j’attends la réponse. L’autre question qui me taraude depuis toujours, c’est de savoir si les anges sont de sexe féminin ou masculin, mais même les mormons mes voisins ne le savent pas.

    *

                Rouen, café Le Socrate. Une mère parlant de ses enfants : « Carole m’a fait une angine. » « Marceau m’a fait une otite. » C’est donc à elle qu’ils s’en prennent quand ils sont malades.

    *

                Deux mecs avec un chien qui passent sous ma fenêtre à six heures du matin. L’un d’eux : « Non mais elle je l’ai pas baisée, elle faisait trop la petite fille avec des gros seins, j’ai pas pu la baiser. »

    *

                Une ardoise dans la rue devant un restaurant : « Avez-vous pensé à nos salades composées ? »

                J’avoue que non.

    Partager via Gmail Yahoo!

  •             Mardi soir, après une journée emplie de soucis dont le plus inquiétant est une douleur oculaire peut-être due à un excès de présence devant un écran d’ordinateur mal réglé, je prends la route et me gare non loin du Trianon Transatlantique de Sotteville-lès-Rouen où m’appelle le concert d’L, chanteuse mal nommée dont la réputation est parvenue jusqu’à moi.

                La voici, en rouge (bouche et chaussures) et noir (mini robe et jambières à dentelle), ses cheveux roux la font sortir d’un tableau de Toulouse-Lautrec ou d’Edward Munch, L commence avec une chanson mettant en valeur son léger chuintement, Château-Rouge, (et je pense à celle qui habite le dix-huitième arrondissement de Paris et que j’aimerais avoir à mon côté). Derrière L, s’expriment une musicienne et trois musiciens à l’apparence banale qu’on pourrait croire avoir été choisis au hasard dans le public où les moins de trente ans sont rares. Ils jouent sans étincelles mais qu’importe il y a L.

                L a une jolie voix et sait s’en servir. L n’est pas prétentieuse et a des airs de fausses timides, mais L en est peut-être une vraie. L sait écrire et interpréter sans en faire trop. De temps en temps, L offre une reprise : Cocaïne de je ne sais qui et une chanson de Lhasa. L évoque en anglais New York et l’arbre à souhaits de Yoko Ono au MoMa (et je songe à celle qui organise son prochain départ pour là-bas). Le mieux, à mon goût, c’est quand L chante la Meuse de son adolescence, assise en bord de scène avec sa grand-mère et les corbeaux. C’est avec la magnifique Petite évoquant à demi-mot d’amour le sort de qui n’a pas de papiers qu’L achève son tour de chant, comme on disait autrefois, et c’est de cet autrefois-là qu’L vient, tout autant que du dix-huitième arrondissement.

                En bonus, c’est a capella Du gris de Berthe Sylva qu’L chante majestueusement et s’achève cette bonne soirée d’où je repars un peu moins soucieux (grâce à L).

    *

                Ma p'tite ma douceur/ Je me souviens de tout/ Ces talons crève-cœur/ Et l'odeur de ton cou/ Les trottoirs qui luisaient/ Parce qu'il avait plu/ Ta peau de nacre noir/ La courbe de ton cul

    Partager via Gmail Yahoo!





    Suivre le flux RSS des articles
    Suivre le flux RSS des commentaires