• Ce jeudi, en début d’après-midi, je prends le volant pour la première fois depuis plus de deux mois et direction la vallée de l’Iton pour visiter ma fille et sa famille. Il pleut affreusement comme sans cesse en ce mois d’octobre, de quoi se faire peur quand on double un camion sur la fausse autoroute qui mène à Evreux dont le revêtement n’est pas adapté. La gratuité se paie.

    J’arrive sans problème, passe un bon moment puis fais la route dans l’autre sens, toujours sous la pluie.

    A l’arrivée à Rouen, cela coince devant l’église Saint-Paul, la faute à des travaux qui traînent, Je m’extrais de l’embouteillage, prends la bretelle à droite qui permet de passer rive gauche par le pont Mathilde. C’est seulement là qu’un panneau indique qu’il est impossible d’atteindre l’île Lacroix en empruntant le quai haut. C’est barré, la faute à une foire Saint-Romain de plus en plus sécurisée (comme ils disent). Je me rabats sur la file du milieu, fâcheuse initiative qui m’emmène sur le boulevard Industriel. Impossible de faire demi-tour, ce boulevard est totalement embouteillé dans l’autre sens. Je tourne à droite, me retrouve en terrain inconnu à Sotteville. Je repère néanmoins le boulevard de l’Europe, mais celui-ci est également embouteillé pour une raison que j’ignore. Je le franchis avec difficulté, rejoins le boulevard Clemenceau récemment réaménagé et donc totalement embouteillé. Je m’en sors en franchissant un feu rouge. Arrivé à l’entrée de Rouen à dix-sept heures, c’est à six heures moins le quart que je me gare dans l’île Lacroix sur un emplacement qui sera bientôt payant, trois quarts d’heure pour aller de Saint-Paul à l’île Lacroix, quelle ville de merde.

    *

    Rue Saint-Romain, une institutrice d’école privée à ses élèves : « Ici c’est la demeure de l’archevêque, le chef de l’église.

    Un élève :

    -C’est pas Dieu le chef de l’église ?

    « Dieu, c’est le chef suprême de l’église. », lui répond-elle.

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  • J’ai les clés et je prends le métro seul, ne confondant pas Uptown avec Downtown ni le Direct avec le Local. Par la ligne B, je vais jusqu’à West Four Street Washington Square et je fais le tour du Washington Square Park où des clochard(e)s se lavent dans le bassin à jet d’eau. Pendant que la chaleur monte, je marche dans Greenwich Village jusqu’à l’Hudson River. La vue est magnifique sur le bas de Manhattan, les tours en construction, New Jersey en face, au loin la Statue de la Liberté. Assis sous les arbres, à l’une des tables métalliques mises gratuitement à la disposition du promeneur, je prends des notes près de peintres du mardi et d’un vigile à matraque qui échappe momentanément au travail. Le temps est orageux. Parfois tombent quelques gouttes. Au bord de l’eau court un petit vent frais alors qu’à quelques centaines de mètres c’est la chaleur épaisse. L’impression de paix n’est troublée que par les hélicoptères. Je me croirais bien en Suisse au bord du lac Léman.

                Vers dix heures et demie, je retourne dans le centre du Village, mettant mes pays dans ceux de Mark Twain, Edgar Allan Poe, Jackson Pollock, Edward Hopper, Jack Kerouac, Allen Ginsberg, Bob Dylan, Norman Mailer (fondateur avec d’autres du Village Voice) and co.

                Avant midi, je cherche un restaurant. Ne trouvant pas mon bonheur dans Bleecker Street, je passe par le Sheridan Square où je prends en photo les couples de gays et lesbiennes statufiés par George Segal, ignorant celle du général Sheridan, l’auteur de la formule « Un bon Indien est un Indien mort » ( Cet endroit tranquille a été le lieu des émeutes les plus meurtrières de Etats-Unis en mil huit cent soixante-trois pendant le guerre de Sécession, deux mille morts chez les pauvres qui protestaient contre le privilège des riches d’échapper à la conscription). J’arrive Gay Street et au bout découvre le Waverly Restaurant, breakfast lunch dinner, où j’entre et mange une petite soupe aux nouilles puis un énorme Salisbury Steak avec des French Fries, pour finir un grand café à l’américaine puis un autre offert par la maison. Le personnel est mexicain ou du moins latino, comme dans beaucoup d’établissements de la ville. Tout cela ne me coûte que onze dollars quatre-vingt-quinze soit neuf euros  J’ajoute les deux dollars de tip.

                Je retourne me rafraîchir au bord de l’Hudson prenant en photo un ensemble de sculptures rouges à pois blancs de Yayoi Kusawa servant de publicité pour son exposition du Whitney Museum of American Art, peu ou prou la même que celle vue à Paris au Centre Pompidou. Le temps reste orageux. Les quelques gouttes qui tombent me font du bien. Les peintres du mardi sont toujours là, tournant le dos à un homme noir allongé sur le sien. A la table voisine de la mienne, un gros balayeur glande, s’endormant presque. Deux hommes s’embrassent chaudement contre le parapet puis vont se chauffer sérieusement sur la pelouse.

    En fin d’après-midi, je rentre par le métro sans faire d’erreur, descendant à la Cent Vingt-Cinquième Rue, dite Martin Luther King, puis remonte à pied Convent Avenue, écrasé par la chaleur.

    Quand celle que j’attends rentre du travail, la soirée est festive et le bon bordeaux pour ma girl friend bu avec un steak à l’américaine cuisiné par ses soins.

               *

    Plaisirs du restaurant américain : le verre d’eau glacée qui arrive dès que l’on s’installe à la table désignée et le café resservi autant de fois que désiré, le serveur se baladant dans la salle avec la cafetière emplie d’un café comme on le fait à la maison.

    *

    Ne surtout pas oublier le tip, les serveurs étant payés une misère. Le truc du Guide du Routard pour en laisser un correct (et donc ne pas passer pour un radin de Français) : multiplier la taxe par deux.

    *

    Terrible choc thermique quand on passe du métro climatisé à la station surchauffée, pas loin de mourir à chaque fois.

    *

    Les plus avisés des New-Yorkais ne se déplacent jamais sans un parapluie, du plus beau ciel bleu peut surgir un orage ou une averse brutale. Dix minutes après, le ciel est à nouveau bleu.

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  • Lundi treize août, c’est jour de travail pour celle que j’accompagne en métro jusqu’à son agence. Me voici seul pour la première fois dans la ville, en bordure de Chinatown, il fait très chaud. Je pars au hasard. Baxter Street, je longe les effrayants bâtiments du Manhattan Detention Complex (aka The Tombs), passe par une rue entièrement dédiée aux pompes funèbres chinoises dans laquelle stationnent des corbillards qui disparaissent sous des monceaux de fleurs et arrive à Colombus Park où je cherche un peu de fraîcheur. L’endroit est empli de Chinois d’un certain âge qui jouent à divers jeux ou discutent sur les bancs. J’entre dans les toilettes dégoûtantes puis me pose sur l’un des bancs. Sur celui d’à côté, un ivrogne muni d’un sifflet de police s’en prend bruyamment à la fille qui chasse les premières feuilles mortes avec un lance-air. Je file et trouve Little Italy qui se résume à une simple rue ayant perdu toute authenticité.

    Un peu plus tard, je prends un café sur la Bowery puis un horrible donut quelque part dans l’East Village avec un énorme café brûlant. Cet endroit ne possède pas de toilettes. Trouver des restrooms est un problème. Je finis par demander au vigile d’une clinique ophtalmologique de la Deuxième Avenue l’autorisation d’user de ceux de l’établissement (ce qu’il accepte), rejoins la Première Avenue, puis l’Avenue A, m’assois dans Tompkins Square Park où un vieux Noir à barbe blanche joue au saxo Somewhere Over The Rainbow. Un branlotin nerveux fait tomber son hot-dog frites. Il le ramasse à l’aide du plastique et le jette dans une poubelle. Les cigales accompagnent le saxophone que ne troublent pas les jeux d’enfants pas bruyants. Je regarde New York City vivre et je suis en sueur.

    Je prends un jus d’orange à cinq dollars au coin de Ludlow Street et de Rivington Street, chez Spitzer’s Corner, un établissement à grandes tables en bois où l’on passe devant la caméra de surveillance la pièce d’identité des clients étrangers qui paient par carte bancaire.

    Par Essex Street, j’arrive à Seward Park où je cherche et trouve un banc à l’ombre. Ce jardin est fréquenté essentiellement par des familles chinoises aux enfants pleurnichards. Une factrice vient s’asseoir à côté de moi. Son chariot aux poches flasques montre que sa tournée est terminée. Elle se plaint de fatigue, mange la cochonnerie qu’elle a achetée je ne sais où puis attrape la barre métallique qui permet de diriger son chariot et repart. Le camion du glacier fait entendre sa petite musique.

    Je traverse une bonne partie de Chinatown, restaurants et boutiques de souvenirs, affluence et mauvaises odeurs, puis vais me poster à l’angle de Walker Street et de Centre Street, là où celle qui travaille à proximité m’a fixé rendez-vous. Un Américain me demande son chemin. Des Chinoises pauvres font les poubelles des restaurants afin d’en récupérer les bouteilles en plastique. Hormis moi, nul ne les regarde.

    Quand celle que j’attends arrive, elle m’emmène dans un restaurant chinois où nous prenons un plat de canard comportant surtout des os près d’une famille de Québécois sachant aussi bien se faire obéir de ses enfants que des parents français. Fuyant l’endroit, nous prenons un verre de chianti cher et moyen dans la rue décorée de guirlandes électriques façon Noël de Little Italy.

    Bien que je sois fatigué, nous allons en métro jusqu’à Times Square où grouillent des centaines de touristes aveuglés par la lumière des publicités, un lieu que je classe vite parmi les plus laids et vulgaires que je connaisse.

    *

    Les Chinois sont assez mal vus par les Américains, me dit-elle, notamment parce qu’ils crachent par terre.

    *

    Quelque part dans l’East Village, une fresque murale à la gloire de Joe Strummer, le chanteur des Clash.

    *

    Taxis taxis taxis jaunes

    Trucks trucks trucks comme autant de jouets d’enfants

    School bus endormis par les vacances

    Sirènes hululantes des ambulances et des pompiers (parfois le camion de pompier, drapeau au vent, barrit comme un éléphant)

    Et l’inquiétante musiquette de Mister Softee.

    *

    Des taxis, des glaciers, des school bus, des pompiers et des ambulances elle m’avait parlé, mais des trucks non, comme si elle ne les avait pas vus ces énormes camions semi remorque à la cabine démesurée et démodée. « Les camions, c’est vraiment un truc de garçons », me dit-elle.

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  •             En mil neuf cent, Léon Bloy, de retour du Danemark où il s’était momentanément exilé, s’installe à Lagny-sur-Marne avec sa femme et sa fille Véronique. Les habitant(e)s de cette bourgade apprécieront particulièrement la parution du nouveau volume de son Journal, intitulé Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne :

                22 mars 1901 Lettre de Charles Morice m’annonçant un numéro prochain de La Plume, à la gloire de Tolstoï qui va crever, espère-t-on, et me demandant « une page de prose » pour contribuer à l’apothéose du célèbre crétin moscovite.

                12 août 1901 Nous sommes, depuis trois jours, au Pouliguen, chez les Martineau qui nous donnent l’hospitalité du Ker Saint-Roch, loué pour y passer, tous ensemble, une quinzaine. C’est la première fois que je vois l’Océan. –La dernière, peut-être, les pauvres n’ayant pas le droit de contempler les œuvres de Dieu.

                19 août 1901 Il y a aussi les automobiles. Espèce de délire homicide et démoniaque. Aucune sécurité. Ce matin, le cocher de notre voiture me montrait une de ces machines qui a tué récemment une vieille femme et qui semble prête à recommencer. Aucun châtiment. L’écraseur a donné un peu d’argent et tout est dit.

                1er février 1902 Insolence et crapulerie de nos épiciers male et femelle. Ma parole ne suffit pas à ces vermines, il leur faut des « garanties ». –C’est un grand malheur, me disait Barbey d’Aurevilly, de vivre à une époque où on ne peut plus donner de coups de bâton au-dessous de soi.

                10 mai 1902 Premières nouvelles de l’immense catastrophe de la Martinique. Trente mille morts en quelques secondes, à l’heure précise de la première communion de Véronique ! Le hasard n’existant pas, cette extermination était indispensable pour que fût contrebalancé, dans l’infaillible Main, l’acte prodigieux de notre enfant.

                12 septembre 1902 On peut être un imbécile et pratiquer tout de même l’imparfait du subjonctif, cela s’est vu. Mais la haine de l’imparfait du subjonctif ne peut exister que dans le cœur d’un imbécile.

                11 septembre 1903 Commencement d’exécution de Paris, condamné depuis longtemps à périr par le feu. Vaste incendie du Métropolitain, au lieu-dit les Couronnes ! Les journaux annoncent la trouvaille de 85 morts.

                15 mars 1904 Paris. Mon premier voyage en métro. Travail gigantesque, j’y consens, et même non dénué d’une certaine beauté souterraine ; mais bruit infernal, danger certain, mort probable –et quelle mort !

                Le quatrième volume couvre les années mil neuf cent quatre mil neuf cent sept. Il est lucidement nommé L’Invendable :

                4 mai 1904 Envoi du Fils de Louis XVI à mon huissier : « En haine de la bicyclette, de l’automobile, des propriétaires, des créanciers, du suffrage universel, de la procédure prétendue civile et de beaucoup d’autres saletés ou hideurs qui me font désirer le chambardement prochain et universel. »

                17 juin 1904 Visite de l’abbé Mugnier, prêtre mondain, vicaire à Sainte-Clotilde, admirateur et propagateur de Huysmans. Que vient faire chez moi ce serviteur de Mammon, à figure de vieux renard qui retrousserait sa soutane, pour entrer dans l’étable de Bethléem ? Ai-je donc mérité l’opprobre de cette bienveillance ? Jamais entrevue n’a pu être plus vaine. Sentant l’espion je me suis fait impénétrable, et le domestique des esclaves du Démon, désorienté dans mon pauvre gîte, a bafouillé lamentablement.

                Qu’il retourne à ses chiennes de Sainte-Clotilde ! Sa place n’est pas parmi les chrétiens.

                1er juin 1906 Le petit roi d’Espagne, au retour de l’église où on venait de le marier, a failli être réduit en petits morceaux avec sa reine. Une bombe a tué sept personnes et deux chevaux sans l’atteindre. Parole magnanime attribuée à ce jeune monarque : Ce n’est rien. Puis il serait rentré en pleurant, sans regarder les éventrés.

                18 août 1906 On m’offre des journaux aussi intéressants que L’Univers ou Le Peuple français, ou bien encore La Croix de l’Isère, les seuls qu’il soit possible de se procurer ici.

                Réponse : « Quand je veux savoir les dernières nouvelles, je lis saint Paul. »

                8 octobre 1906 Pour gagner du temps, je fais usage, une première fois, de l’autobus. Ah ! je n’échapperai pas aux inventions modernes. Il est vrai que c’était pour courir à la Nouvelle Revue où mon Epopée byzantine est acceptée.

                26 décembre 1906 Lutte contre notre vieille femme de ménage, une vierge bardée de médailles et scapulaires et, par conséquent, salope avec immunité. Cette gueuse antique a pour spécialité de détester les pauvres et les enfants. Une espièglerie insignifiante l’a mise en fureur contre ma fillette que j’ai aussitôt défendue en imposant silence à la sorcière. Dévote belge, elle ne manquera pas de me vouer aux flammes éternelles.

                31 mars 1907 Dimanche de Pâques. Grand’messe à la basilique. Décidément ces concerts ne me réussissent pas. Il m’a fallu entendre une horrible musique de foire, à faire danser les animaux savants, sous prétexte d’une fugue de Bach.

                24 août 1907 Saint Barthélemy : Personne à massacrer. C’est à dégoûter de la Liturgie.

                8 septembre 1907 On me trouvera les poings rongés dans une citadelle sans porte ni barbacanes qui se nomme le Manque d’argent et qu’on ne peut ni prendre ni défendre, étant bloquée par une circonvallation et une contrevallation de charognes.

                Le second volume des Journaux de Léon Bloy, ce sera pour plus tard.

    *

                C’est toujours un plaisir de croiser le cher abbé Mugnier, certes assez mal reçu par Léon.

    *

                La commerçante à ses collègues : « Comme je dis toujours, vendre c’est facile, le plus dur c’est de savoir acheter ».

    *

                Les mecs des quartiers populaires entre eux, ceux qui s’appellent « mon frère », ceux qui s’appellent « mon père » ou « ma couille ».

    *

              Celles et ceux qui parlent de figure quand d’autres parlent de visage, révélant leur origine sociale. « Va te laver la figure », me disait ma mère.

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  •             Vociférateur, orgueilleux, paranoïaque, mégalomane, confit en dévotion, tel apparaît Léon Bloy dont j’ai lu le premier tome des Journaux (publié chez Bouquins) avant mon voyage en Amérique du Nord. Ce volume couvre la période mil huit cent quatre-vingt-douze mil neuf cent sept. Il est divisé en différentes parties. Ce découpage est celui de l’auteur, qui n’a pas craint de publier ses écrits intimes (révisés néanmoins) de son vivant et d’augmenter ainsi le nombre de ses ennemis. C’est une lecture réjouissante.

                Léon Bloy en a intitulé la première partie (mil huit cent quatre-vingt-douze mil huit cent quatre-vingt-quinze) Le Mendiant ingrat (c’est de lui dont il parle, qui demande souvent la charité mais sur qui il ne faut pas compter pour remercier). J’en retiens ceci :

                21 juin 1894 Mot décisif de mon éditeur Chamuel : -La bicyclette tue le livre.

                25 juin 1894 Mise en vente de mes Cochons et assassinat de Carnot, poignardé, hier soir, à Lyon…

                Suite de mon destin. La mauvaise fortune est acharnée au point de ne pas reculer devant l’assassinat d’un Président de la république, pour me priver d’un succès possible.

                21 octobre 1894 Je prie, comme un voleur demande l’aumône à la porte d’une ferme qu’il veut incendier.

                24 mars 1895 Continué En Route. Le vrai titre du livre serait : En Panne. Huysmans ressasse des niaiseries et des saletés, sans jamais avancer d’un pas. Cependant, il découvre le Catholicisme et s’étonne profondément de la trouvaille. Ennui énorme.

                Bloy paie cher son fichu caractère, vivant avec femme et enfants dans la misère. Son année noire est mil huit cent quatre-vingt-quinze pendant laquelle meurent ses deux fils André et Pierre. Quelque temps avant, il s’est fait renvoyer du Gil Blas où il avait pris la défense du libertaire Laurent Tailhade qui après avoir déclaré lors de l'attentat anarchiste d'Auguste Vaillant « Qu'importe de vagues humanités pourvu que le geste soit beau ! » fut lui-même victime au restaurant Foyot d'un attentat anarchiste où il laissa un œil.

                La deuxième partie des Journaux de Léon Bloy est simplement intitulée Mon Journal. Elle va de mil huit cent quatre-vingt-seize à mil neuf cent :

                7 octobre 1896 Forcé de courir à l’autre bout de Paris, je suis puni de n’avoir pas suivi le conseil qui m’était donné de prendre le chemin de Ceinture. Je trouve un mur de cinq cent mille hommes qui barre Paris dans son milieu, comme à l’enterrement de Victor Hugo. Me voilà noyé deux heures dans la foule, souffrant d’un pied malade, au comble de l’indignation. Le Tsar a passé tout près de moi avec toute la chie-en-lit, sans que je pusse l’apercevoir, tant la haie de viande patriote était compacte entre moi et cet avorton.

                28 mai 1897 Visite désastreuse au Bon Marché où on m’avait chargé d’acquérir divers objets. J’en sors fumant de colère, spirans minarum et caedis, ayant engueulé plusieurs personnes. Le contact de cette foule m’est absolument odieux et détermine en moi la tristesse la plus orageuse. Je ne peux plus du tout supporter le Monde.

                2 avril 1899 Nous avons découvert qu’une masse de petits gâteaux danois faits ici, cette semaine sainte, en vue de Pâques, a disparu complètement. Ils ont été mangés, sans doute, par une jeune fille assez agréable à voir qui a passé chez nous trois jours. La gourmandise soutenue par une faculté remarquable de s’empiffrer est une chose très scandinave. Mais plus scandinave et plus protestant encore apparaît le désir des vierges de se faire tripoter par les messieurs. J’ai cru démêler ça chez cette jeune personne, parfaitement élevée d’ailleurs.

    *

                Tentative infructueuse de vendre des livres aux bouquinistes du Clos Saint-Marc ce dimanche matin. L’un d’eux :

                -Je ne connais aucun de ces auteurs et si moi qui suis dans le métier je ne sais pas qui ils sont, je ne vois pas comment mes clients pourraient les connaître.

                (Il trouve que L’Alchimiste de Paulo Coelho est un bon livre)

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  • Dimanche matin, au lieu d’essayer comme des touristes d’assister à une messe gospelisée, nous nous baladons dans Harlem en remontant Convent Avenue, qui est l’une des rares diagonales de New York City, et nous attardons entre les bâtiments du New York City College, « gigantesque et étonnant complexe architectural » (comme dit Le Routard).

    Cette université construite dans le style néogothique fut le premier établissement supérieur public et gratuit des États-Unis et un vivier de Prix Nobel en physique, chimie, médecine et économie. Elle est l'œuvre de l'architecte George Browne Post. Il doit faire bon y étudier.

    A l’heure du déjeuner, celle que j’accompagne m’emmène sur Lenox Avenue chez Jacob’s, un self renommé qui vend ses plats au poids (environ dix dollars le kilo). On y est tôt et c’est tant mieux car c’est petit et vite plein, notamment de Français l’adresse est dans le Guide du Routard, un inconvénient que fait oublier la good soul food. Un musicien y installe son matériel mais nous partons avant qu’il ne joue pour faire une sieste à Convent Avenue, rafraîchis par le ventilateur.

    Dans l’après-midi, on prend une citronnade quelque part, pas très loin de Wall Street que l’on va ensuite voir de près. Elle me photographie devant le Stock Exchange orné d’un immense drapeau étoilé. Contre le mur du cimetière voisin sont avachis une dizaine de jeunes gens, ce qu’il reste du mouvement Occupy Wall Street.

    Le soir venu, invitée dans une party, elle m’y entraîne. Cela se passe à la frontière de Chinatown dans le bâtiment où elle travaille, à l’étage au-dessus de son agence. Un ascenseur nous dépose directement à intérieur de l’atelier dans lequel on fête l’anniversaire d’un collaborateur dans la demi obscurité et le bruit généré par un didjai. Le boss de l’endroit salue celle que j’accompagne. Je lui explique que je parle un « very bad english ». Il me répond qu’il peut parler anglais avec un accent français. Il y a là filles et garçons plutôt jeunes et de la mouvance hipster. On y boit des vodkas orange en mangeant des toasts végétariens. Nous discutons avec une grande photographe qui travaille en free lance avec les gens d’ici et ceux du dessous. Elle boit trop et s’avérera dangereuse quelques jours plus tard lorsqu’elle accusera l’un de ses employeurs de harcèlement sexuel, l’une des pires choses qui puisse arriver à un Français aux Etats-Unis. Quand se présente celui pour qui la fête est organisée, on regarde sur un immense écran un film publicitaire qu’il vient de réaliser et le boss fait un discours dans lequel il explique combien il est heureux de travailler avec lui et joyeux anniversaire. Un immense gâteau crémeux apparaît, dont nous mangeons une tranche à la vodka orange, puis nous prenons l’escalier. Elle me montre le toit où elle fume clandestinement lorsqu’elle travaille. D’autres y sont, dont le gardien de l’immeuble qui craint d’être repéré par son employeur et nous confine dans un coin. Une partie de New York brille autour de nous. Je ne sais pas très bien où je suis.

    *

    Il me faut un peu de temps pour me mettre NYC en tête. Pourtant son plan est des plus simples. La ville ressemble à un appareil génital masculin, avec Manhattan comme grosse queue (dont Harlem est la base), Brooklyn est la couille bien ronde et le Bronx en figure les poils pubiens, comme l’a remarqué et dessiné je ne sais qui, image trouvée sur le réseau social Effe Bé.

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  • Le matin suivant mon arrivée, je découvre l’appartement non climatisé de Convent Avenue dans lequel je vais passer trois semaines. Un long couloir étroit dessert la cuisine et les trois chambres de la colocation régie par un Mexicain un peu caractériel qui ne doit pas me trouver là. Nous prenons le petit-déjeuner dans cette cuisine dont le mobilier et les équipements sont à la taille américaine. J’ai l’impression d’être assis sur la chaise de Papa Ours. Par la fenêtre à guillotine, on aperçoit ce qui se passe dans les appartements d’en face. Je fais la connaissance de l’un des colocataires, un Portoricain qui s’apprête à déménager sans prévenir le Mexicain. L’autre, un Américain d’origine chinoise n’est presque jamais là.

    Il fait chaud, très chaud. Nous sortons faire un tour dans le quartier. C’est ma première vision de Harlem le jour. Je découvre les brownstone houses, les escaliers de secours courant sur les façades, les châteaux d’eau sur les toits. Le gospel attendu sort des églises, Des femmes africaines discutent sur des chaises installées sur le trottoir devant un salon de coiffure traditionnel. Ce sont des immigrantes récentes, venues de pays francophones. Elles ne sont pas représentatives de la population noire, laquelle est dans son ensemble totalement américanisée.

    L’heure du déjeuner approchant, celle qui habite le quartier depuis cinq mois et demi me suggère de manger mon premier burger. Pour ce faire, j’inaugure la carte de subway qu’elle m’a offerte (accompagnée d’un kit de survie). J’apprends à swiper pour franchir le tourniquet et découvre l’atmosphère particulière qui règne dans ce métro dont les usagers savent faire preuve d’élégance, que ce soit dans leur habillement ou dans leur manière de se tenir.

    Nous ressortons de terre à Brooklyn et entrons chez Shake Shack dans Fulton Street où nous commandons des Smoked Shack. L’employée confie un boîtier électronique à celle que j’accompagne et on va s’asseoir. Quand le boîtier vibre, c’est que c’est prêt. Elle se lève, revient avec notre nourriture à manger avec les mains qui s’avère fort bonne.

    La meilleure chose à faire pour découvrir la ville, me dit-elle, c’est d’aller à Governors Island. Comme je me sens en forme malgré le voyage et le décalage horaire, nous rejoignons l’embarcadère à pied et prenons le ferry qui fait gratuitement la navette. L’île est peu connue des touristes, elle offre une magnifique vue sur le bas de Manhattan, celui que tout le monde connaît par les films et les photos, où sont en construction les tours qui remplaceront les Twin Towers.

    Nous faisons le tour de l’île à pied. La Statue de la Liberté nous fait signe de son île voisine tandis que se meuvent des bateaux de toutes sortes et que tournent des hélicoptères. Governors Island a connu des jours meilleurs et militaires, comme l’indiquent ses bâtiments en ruine. Elle est aujourd’hui paisible. On y entend bien les cigales ou les bêtes du même genre qui stridulent dans les arbres. Je photographie celle que j’accompagne faisant de la balançoire pour adultes. La boucle bouclée, nous prenons une glace organic comme on dit ici, biologique comme on dit en France, et comme un ferry peut nous emmener pour quatre dollars par personne en divers points de la ville, on le prend.

    Le New York Water Way « Lincoln » nous transporte ainsi de Governors Island à la trente-quatrième rue en passant (de part et d’autre d’East River) par Wall Street, Dumbo, Williamsburg, Long Island et Green Point. C’est une parfaite découverte des divers aspects de la ville sans mettre le pied à terre. A l’arrivée, après une longue marche dans la chaleur épaisse et quelques hésitations, on prend le bus numéro Trois qui nous ramène à Harlem en longeant Central Park.

    Fenêtre ouverte sur la cour intérieure où un pauvre Chinois récupère les bouteilles en plastique dans les poubelles, nous faisons un léger repas au Martini.

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  •             Le Musée des Beaux-Arts de Rouen met une partie de sa collection permanente sous la bannière de Lacroix (Christian), et pour l’inauguration des sept petites expositions qui en résultent, je suis à dix-huit heures trente ce jeudi sous la verrière du jardin des sculptures, pas tout seul.

                Je n’ai jamais vu autant de monde pour ce genre de festivités. À l’habituelle bourgeoisie bourgeoisante s’ajoutent des têtes de commerciaux et d’hommes d’affaires que je croise habituellement déjeunant au Socrate, car la Matmut a mis des sous dans l’affaire. (Cette Matmut dont le goût sûr en matière d’art se traduit par une exposition Authouart en son Centre d’Art Contemporain de Saint-Pierre-de-Varengeville.)

                Beaucoup ne peuvent trouver place et restent agglutinés au bas des marches dans l’antichambre. C’est en haut de ces marches que je considère cette foule qui se marche dessus et dont chaque élément se pense le centre du monde :

                -Je lui ai dit bonjour, parce qu’il ne m’avait pas dit bonjour le premier, entends-je.

                Même l’Archevêque est de sortie. Aurait-il mal compris quand on lui a parlé de Lacroix ?

                Avec le retard voulu, Yvon Robert, Maire, fait son discours, qui est avant tout un hymne à la Matmut, « notre mécène ». Le mécène est le deuxième à s’exprimer. A côté de moi on se hausse sur la pointe des pieds :

                -C’est qui, c’est Jean-Michel ?

                Je ne sais pas si c’est Jean-Michel. Il fait le boulot en tout cas, vante sa boutique, se distingue du vulgaire sponsor aux visées publicitaires, interpelle le Directeur des Musées de la Ville de Rouen en l’appelant par son prénom.

                Sylvain (Amic) prend la parole en dernier. Il explique qu’il s’agissait de ranimer une collection permanente manquant de visiteurs et de sortir des réserves des œuvres oubliées. Il remercie la Matmut qui vient au secours de la ville, pour laquelle c’est déjà cher de payer le chauffage du Musée et les salaires des employés. Christian Lacroix (couturier) est là, invisible pour la plupart d’entre nous, et qui n’a rien à dire au micro.

                La foule se scinde alors en deux, moitié qui part en troupeau voir les sept petites expositions, moitié dont je suis qui se rue sur le buffet au risque d’être étouffé. Obtenir un verre de champagne est encore possible mais choper un petit four est plus que difficile (Jean-Michel ne pourrait-il pas sortir son chéquier pour doubler le buffet la prochaine fois que la Matmut met les pieds au Musée ?).

                Avant d’avoir trop bu, je vais à contresens voir les deux dernières expositions. L’une a pour titre « Jacques-Emile Blanche et le décor ». On y voit des fresques réalisées pour la Biennale de Venise de mil neuf cent douze et des tableaux divers du portraitiste dont les œuvres habituellement exposées ont presque toutes disparues (ce n’est pas avant longtemps que je pourrai vérifier si tous les portraits d’artistes et d’écrivains exposés lors de l’inauguration de la salle Blanche en mil neuf cent vingt-deux sont toujours présents sur les murs). Ces œuvres tirées des réserves m’intéressent peu (ce n’est pas sans raison qu’elles étaient au rebut). Quant à la scénographie de Christian Lacroix, elle est surtout visible dans le choix de la moquette. Il en est de même pour l’exposition numéro six qui présente un énième hommage à Claude Monet, celui-ci signé Zao Wou-Ki. Pour ce faire, on a viré Duchamp de sa salle habituelle. Qu’a-t-on fait des œuvres de Marcel? Il ne faudrait pas qu’il arrive malheur à sa brocante.

    *

                De Sylvain Amic, Directeur des Musées rouennais, il a été récemment question dans l’affaire du tableau volé on ne sait pas où, on ne sait pas quand, et retrouvé au Havre (une croûte signée Louis-Emile Minet). Félix Phellion en parle dans sa rouen chronicle, narrant l’impossibilité pour le journaliste de Paris Normandie d’obtenir des renseignements auprès du Musée comme de Laurence Tison, Adjointe à la Culture à la Mairie de Rouen, jusqu’au coup de théâtre final :

                Si le téléphone est cher, il est aussi compliqué. Tous ces boutons, ces répondeurs, ces clignotants, on s’y perd. La preuve ? Le lendemain, voulant joindre l’adjointe à la Culture, le directeur du musée s’emmêle les boutons. Croyant laisser un message à Laurence Tison, Sylvain Amic le laisse au journaliste.

                Et le directeur d’expliquer que (dixit) « ce que je vous propose, c’est de dire simplement, que le tableau était déposé, que nous étions… Euh… Qu’il a été volé il y a plusieurs années, nous étions en contact avec la police, nous attendions cette issue heureuse, nous nous en réjouissons. Mais de ne pas faire de commentaire supplémentaire qui pourrait donner des informations… Et sur le lieu du dépôt, la manière du vol, etc. Voilà… »

    *

             Que fait Sylvain Amic, Directeur des Musées rouennais, lorsqu’il ne monte pas de petites expositions en attendant la grande consacrée aux Impressionnistes dont Laurent Fabius est le commissaire ?

                Des choses plus intéressantes à Paris. Il est le commissaire de l’exposition Bohêmes, actuellement visible au Grand Palais.

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  • Ce mercredi soir, c’est le concert d’ouverture de saison à l’Opéra de Rouen. Au programme, Brahms et Beethoven sont précédés par l’inconnu (de moi) Adams. J’ai une chaise juste devant la scène, ce qui n’est pas la meilleure place pour un concert symphonique. Aussi, à la fermeture des portes, je migre pour un fauteuil surélevé de fond d’orchestre resté libre.

    Les musicien(ne)s prennent place et s’accordent. La plupart sont bien connus du public mais je note quelques nouvelles têtes féminines. Une voisine de derrière remarque que l’un des contrebassistes s’est fait couper les cheveux.

    -Oui, mais il lui en reste quand même une bonne touffe, commente son mari.

    Entre le maestro Luciano Acocella.

    John Adams est un compositeur contemporain. De lui est donnée une version orchestrée de la Berceuse élégiaque de Busoni (inconnu de moi) sous-titrée Berceuse de l’homme devant le cercueil de sa mère. Que cela soit profondément mélancolique n’est donc pas étonnant. Vient la Sérénade numéro deux en la majeur de Johannes Brahms que Luciano Acocella mène sans partition et au cours de laquelle je manque plusieurs fois de m’endormir. Décidément, je n’aime pas Brahms. J’applaudis quand même, comme tout le monde, et derrière moi j’entends :

    -Il y a un moment que je n’aime pas dans un concert, c’est celui des applaudissements.

    Celle qui s’exprime ainsi en donne la raison (qui me laisse perplexe) :

    -Il y a une part d’aigus dans les applaudissements et ça me fait mal aux oreilles.

    Autour de moi, à l’entracte, on parle de ça, de la difficulté de résister à l’endormissement.

    Quand ça reprend, c’est avec la Symphonie numéro six en fa majeur dite Pastorale de Ludwig van Beethoven, toujours sans partition. Le premier mouvement me ranime un peu mais la suite a beau être andante allegro allegro allegretto je m’ennuie, ne sachant si je dois m’en prendre à moi-même ou à la musique récitée par cœur ou même à Ludwig van.

    Les applaudissements sont sans excès, ce qui ménage les oreilles de la dame qui craint les aigus. Le chef salue sobrement, ayant troqué cette année ses sorties extraverties (la main sur la poitrine, je t’aime public) contre des allées et venues rêveuses (la musique m’habite, j’ai du mal à revenir vers toi).

                                                                                                           *

    Prolongement d’une semaine pour le séjour de celle qui est repartie à New York, à laquelle me fait songer le poème de René Char (entendu l’autre soir sur France Culture) qui se termine ainsi :

                Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus; qui au juste l'aima et l'éclaire de loin pour qu'il ne tombe pas?

    *

                Peu m’importe que René Char parle de sa poésie dans son poème (et non d’une femme).

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  • Partir à dix heures zéro huit de la gare de Rouen est le moyen le plus sûr de ne pas rater l’avion de dix-neuf heures trente à Roissy. Arrivé à Châtelet, je prends un menu vapeur au restaurant chinois où j’ai mes habitudes, puis un café en face au Béarn, enfin le Herreuherre Bé qui mène à Charles-De-Gaulle et dans lequel se côtoient qui rentre du travail (ou y va) et qui part en voyage.

    Je descends au terminal Deux A et patiente un long moment face au comptoir d’XL Airways jusqu’à l’heure de l’enregistrement des bagages. Pas de problème, ma valise pesée la veille sur la balance d’une voisine respecte la norme.

    En attendant l’embarquement, j’assiste à l’arrivée de l’avion et à sa préparation : la mise en place de la tentacule pour l’accès des passagers, l’usage des élévateurs pour charger les bagages et les plateaux repas.

    Ce n’est pas sans appréhension que je m’apprête à passer par-dessus l’Atlantique pour rejoindre celle qui vit à New York depuis de longs mois. Il y a bien longtemps, lorsque je suis allé chercher en Israël celle qui allait devenir ma fille, j’ai horriblement souffert du mal d’oreilles à l’atterrissage et n’ai depuis pas voulu renouveler l’expérience, mais comme dit madame Michu, l’amour donne des ailes.

    J’ai un siège central dans la rangée du milieu et pour voisine de gauche une emmerdeuse qui trouve que je prends trop de place. Je lui propose d’échanger ma place avec la sienne, ce qui suffit à la faire taire. Le décollage s’effectue normalement. L’équipage distribue le repas médiocre. Le vin étant payant, je prends un jus d’orange.

    Après un long vol sans autre souci que quelques turbulences, c’est l’atterrissage que j’affronte en mâchant moult chouigne-gommes. Mes oreilles souffrent, mais moins que redouté.

    L’avion posé, je le quitte sans tarder sur le conseil de celle qui m’attend pas loin (le contrôle à la frontière sera long, m’a-t-elle écrit, essaie d’être dans les premiers). Je prends ma place dans la file d’attente. Un policier, ignorant tous les autres, s’approche de moi et me demande mon passeport. J’obtempère. Il me le rend sans commentaire. J’avance peu à peu et arrive au guichet où l’on doit faire profil bas. Un corpulent policier noir prend toutes mes empreintes digitales puis ma photo sans lunettes. Il me demande si je viens à New York « for pleasure ». « Yes ». L’intéresse ensuite de savoir quand je quitterai son pays : “At the end of september ». « Welcome to New York », me dit-il en me rendant mon passeport tamponné.

    L’attente est plus longue avant qu’apparaisse mon bagage sur le tapis roulant. Je subis un nouvel interrogatoire relatif à son contenu et à la fiche de douane que j’ai remplie dans l’avion, où j’ai bien spécifié que je n’arrive pas avec de la boue rurale aux pieds. Le jeune homme en uniforme qui me questionne veut surtout savoir quand je repars. Je le rassure. C’est alors la « bottle of wine » que contient ma valise qui l’inquiète. Je n’arrive pas à comprendre pourquoi il s’étonne de sa présence et il m’est difficile de converser avec lui vu mon niveau en anglais. La situation se débloque lorsque je lui dis que c’est pour ma girl friend. « Ah yes, your girl friend, it’s ok ».

    Je trouve le panneau Exit et la cherche des yeux. Elle surgit dans son joli chorte vert, cinq mois et demi que je ne l’ai pas tenue dans mes bras.

    C’est un taxi jaune qui nous emmène à Harlem, Convent Avenue. Il est minuit, heure de New York, six heures du matin à Rouen Je viens de passer vingt-quatre heures sans dormir. La nuit est belle et chaude.

    *

    Plus tard, parlant de la difficulté pour un étranger de mettre le pied sur le sol des Etats-Unis, elle me cite cette formule qu’elle tient de je ne sais qui : « En France, à la frontière, si tu viens d’ailleurs, on te préjuge innocent et à toi de confirmer que tu n’es pas coupable ; ici, on te préjuge coupable et à toi de démontrer que tu es innocent. » Je confirme la seconde moitié du propos.

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