• Ce vendredi, après avoir été tôt réveillé par la pleine lune éclairant la chambre blanche et un excellent petit-déjeuner, je prends la route de Cournon-d’Auvergne, ville jouxtant Clermont-Ferrand. J’y ai rendez-vous avec Elise. Il y a un certain nombre d’années, quand elle était lycéenne, elle s’occupait du ménage de mon appartement rouennais. Depuis quelques temps, elle vit ici et y est même propriétaire.

    Je visite le vieux Cournon, le seul endroit de la ville qui mérite d’être vu, mais ne peux entrer dans la belle église romane Saint-Martin car c’est jour d’enterrement. Je me rabats sur le Café de la Maire où, tournant le dos à une télé musicale, je lis La Montagne. Sur une page entière, on y narre la remise du prix Alexandre-Vialatte à Jean-Paul Dubois pour Le Cas Sneijder. L’article est illustré de nombreuses photos de la cérémonie. On y voit des vieux écrivains (dont Denis Tillinac), des vieux éditeurs, des vieilles chroniqueuses de radio et, pour faire baisser la moyenne d’âge, la jeune romancière Cécile Coulon. On y voit aussi le récipiendaire, moins fringant que sur la photo accompagnant la publicité pour son livre quelques pages avant. Au Café de la Mairie, le café est à un euro.

    A l’heure convenue, j’attends Elise place Gardet et nous allons déjeuner à l’Hôtel du Midi où l’on propose de la morue à la lyonnaise, dite aussi brandade de morue. C’est bon et ça permet de discuter, de savoir un peu ce qu’on l’on devient et ce que l’on pense. Cette conversation se poursuit dans son appartement en travaux, pas loin du Café de la Mairie. Avant qu’elle ne parte en ouiquennede plus au sud, elle me dessine un plan afin que, sur son conseil, j’aille faire un tour sur le plateau de Gergovie, mais c’est un autre chemin que j’emprunte, évitant l’autoroute, par Le Cendre et Orcet.

    Sous un ciel noir, je parcours une partie de ce plateau historique. C’est un peu comme faire le tour d’une île, le bruit de la mer étant remplacé par celui de Clermont-Ferrand dont j’aperçois la Cathédrale noire. Je photographie la ville et le lointain Puy-de-Dôme.

    Je ne suis qu’à quelques mètres de ma voiture quand tombent les premières gouttes de ce qui s’avère être un bel orage. Je redescends dans la vallée tandis que cyclistes et marcheurs à bâtons se hâtent vers des abris, et je sais ni comment ni pourquoi, je me perds, allongeant ma route du retour à Olliergues d’une bonne vingtaine de kilomètres, ce que c’est que de n’avoir pas près de soi sa copilote expérimentée.

    *

    Mourir foudroyé sur le plateau de Gergovie, ça aurait de l’allure, me suis-je dit (mais pas maintenant).

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  • Jeudi matin tout en déjeunant somptueusement, je discute de la vie de la région avec mon hôtesse évoquant notamment Cunlhat (prononcer Quin-Ya) et Maurice Pialat.

    -Oui, me dit-elle, c’est là qu’il a tourné Le Garçu, avec l’autre, là, le gros, celui dont on se moque parce qu’il est tout le temps entre deux vins.

    -Depardieu ?

    -Oui, Depardieu, il logeait chez une de mes collègues là-bas. Il a dessiné sur les murs de la chambre et écrit son nom partout. Il lui a dit vous devriez être contente d’avoir mes dessins et mon nom sur vos murs, Vous parlez si elle était contente. Ah, Depardieu,  il leur en a fait voir aux autochtones !

    Après ce bon moment, je file à Billom, ville chère à mon cœur pour deux raisons ayant trait à l’amour. C’est là qu’est né Georges Bataille mais il n’a droit ni à place ni à rue et je ne pense pas que ce soit prévu pour le cinquantième anniversaire de sa mort en juillet prochain. Je parcours à nouveau les rues médiévales et entre dans l’église gothique Saint-Cerneuf où me retiennent une mise au tombeau en pierre et l’immense tableau du dix-neuvième siècle signé Detrez Jésus guérissant les possédés. Hors de cette vieille ville, dans la rue où je me suis garé, les bistrots minables aux clients assortis (dont l’un porte une veste avec un Indien dans le dos) ne me donnent pas envie de m’attarder. Je reprends la route, direction Saint-Dier-l’Auvergne où à l’aller j’ai repéré un restaurant nommé Chez Julie. En chemin, je m’arrête à Mauzun pour voir de près les ruines du château perché sur la colline et apprends que l’endroit est privé.

    J’entre Chez Julie et y découvre derrière le bar une jolie fille à qui je demande quel est le menu du jour. Elle ne sait plus très bien, me parle d’olivade de porc. Je réserve une table et en attendant midi, fais le tour du village où coule le Miodet. Je photographie l’église fortifiée et lui faisant face la Maison du Peuple, toute rose. « C’est un immeuble d’habitation », me dit une mère allant chercher son moutard à l’école. Elle ne sait pas ce que c’était avant. Je pense qu’il s’agissait d’un lieu de réunion politique de gauche, pas étonnant qu’on trouve près du pont une affiche de Jean-Luc Mélenchon « Prenez le pouvoir », « Attention c’est show » lui répond celle d’un autre comique, Roland Magdane, la côtoyant (il donnera spectacle à Ambert le quatre mai). L’un des deux habite en Corse, je lui ai vendu un livre il y a quelques mois.

    Chez Julie, pour douze euros, vin et café compris, je mange pâté de foie salade, carbonnade de bœuf (excusez-moi, je me suis un peu trompée tout à l’heure, me dit la serveuse que tous les ouvriers trouvent charmante), choix de fromage de la région (moins celui qu’elle fait tomber devant moi « ça y est la catastrophe est faite ») et tarte au citron meringuée. Je sors de là repu après avoir réglé la note à Julie la patronne, la serveuse étant malheureusement restée anonyme.

    *

    Trois étapes l’après-midi avant de rentrer à Olliergues :

    Domaize, village où l’on trouve une Bibliothèque Epicerie et toutes sortes d’animaux à long poil dans les prés.

    Après Tours-sur-Meymont, la chapelle Saint-Just, jouxtée d’une voie ferrée désaffectée et de la Dore.

    Giroux-Gare où près d’une papeterie en activité se corrodent vieux wagons et vieilles locomotives dont je fais d’un peu loin des photos qui plairont à New York. « C’est à un ferrailleur, il aime pas qu’on entre chez lui » me dit un indigène.

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  • Le château d’Olliergues sur lequel donnent les fenêtres de ma suite est éclairé toute la nuit. Il a appartenu à la famille du maréchal de Turennes.  Au petit matin, lorsque la lumière s’éteint, c’est la grisaille ce mercredi. La pluie est annoncée pour la journée. La période de très beau temps semble terminée. A sept heures et demie, je descends et me trouve face à une table débordante de nourriture. Pendant que l’hôtesse me presse des oranges, j’en fais l’inventaire : viennoiseries, pains divers, une quinzaine de confitures, sept ou huit miels, du beurre de Guérande  des yaourts, de  grandes coupes  de salade de fruits, ça c’est pour le petit-déjeuner, S’y ajoutent : fruits, jambons, saucissons, pâtés et fromages du pays en nombre, ça c’est pour emporter. Des petits déjeuners de chambres d’hôtes, j’en ai vu beaucoup et des copieux, mais comme celui-là jamais. « N’hésitez pas, prenez tout ce que vous voulez, j’ai du papier d’alu pour emballer » me dit la dame aux grandes lunettes.

    Elle m’explique que la belle usine nichée dans une courbe de la Dore faisait dans la mécanique de précision, surtout dans la tondeuse pour cheveux. Elle a déposé le bilan. Quelqu'un l’a rachetée, qui a mis des capteurs solaires sur les toits et qui la loue pour entreposer des meubles ou des caravanes. Enormément de maisons sont à vendre à Olliergues depuis la fermeture de cette usine, me dit-elle. L’une d’elles, de trois étages, qu’elle me montre par la fenêtre vient d’être achetée douze mille euros seulement sur Le Bon Coin par quelqu’un qui ne l’avait vue qu’en photo, mais tout est à refaire à l’intérieur.

    Rassasié, emportant de quoi me nourrir le soir, je remonte dans ma chambre et parle un peu avec celle qui devrait être là avec moi et que j’ai sortie du sommeil à New York. Elle est toute contente d’avoir rencontré Vito Acconci et de travailler ponctuellement pour son projet « Building Hair" (des bâtons lumineux sur un toit de building transformés en chevelure par le vent).

    Que vas-tu faire aujourd’hui ? me demande-t-elle. Découvrir l’un des villages alentour, lui dis-je.

    Ce sera Cunlhat. J’y arrive en plein marché. Il y règne une animation d’hommes à casquette, de femmes à plastique sur la tête et d’anciennes babacoules en jupe paysanne. Le garde-champêtre, sorti d’un film de Tati, passe toucher la redevance des marchands installés près de l’église dans laquelle j’entre. Il y fait si sombre que j’ai du mal à trouver la porte quand je veux ressortir. On peut au marché de Cunlhat acheter une pondeuse pour dix euros, mais qu’en ferai-je. Remontant vers ma voiture, je découvre la place Maurice-Pialat dont je fais une photo. A l’Hôtel Restaurant du Commerce, le plat du jour est de la langue de bœuf, ce pourquoi je préfère retourner à Olliergues cher Migeon et Fils où l’on propose du tendron de veau.

    Les tendrons, j’ai toujours aimé ça.

    *

    Pialat est à sa place à Cunlhat, il y est né, apprends-je par Ouiquipédia. Je ne sais jusqu’à quand il y vécut mais à l’âge de vingt-sept ans il y tourna Congrès Eucharistique Diocésain qui n’est pas son film le plus connu.

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  • Au matin de ce mardi, pendant le petit-déjeuner que je prends avec mes hôtes et un ami à eux, j’apprends que j’ai dormi à Saint-Priest-la-Vêtre et que l’accordéoniste de la veille était leur fille, élève de Cé Aime Deux. Nous devisons agréablement puis je me rends au jardin clos de murs afin de capter Internet.

    Mon premier objectif est de visiter Thiers, capitale de la coutellerie. Elle est sur le déclin, mais les boutiques de marchands de couteaux sont encore fort nombreuses. Il y a même un endroit où l’on peut monter son couteau soi-même. Un homme cherche à m’y attirer voulant faire de moi un bricoleur et peut-être ensuite un assassin.

    Je déambule un moment dans les rues pentues, trouvant Thiers austère, puis reprends la route vers le sud en direction d’Ambert, ville bien connue pour sa fourme. C’est ainsi que je découvre Olliergues, village qui mériterait d’être l’un des Plus Beaux de France, dont je fais des photos depuis le  belvédère, notamment de l’usine désaffectée nichée dans une courbe de la Dore. Elle plairait beaucoup à celle qui n’est pas avec moi. Je décide de m’arrêter là.

    Pour la première fois, je suis redevable au Guide du Routard d’une bonne adresse où manger. On atteint l’Hôtel Restaurant Migeon et Fils en grimpant une longue volée de marches. « Ça va vous faire de l’exercice » m’a dit la boulangère qui est sortie de sa boutique pour me montrer le chemin. Le menu est à douze euros, entrée, plat, fromage, dessert et vin, servi sur des nappes à carreaux rouges et blancs, serviettes assorties, dans une salle avec vue, décorée d’une collection de poupées disparate et d’une poule et d’un faisan empaillés. La clientèle c’est les gars du coin, une famille à gamine qui court partout et moi. Le patron fait le service au bar, la patronne fait le service en salle, le fils et sa femme font sans doute la cuisine, leur bébé fait des apparitions.

    Je déjeune excellemment de pâté, de lapin aux pommes de terre, des fromages de la région (fromage des montagnes, fourme d’Yssingeaux, Saint-Nectaire) et d’une grosse part de gâteau pommes et noix, abusant un peu du bon vin, ce qui me conduit à visiter le village à fond avant de repartir vers Ambert où j’espère loger chez une dame anglaise.

    Las, la chambre qu’elle me propose est petite. S’y trouvent deux lits jumeaux laids et aucun bureau pour poser mon ordinateur. J’ai l’impression qu’elle me donne la chambre la moins bien parce que je suis seul. C’est la première fois que cela se produit. Je dis non à la dame et me rends au-dessus de la ville, à Job où une vieille dame charmante regrette de ne pas avoir la ouifi. Elle m’aide à trouver mon bonheur ailleurs, me prêtant son téléphone et c’est ainsi que je reviens à Olliergues.

    La maison d’hôte que j’avais snobée le matin pour sa façade quelconque s’avère bien plus intéressante à l’intérieur. Me voici logé dans une vraie suite, avec tout le luxe afférant, pour quarante euros la nuit. Elle offre de plus une vue superbe sur le château. Par la fenêtre ouverte, j’entends les enfants de l’école maternelle qui crient et un âne qui braie.

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    L’Hôtel Restaurant Migeon et Fils à Olliergues, un lieu comme on n’en voit presque plus, indiqué nulle part, hors de la grand route, dont les prix sont plus que raisonnables, on peut y dormir pour vingt-cinq euros. Fasse que la famille reste aux commandes.

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    Une fois encore, je constate comme en Auvergne on est spontané et serviable. Le bonjour ou le bon appétit ne sonnent pas faux et quand je demande un renseignement, on quitte sa boutique pour me montrer le chemin, on me prête son téléphone pour appeler une chambre d’hôtes ou on propose de m’emmener en voiture jusqu’à l’autre bout du village.

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  • Dernier petit-déjeuner ce lundi matin en compagnie de l’aimable hôtesse de la Ferme de la Tour à Villard-Saint-Pancrace,  je lui règle son dû, cent huit euros pour trois nuits, c’est vraiment un bon prix. Ma voiture démarre comme si elle allait bien. Je prends la route qui mène à Grenoble. Pour ce faire, je grimpe le col du Lautaret, entouré de grandioses montagnes enneigées dont je fais quelques photos. La descente est assez flippante avec des tunnels étroits et sombres pas faits pour qui comme moi n’y voit pas bien la nuit. Heureusement, je n’y croise personne. Je suis désormais en Isère et l’arrivée sur Grenoble ne me plaît guère. Cet interminable couloir de montagnes sans neige m’oppresse. L’Isère, misère, me dis-je, estimant que le moment est peut-être venu de rentrer à Rouen, d’autant que quelques nuages sont apparus.

    Je passe Grenoble, cherche Vienne, m’égare, me retrouve sur la route d’Annonay, content d’être en Ardèche. Elle est toute sèche. A un rond-point, un restaurant affiche un « Changement de propriétaire » et un menu à treize euros, boisson et café compris. Je me gare sur son parquigne déjà bien occupé par des camions. A l’intérieur hormis les serveuses, c’est cent pour cent masculin, et chose rare sans télévision et sans radio. J’y mange bien : buffet d’entrées, saucisse accompagnée de choux et de lentilles, tiramisu, et en repars sans même savoir son nom.

    Je suis sur la route de Roanne. Il fait beau à nouveau mais la route est triste. Je vois le Massif Central au loin sur ma gauche. Arrivé à Feurs, je bifurque avec l'envie de continuer mes vacances.

    C’est ainsi que j’arrive dans un hameau de la Loire, pas loin du Puy de Dôme, ayant suivi une pancarte « Chambres d’hôtes ». Je ne sais pas comment s’appelle l’endroit où je vais passer la nuit. Il y a une faible ouifi mais dans le jardin entouré de murs de pierres, ça passe mieux. C’est ici que j’écris. Au-dessus de ma tête, j’aperçois une demi-lune sur fond bleu. Dans mes oreilles, j’ai des airs de musique échappés d’un accordéon dont joue l’hôte ou l’un de ses voisins : Bambino, La Bohème

    *

    Pour trouver cette chambre, je me suis fait aider par une jeune femme qui débroussaillait son jardin. « Ce sera à droite après le bidule vert » m’a-t-elle dit. Plus tard, je songe que c’était la première fois depuis longtemps que j’entendais prononcer ce mot : bidule, qui était il y a je ne sais combien d’années sur toutes les langues (comme on dit). Pourquoi a-t-il disparu ?

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  • Du monde au petit-déjeuner ce dimanche matin, ouiquennede oblige. A l’une des trois tables sont installés le couple de randonneurs d’hier et un jeune couple de skieurs qui ne rêvent que d’en découdre avec la neige restante. Tous les quatre sont en tenue adéquate, polaires et parkas de sports d’hiver. A la deuxième table se chamaillent les deux enfants d’une famille dont les parents sont surtout intéressés par le nom des confitures qu’ils mangent. A la troisième, c’est moi.

    Cela fait et après que ma voiture a accepté de démarrer, je m’engage sur la route du col de l’Izoard, lequel est fermé quelque part vers le haut. Mon intention est de rejoindre le village de Cervières, mais je le dépasse pour atteindre son hameau nommé Le Laus qui sert de point de départ pour les randonneurs et les skieurs. Le Laus est au soleil alors que Cervières est encore dans l’ombre, c’est la raison de mon choix. Je me promène alentour pendant presque trois heures, longeant le ruisseau qui dévale de la montagne, contournant les plaques de neige, atteignant une chapelle en réfection avant Les Oules que je ne verrai pas. En rebroussant, je croise des skieurs en tenue. Ils font des kilomètres sur l’herbe ou les pierres du chemin avant de trouver une neige skiable. J’ai envie de leur dire : « C’est foutu, tout a fondu » mais je me retiens. Je n’ai pas envie de recevoir un coup de bâton.

    Vers onze heures, je m’installe en terrasse à l’Auberge L’Arpelin et commande un diabolo menthe. J’écris à celle qui dort encore à New York et qui avait hier son premier coup de blouse puis je lis un peu de la Correspondance de Virginia Woolf et Vita Sackville-West tandis que le soleil tape de plus en plus fort. « Pas un nuage » remarque finement l’un de ceux qui boivent un verre à côté, « Les gens d’ici n’ont jamais vu un temps comme ça ».

    Je reste à cette auberge pour déjeuner de gigot d’agneau à la cheminée. On entend de l’extérieur le bois qui craque. Ce n’est certes pas donné, vingt-trois euros cinquante, mais très bon, avec pommes de terre et salade, et tellement copieux que j’ai l’impression dérangeante de manger la part de celle qui n’est pas avec moi.

    Un vieux couple qui n’a rien à se dire a choisi le menu, presque aussi cher que le gigot, et semble le regretter. « Le monsieur là-bas, il est déjà bien bronzé », dit-elle à son mari. Le monsieur, c’est moi. Je pourrais même dire qu’il a pris un coup de soleil.

    *

    Sur le local de la maison Orange, entre Cervières et Le Laus, un graffiti signé du symbole des anarchistes « Trop d’ondes ». Ce n’est pas moi qui m’en plaindrais de ces ondes qui me permettent un peu plus tard, via Skype, de voir que ça mieux du côté de New York.

    *

    Je désapprouve véhémentement ton intention de traverser la France en voiture. C’est quelque chose d’extrêmement dangereux… (Vita à Virginia, le quatorze mars mil neuf cent vingt-huit)

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  • Samedi matin, à huit heures, je petit-déjeune en compagnie d’un couple du Vingt-Six mais pas à la même table. L’hôtesse, sympathique et désordonnée, a dû sentir que la sociabilité n’était pas mon point fort. Ces deux courageux se renseignent auprès d’elle sur une longue et ardue randonnée permettant de rejoindre par une route militaire l’un des forts hauts perchés de Briançon. Je n’ai pas de telles ambitions.

    En voiture, je prends la route de la vallée étroite de la Clarée et me risque au plus loin jusqu’à la chapelle de Fontcouverte. On ne peut continuer. La route est barrée pour cause d’enneigement. Ce qui malheureusement transforme cet endroit en parquigne. Les randonneurs à bâtons sont nombreux à vouloir profiter d’une si belle journée. Je redescends à Névache, commune principale de la vallée, et m’y gare, parcourant les rues et les chemins à pied, ne croisant quasiment personne. J’entre dans l’église Saint-Marcellin qui possède un retable baroque assez impressionnant protégé par une barrière électronique. Une petite porte, sur la droite, est ouverte. C’est celle de l’ancien cachot d’une maison forte qui précéda l’église. Je m’y glisse. Elle cache un trésor d’objets liturgiques et d’art sacré protégé par une vitre. La ferme auberge en haut du village est également ouverte mais hélas on n’y sert pas de repas ce midi, me dit l’homme qui en sort.

    Il me faut redescendre jusqu’au bas de la vallée de la Clarée à Val-des-Prés pour trouver formule qui me convienne au Vach’tin. Seul en terrasse, je déjeune d’oreilles d’âne, goûteuses lasagnes aux épinards sauvages (lesquels auraient la forme des oreilles de l’âne) puis d’un bon parmentier de canard. Avec le quart de vin rouge et le café, on atteint vingt euros vingt, ce qui n’est pas donné mais correspond aux prix de la région.

    Sur la porte du Vach’tin, une affiche me rappelle qu’Une soupe aux herbes sauvages, le livre d’Emilie Carles a pour cadre la vallée de la Clarée. J’ai lu ce livre quand il a paru, histoire autobiographique d’une institutrice anarchiste, gros succès de librairie (comme on dit) après la prestation d’Émilie Carles, soixante-dix-huit ans, chez Pivot, un an avant sa mort. Emilie Carles est donc née à Val-des-Prés et y a été institutrice. Le restaurant vend le dévédé du téléfilm qui fut tiré de son livre, mais pas l’ouvrage lui-même, malheureusement, qui n’est cependant pas un grand livre.

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    L’après-midi, je fais un saut en Italie par le col de Montgenèvre. Je ne vais que jusqu’à Clavière, petite station de ski au nom français, dont je photographie la Casa Del Comune. Je n’ose m’engager plus loin. Ma petite voiture m’inquiète un peu, qui ne veut plus démarrer aussi bien qu’avant, pas envie de courir le risque de rester en rade loin de la frontière.

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    … ici, les gens ne lisent rien, c'est ça le désastre. Mon père que j'adorais était de cette race-là, il n'avait jamais lu un livre de sa vie, ni un journal. Je me souviens, au moment de mon mariage c'est une des choses qu'il avait reproché à Jean, il avait dit comme l'ultime preuve de sa bonne foi : « Il lit trop. » Emilie Carles (Une soupe aux herbes sauvages)

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  • La maison à ossature en bois n’a pas que des avantages, ainsi est-elle bruyante, le parquet craque, et sonore, j’entends ce jeudi soir jusqu’à vingt-deux heures la conversation des hôtes avec le couple qui dort également à Prelles au Brin de Paille et qui y dîne à table d’hôtes (pour ma part chaque soir je me contente d’une banane). J’apprends ainsi que ce couple de vacanciers est rouennais. C’est bien ma veine, me dis-je, espérant l’éviter au petit-déjeuner.

    Ce vendredi, je descends donc au plus tôt et ai heureusement le temps d’en terminer (le petit-déjeuner n’a rien d’extraordinaire mais le yaourt est biologique) avant que les Rouennais ne descendent à leur tour. Je réussis même à quitter la maison Brin de Paille sans les voir. « Ce sont peut-être vos voisins » me dit l’hôtesse quand je la paie (quarante-cinq euros, prix pour célibataire). « J’espère bien que non » lui réponds-je.

    Je prends la direction de Briançon, me gare à l’entrée, et par une longue montée qui passe devant le « Lycée d’Altitude » arrive à la vieille ville due à Vauban dont  je parcours les rues colorées et étroites, terminant ma visite par la Collégiale. J’évite les restaurants à fondues de cette ville haute mais ne trouve en bas que des restaurants à pizzas. L’espoir d’un menu ouvrier pourtant peint sur le mur de l’Hôtel Restaurant de la Gare s’envole quand la tenancière m’apprend qu’il n’y en a pas aujourd’hui mais que si je veux une pizza… Je continue ma recherche et opte faute de mieux pour un menu à treize euros aux Terrasses du Paradis où l’on me dit qu’on ne sert pas de vin en pichet, c’est la demi-bouteille ou rien, ce sera rien, c'est-à-dire de l’eau. La soupe épaisse est correcte bien que brûlante. Cela se gâte ensuite avec du jambon cuit qui ressemble à de la semelle grillée servi avec des frites surgelées. La salade de fruit finale est quelconque. De plus, je m’aperçois que les habitués en lieu et place du mauvais jambon ont droit à du canard. Lorsque je paie, je dis ce que je pense à la commerçante. Si le Paradis ressemble à ses Terrasses, il n’est pas utile de s’inscrire pour y entrer.

    Je prends un café au Central, écrit une lettre à celle qui est à New York depuis quatre semaines, lit la suite de la Correspondance de Vita et Virginia, puis retourne à ma voiture pour aller à quelques kilomètres de là. J’ai retenu une chambre d’hôtes pour trois nuits à la Riolette dans le village de Villard-Saint-Pancrace où l’école est décorée de calicots peints par des parents d’élèves qui refusent une fermeture de classe. « L’Ecole n’a pas de prix, elle n’a que des valeurs » dit celui qui donne sur la rue.

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    Briançon, la ville où toutes les lycéennes sont en pantalon, sauf évidemment l’anorexique.

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