•             Je n’ai presque plus de vœux, de souhaits, de désirs, -tout au plus des envies momentanées qui meurent à peine nées, ceci s’applique aussi aux soucis. Le regret, les « remords », le sentiment de culpabilité, l’envie, la jalousie -choses qui me sont de tout temps totalement inconnues ; qu’il faut croire le partage du seul bétail ; une compassion immense et torturante pour les animaux, maîtrisée cependant à 90% ; pour les hommes –à peu près aucune ; mais je ne suis rien moins que misanthrope, -au contraire, à ma manière particulière, j’aime bien les humains –comme aussi les poux.

                Voilà ce que déclare Ladislav Klima dans ses Ecrits intimes, 1909-1927 publiés sous le titre Tout par les Editions de la Différence, livre acheté à la bouquinerie rouennaise Le Rêve de l’Escalier, où l’on trouve effectivement tout, et lu en deux heures ce mercredi au bar rouennais Le Socrate, bien qu’il n’ait pas moins de huit cent vingt-neuf pages, c’est que j’en saute beaucoup.

                On peut dire que Ladislav Klima est mal connu en France. Ouiquipédia le présente comme un philosophe et écrivain tchèque influencé par George Berkeley, Schopenhauer et Nietzsche, mis au ban de tous les établissements d'enseignement de l'Empire autrichien, vivant tour à tour comme rentier, conducteur d'une machine à vapeur, gardien d'une usine hors service, fabricant d'un ersatz de tabac, dramaturge, journaliste et mourant à Prague en mil neuf cent vingt-huit, ignoré de la plupart de ses compatriotes, sujet de scandale pour d'autres, auteur culte pour un petit nombre.

                Ladislav Klima est l’inventeur de la suréthique, concept philosophique amoral et libertaire, pouvant se résumer à cette proposition : « Fais systématiquement ce qui est interdit. ». Cela est attirant, mais je suis déçu à la lecture des textes rassemblés dans ce Tout, un vrac de notes éparses dont beaucoup sont incompréhensibles avec en leitmotiv la lutte de l’auteur contre son aboulie et son alcoolisme.

                Je crois que Ladislav Klima a pleinement sa place dans la catégorie des Fous Littéraires (chère à André Blavier) et il est méritoire aux Editions de la Différence (qui en l’occurrence portent bien leur nom) de s’être lancées dans la publication de ses œuvres complètes (j’ai aussi acheté sa Correspondance au Rêve de l’Escalier, publiée sous le titre Dieu le ver).

                Toutefois, dans l’océan de pensées incohérentes et d’écritures dénuées de signification surnagent quelques éclairs de lucidité, ainsi lorsque Klima s’interroge sur la philosophie :

                La philosophie a d’abord posé la question du sens du monde ; puis la question de savoir si le monde a le moindre sens. Puis la question du sens du concept de « sens ». Suivie de celle de savoir si ce sens-là a à son tour la moindre existence. Désormais la philosophie ne questionne et ne questionnera jamais plus.

                Je trouve aussi dans ce Tout quelques aphorismes bien venus :

                La parenté du singe et de l’homme est incontestable, mais la paternité du singe est sujette à caution ; l’évolution a pu aussi se faire en sens inverse.

                A la vue courte qui n’a pas le bras long.

                Rien n’attire autant les gens que le mépris qu’on leur voue.

                Même pour l’écrivain le plus stupide, la meilleure lecture est celle de ses propres écrits…

    *

                Mes voisines de table au Socrate sont deux lycéennes échappées de Saint-Saëns. Elles dialoguent sur l’amour (comme on appelle ça) :

                -Imagine que ton futur copain, il est peut-être en train de naître là maintenant.

                -Mon futur copain ?

                -Ben oui, pour plus tard, quand tu seras une cougar.

    *

                A une autre table, deux femmes parlent du directeur de leur société. J’entends qu’il est un peu raide avec sa secrétaire. Ça arrive quand on travaille avec une jolie fille.

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  •             Le rendez-vous est ce mardi à midi devant la Préfecture de Rouen et je m’étonne d’y être seul quelques minutes avant l’heure indiquée. Comme l’église Sainte Madeleine (dite de la Madeleine) est ouverte, j’y entre et en fais le tour, le temps de constater qu’elle est aussi laide intérieurement qu’extérieurement. Il y fait presque aussi froid que dehors sauf dans la cage en verre à radiateur électrique où s’entretiennent une femme âgée et un curé en uniforme.

                Quand je ressors, le parvis est toujours désert, mais arrive l’envoyé spécial de Grand Rouen, il se renseigne avec son téléphone. « C’est devant la Fac de Droit » m’apprend-il.

                En effet, une poignée d’étudiants se trouve là, en majorité des Africains, portant des pancartes de la Confédération Etudiante et de l’Unef, dans la froidure. Certains de leurs semblables, plus nombreux et indifférents, occupent le trottoir d’en face, attendant de pouvoir entrer dans la boulangerie qui débite des sandouiches à la chaîne. Je discute un peu avec l’une de mes connaissances, le seul prof d’Université présent, venu du Madrillet.

                Ces étudiants protestent contre le sort qui leur est fait pendant leurs études et surtout après, quand on leur dit retourne dans ton pays, le Ministre de l’Intérieur Guéant mettant en pratique la préférence nationale chère à Le Pen (père), ce qui lui a valu d’être nommé membre d’honneur du Front National par Le Pen (fille).

                Sur l’une des pancartes, on peut lire « Avec la circulaire Guéant, Marie Curie n’aurait pas découvert le radium ». Fâcheux exemple, me dis-je, ne m’attardant pas davantage.

    *

                Etrange comportement du maître de Guéant, le Tout Puissant de la République Sarkozy, assuré d’être battu à la prochaine présidentielle et décidant ce qu’il appelle des réformes pour après l’élection. Il me fait songer à ces volailles au cou tranché qui continuent à courir.

    *

                Moins dangereuse que l’extrême droite mais assurément aussi bête, l’extrême gauche (si j’en juge par ses représentants locaux). Avec la première, je serais vite en taule. Avec la seconde, je ne couperais pas au camp de rééducation.

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