• Datée du jour de Noël et écrite à Saint-Etienne, une lettre m’arrive ce samedi midi dont je devine à l’écriture que l’auteur est âgé. Je ne le connais pas. Je lui ai juste vendu un livre via Internet : Formation de Pierre Guyotat.

    « Bonjour Monsieur.

    J’ai bien reçu et en bon état le livre que vous m’avez envoyé, une heure après le déballage il était lu. J’y ai porté grand intérêt, j’aurais presque pu l’écrire, aimant vos descriptions humaines et géographiques.

    De plus je suis un ancien de Joubert et le Père Valas était très ami avec mon grand-père, il lui confiait sa voiture lorsqu’il descendait à St Etienne et passait des heures à parler avec ma famille.

    J’ai assisté à l’ordination du Père Murgue à Marlhes, aux équipées l’hiver, avec le char à ski, à travers les bois, pour aller aux commissions à St Genest Malifaux, le pain chez Châtelard dont le fils était aussi à Joubert, Pivot aussi, le fils du pharmacien.

    Toute une époque.

    Je vous remercie et vous souhaite de bonnes fêtes et de nombreux sujets d’écriture. »

    Il semble donc que cet acheteur (qui habite place Fourneyron) pense que Pierre Guyotat est mon pseudonyme.

    J’ai fait une recherche. Il y eut bien jusqu’en mil neuf cent soixante-deux une école Notre-Dame de Joubert à Marlhes dirigée par un abbé Vallat puis par le Père Murgue. Le Pivot dont il est question n’est pas Bernard, qui est fils d’épiciers. Guyotat est passé par là, qui n’est pas moi.

    *

    Dimanche matin au Clos Saint-Marc, dialogue de bouquinistes.

    Elle : C’est pas une affaire ces livres, je les vends pas et pour les stocker je loue un garage cent zeuros.

    Lui : On dit pas cent zeuros, cent ça s’écrit avec un té, cent teuros si tu veux.

    Elle : Oh, j’en fais des fautes d’orthographe depuis que je vais sur Internet.

    *

    Je m’éloigne, croise Jean-Pierre Turmel, presque surpris de me voir revenu vivant de New York, avec qui je parle de son récent passage au RenDez-Vous de Laurent Goumare sur France Culture puis j’avise un autre bouquiniste rarement là.

    Je fouille un peu dans son déballage et pas pour rien : Propos d’un entrepreneur de démolitions et Belluaires et porchers de Léon Bloy (Mercure de France), Souvenirs et portraits d’amis de Marie Dormoy (Mercure de France), Correspondance de Paul Léautaud et André Billy (Le Bélier), les trois pour dix euros.

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  • Peu de monde à la gare de Rouen ce vendredi d’entre deux fêtes pour prendre le train de Paris à sept heures vingt-six. Comme en plus il est à étage, nul ne risque d’y être debout ou assis par terre. Nous ne sommes qu’une dizaine en bas dans la voiture où je m’installe et c’est un train qui arrive à l’heure.

    Je n’ai pas grand-chose à faire dans la capitale, je suis simplement content de ne pas être à Rouen dont les rues l’après-midi sont envahis par tout ce monde qui ne travaille pas et qui baguenaude sans autre issue qu’acheter en magasin et boire en café (et dans ce dernier cas envahir mon habituel espace vital).

    Dans l’après-midi je suis de retour à Saint-Lazare. Un train non express me ramène à Rouen dont les rues piétonnières sont toujours embouteillées par les familles errantes.

    Le soir venu, je lis sur le site du Monde Diplomatique un article de Benoît Duteurtre intitulé Splendeur et décadence du hall de gare, gérer les pas perdus dans lequel il évoque cette nouvelle Saint-Lazare inaugurée le douze mars dernier :

    « Nous avons ouvert nos yeux brillants ; et nous avons découvert ce que chacun a vu, depuis, sous les applaudissements de la presse unanime : un centre commercial d’une parfaite banalité, comme il en pousse partout en France et dans le monde, avec ses escaliers mécaniques, ses transparences et ses boutiques. Solaris, Esprit, Starbucks Coffee, Swatch et leurs cousins occupent désormais tout le volume du bâtiment, des galeries de métro jusqu’au départ des trains. Leurs sigles renvoient à cette poignée d’enseignes planétaires qui réduisent tout déplacement à un morne alignement de logos. Les escalators sont implantés de telle façon qu’il est impossible d’accéder à la place du Havre sans passer par les galeries marchandes. L’ancienne sortie rapide a été condamnée. Le plus étonnant réside toutefois dans l’enthousiasme des commentaires, « de droite » comme « de gauche », qui ont salué comme une grande avancée cette métamorphose d’une gare en hypermarché, invitant les banlieusards à transformer leur temps d’attente en temps d’achat. »

    Comme je suis d’accord avec ce propos, et combien je peste à chaque passage contre la laideur et la vulgarité de cet endroit où il est désormais pratiquement impossible de s’asseoir en attendant son train (on préfère évidemment que le voyageur et la voyageuse aillent de boutique en boutique).

    S’agissant des escalators obligatoires, leur petit nombre et leur étroitesse créent des bouchons et des énervements à chaque arrivée de train. Que se passerait-il en cas de panique consécutive à un accident, un incendie ou un attentat ? J’espère ne pas être là ce jour-là.

    *

    Panne de métro. Le conducteur fait évacuer la rame. Nous voici tous grimpant les escaliers vers la sortie. Un moutard interroge ses parents : « Ils vont changé les piles ? »

    *

    Opération de propagande à la Sarkozy pour Hollande avec sa visite prétendument impromptue au marché de Rungis où il arrive vêtu d’une tenue de professionnel brodée à son nom. « J'ai fait de l'année 2013 une grande bataille pour l'emploi » déclare-t-il au seul journaliste autorisé à l’accompagner.

    Non pas « Je ferai de l’année 2013 une grande bataille pour l'emploi », après tout on n’est encore qu’en deux mille douze, ni même un solennel « Je fais de l’année deux mille treize une grande bataille pour l'emploi. »

    « J’ai fait », autrement dit : le chômage c’est réglé.  « Ça, c’est fait » comme disent un tas de gens (formule énervante).

    *

    Le site d’information Grand Rouen pose la question de savoir quel est le Rouennais qui a marqué l’année deux mille douze. Faut voter via le réseau social Effe Bé. Réjouissante occasion de voir certains s’inscrire eux-mêmes, voter pour eux-mêmes, puis appeler leur réseau à voter pour eux.

    Ils n’ont aucune chance. Un branlotin, auteur de l’immortelle chanson rappée Un amour de jeunesse, est largement en tête. Tout son collège a voté pour lui.

    Je n’ai pas voté. L’aurais-je fait que mon choix se serait porté sur le conducteur du camion qui a détruit le pont Mathilde.

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  • Pendant le petit-déjeuner en extérieur, Rebecca Avenue, nous interrogeons Suzanne, notre hôtesse, sur la décrépitude des maisons du quartier. Elle nous dit être étonnée de nous y avoir vu en balade et nous apprend que cette partie de Wilkinsburg a été laissée à l’abandon par le gouvernement de Pennsylvanie dans les années quatre-vingt. Des gangs s’y sont alors installés, vivant du trafic de drogues et de la prostitution. La Police les a ensuite chassés d’où les maisons abandonnées. Cependant les « gun activities » font encore quelques morts dont des innocents, ce pourquoi les pancartes appelant à l’amour du prochain. Celle qui m’a amené ici lui dit qu’elle trouve que ce « Stop Shooting, We Love You » est une bonne façon de réagir. Notre hôtesse ajoute qu’elle a un peu de mal à nous raconter cela car elle se sent ambassadrice des Etats-Unis et elle voudrait bien en donner une meilleure image. Elle nous dit que le quartier est en phase de réhabilitation, que s’y installent de nouveaux habitants, dont elle-même et son mari, homme discret prénommé Glenn, très soucieux d’écologie.

    On prend ensuite un bus P1 bondé qui nous descend Downtown. Parmi les voyageurs et voyageuses, des obèses comme rarement vu(e)s, occupant deux places, ce qui augmente le nombre de personnes debout. Nous le quittons à l’angle de Smithfied Street et de 6th Avenue et avec l’aide de pas mal d’autochtones (dont un policier), après avoir beaucoup marché, on arrive sur l’autre rive de la Monongahela River au Musée Andy Warhol, dix dollars pour elle, vingt dollars pour moi.

     Il n’y a quasiment personne dans ce Musée. Nous le visitons du 7th floor au 1st, nous attardant devant les grandes et belles œuvres d’Andy. Son lion et son danois empaillés sont là ainsi que beaucoup d’objets l’ayant accompagné au cours de sa vie. Dans la salle Silver Clouds, des nuages gonflables et gonflés sont en lévitation grâce à un ventilateur, avec lesquels on joue. Une autre salle est consacrée à la collaboration avec Jean-Michel Basquiat. On y trouve une œuvre de Warhol à l’urine sur portrait de Basquiat. Ces deux-là ne faisaient pas que s’aimer. Un éléphant en volume de Keith Haring est également présent. Il semble que les plus jolies filles de Pittsburgh aient fait le choix d’être les gardiennes de l’Andy Warhol Museum.

    Revenus sur l’autre rive, dans la chaleur mais à l’ombre quand on peut, on déjeune près d’un marché, copié collé raté de ceux d’Europe, dans une gargote nommée Cherrie’s Restaurant, d’un cheeseburger pour moi et d’une salade chicken pour elle où il manque les tomates promises qu’elle obtient après réclamation et les olives qu’elle n’aura pas. C’est vraiment une mauvaise maison, où les cuisiniers s’avachissent sur une chaise quand ils n’ont rien à faire.

    Comme il fait de plus en plus chaud, on va prendre l’air et l’ombre au bout du Golden Triangle dans le jardin de la pointe (Point State Park) là où se rejoignent la Monongahela et l’Alleghany pour former l’Ohio. Elle dessine des bêtises pendant que j’écris. Des bateaux passent dont un amphibie rouge qui fait des allers et retours entre la berge et l’eau à hauteur du Three Rivers Stadium.

    Le soir, après le retour à Rebecca Avenue, sur les indications de Suzanne, nous partons à pied à travers des rues résidentielles dont les maisons sont habitées jusqu’à Braddock Street, une rue de restaurants et de cafés illuminée par de petites loupiotes accrochées dans les arbres. A la terrasse du Dunning’s, on prend un pichet de chardonnay accompagné de chips de la maison, excellentes. A une table voisine, des habitant(e)s du quartier festoient et buvoient. On rentre dans la nuit.

    *

    Pourquoi le gouvernement de Pennsylvanie a-t-il abandonné une partie de Wilkinsburg dans les années quatre-vingt ? Cela reste un mystère.

    *

    Andy Warhol est né Andrew Warhola (comme son père d’origine ruthène mineur de charbon) le six août mil neuf cent vingt-huit à Pittsburgh où il passa son enfance et son adolescence.

    *

    « La première fois que j’ai compris ce qu’était la sexualité, c’était à Northside, Pittsburgh, sous des escaliers. Il y avait un gamin assez étrange qui suçait tous ses copains. Je n’ai jamais bien compris pourquoi. Je les regardais dès l’âge de 5 ans, sans savoir pourquoi il acceptait ce long défilé de queues. » Andy Warhol lors d’un dîner avec William Burroughs, 65, Irving Place, New York, 1er février 1980, in William S. Burroughs Andy Warhol, Conversations de Victor Bockris, Editions Inculte, 2012.

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  • Après un lever à 7 a.m. et une bonne douche, nous descendons prendre le petit-déjeuner qui est inclus dans le prix de la chambre. Suzanne, notre hôtesse, a tout préparé sur la table de la cuisine mais on préfère s’installer dehors à une petite table collée contre la maison. Il fait bon et nous mangeons avec appétit les bagels au sésame avec de la confiture de myrtilles dessus en les trempant dans le café ou le thé puis nous décapsulons les coupelles de fruits frais protégés par un petit chapeau en plastique.

    Deux heures plus tard, par le bus P1 circulant en voie propre, on rejoint Downtown Pittsburgh où les vieux bâtiments se mêlent aux modernes. Nous en faisons beaucoup de photos tout en descendant jusqu’à l’Alleghany River aux élégants ponts métalliques jaunes. Elle fait du toboggan sur une rampe d’escalier puis on revient au centre ville chercher un restaurant.

    Nous optons pour le buffet à volonté du Golden Palace Chinese. Il est disponible à l’étage d’où nous avons une belle vue sur les vieux bâtiments de Seventh Avenue photographiés précédemment. C’est fort bon. Des serveuses se promènent dans la salle bientôt pleine avec un pichet de Coca Cola servi lui aussi à volonté. Sagement, nous buvons de l’eau.

    Sortis de là, nous passons par un vieux cimetière jouxtant une église. Un businessman en pause, assis sur un banc avec un journal, nous demande d’où l’on vient. Il nous indique quelques endroits à voir. Tous les Américains qui nous parlent sont déjà allés à Paris ou rêvent d’y aller.

    Un peu plus tard, assise en terrasse au Monte Cello’s où nous prenons un verre, elle peint à l’aquarelle les vieux bâtiments de Seventh Avenue, un dessin qu’elle destine à nos amis de Stockholm.

    De retour à Rebecca Avenue, nous décidons de visiter le quartier de Wilkinsburg où nous logeons, au-delà de ce que nous en avons déjà vu. C’est une grosse surprise : trois maisons bourgeoises sur quatre sont murées, abandonnées, en voie de délabrement. Les autres sont majoritairement habitées par des Noirs pauvres. On fait de nombreuses photos de trous dans les murs, de jeux d’enfant oubliés, de salons de jardin abandonnés, d’auvents pendouillant, de fenêtres obturées, de vitres cassées, de toitures recouvertes de plastique bleu déchiré, de lierre recouvrant les façades, de drapeaux américains toujours là, de panneaux déjà anciens « Homes for Sale », cela dans une atmosphère parfois inquiétante.

    Entrés dans une laundry décatie, on y trouve un groupe de jeunes blacks discutant dans le fond. Ils ne sont manifestement pas là pour faire leur lessive. On en ressort vite fait. Sur des pelouses de maisons habitées, une pancarte nous intrigue et nous inquiète un peu : « Stop Shooting, We Love You ». On se croyait dans un quartier chic et tranquille, on réalise qu’il n’en est rien et on comprend autrement le « We are probably more worried about you than you are » de la vieille dame dans le bus le jour de notre arrivée.

    La nuit est néanmoins tranquille.

    *

    Les touristes sont rares à Pittsburgh, d’où le plaisir de ne plus croiser de Français.

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    A l’heure de la sortie : écoliers blacks en uniformes, cravates, pantalons longs

    *

    Les bus emportent les vélos à l’avant, ils possèdent des sièges au-dessus de la partie en accordéon qui pivote.

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  • Ce mardi, let’s go to Pittsburgh, me dit celle qui a organisé notre périple. Nous allons petit-déjeuner chez Little Pete’s Restaurant, café thé et pancakes à la banane. La serveuse nous apporte une fiole qu’on pourrait prendre pour un pichet de vin rouge, du sirop qui donne un peu de goût à ces pancakes qui n’en ont pas. Petite clientèle du matin, d’avant le travail, un jeune type avale un énorme steak en trois minutes. Elle mange seule le demi pamplemousse qu’elle a commandé par erreur (grape fruit is not grape) car je n’aime pas ce fruit. Le café du matin est resservi à volonté. J’en bois trois, il faut bien ça.

    Après avoir laissé un mot gentil à Marcia, notre logeuse, pas encore levée, nous prenons le bus 33, en payant cette fois, avec nos bagages dont son énorme valise. Le sac à dos n’empêche pas qu’elle soit trop lourde. Le bus nous dépose à la gare routière où des laissés-pour-compte zonent. Pas de panneau d’affichage, pas d’information fiable, on attend. Une aboyeuse black annonce les départs.

    Le car Greyhound direct pour Pittsburgh finit par arriver. L’aboyeuse me prie de laisser passer celle que j’accompagne. Les bagages coffrés, nous prenons place dans des sièges assez confortables, point d’écrans vidéo heureusement dans ce véhicule à lévrier. Pas mal de jeunes blacks parmi les passagers, quant au chauffeur il est d’origine chinoise.

    C’est un long voyage à travers les Appalaches. Nous passons près de Gettysburg où se tint la bataille qui fut le tournant de la Guerre de Sécession et près d’Harrisburg où eut lieu l’accident nucléaire de Three Mile Island.

    Au bout de trois ou quatre heures, le chauffeur annonce une pause sur une aire d’autoroute. Elle fume vite fait puis on déjeune en express d’une énorme part de pizza pour deux et d’une salade pour deux. Le car n’est pas loin de repartir sans nous.

    Le paysage est de champs de maïs et de fermes à silos. Quelques vaches et moutons nous regardent passer. Aucun humain ne signale sa présence dans cette immense verdure.

    Malgré le retard du départ et l’embouteillage à la sortie de Philly, on arrive à peu près à l’heure prévue à Pittsburgh. Après avoir traversé une périphérie d’usines plus ou moins abandonnées, le car nous dépose dans la belle gare routière de Park Authority.

    Sortis de là, la première chose qu’on voie, c’est deux gars menottés dans le dos assis sur le trottoir d’en face surveillés de près par la Police. Sa cigarette fumée, nous cherchons l’arrêt du bus qui doit nous mener à la chambre d’hôtes réservée par ses soins. Une dame aimable nous aide à le trouver.

    On l’attend longtemps le P71 pour Wilkinsburg, ville de banlieue attenante à Pittsburgh, où nous logerons. Lui enfin là, nos bagages tirés à l’intérieur, nous nous asseyons à l’avant. De cordiaux passagers nous demandent où nous allons. « You are definitely in the right bus » nous déclare un homme à boucle d’oreille. « We are probably more worried about you than you are » ajoute une vieille dame. Après un long parcours dans une zone industrielle sur le déclin, le chauffeur nous indique qu’il s’agit de descendre. Nos amis de bus nous font coucou à travers la vitre. Cette banlieue nous apparaît résidentielle avec de jolies maisons de tous les styles. Une assez longue marche dans la chaleur, fatigante pour elle qui traîne sa trop lourde valise tout en portant son nouveau sac à dos, nous mène chez Suzanne, notre logeuse de Rebecca Avenue. À la fenêtre nous fait signe une affichette de soutien à Barack Obama.

    Suzanne nous reçoit aimablement et nous montons les pesantes valises par les escaliers raides jusqu’au troisième floor. Notre chambre est en soupente. On s’y sent bien malgré la fatigue et l’énervement (le mien) du voyage. Elle voudrait cependant ressortir à la recherche d’un lointain café que nous a indiqué notre logeuse. Je n’en ai pas envie. Un orage nous met d’accord, plus question de mettre le nez dehors sous une telle drache. Je redescends pour demander un tire-bouchon à nos hôtes et on ouvre la bouteille de vin de Californie qui a fait le voyage avec nous. Il est trop sucré mais comme on n’a que du pain de hot-dog à la confiture à manger, ça peut aller.

    Tandis que la pluie claque sur le toit, le ventilateur tournant, on se met au lit.

    *

    Simplicité des rapports humains aux Etats-Unis où tout le monde s’appelle par le prénom.

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  • Je termine, en cette nuit de Noël, la lecture de l’épais premier volume publié chez Gallimard des Lettres choisies de Jack Kerouac, regroupant des missives envoyées et quelques reçues entre mil neuf cent quarante et cinquante-six, une correspondance foisonnante et foutraque, parfois rédigée dans un état second dû à la drogue ou à l’alcool. J’en saute de nombreuses pages et en sauve deux extraits relatifs à Sur la route qu’il aura beaucoup de mal à faire éditer :

    A Alan Harrington, le 23 avril 1949, Ozone Park, N.Y. : Je commence donc à travailler sérieusement sur mon 2e roman cette semaine. Sur la route. Je crois. Tous mes génies sont en prison, Alan – Burroughs, Huncke, Allen (innocent Ginsberg), la grande rousse Vicki, peut-être Neal & LuAnne, pour ce que j’en sais. Je ne suis plus « beat » désormais, j’ai de l’argent, une carrière. Je suis plus seul que lorsque je « traînais » à Times Square à 4 heures du matin ou faisais du stop sans un sou sur les grandes routes de la nuit. C’est étrange. Et pourtant je n’ai jamais été un « rebelle », seulement un imbécile heureux et piteux, au grand cœur rempli de joies stupides.

    A Allen Ginsberg, le 8 octobre 1952 : Ceci est destiné à faire connaître à toi et à tout le reste de la bande ce que je pense de vous. Peux-tu même me dire par exemple… pourquoi, après toutes ces discussions sur le style des livres de poche et la nouvelle mode consistant à écrire sur la drogue et le sexe, mon Sur la route, écrit en 1951, n’a jamais été publié ? –pourquoi  ils ont publié le livre de Holmes qui est une merde et ne publient pas le mien sous le prétexte qu’il n’est pas aussi bon que certaines autres choses que j’ai écrites ? Est-ce le destin d’un idiot incapable de mener à bien ses affaires ou bien est-ce l’odeur de pet généralisée de New York en général… Et toi que je croyais être mon ami –tu es assis là et tu me regardes droit dans les yeux pour me dire que le Sur la route que j’ai écrit chez Neal est « imparfait », comme si quoi que ce soit que toi ou un autre ait fait était parfait ?... et tu ne lèves même pas le petit doigt ou dis un truc en ma faveur…

    *

    Survivre à Noël n’est finalement pas plus difficile que de survivre à la fin du monde, bien que la commémoration de la Nativité fasse plus de bruit que l’Apocalypse quand on habite près de la Cathédrale de Rouen, d’où la difficulté de se rendormir après le carillonnage de fin de messe de minuit un peu avant une heure du matin, l’Archevêque, Monseigneur Descubes, ayant mis la gomme, d’autant qu’il se met à pleuvoir ensuite, d’où tambourinage sur le toit.

    *

                En province, la pluie devient une distraction écrivaient Edmond et Jules de Goncourt. C’est vrai, mais avec vingt-trois jours de pluie sur vingt-cinq en décembre, la distraction perd de son charme.

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  • Samedi après-midi, celle qui me retrouve ce ouiquennede arrive les bras chargés de victuailles afin que nous fassions réveillon de Noël le vingt-deux décembre. Le vingt-quatre pour elle, c’est la famille et pour moi, ouf, rien.

    Auparavant, je l’invite au cinéma Omnia où l’on donne Tomi Ungerer: l'esprit frappeur, film documentaire américain signé Brad Bernstein. D’Ungerer, elle connaît les livres pour enfants qu’elle a eus entre les mains, à cet âge, mais guère le bonhomme et ses autres activités. J’en ai une bonne connaissance grâce à ma visite du Musée à sa gloire de Strasbourg et à quelques émissions de radio sur France Cul.

    En même temps qu'arrive en France ce documentaire est projeté Jean de la Lune, dessin animé tiré d’un de ses livres, réalisé par Stephan Schesch. Nous assistons à la sortie des jeunes enfants accompagnés de parents ou grands-parents, pas plus d’une douzaine de spectateurs.

    Nous avons du mal à trouver deux sièges à notre convenance qui ne soient pas déglingués dans la salle quatre. Une femme seule s’assoit quelques rangées derrière nous. Nous ne sommes donc que trois. Après de pauvres publicités et les bandes annonces qui dissuadent d’aller voir les autres films au programme, nous voici pour une heure et demie en compagnie d’un sacré personnage à la vie aventureuse et aventurière. Tomi, âgé aujourd’hui de quatre-vingt-un ans est en pleine forme, une cigarette roulée au bec, ce qui réjouit celle assise à ma droite.

    Brad Bernstein a réussi un documentaire punchy richement illustré. On y suit les rebondissements de la vie de Tomi racontée par lui-même (entre crise d’angoisse et torture de Barbie) et par quelques témoins dont Maurice Sendak : la mort de son père quand il avait trois ans, l’annexion nazie de l’Alsace, la « libération » pendant laquelle il assiste à l’autodafé des livres de Goethe et Schiller, sa décision de quitter la France pour New York avec soixante dollars en poche, sa réussite là-bas comme dessinateur de presse puis auteur de livres pour enfants, sa participation par des dessins radicaux aux mouvements politiques des années soixante (contre la ségrégation raciale, contre la guerre du Viêt-Nam, pour la libération sexuelle), sa vie avec la fille qui lui proposa d’être son esclave, le scandale quand on découvrit que l’auteur des livres pour enfants et du Fornicon ne faisait qu’un (« un pervers à la maternelle »), son départ avec sa compagne pour un village sans foi ni loi sur une île perdue de Nouvelle-Ecosse au Canada et finalement l’arrivée en Irlande quand naissent leurs deux filles, là où il vit toujours.

    Cela nous donne bien à penser, surtout à celle qui m’accompagne et qui a l’âge où Ungerer partit pour New York. On parle de tout ça, rentrés à la maison, buvant un excellent pineau des Charentes, premier plaisir de notre réveillon privé.

    *

    Quelques formules de l’oncle Tomi :

    Sans désespoir, pas d'humour.

    Les enfants doivent être traumatisés, ça leur donne une identité.

    Je préfère un grand virage à une courbe sinueuse.

    Prévoyez l’imprévu.

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  • De Raymond Cousse, je connais peu de choses. J’ai lu autrefois Stratégie pour deux jambons, son roman cochon, construit sur les réflexions d'un porc à quelques jours de l'abattage, roman dont il fit une pièce de théâtre à un personnage qu’il joua lui-même. Je sais aussi comment est mort (il y a aujourd’hui exactement vingt et un ans) celui qui écrivait Je hais l’espèce humaine en général, mais ne puis m’empêcher de l’aimer dans le détail. Je tourne en rond dans cette névrose. J’ai cent raisons de ne pas me suicider, mais aucune de survivre.

    C’est bien content que je suis revenu l’autre jour de Paris avec deux livres de lui. Je viens de lire celui publié par Le Dilettante sous le titre L’Envers vaut l’Endroit. Il regroupe divers textes écrits par Cousse lorsqu’il faisait le cochon à l’étranger.

    Le premier est un pamphlet intitulé Vive le Québec libre ! Les Canadiens français, qui ne l’ont pas bien accueilli, y sont chaudement habillés pour l’hiver, juste une phrase en échantillon :

    Le jargon local, en dépit du pestilentiel accent, d’une vulgarité révoltante pour tout Français épris de sa langue, ne saurait à lui seul retrancher le Québec de l’espèce humaine.

    Suit L’envers vaut l’endroit (journal d’Australie) écrit en mil neuf cent quatre-vingt-quatre dans lequel je trouve moult formules qui me réjouissent :

    Je déteste mes compatriotes à l’étranger. (En France, il a bien fallu se faire une raison.) (vendredi seize novembre)

    Comme la terre serait belle, si elle n’était pas infestée d’humains. (même jour)

    Voyager, c’est principalement ventiler sa pourriture. (mercredi vingt et un novembre)

    Aperçu le Premier ministre français à la télévision. Petit vieillard précoce et chauve de trente-huit ans. (dimanche vingt-cinq novembre). On aura reconnu Laurent le Fabuleux.

    A la dernière présidentielle, j’avais collé sur le bulletin une photo porno trouvée dans mes archives, un paysan danois qui se tape une truie avec un plaisir débordant. Sensations lors du dépouillement. Les bajoues du maire en tremblaient d’indignation. Il eût été plus judicieux de montrer un verrat s’envoyant Marianne. (même jour)

    Un animal, on ne se demande jamais ce qu’il fout là. Les humains sont toujours déplacés, excepté sur la scène du crime. (lundi vingt-six novembre)

    Une jeune femme à la minijupe exceptionnellement courte me dit qu’elle ne comprend pas le français mais qu’elle a tout suivi sur mon visage. Ça ne m’étonne qu’à moitié. Personnellement, je n’entends pas l’anglais mais n’en réussis pas moins à saisir sa conversation à l’étage inférieur. (mardi vingt-sept novembre)

    En règle générale, j’ai horreur des enfants et m’étonne de l’idolâtrie dont ils font l’objet. Ce culte insensé est révélateur de la cécité de l’espèce. Quand on sait ce qu’ils deviendront plus tard, il n’y a pas de quoi pavoiser. (vendredi trente novembre)

    Le talent est contre-indiqué car il distrait  de la quête du pouvoir. (samedi premier décembre)

    Tout de même, ces milliards de crétins vautrés pendant des décennies dans le western, cette apologie militante du génocide ! (mercredi cinq décembre)

    Dernier texte : celui de son journal de tournée en Côte d’Ivoire en mil neuf cent quatre-vingt-six, invité là par des Blancs peu ragoûtants, du temps de Félix Houphouët-Boigny (dont il fait une description haute en couleur), son titre : La découverte de l’Afrique (Journal à couper le beurre), extrait :

                Le racisme de mes hôtes suinte de partout. L'organisateur n'a pas la trentaine. Blanc-bec atrabilaire, d'une ignorance crasse et satisfaite sur tous les sujets. Je l'appellerai "Monsieur", comme ses boys. Il y aura donc Monsieur, les parents de Monsieur, la femme de Monsieur - une oie blanche qui fait dans la publicité locale - et les deux merdeux de Madame-Monsieur, encore en bas âge, mais potentiellement aussi racistes que leurs géniteurs.

                J'ignore pourquoi Monsieur m'a invité. Son association ne produit habituellement que du café-théâtre racoleur. Il m'a vu jouer en Avignon devant des salles pleines. C'est là que la grâce l'a frappé. De mon côté, j'étais heureux de jouer pour les Noirs. En réalité, je me produirai devant les adhérents du Lion's Club et autres Rotary's Club, autrement dit le gratin de la charogne néo-colonialiste. Le prix des places est fixé à cent trente francs, soit le sixième du salaire mensuel d'un boy. J'espère qu'ils ne pousseront pas l'amour du théâtre occidental jusqu'à accourir en famille.

                Raymond Cousse dans ce Journal à couper le beurre narre entre autres choses son aventure avec une prostituée du pays. Il se demande si, vivant en Côte d’Ivoire sur une longue durée, il ne se comporterait pas comme ces Blancs qu’il déteste et s’énerve de la cour qu’on lui fait :

    Dès qu’un individu se démarque de ses semblables, une meute servile se couche à ses pieds. Plus le démarquage est ascensionnel, plus la meute s’accroît. Pas moyen de lutter contre ça. C’est inscrit dans le cerveau reptilien. Autant exhorter un chien à partir en guerre contre son collier.

    *

    « Raymond Cousse se suicide dans la nuit du 22 décembre 1991, après un réveillon improvisé à son initiative, deux ans, jour pour jour après la mort de Beckett. Il était angoissé, alcoolique, boulimique, kleptomane. Il avait quarante-neuf ans. » écrit Corinne Amar dans un texte publié par La Fondation La Poste.

    *

    Je me demande ce qu’est devenue sa fille qui figure dans ses bras sur la couverture d’A bas la critique ! et qui lui téléphonait quand il jouait en Australie.

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  • Ce premier lundi de septembre, nous petit déjeunons de choses à notre disposition dans le studio et de mandarines en boîte. Dehors, il pleut à seaux. Nous sommes à 10.30 a.m. à la Fondation Barnes, munis des précieux billets obtenus la veille (« You’re so so lucky », nous diront Marcia et l’une de ses sœurs à notre retour).

    Le majestueux bâtiment parallélépipédique est tout récent. Il a été inauguré en mai dernier, remplaçant celui situé en banlieue, à Merion. Nous présentons nos sésames et découvrons le luxueux hall pourvu d’immenses fauteuils, les restrooms bois et pierre, le vestiaire discret.

    Nous pénétrons dans la première salle d’exposition et « bam ! », comme dit celle qui m’accompagne, nous voici devant les immenses Poseuses de Seurat, cette vue de son atelier avec trois jeunes jolies modèles nues dedans sur fond de tableaux de l’artiste ; en dessous, l’une des versions des Joueurs de cartes de Cézanne ; sur le mur latéral de gauche, à au moins quatre mètres de hauteur, La Danse, immense fresque de Matisse.

    Le docteur Barnes, riche pharmacien, était un grand fan de Renoir, Cézanne, Matisse, Picasso, Rousseau, Modigliani, et d’autres moins représentés. Les Renoir à la chair rosâtre sont dans toutes les salles, ce qui n’est pas pour nous plaire. En revanche, nous sommes vraiment contents de voir les magnifiques portraits de Modigliani, notamment La jeune fille rousse en robe du soir, de beaux Picasso dont La jeune fille à la chèvre, Arlequins et deux datant de la période bleue dont je ne note pas le titre, et La jeune fille aux bas blancs de Courbet, et un très très beau Toulouse-Lautrec "A Montrouge"–Rosa La Rouge et des tas de Douanier Rousseau petits et grands, et puis Monet Le bateau atelier, des Degas par-ci par-là, quelques grands maîtres des temps anciens (David, Canaletto), sans oublier Pascin. Tout cela reprend l’ancien accrochage de Merion, sans ordre apparent, et du coup, c’est la première fois que l’on voit Miro et Le Tintoret côte à côte.

    Avant de sortir, nous visitons l’exposition du rez-de-chaussée consacrée à Barnes lui-même, qui n’aura mis que dix ans pour constituer sa prestigieuse collection avant de mourir accidentellement, sa voiture ayant heurté un tracteur, une collision dans laquelle même Fidèle son chien périt. Quelques factures sont exposées : deux nus de Renoir 2000 dollars, un Picasso 680 dollars.

    C’est sous une immense drache que nous gagnons Little Pete’s Restaurant pour y déjeuner comme hier. Nous y commandons un Cheese Burger Deluxe et un Salmon Burger avec des French Fries, le tout avec two red wine glasses of course. Une serveuse aussi gentille et attentionnée que celle de la veille s’occupe de nous. Elle passe parfois avec une tapette à mouches fluo pour en abattre une d’un grand coup.

    Aux autres tables, c’est un mélange de jeunes gens qui mangent des pancakes, de vieux très vieux, de gens qui ont de bonnes têtes d’écrivain (une fausse Carol Joyce Oates et un faux Paul Bowles), de blacks bien habillés. Il est même une table où mangent ensemble une Noire, un Jaune et un Blanc. On a le droit à une deuxième ration de café et de thé.

    Comme il pleut moins, on décide d’aller visiter the Old City. On attend donc le bus 33. N’ayant toujours pas de monnaie (sorry no change), on voyage une nouvelle fois gratuitement. Cette vieille ville nous déçoit, beaucoup de monuments grandiloquents, de statues staliniennes, un désordre urbain qui empêche d’accéder au fleuve Delaware.

    Avant de rentrer, nous allons dans un grand magasin pour acheter un vaste sac à dos afin qu’elle puisse diminuer le poids exagéré de sa valise, puis nous revenons chez Marcia and Sisters à pied.

    Le sac à dos posé, nous allons boire un smoothie dans un café d’étudiants de Fairmount Avenue, le Mug Shot, lieu animé dont la radio diffuse Sous les ponts de Paris,

    De retour au sous-sol, nous préparons les bagages en vue du départ pour Pittsburgh. Sa valise est allégée grâce au sac à dos, mais pas assez, et puis au lit sans manger.

    *

    Sur le pignon du London Grill, Fairmount Avenue, une peinture murale copiée d’un original de Giorgio de Chirico représente le Docteur Barnes : « Welcome back to Philadelphia, Dr Barnes ! »

    *

    Barnes est devenu riche en inventant l’antiseptique Argyrol. Comme les Blancs instruits se riaient de son goût pour Cézanne ou Renoir, il n’admit dans un premier temps que les Noirs dans son musée, puis il limita le nombre d’entrées les vendredis et les samedis à cent, ou à cinquante le dimanche, et l’interdit au moins de quinze ans. Après sa mort, au mépris des instructions de son testament, les conditions d’accès se sont assouplies, notamment parce qu’il a fallu trouver de l’argent. On fit même pour cela voyager les tableaux.

    *

    Il y eut ainsi à Paris, au Musée d’Orsay, en mil neuf cent quatre-vingt-treize, une exposition intitulée  De Cézanne à Matisse : Chefs-d’œuvre de la Fondation Barnes, dont je fus l’un des visiteurs.

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  • Le lendemain de notre arrivée à Philadelphie, nous partons de bon matin pour le Musée des Beaux-Arts, lequel ne se trouve pas bien loin de notre chambre d’hôtes de Fairmount Avenue. A l’ouverture, nous y payons un tarif réduit à notre bon vouloir (dix dollars chacun) car c’est le premier dimanche du mois.

    Nous visitons d’abord la section peinture moderne et contemporaine. Tous les noms célèbres sont là, nous y admirons notamment les beaux tournesols de Van Gogh, ne manquons pas de passer par la salle consacrée à Marcel Duchamp, découvrons celle dédiée à Cy Twonbly. Je note le troublant Autoportrait avec sa sœur d’Edouard Vuillard. A l’étage sont les maîtres anciens. Le bâtiment est vieillot et la muséographie aussi : peinture grise pour les murs, éclairage sombre, mélange hétéroclite des tableaux. Il y a peu de monde. Les gardien(ne)s ont la peau noire.

    Au moment de ressortir, nous constatons qu’hélas il pleut. On attend un peu à l’intérieur en grignotant des barres de céréales. De sympathiques sexagénaires québécois veulent savoir d’où l’on vient. Eux ont fait huit heures de bus pour venir ici.

    Sortis sous la pluie qui ne veut pas cesser, on se dirige vers la Fondation Barnes où l’on nous apprend que le nombre de visiteurs autorisés à entrer ce dimanche est atteint. Il aurait fallu réserver des semaines à l’avance. La Maison Barnes a une organisation particulière découlant du fichu caractère de son fondateur et du manque d’espace dans les salles. Heureusement pour nous, la jeune guichetière veut nous être agréable. Elle nous trouve deux entrées pour 10.30 a.m. demain lundi, celles de personnes qui ne viendront pas.

    Du coup nous voici déjeunant à 1 p.m. au Little Pete’s Restaurant, le breakfast lunch dinner de Fairmount Avenue situé au rez-de-chaussée d’un immeuble laid. La serveuse est très aimable avec les étrangers que nous sommes, la clientèle variée (âge, milieu social, couleur de peau). Décidé à être sage aujourd’hui, j’opte, comme elle, pour une salade accompagnée d’une assiette de patates douces frites et d’un verre de chablis. « Everything is good, honey ? » nous demande notre serveuse. Suivent un café et un thé. Il pleut toujours quand nous sortons, nous décidons de rentrer à l’appartement.

    Après une petite sieste d’une heure, la pluie ayant cessé, nous nous baladons dans Fairmount Park, le plus grand des parcs urbains américains, trois mille deux cent cinquante hectares, en longeant la Schuylkill River qui nous ramène en ville dans un paysage de bâtiments faussement romains, de ponts anarchiques, de mobilier urbain laid. Le son du festival Made in America parvient jusqu’ici, des policiers sont avachis sur les bancs. Quand je suis trop fatigué, on rentre chez Marcia et ses deux soeurs par le centre ville en chantant des chansons idiotes des années soixante pour se donner du courage. S’ensuit un léger dîner au rosé, chips, cranberries, figues.

    *

    Fairmount Avenue, presque en face de notre chez nous temporaire, on trouve une fresque murale à la gloire de Noam Chomsky, linguiste et philosophe anarchisant, né à Philadelphie en mil neuf cent vingt-huit. « « The most important intellectual alive » The New York Times », est-il écrit en bas du mur de briques rouges.

    *

    Philadelphia, ville de province, on s’y sent moins bien qu’à New York City. Les camions des éboueurs y ont été confiés à des artistes locaux et sont devenus œuvres de Street Art plus ou moins réussies.

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