• C’est au bar du Faubourg, avenue Ledru-Rollin, que j’attends ce mercredi l’ouverture du magasin Book-Off. J’ai avec moi une pile de livres qu’on ne peut vendre qu’à Paris. Je bois un café en lisant Libération. De l’autre côté de l’avenue, au-dessus du Mac Do, des jeunes gens courent sur un tapis face aux baies vitrées qui leur permettent de voir le mouvement de la rue pendant qu’ils fatiguent leur corps. A l’intérieur du café, on parle toujours de ça : « Il paraît qu’il y a aussi de la viande de cheval dans les Panzani ». « C’est pour ça qu’elles sont meilleures ».

    A dix heures, je me pointe à la porte de Book-Off et y découvre une affichette fâcheuse : « Inventaire : ouverture à 13h ». Fichtre, quoi faire ?

    C’est en marchant longuement sur la Coulée Verte jusqu’à la piscine de Reuilly que j’atteins onze heures. Un demi-tour me ramène dans le quartier à midi. J’y mange une langue de bœuf au Rallye, le Péhému tenu par des Chinois où tous les pauvres du coin gaspillent leur peu d’argent dans les jeux de hasard. A une autre table déjeunent trois syndicalistes du commerce (un homme qui dirige et deux femmes qui suivent). Il est question de magasins et de Céheu. « C’est comme mon ancienne directrice, déclare le syndicaliste, elle arrivait à la boutique avec une ras du cul et les nichons à l’air. » La langue est bonne mais le côtes-du-rhône infect. L’une des syndicalistes finit par tenter sa chance au grattage. Deux autres femmes mangent à ma gauche, des collègues. Non seulement elles ne se parlent pas mais elles évitent de se regarder. L’une sauce son assiette d’une façon maladive jusqu’à la disparition du pain. Où que je sois, j’ai de plus en plus l’impression d’être entouré de malades mentaux.

    A treize heures, je suis chez Book Off où j’ai la malchance d’avoir affaire à la plus grande des employées qui est aussi la plus mal aimable. Elle me propose une somme ridicule pour mes livres. Je ne discute pas, fais le tour de la boutique, ressors sans livre acheté et rejoins à pied le Centre Pompidou. La file des frigorifié(e)s s’allonge sur la plazza, la faute à Dali. Ma carte d’adhérent me permet cette fois d’entrer sans tarder. La chenille m’emmène au sixième où serpente la deuxième file d’attente pour Dali. Je pénètre dans l’autre l’exposition du moment : Eileen Gray. « Non, c’est pas Dali, explique une femme à son enfant, c’est une dame qui fait des meubles bizarres. » De cette disagneuse, je ne sais pas grand-chose. Je vois qu’elle a aussi fait œuvre d’architecte et que c’est la reine du tiroir pivotant. Ses fauteuils transat me tentent mais ils sont interdits. C’est sur un banc dur que je m’assois pour regarder qui passe.

    -T’as pas l’air passionné par ce qu’on voit, dit une jeune fille à celui qui l’accompagne.

    -Si, j’aime bien, oui, lui répond-il sans enthousiasme.

    C’est aussi mon point de vue.

    *

    Un ouvrier arabe au comptoir du Rallye : « Nous on a le droit de manger de la cochonne mais pas du cochon. »

    *

    On s’indigne à Paris du prix de la tasse de café de province au comptoir. Un euro quarante alors qu’ici c’est un euro ! On oublie de dire que dans la salle le café passe à deux euros quarante.

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  • Je lis ou plutôt parcours en une après-midi, au bar des Fleurs, La chair, le diable et le confesseur de Guy Bechtel, ouvrage paru chez Plon, au titre prometteur et au contenu décevant, son auteur est catholique. Néanmoins, j’y croise un certain vicaire d’Evreux, le Révérend Père Louvel, auteur du Traité de la chasteté (questionnaire à l’usage des confesseurs pour interroger les jeunes filles qui ne savent pas ou n’osent pas faire l’aveu de leurs péchés d’impureté) imprimé à Paris vers mil huit cent cinquante. Ce Révérend Père Louvel mérite d’être tiré de l’oubli pour sa capacité à décrire (en quatre catégories) Les péchés que les jeunes filles commettent habituellement en cette matière :

    I

                En se livrant à la masturbation, regardant leurs parties sexuelles et faisant des attouchements sur elles-mêmes.

                En caressant légèrement avec la paume de la main la partie supérieure de la matrice.

                En touchant du doigt le clitoris à l’intérieur du vase, etc.

                En introduisant le doigt dans le vagin.

                En introduisant dans le vagin un morceau de bois arrondi, etc. ou tout autre objet figurant le membre viril.

                En appuyant les parties sexuelles contre les pieds d’une table ou sur l’arête d’un mur, pour exciter la pollution ; ou en les frottant contre la chose sur laquelle la jeune fille est assise ; ou en s’asseyant à terre en appliquant le bout du pied sur le vase ; ou encore en croisant les cuisses et exerçant une pression sur la matrice, et en faisant des mouvements sur elle-même pour introduire des sensations vénériennes, etc.

    II

                En se faisant des attouchements, une jeune fille avec une autre, ou plusieurs jeunes filles entre elles. En se livrant à la sodomie entre jeunes filles, parfois des sœurs entre elles, surtout si elles couchent dans le même lit, une appliquant le pied, la cuisse ou la jambe de l’autre sur ses parties sexuelles, etc., et provoquant la pollution.

    III

                En se faisant des attouchements, de fille à garçon, aux parties sexuelles. Parfois, en essayant de forniquer quoique de manière imparfaite.

    IV

                En appliquant la matrice sur un animal quelconque, et en se frottant contre lui pour amener la pollution.

                En introduisant dans le vase le bec d’un poulet ou d’une poule. Ou bien en mettant de la salive ou du pain dans la matrice et en attirant un chien pour faire lécher les parties pudiques par l’animal. Ou encore, en masturbant un chien pour faire raidir sa verge et l’introduire dans son vase.

                Guy Bechtel commente cette exhaustive description en jugeant qu’il est difficile de trouver une justification théologique à ces textes, qui semblent bien davantage appartenir à la littérature médicale. Il n’explique pas en revanche pourquoi il juge bon de les reproduire après avoir promis au début de son livre d’évoquer le sujet sans entrer dans les détails.

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  • C’est notre dernière journée à Chicago. Après le petit-déjeuner pris à l’intérieur, ayant repéré de notre hauteur une concentration de taxis couleur bordeaux garés dans une rue parallèle à Michigan Avenue, nous descendons en réserver un pour samedi matin nous emmener à l’aéroport. Un chauffeur est là près d’une voiture. Il s’appelle Xavier et parle français, étant camerounais. Il est d’accord pour venir nous chercher à six heures du matin.

    Le bus 4 nous emmène jusqu’à Congress. De là, nous allons faire le tour de Buckingham Fountain, l’immense fontaine de Grant Park qui servait de point de départ à la mythique Route 66, copiée sur celle de Latone à Versailles, en deux fois plus grand naturellement, devant laquelle je la photographie, puis nous nous renseignons sur le concert gratuit que doivent donner le Chicago Symphony Orchestra et son chef Riccardo Muti en fin d’après-midi au Jay Pritzker Pavilion.

    Nous rejoignons ensuite Rush Street où, selon le Guide Bleu, on peut manger la meilleure pizza de la ville, chez Giordano’s. Il est midi, nous sommes dans les premiers. Bientôt, la belle salle rouge se remplit. La serveuse nous indique que la spécialité que l’on convoite, cette Chicago Famous Stuffed Pizza, nécessite quarante-cinq minutes de préparation. On l’attend donc patiemment en compagnie d’un verre de chardonnay. Elle est énorme, surtout en épaisseur, composée d’une couche de fromage, d’italian beef et de coulis de tomate, accompagnée d’une salade, et excellente. Nous la mangeons en entier, surtout moi, alors qu’à d’autres tables on fait appel au doggy bag.

    La pluie, lorsque nous sortons, nous prive d’une promenade digestive. Les bus 3 et 4 nous reconduisent chez nous où nous prenons le café et le thé avant de faire un petit somme.

    Nous partons pour Millenium Park à 3.30 p.m. afin d’y ouïr à 6.30 p.m. Carmina Burana (Carl Orff’s choral blockbuster) interprété par the CSO dirigé par Riccardo Muti le Magnifique (featuring Maria Grazia Schiavo, Rosa Feola, Antonio Giovannini, Audun Iversen, the Chicago Symphony Chorus and the Chicago Children’s Choir). Nous nous plaçons dans la file où l’on attend pour obtenir un siège devant la scène. La pluie menace mais inutile d’espérer des places abritées, elles sont réservées. Certains ont choisi de s’installer sur la pelouse avec leurs propres pliants (dont l’un du Tour de France) et pique-niquent en famille, un verre de vin à la main. Les bénévoles de Bank of America, mécène du concert, nous offrent une gourde siglée du nom de la banque et de celui du Chicago Symphony Orchestra. On obtient deux sièges à 5 p.m. que l’on essuie avant de s’y asseoir. Malheureusement, il ne tarde pas à repleuvoir et pas qu’un peu. C’est sous les parapluies que l’on attend l’heure de début du concert, sûrs de n’en rien voir.

    Au dernier moment, des places réservées non occupées deviennent accessibles. On s’y précipite mais il est trop tard. Après nous être fait jeter des abords du plateau, nous nous retrouvons debout sous la pluie près des toilettes, d’où l’on voit partiellement la scène. Les vigiles débordés tentent de nous déloger au prétexte d’issue de secours mais nous tenons bon et arrivons à voir la plupart des musiciens et des choristes présents sur le plateau.

    Riccardo Muti arrive. Il salue les autorités, la banque et les spectateurs puis lance l’hymne national qu’il dirige dos à l’Orchestre. Dans un grand élan de patriotisme mouillé, l’ensemble du public, la main sur le cœur, chante The Star-Spangled Banner. Le Maestro tourne ensuite sa baguette vers les musiciens et les choristes et place à la musique moyenâgeuse de Carl Orff,. Carmina Burana ne nous enchante pas mais on apprécie la gestuelle de Riccardo qui parfois se trémousse de façon assez drôle, tel un cormoran avant l’envol. De gros applaudissements saluent la fin de ce concert qui marque la fin de l’été à Chicago. Nous n’attendons pas l’issue des saluts pour nous extraire de la foule et choper un bus 4 qui nous ramène au 2901 South Michigan Avenue, vingtième étage, trempés et congelés.

    *

    Riccardo Muti est celui qui, le douze mars deux mille onze, à l’Opéra de Rome, alors que le public lui demandait de bisser le Va pensiero du Nabucco de Verdi dénonça les coupes budgétaires du gouvernement de Berlusconi mettant en péril la culture italienne.

    Un spectateur :

    -Vive l'Italie!

    Riccardo le Magnifique :

    -Oui, je suis d'accord sur le «Vive l'Italie», seulement... Je n'ai plus trente ans et donc ma vie est faite. Mais, en tant qu'Italien, qui parcourt le monde, je suis très peiné par ce qui est en train de se passer. C'est pourquoi si, à votre demande, je bisse le «Va pensiero», je ne le fais pas tellement, ou uniquement pour des raisons patriotiques... Mais ce soir, tandis que le chœur chantait «Oh ma patrie, si belle et perdue» j'ai pensé que si nous tuons la culture sur laquelle reposent les fondements de l'Italie, notre Patrie, véritablement, sera bel et bien perdue.

    À la rigueur, vu que nous sommes dans un climat très italique, et que très souvent Muti* s'est adressé à des sourds, durant de longues années... Je voudrais, faisons une exception: nous sommes ici chez nous, dans le théâtre de la capitale... Comme le chœur l'a chanté magnifiquement et que l'orchestre l'a très bien accompagné: si vous voulez vous aussi vous joindre à nous, faisons-le tous ensemble.

    Mais en mesure!

    (* muto signifie «muet».)

    Cette performance filmée par Arte est visible sur You Tube.

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  • Le Claude est mort, c’était la nouvelle rouennaise de la semaine dernière. Ce qui m’a fait connaître le prénom de l’homme qui se tenait régulièrement depuis des années à l’angle de la rue du Bec et de la rue du Gros assis sur un pliant, casque à musique sur les oreilles, chien et lapin à ses pieds, espérant des passants qu’ils lui donnent un peu d’argent. Ce que personnellement je n’ai jamais fait. Certains le pensaient sans logis mais je sais qu’il habitait rive gauche. Je le croisais parfois lorsque j’allais travailler à pied à Saint-Sever, lui allant dans l’autre sens avec son matériel. Quand j’ai appris sa mort, je me suis dis que ça faisait longtemps que je ne le voyais plus à sa place habituelle et que cette absence m’était passée inaperçue. D’autres ont l’air de ne pas pouvoir s’en remettre. Ils ont créé un groupe sur le réseau social Effe Bé où ils vident leur cœur. Comble du ridicule, une marche blanche (comme ils disent) a eu lieu ce samedi pour rendre hommage au Claude et à sa ménagerie.

    Un autre se tient rue Saint-Romain certains matins, debout devant l’église des Mormons, sans chien ni lapin. Il s’est fait copain avec les commerçants et adresse la parole à qui passe dans l’espoir d’une pièce. Jeudi dernier, m’apercevant, il part dans un grand rire et se met à dire du mal d’un avec qui je suis fâché. Je passe sans lui répondre. Cela faisait des mois qu’on s’ignorait. Il y a je ne sais combien de temps, j’avais répondu à son désir intéressé de parler à qui passe mais avais vite vu à qui j’avais affaire : un type qui classe les commençants de la rue en deux catégories, les bons qui lui donnent de l’argent et les mauvais qui ne lui en donnent pas, et, pire, qui tient des propos poujadistes et xénophobes. Pas plus sans logis que le Claude, ayant même le confort moderne chez lui, dont Internet, s’en servant pour tenir blog sous un pseudonyme grotesque, et accessoirement pour dire du mal de moi sur Effe Bé, le voilà qui se permet de me tutoyer et qui espère que je vais en sa compagnie médire d’un autre. Les rues de Rouen ne sont vraiment pas sûres.

    Bien décorées en revanche, avec l’affichette du disparu, un étudiant sorti éméché d’une boite de nuit proche de la Seine fin janvier. Sa photo est partout et me rappelle celles des étudiants de Nantes disparus eux aussi après être sortis éméchés d’une boite de nuit proche de la Loire où l’on a fini par retrouver leurs corps des mois plus tard.

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  • Peu de sommeil pour moi, la faute au fichu bruit lié à la tempête, comme si une éolienne se mettait en route régulièrement sur le toit. Je sors du lit flappi et grognon. Le petit-déjeuner me remet un peu d’équerre. Je repère sur la carte une localité nommée Evanston. Elle est située au nord de Chicago au bord du lac Michigan. Nous décidons d’y aller.

    Pour ce faire, nous prenons le bus 4, puis la Red Line du métro jusqu’au terminus (Howard) puis la Purple jusqu’à la station Davis située au centre d’Evanston. C’est une charmante petite ville résidentielle et universitaire de soixante-quinze mille habitants. On y découvre le Mount Everest, dans Church Street, un restaurant népalais et indien qui propose un buffet à volonté le midi pour 9.95 dollars.

    Nous y faisons un excellent déjeuner : bonnes viandes, bons légumes, bonnes sauces, tout cela accompagné de nans fondants. Seul le dessert nous déçoit un peu : trop sucré à notre goût. La clientèle est locale : employé(e)s, étudiant(e)s, retraité(e)s. C’est complet à l’heure où nous en ressortons.

    Celle que j’accompagne demande à une passante si le lac est dans le coin. Il l’est, au bout d’une rue de maisons cossues. Nous nous asseyons sur un banc face à l’étendue bleue. Nous sommes à dix-neuf kilomètres de Chicago, nous apprend le Guide Bleu de l’Est des Etats-Unis.

    Les maisons sont séparées du lac par une large avenue et une pelouse arborée où nous faisons une petite sieste puis nous nous promenons sur la berge. Un double panneau nous met en garde : « Lake Michigan is a dangerous body of water. Swimming in Lake Michigan is dangerous and may cause severe injury or death » « Beach officially closed ». Ce qu’un passant a commenté à la craie : « Lake Michigan is a beautiful treasure. Relax and enjoy » « Is the air closed ? is the water closed ? ». Les pompiers locaux discutent tranquillement au bord de l’eau. Je photographie sous toutes ses coutures leur énorme camion (Evanston Fire & Life Safety). Au loin nous apparaît Chicago, dressée vers le ciel bleu.

    Quand nous regagnons le centre de la petite ville balnéaire, nous prenons un café et un thé en terrasse au soleil chez Bat 17, lesquels nous sont mystérieusement offerts.

    Nous rentrons par la Purple qui a cette heure de rush va jusqu’au Loop à grande vitesse et descendons à Madison/Wabasch. Le bus 4 nous reconduit chez nous où la douche est bonne partagée.

    *

    Evanston abrite la Nordwestern University (dix mille étudiants), l’une des plus prestigieuses universités de l’Illinois.

    *

    Le beau camion des pompiers d’Evanston a coûté cinq cent cinquante mille dollars, m’apprend Ouiquipédia.

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  • Bien qu’il fasse un peu froid au réveil, nous prenons le petit-déjeuner au balcon. Nous attrapons ensuite un bus 4 jusqu’à Jackson dans l’idée de rejoindre la Blue Line, juste à côté sur le plan.

    Loopé, on se plante bien, cela parce que la station est enterrée et que nous passons devant sans la voir. Pour ne pas revenir sur nos pas, nous prenons la Pink jusqu’à Clinton puis la Green dans l’autre sens et rattrapons ainsi la Blue.

    Elle nous conduit à Damen. Vu d’en haut, ça a l’air animé mais d’en bas nenni. On marche quand même un certain temps avant de décider de reprendre le métro jusqu’à Logan Square. Un fois là, nous découvrons un paysage déprimant, plein de boutiques de pauvres dans des rues désertes et sales, comme une image du désert mexicain, il ne manque qu’un ou deux cactus et un squelette de tête de bœuf.

    On retourne à Damen voir s’il n’y a pas où manger. Nous tentons un premier restaurant dont l’intérieur est trop laid, un deuxième qui est hors de prix. On continue, continue, continue sur Milwaukee Avenue sans rien trouver. Epuisés, nous retournons Downtown après avoir attendu le métro vingt bonnes minutes. On descend à Clark & Lake où hopefully se trouve devant nous Ronny’s Steak House.

    Celle que j’accompagne choisit une big Chicken Caesar Salad et j’opte pour un Daily Special comprenant deux côtes de porc panées, une énorme boule de purée et une assiette de salade. La clientèle se compose essentiellement de gros blacks dont une qui remercie bruyamment le Seigneur pour la purée qu’elle s’apprête à engloutir. Après le repas, nous nous dirigeons vers la Chicago River et prenons un thé et un café chez Dick’s Last Resort dont la terrasse d’étage domine la rivière. Le serveur est sympa, la décoration surabondante (dont un grand portrait d’Elvis Presley) mais il est interdit de danser sur le garde-corps et de balancer des trucs dans l’eau.

    Nous reprenons la promenade avec pour but le Lake. Marchant sur Illinois Street, nous passons sous une autoroute et voyons que c’est plus loin qu’estimé so it sucks nous prenons le bus 66 jusqu’à Navy Pier. Là, nous découvrons que c’est le lieu d’implantation du parc forain que nous apercevions de loin et l’embarcadère de tous les bateaux touristiques. Nous tournons le dos à la foule des familles, trouvant de l’autre côté de la presqu’île un banc au soleil. Nous poussons ensuite jusqu’à la pointe. Elle est balayée par un vent froid qui ne donne pas envie de rester. Nous rejoignons Michigan Avenue par le bus 124, où l’on fait des courses chez Walgreens. Un bus 3 puis un 4 nous ramènent à notre appartement haut perché.

    Thé, café, checking de l’étape suivante qui se fera en avion, on finit le merlot glacé avec des chips et du concombre tandis que le vent souffle à fond. La nuit venue, un bruit bizarre lié à la tempête, venant d’un balcon voisin ou du toit, perturbe mon sommeil.

    *

    Dans le couloir du vingtième étage, le chauffage a remplacé du jour au lendemain la climatisation. Il y fait désormais aussi chaud qu’il y faisait frais. C’est-à-dire trop.

    *

    Oublié d’évoquer pour la journée d’hier, notre jeu de cache-cache, à Grant Park le long de Michigan Avenue, dans l’Agora de Magdalena Abakanowicz, installation monumentale de cent six marcheurs sans têtes en fonte, chacun mesurant environ neuf pieds et ayant par sa texture, une personnalité différente. Ces marcheurs ont été créés dans une fonderie industrielle près de Poznan avant d’être transportés aux Etats-Unis et installés à Chicago en octobre/novembre deux mille six.

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  • Au réveil, malgré le soleil revenu, le vent est glacial sur le balcon aussi prenons-nous le petit-déjeuner à l’intérieur puis, par le bus 4, nous descendons Michigan Avenue jusqu’à Jackson. Là se trouve l’Art Institute of Chicago qui n’ouvre qu’à 10.30 a.m. aussi faisons-nous un tour dans Millennium Park en considérant les beaux buildings alentour depuis la sinueuse passerelle BP (BP Pedestrian Bridge), due elle aussi à Frank Gehry, qui enjambe Columbus Drive. A l’ouverture, après avoir pris les billets, nous laissons nos sacs à la consigne payante (un dollar par dépôt).

    L’Art Institute est un bien beau Musée pas trop fréquenté ce mardi. On y trouve la plus grande collection de peintures impressionnistes du monde (après Paris) et bien d’autres oeuvres. Je note en vrac Solitaire de Balthus, Le réveil dans la forêt de Delvaux, Nu avec un pichet de Picasso, les photos d’identité géantes de Thomas Ruff, les photos de plage de Rineke Dijkstra (maillots de bains ridicules), Day(Truth) de Ferdinand Holder, les lettres défilantes de Jenny Holzer (Blue Tilt), American Gothic de Grant Wood, Screamin’ Jay Hawkins de Karl Wirsum (1968), Beata Beatrix de Dante Gabriel Rossetti, Adam et Eve de Cranach l’Ancien, la statue Vater Stadt de Thomas Schütte (2010) sans oublier Un dimanche à la Grande Jatte de Seurat. Les présents regrettent le Hopper absent, Nighthawks est à Paris.

    Tout cela nous comble mais nous épuise. A 12.45, nous quittons le lieu de culture et par le bus gagnons un lieu de nourriture, le Yolk, où elle choisit une big salade avec des fruits et moi, un Patty Melt (burger en triangle, steak à cuisson « rare » garni d’oignons grillés entre deux tranches de fromage dans du pain rustique grillé, drôlement bon et copieux presque trop. Ensuite nous buvons un café et un thé un peu chers (2.55 dollars).

    Sortis de cette auberge, nous allons glander dans le parc au bord du lac Michigan où souffle un vent un peu trop frais. On s’assoit un moment sur un banc abrité au soleil puis nous nous promenons autour du Planetarium et de l’Aquarium où s’exposent les Jellies. Le ciel devient noir et même menaçant. On rentre par le bus 4 en s’arrêtant en route pour acheter du pain. Elle descend au niveau M où se trouve une laundry collective réservée aux habitants de la tour et fait une longue lessive, puis c'est l'heure de l'apéro au merlot glacé et chips concombre.

    *

    Ce mardi à Chicago se termine la grève des trente mille enseignants commencée le dix septembre, dont parle en France Rue Quatre-Vingt-Neuf. Le différent avec le Maire, Rahm Emanuel (ancien chef de cabinet de Barack Obama à la Maison-Blanche), reposait « sur les critères d’évaluation des enseignants, liés en grande partie aux performances de leurs élèves, et sur leurs conditions de réembauche, en cas de fermeture d’établissement, qui seraient liées précisément à leur compétence et non à leur ancienneté, comme ça l’était auparavant. ».

    *

    J’apprends incidemment que « les enseignants de Chicago sont parmi les mieux payés des Etats-Unis avec un salaire d’environ 4 500 euros par mois ».

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  • Après un bon petit déjeuner frisquet sur le balcon, nous partons vers South Loop avec l’envie de retrouver la sculpture de Miro mal vue la veille pour cause de fatigue. Nous nous arrêtons au niveau de ce qui ressemble à un bâtiment signé Frank Gehry et découvrons une structure organique ultra réfléchissante vraiment belle et photogénique, le Cloud Gate d’Anish Kapoor. Le bâtiment voisin est bien de Gehry, c’est un immense théâtre de plein air, le pavillon Jay Pritzker. Nous sommes dans Millennium Park, partie de Grant Park, où nous faisons moult photos de notre reflet sur le Cloud Gate et de l’architecture en copeaux de Gehry sur fond des plus beaux gratte-ciel.

    Celle qui m’a amené en Amérique achète un briquet puis nous piquons à l’intérieur de la ville à la recherche de la sculpture. On se perd. On s’épuise. On la trouve finalement. Puis on cherche longuement de quoi faire une pause et on tombe sur un autre Billy Goat. Nous y prenons un thé et un café pas bon en terrasse puis cherchons où déjeuner, nous heurtant à des restaurants de chaînes peu tentants.

    Nous retournons, faute d’autre choix, au South Loop Club où l’on nous installe en terrasse. L’ambiance sonore est confiée au chantier du futur lycée voisin. J’opte pour un BBQ ½ Rib et elle choisit une Grilled Chicken Salad, avec deux verres de chardonnay. Las, ma viande, c’est surtout de l’os (quand on demande à la serveuse de quelle viande il s’agit, elle ne sait pas nous répondre), la salade semble être en plastique et est parsemée de poulet caoutchouteux et les Sweet Potatoes Fries (en supplément, un dollar) sont quasiment inexistantes. Le café ne rattrape pas l’affaire, c’est du jus de chaussettes.

    Fort déçus, nous prenons au hasard la Red Line, mais comme elle s’avère souterraine nous en descendons une station plus loin et grimpons dans la Orange, faisons un tour de Loop, puis prenons la Green vers Harlem, ce qui nous fait refaire un tour de Loop.

    Harlem est un quartier bourgeois à jolies maisons. Nous y commandons une limonade en terrasse au seul café ouvert à un corner. La serveuse est épouvantable. Elle commence par renverser de la limonade sur mon pantalon et n’apporte pas de quoi essuyer. Quand on réclame, elle nous donne le vieux chiffon qui lui sert à essuyer les tables, puis nous demande avec insistance si on veut du gâteau, puis revient nous demander si on veut une autre limonade, puis nous apporte l’addition, puis vient voir si on a payé. Quand on se décide à partir, on lui laisse vingt pièces d’un centime en tip.

    Nous reprenons le métro et nous arrêtons à Conservatory Central Park Drive pour aller nous relaxer dans Garfield Park, un jardin public paisible et gratuit que l’on atteint après avoir traversé d’immenses serres tropicales. Nous y sommes presque seuls sur un banc au soleil. Au loin, un couple de garçons fait des photos. Un peu plus tard, l’un d’eux nous propose de nous photographier alors que nous jouons dans une pièce emplie de blancs ballons de baudruche. Il est steward et parle un excellent français appris à Nantes.

    La Green nous ramène dans le Loop à State & Lake. Nous y faisons quelques courses, un réveil, de quoi manger le soir, puis at home. Nous avons l’un et l’autre besoin de nous reposer, aussi nous installons-nous sur le balcon pour l’apéritif, mais nous sommes très vite délogés par une grosse drache. Derrière les baies vitrées de notre vingtième étage, nous regardons les énormes nuages noirs encercler la ville.

    *

    De là-haut, j’assiste le matin à la remise en route des transports en commun. Lignes de bus, lignes de métro et lignes de train alternent, toutes parallèles, de la périphérie à Downtown. Ne peuvent se rencontrer que celles et ceux qui habitent sur une même ligne droite.

    *

    Je considère également du haut du balcon l’autoroute en esse où la circulation jamais ne cesse. Un jour, le flot des voitures et des camions a commencé à couler. Il se perpétue jour et nuit. J’essaie d’imaginer le jour où il s’arrêtera, à la suite de quel drame.

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  • 62 ans, ha ha, nous avons réussi à arriver jusque-là. L’âge d’un grand-père. Bon, il ne va plus se passer grand-chose. écrivait Max Beckmann dans son Journal le mardi douze février mil neuf cent quarante-six, Journal inclus dans ses Ecrits publiés par l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts en deux mille deux.

    C’est ce que j’évite de me dire, ce samedi, fêtant cet âge chez ma fille où je cultive l’art d’être grand-père en racontant des histoires à ma petite-fille avant de l’emmener se promener au bord de l’Iton. Max Beckmann mourra quelques années plus tard, le vingt-sept décembre mil neuf cent cinquante, d’un arrêt cardiaque au coin de Central Park West et de la Soixante et Unième Rue.

    Ce qui pourrait m’arriver, si celle qui est à New York en ce moment s’y installait pour une longue durée, de qui j’ai reçu la veille une grande et belle carte et au réveil un mail multicolore.

    *

    Soixante-deux, il ne s’agit pas de caler, comme on dit à Arras ou à Boulogne-sur-Mer.

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  • Jamais entendu parler de Pierre Garcette avant de lire sur Grand Rouen qu’un livre de lui intitulé Rébus d’art venait de paraître aux Editions de La Martinière, livre groupant des rébus constitués d’à-peu-près formant le nom d’artistes des Beaux-Arts. « Ainsi, un bol posé au-dessus de seize têtes d’ânes, c’est « bol seize ânes », soit Paul Cézanne. » explique Sébastien Bailly dans son article. Comme ce livre est présenté au public à la librairie rouennaise L’Armitière ce vendredi soir, Grand Rouen en offre trois exemplaires. Il faut déchiffrer l’un des rébus, celui montrant une carte de France surmontant six bicyclettes. Mon goût des jeux de mots laids m’incite à tenter ma chance.

    « France » « Six » me donne vite le prénom. Des Francis, j’en connais deux : Picabia et Bacon. Le rapport avec le vélo ? Picabia signifie-t-il bicyclette dans une langue étrangère ? Mauvaise piste, je reviens vers Bacon et ai soudain une illumination : « Bike ». Avec un « On » derrière ça colle, même si je ne suis pas sûr de mon anglais. Allons-y pour « France Six Bike On »

    Le concours de Grand Rouen ne doit pas avoir eu beaucoup de succès car Sébastien Bailly ne donne pas la réponse ni la liste des gagnants sur son site d’information locale. Néanmoins, j’ai gagné, m’écrit-il, mon résultat est innovant, mais c’est le résultat. Cherchant à savoir qui est Garcette, j’apprends qu’il est né à Louviers en mil neuf cent quarante et mort à Rouen en deux mille trois.

    Vendredi vers dix-sept heures trente, je suis à l’Armitière où la caissière me donne mon exemplaire, un joli petit livre. J’y cherche la réponse à mon rébus : « France Six Bécanes ». Oui, c’est pas mal non plus.

    Peu à peu, les chaises destinées au public de la rencontre à l’étage trouvent fesses. Je suis au deuxième rang, à peine gêné par la dame de La Martinière assise devant. L’essentiel des présent(e)s a l’âge de la retraite. Beaucoup semblent avoir connu l’auteur. Une ancienne vendeuse, datant de L’Armitière de la rue de l’Ecole, est revenue sur son lieu de travail. Comme elle a vieilli, me dis-je, songeant qu’il en est de même pour moi. Par le hublot d’un bureau, le personnel de la librairie s’assure qu’il y a du monde et à dix-huit heures arrivent Paul Fournel, Président de l’Oulipo et préfacier de l’ouvrage, et Laurence Garcette, fille de l’auteur. S’installent au premier rang Guy Faucon, chef de la troupe de théâtre de La Pie Rouge, et sans doute l’une des comédiennes de ladite, une cabotine.

    Un employé de la librairie présente succinctement Pierre Garcette et pose des questions aux deux invités (il s’avère que Fournel a rencontré Garcette grâce à Faucon au Moulin d’Andé). Pierre Garcette serait plus facilement reconnu aujourd’hui qu’il ne le fut il y a vingt ou trente ans, déclare l’oulipien. « C’est vrai » répond le chœur de la salle. Sa fille évoque les œuvres « magnifiquement inutiles » dont est emplie sa cave.

     Sans que rien ne l’ait laissé prévoir, Paul Fournel sort une série de rébus format A Trois et les propose à la devinette. Nous voici tout à coup à l’après-midi récréative d’un quelconque cleube du troisième âge dont plusieurs membres sont si sévèrement mirauds qu’il faut approcher l’image de leur personne. L’employé se transforme donc en porte rébus. Chaque bonne réponse mérite un bon point. On est aussi à l’école. Je ne joue pas, laissant se battre les grands enfants. L’un des rébus est présenté en trois dimensions sous forme d’assemblage d’objets, une canne serrée dans un étau. Eh oui, c’est Canaletto.

    -C’est qui Canaletto ? demande une dame qui n’a pas le niveau.

    Comme on entend aussi mal qu’on y voit dans le fond, la cabotine saute sur l’enceinte acoustique et la pose sur une table de livres à l’effroi de la vendeuse. Ne pas jouer, c’est facile quand la réponse est évidente, mais quand Fournel en annonce un vraiment difficile, je ne peux m’empêcher de m’en mêler et devant Le Fifre de Manet coupé en deux par une scie, j’envoie « Manessier ». Je l’ai mon bon point.

    A l’issue, une dame et un monsieur sont déclarés champions, quatre bonnes réponses chacun. Ils gagnent le livre de Pierre Garcette et la séance est levée sans que l’on donne aux présent(e)s la possibilité de poser une question aux deux invités. En revanche, on peut leur faire signer l’ouvrage dont ils ne sont pas les auteurs, ce que je m’abstiens de faire.

    *

    Une exposition Pierre Garcette a eu lieu au Conseil Régional en deux mille onze sans que je m’en aperçoive. C’est lui l’auteur de la maison peinte à la gloire de Gainsbourg à Sotteville-lès-Rouen, maison découverte il y a déjà trop longtemps avec celle qui est actuellement à New York, lors d’un festival Vivacité.

    *

    Dans sa préface, Paul Fournel évoque « le côté pas commode, décidé, presque autoritaire lorsqu’il s’agissait de ce qu’il aimait » de Pierre Garcette. « Il se tenait souvent là où l’on ne l’attendait pas ». Il en fait un personnage que j’aurais aimé connaître, mais constatant comme m’insupportent à L’Armitière ce vendredi celles et ceux qui l’ont côtoyé, je préfère ne le connaître que mort.

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