• Etrange initiative que celle de l’Opéra de Rouen d’organiser un concert pour la Saint Valentin alors que son public est presque exclusivement constitué de vieux couples pour qui l’amour est un souvenir et de célibataires permanents pour qui l’amour est un fantasme. Eclairage rose, cœurs projetés sur les murs et roses sur les tables accueillent le public ce jeudi soir. Au programme, ce sont Bach et Bolling.

    Je suis en corbeille côté jardin et ai de nouveau pour voisine la vieille dame de l’autre soir qui me rappelle que je n’ai pas aimé qu’elle me dérange en partant avant la fin. C’était pour attraper son Teor, me dit-elle, le prochain était dans vingt minutes (ainsi sont organisés les transports en commun à Rouen). Devant nous sont deux couples de quinquagénaires bourgeois. Ils évoquent le restaurant qui vient d’ouvrir sur les quais dans le Hangar Dix. On y trouve un banc d’écailler comme à Paris. Derrière nous, un jeune célibataire discute avec une vieille amie, tous ses peutes ont trouvé un emploi maintenant sauf un qui après quatre cédédés chez Canal Plus n’y a pas obtenu de cédéhi, ce sont des chiens. La vieille amie lui parle de sa connexion Internet et lui demande s’il a gardé un téléphone fixe.

    -Moi j’ai gardé le mien chez France Telecom, lui dit elle.

    -C’est quoi France Telecom ? lui répond –il.

    Pour cette Saint-Valentin, l’Opéra de Rouen a choisi la Suite pour violoncelle numéro un en sol majeur que Johann Sebastian Bach composa l’année de la mort de sa première femme. Au violoncelle, c’est Florent Audibert, que l’on a soclé pour l’occasion. Son interprétation est malheureusement victime des toux récurrentes et d’applaudissements intempestifs entre les mouvements.

    On apprend alors par les ouvreuses qu’il y a un entracte bien que le livret programme indique le contraire. Je suis l’un des rares qui ose sortir. Il faut que le staff intervienne au micro pour que le mouvement vers le bar se fasse.

    Claude Bolling, surnommé Bollington par Boris Vian, est présenté sur le livret programme comme l’inventeur de la crossover music, laquelle mêle musique classique et jazz. Sa Suite pour violoncelle et trio jazz en est l’illustration. J’en aime le dialogue entre le piano (Laura Fromentin) et le violoncelle (Florent Audibert) par lequel débute chaque mouvement, mais quand s’en mêlent la contrebasse (Baptiste Andrieu) et la batterie (Romuald Lalis) cela me plaît moins. Cette musique jazzy serait à sa place au nouveau restaurant du Hangar Dix pour agrémenter le repas des bourgeois de devant, me dis-je.

    A l’issue, les applaudissements sont conformes, mais quand Laura Fromentin traverse la salle pour aller chercher un vieil homme, ils redoublent. « C’est lui, c’est Bolling », s’enthousiasme l’une des bourgeoises de devant. Marchant à petits pas, le compositeur félicite ses interprètes. Il reste sur scène pour la reprise du dernier mouvement qu’il recommande de jouer « pas trop vite », debout derrière la pianiste, dédaignant le siège qu’on lui a apporté des coulisses.

    Dans l’escalier de la sortie, j’entends un « Je croyais qu’il était mort. ».

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  • Un séjour à Paris organisé depuis longtemps afin de passer avec elle la Saint-Valentin et puis l’imprévu l’a emmenée outre-Atlantique. Annuler ou maintenir, j’ai choisi la deuxième, confiant avant mon départ à un fleuriste de New York le soin de la fêter ce jeudi.

    Mercredi tôt, je suis dans les rues de Rouen où ne circulent que balayeuses et camions poubelle chargés de réveiller la ville. Côté poubelles, beaucoup doivent chercher la leur si j’en juge par toutes celles rassemblées devant les portes du Collège Lycée Camille Saint-Saëns. Elles ont servi pour le blocage de l’établissement sur fond de bataille d’œufs de Mardi-Gras. Il s’agissait de protester contre la suppression de sept postes de professeur(e)s à la rentrée prochaine. La Police à matraques était là.

    Arrivé à la gare je grimpe dans le six heures cinquante-neuf et arrive à Paris sans retard. Le métro Douze me mène aux Amiraux. La gardienne me donne les clés. Je pose mes affaires et repars par le Quatre, objectif le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris qui m’a offert (via Effe Bé) deux laissez-passer pour l’exposition L’Art en guerre. Le métro n’ira pas plus loin que Châtelet en raison d’un grave accident de personne, annonce le conducteur.

    Je suis aux portes du Musée cinq minutes avant dix heures et demande aux quelques présents qui va voir L’Art en guerre. Un homme se fait connaître. Je lui donne mon second sésame. « Vous le vendez combien ? » me demande-t-il. « C’est gratuit ». « Je ne vous dois rien alors ? » « Non non. »

    L’Art en guerre est une exposition moitié artistique moitié historique, qui ne montre pas d’œuvres allemandes. Je la trouve fourre-tout mais c’est toujours bon de voir des tableaux de Bonnard, Matisse et Picasso. Je note également quelques beaux Chagall, les dessins de Bellmer enfermé au camp des Milles, ceux de Charlotte Salomon tuée enceinte à Auschwitz, deux minuscules statues de Giacometti (entre un centimètre et un centimètre cinq), le Prière de toucher sous plexiglas de Duchamp, Le Serpent kitsch d’Eugène-Robert Pougheon dont j’aime la nue effrayée. Pendant la visite m’accompagne le bruit inquiétant de la canne d’une vieille femme, frappant le sol.

    Je rejoins en métro le quartier Mouffetard par un chemin détourné et partiellement aérien. J’y déjeune japonais à volonté au Pot d’Or, rue du Pot de Fer, parmi une clientèle estudiantine, puis descends à pied au Quartier Latin où je furète dans les librairies en ce jour beau et froid.

    Le lendemain, il pleut. Je prends un petit-déjeuner à hauteur du métro Simplon en lisant Le Parisien, journal riche en faits-divers. Les librairies du Quartier Latin me sont un abri. Chez Boulinier, j’entends cette question inédite : « Les livres neufs, ils sont où ? ». La réponse déçoit le naïf. Des moineaux ont trouvé refuge sous l’auvent de Gibert Jeune. Ils fientent sur les livres et sur les client(e)s. Je le fais remarquer au vendeur d’extérieur, qui s’en fout.

    Après un kebab, je rejoins la Bastille et passe un certain temps chez Book-Off. Il pleut moins. Je rejoins Saint-Lazare à pied, prends un café dans un bar arabo-chinois où des retraité(e)s mangent un couscous tardif en parlant de la viande de cheval dans les lasagnes de bœuf. « Quand je vois tout ce qu’on entend », résume l’une. Un vieil homme seul a terminé le sien accompagné de vin rouge. Il dort à table un bon moment avant que le patron ne le réveille d’un petit coup à l’épaule.

    -Allez, il est temps de rentrer, lui dit-il.

    Pour moi aussi. Le train me reconduit à Rouen en ce jour de Saint-Valentin.

    *

    Le tableau-phare de l’Art en guerre, c’est l’immense et terrifiant La Guerre ou La Chevauchée de la discorde du Douanier Rousseau. Une explication murale m’apprend qu’il a été retrouvé pendant la Deuxième Guerre Mondiale chez un cultivateur à Louviers (ville natale). J’aimerais en savoir plus sur cette histoire.

    *

    Usage inédit de la tablette : s’en servir de panneau d’affichage quand on vient chercher à la gare quelqu’un(e) qu’on ne connaît pas. Un homme sans doute chauffeur de taxi se promène avec la sienne où est écrit Annabelle Barrière. Il ne la trouve pas et repart seul.

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  • Ce mardi douze février, je suis en corbeille à l’Opéra de Rouen, assez bien placé pour espérer voir les doigts du pianiste Andreï Korobeinikov. Celui-ci, avant de jouer, lit un texte en français, dans lequel il explique que le piano a un jeu mécanique, que le violon qui l’accompagnera lui donnera une voix humaine, et même une âme. Ce point de vue me semble parfaitement russe. Il va à l’encontre de celui de certains musicologues voulant que la musique se suffise à elle-même, qu’elle soit dégagée de l’émotion. Pour illustrer ou démentir ses propos, comme l’a finement remarqué l’une de mes voisines de derrière : « Que du Beethoven ! ».

    Andreï Korobeinikov rapporte dans les coulisses le siège de la tourneuse de page dont il n’a pas besoin. Il attaque sans partition la Sonate numéro vingt-huit. Personnellement, je trouve que le piano seul c’est délectable quand celui qui en joue est bourré de talent (sorti à dix-neuf ans du Conservatoire de Moscou avec le titre de Meilleur musicien de la décennie, il a aussi un diplôme d’avocat de l’Université Européenne de Droit de Moscou, obtenu à dix-sept ans, d’où peut-être sa plaidoirie pour le violon).

    Celui-ci arrive pour la suite, la Sonate numéro dix, ainsi que la tourneuse de page dont on a réinstallé le siège. Dmitri Makhtin est entré à six ans au Conservatoire pour enfants surdoués, il a été lui aussi moult fois récompensé. Le duo est parfaitement huilé et fort applaudi.

    « Quelle merveille ! Oh, comme c’est beau ! » entends-je à l’entracte. L’une de mes connaissances à qui je fais remarquer cette belle efficacité, me répond : « Les Russes, ça vous envahit la Pologne en deux jours. »

    A la reprise, c’est d’abord seul et sans partition qu’Andreï Korobeinikov joue la Sonate numéro huit suivie de l’Andante favori puis, en compagnie de Dmitri Makhtin, il interprète la Sonate numéro sept. Cela vaut de nombreux applaudissements aux deux musiciens qui saluent modestement puis bissent le mouvement le plus populaire de la dernière sonate. Ma vieille voisine de droite se lève pour sortir avant la fin des nouveaux applaudissements. Je la laisse passer en maugréant. Les deux musiciens n’en feront pas plus. Ils se saisissent de leur partition et la montre au public, moitié pour faire applaudir Ludwig van, moitié pour signifier que c’est bon, on a fait le job.

    Rentré, je me mets au lit afin de dormir suffisamment avant que le réveil ne sonne à cinq heures. Demain et jeudi, c’est Paris.

    *

    En voici une qui déclare publiquement qu’elle ne lira plus jamais mon Journal (la dame me juge politiquement incorrect). Et puis, elle n’est plus mon amie sur Effe Bé, na !

    Arrêter de me lire, cela semble plus difficile à tenir qu’à dire. Un qui s’y était engagé me croisant l’autre semaine ne put s’empêcher de m’adresser la parole : « Je ne savais pas que les Entretiens de Léautaud étaient disponibles en cédés. »

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  • De Basile Panurgias, j’ai lu autrefois L’Anacoluthe, roman dont j’ai tout oublié (il y serait question de cimetière virtuel sur Internet) et récemment Une littérature sans écrivains, essai publié en deux mille douze par Léo Scheer dans sa collection Variations.

    L’auteur, qui s’avoue écrivain sans succès et vit de ses rentes, y réfléchit à l’écriture et à l’édition dans le monde tel qu’il va, passant en revue les divers problèmes du moment. Je n’y apprends rien de nouveau mais cela se lit bien. Les chapitres sont groupés selon le lieu où ils furent écrits ou qu’ils évoquent (tout rentier voyage). Si j’en parle, c’est qu’à la page cent quatre-vingt-dix-huit, je tombe sur Le Bec-Hellouin.

    L’auteur raconte les moments qu’il y passa enfant puis adolescent et le goût pour la lecture à haute voix qu’il attrapa au réfectoire des moines où l’un lit tandis que les autres mangent. J’y trouve ceci A part quelques exceptions, les religieux ne sortent pas, et c’est avec une grande émotion que le petit garçon que j’étais tendait la main à Don Grammont (…/…) Ses deux mains, qui me paraissaient énormes, avaient la douceur de qui n’a effleuré que de vieux vélins depuis son enfance. Frère Robert, qui s’occupait de l’hôtellerie, était toujours accueillant bien que constamment agité, et Henri-Louis, le frère cellérier, d’un esprit et d’une bonne humeur imperturbables. Aussitôt ces visages se rappellent à mon souvenir.

    Basile Panurgias est né en mil neuf cent soixante-sept. Il devait donc séjourner au Bec-Hellouin quand j’y faisais l’instituteur. J’ai dû le croiser dans le parc de l’abbaye quand, après avoir salué Frère Henri-Louis ou Frère Robert (le Père Abbé Dom Grammont ne se montrant jamais), j’invitais celui des moines qui sortait le plus à venir prendre le café à l’école.

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  • Lorsque nous nous levons à 7 a.m., il fait nuit noire. La ville à nos pieds brille de tous ses feux. Nous en sommes un peu étonnés et apprendrons plus tard qu’il n’était que six heures, un fuseau horaire ayant été franchi hier. Nous prenons le petit-déjeuner sur le balcon afin de profiter de la vue sur une partie de South Loop à notre droite, tandis que le jour se lève doucement.

    Par le bus 4 nous descendons vers Downtown. Nous le quittons près de la Chicago River et continuons Michigan Avenue à pied. Nous sommes dans le North Loop, la plus belle partie de la ville, à l’architecture éblouissante. C’est également le quartier des magasins de luxe, toujours utiles pour leurs toilettes. Nous faisons de multiples photos des magnifiques buildings de toutes les époques et de tous les styles. On finit par arriver au bout de la Michigan là où l’avenue rejoint le lac du même nom. On se pose au peu sur un banc. Entre la plage et nous, une voie pédestre et cycliste où se fatiguent de nombreux sportifs et sportives du dimanche.

    Comme nous pensons qu’il est 11.30 a.m. nous cherchons un restaurant et après divers errements on arrive à une adresse conseillée par Le Petit Futé (acheté faute de Guide de Routard), le Billy Goat Restaurant. On a du mal à trouver l’entrée, c’est dans un sous-sol et c’est immonde, le pire burger jamais mangé en Amérique, avec un steak de deux millimètres d’épaisseur.

    Heureusement, en retrouvant l’air libre, nous apercevons la terrasse d’un restaurant dont j’oublie de noter le nom et nous y faisons un deuxième repas bien bon dont j’oublie de noter le détail. Près de nous mangent des policiers, certains en civil, d’autres en tenue (l’un avec sa casquette à l’envers). Ils veillent sur le tournage d’un film, précisément sur une scène qui doit se tourner sur le pont levant de Wabash Avenue que l’on voit, levé, de l’endroit où l’on mange. C’est là que nous apprenons qu’il n’est que 12.30 p.m. et non pas 1.30 p.m.

    Après un thé et un café, nous descendons au bord de la Chicago River face au building circulaire alvéolé dont les douze premiers étages sont réservés aux voitures. Nous nous asseyons au bord de l’eau et regardons ce qui se passe. Le réalisateur du film sillonne les flots dans un hors-bord, tignasse blonde coiffée en arrière, corps issu du culturisme. Sur le pont levant levé, une moto fixée indique une cascade à venir que l’on n’attendra pas. Nous demandons à un vigile de quel film il s’agit. Il l’ignore, sait juste que c’est un film d’action (on s’en serait douté).

    Nous nous baladons le long de la Chicago River et prenons un cookie quelque part. Ensuite, on grimpe dans le métro Pink, une rame aérienne qui nous mène jusqu’à Central Park, zone de maisons de pauvres sans parc visible. On fait cent mètres à pied dans ce quartier peu engageant et demi-tour par la Pink et tour de Loop. En descendant, courses chez Walgreens, vins, fruits etc. et l’on passe devant une sculpture de Miro qu’on décide de revoir demain et puis on rentre au 2901 South Michigan Avenue, vingtième étage.

    Après un thé, nous partons à la recherche du lac qui d’après l’annonce de Kean se trouve à deux blocks. Nous nous heurtons à une friche vaguement en chantier entourée de barrières qu’un couple de jeunes Chinois nous invite à contourner. Nous traversons ensuite une voie ferroviaire puis une autoroute. Quand on aperçoit la queue du lac, on est épuisés. Un petit port peu éclairé nous laisse indifférents. Il fait nuit. Énervés par le mensonge de Kean, nous regagnons notre haut logis et au lit.

    *

    Le Loop, boucle que forme le L (elevated), métro aérien du centre de Chicago dont les rames brinquebalent en ébranlant une structure métallique datant, dit-on, de l’Exposition Universelle de mil huit cent quatre-vingt-treize, plus impressionnant quand on se balade à pied dessous que lorsqu’on le prend, surtout quand il tourne à angle droit.

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  • A quarante ans, j’étais encore immatriculé à la Sorbonne, je mangeais à la cantine des étudiants et j’espérais que cela durerait jusqu'à la fin de mes jours. Et puis est venue une loi qui a interdit l’immatriculation après vingt-sept ans et qui m’a chassé de ce paradis. expliquait Cioran à François Bondy en mil neuf cent soixante-dix.

    C’est cette anecdote qui me vient à l’esprit quand installé dans un fauteuil de la Maison de l’Université de Mont-Saint-Aignan où je lis, je vois venir vers moi, à la place de Corentin dix-huit ans qui m’a contacté par mail, Christophe-Xavier dit Cé-Ixe, l’autre animateur de l’émission Le micro dans tous ses états. Est-il encore immatriculé ou non ?

    L’homme à l’âge indéterminé, longs cheveux noués et long manteau de cuir, me précède. À l’escalier encore orné d’un magnifique sapin de Noël, il préfère l’ascenseur. Nous entrons dans le studio d’Air Deux Air, la Radio du Campus de Rouen, un endroit que je connais déjà pour y être venus deux fois en deux mille sept quand la radio étudiante s’appelait Radio Campus.

    Je suis donc l’invité de l’émission Le micro dans tous ses états ce lundi soir onze février, un tauque-chaud d’une heure, m’a dit Corentin qui arrive à son tour, jeune homme à l’allure sage en première année d’Histoire. Un troisième homme suit, jeune lui aussi, aux très longs cheveux et à la petite barbe, dont j’ignore le prénom, c’est le technicien. Il se tient dans l’aquarium, face auquel je m’assois, à ma gauche Cé-Ixe, à ma droite Corentin. Les deux ont plus ou moins préparé l’émission mais chacun de leur côté.

    Après avoir trébuché sur mon nom, Cé-Ixe démarre avec un portrait chinois, piochant dans une série de propositions qu’il sert à chaque invité(e). Il faut bien jouer le jeu. Je cite Balthus et Georges Perros, inconnus de mes hôtes, puis est diffusé la première des trois chansons que j’ai apportées : Il voyage en solitaire, titre de Gérard Manset repris par Bashung. Sur quoi, je lis mon texte écrit après avoir assisté à l’enterrement du chanteur en mars deux mille neuf.

    Corentin et Cé-Ixe en viennent au fait en me parlant de mes écritures. Leurs questions s’entrecroisent. Je sens une certaine rivalité entre le jeunot et l’ancien (qui redoute le jour où il n’aura plus le droit de manger au Restau U). Une nouvelle question n’ayant rien à voir avec la précédente ni avec mes propos me tombe dessus à un rythme soutenu. Je peux rarement aller au bout de mon propos. Je lis un deuxième texte, celui narrant la manifestation rouennaise des partisans du mariage gay et lesbien en janvier dernier et on envoie la deuxième chanson Punaise de Thomas Fersen, pendant la diffusion de laquelle le téléphone de Cé-Ixe sonne. C’est sa sœur qui lui dit qu’elle l’écoute.

    Une nouvelle série de questions suit, parfois intéressantes quand elles viennent de Corentin. Je réponds au mieux, réussissant à dire deux ou trois choses qui me tiennent à cœur (lorsque Cé-Ixe ne brouille pas le message). Après la lecture de mon troisième texte Par exemple, tiré de ceux autrefois publiés en revues, Corentin explique comment trouver mes écritures sur Internet et l’émission se clôt avec la troisième chanson apportée par mes soins : Boby chéri d’Emily Loizeau.

    Je remercie mes hôtes de m’avoir invité. Un Té Un me reconduit à Rouen. Des étudiant(e)s y parlent d’un Colocathon organisé pour la Saint-Valentin, une fiesta déclinée en un triptyque Dîner Sexe Rupture.

    *

    A la Maison de l’Université, dans le Bocal, une étudiante à trois autres : « Mon père, il a construit une prison près du Havre. Y zont piscine, hammam, salle de sport. Alors qui y a des gens qui dorment dehors. Il était dégoûté. Quand même, c’est abusé. » Aucune des trois autres ne conteste. Pas de quoi me donner envie d’être étudiant aujourd’hui.

    *

    A propos des prisons, deux extraits d’un document de la Direction Interrégionale des Services Pénitentiaires Nord-Pas de Calais, Picardie, Haute Normandie à l’intention des chefs d’entreprise :

    « Savez vous que la prison est aussi une entreprise ? Une entreprise qui dispose de 200 000 m² d'ateliers, emploie quotidiennement 10 000 personnes, et fait réaliser aux sociétés qui y interviennent ou passent leurs commandes un chiffre d'affaire annuel d'environ 100 millions d'euros. »

    « Nous sommes en mesure de traiter tout type de commande, de la petite commande à des commandes demandant une centaine d’opérateurs grâce à une main d’œuvre disponible en permanence. »

    On ne peut pas passer tout son temps à la piscine.

    *

    Lu sur 76actu : « La Ville de Rouen offre par ailleurs un « poncho anti-pluie » aux 100 premiers abonnements ou réabonnements d’un an à Cy’clic, jusqu’au 4 mars 2013. »

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  • Chic chic Chicago, c’est aujourd’hui le départ d’Indianapolis. Nous trouvons un petit papier sur la table de la cuisine par lequel Chad nous propose d’emporter le reste des croissants mous et nous souhaite un bon voyage. Avec ma lourde valise et sa très lourde valise, nous quittons l’immense maison de briques rouges et prenons le bus 8. Nous en descendons devant un centre commercial et rejoignons à pied la glauque gare Greyhound. Le départ de notre car est prévu pour 11 a.m.

    Des moutards crasseux courent ou couinent. Des paumés avec plein de sacs sont affalés ici et là. Deux très jeunes Amish, garçon à bretelles et fille en coiffe (c’est sa petite Amish, dis-je à celle que j’accompagne) considérent tout ça en souriant aux enfants. Ils ont l’air cent pour cent déroutés. Elle m’explique que dans cette communauté, il est proposé aux adolescents d’aller se frotter au monde extérieur, puis de décider s’ils veulent revenir ou pas.

    Il est maintenant onze heures sans qu’il soit question du départ. Pas même un signe d’impatience dans la file d’attente, beaucoup en profitent pour aller se racheter un Coca. Celle que j’accompagne demande à l’un des deux types chargés de mettre les bagages dans les cars, qui s’emploie présentement à manier le balai, pourquoi on ne part pas. Pas de chauffeur, lui répond-il.

    A onze heures et demie, une conductrice black arrive l’air de fort mauvaise humeur. Sans doute a-t-elle été appelée pour pallier à la défection de celui prévu et est-elle furieuse d’avoir son week-end foutu. Avec une lenteur et une application soviétiques, elle fait le tour du véhicule, vérifie pneus et essuie-glaces, puis remplit d’interminables formulaires. C’est totalement crispant mais un Américain ne se plaint pas. Il est midi et quart quand nous sommes autorisés à monter dans le car.

    Le paysage est plat et monotone. Bientôt, le bébé fait dans sa couche, ce qui rend l’air irrespirable pendant une demi-heure. Vers Gary on aperçoit de belles usines de métallurgie et passé La Fayette un immense parc de plusieurs centaines d’éoliennes. Régulièrement, sur les bas-côtés, de grandes pancartes incitent à porter plainte en cas d’accident de la route ou d’examen scolaire non réussi, en gros le numéro de téléphone des lawyers.

    Enfin nous arrivons à Chicago. La ville semble prometteuse mais nous ne trouvons pas le bus prévu. Nous marchons dix bons blocks jusqu’à Michigan Avenue. Là, nous prenons le bus 4 qui remonte cette avenue, la principale de la ville, jusqu’à la 29th Street. C’est à ce carrefour que se trouve notre nouveau logis.

    Personne n’est là pour nous accueillir. Nous nous heurtons à une barrière fermée à clé. Un garde sympathique vient à notre secours. Il nous fait entrer et sonne à l’interphone au numéro de notre futur appartement mais nul ne répond. Il nous accompagne jusqu’à notre étage, le 21 floor, tout en haut de l’immeuble. La porte est ouverte. Personne n’est à l’intérieur. Kean, notre logeur, a juste déposé les clefs dans un coin en oubliant de nous laisser le code Internet et basta.

    Nous découvrons notre nouveau logement. C’est un grand studio assez confortable avec une vue incroyable depuis le balcon, mais on est loin du centre et pas un restaurant ni un commerce dans les parages.

    Nous repartons donc en ville en emportant l’ordinateur afin d’écrire à Kean, achetons un pass de transport, de quoi manger pour le breakfast puis cherchons un restaurant, mais dans cette partie de Downtown tous sont fermés. Un habitant du lieu nous explique que le Loop est un quartier de bureaux, les restaurants sont ouverts le midi pour le business mais pas le soir.

    Nous en trouvons finalement un : le South Loop Club. Ce sera un Bison Burger pour moi, un Beef Wrap pour elle. La cruchette qui nous sert ignore ce qu’est une cuisson « rare ». La patronne le lui explique. C’est bien bon avec des frites en tire bouchon et un verre de chardonnay. Avant de rentrer, nous allons par un pont au-dessus de l’autoroute jusqu’au bord du lac Michigan. Le spectacle est magique à la tombée de la nuit.

    Rentrés à l’appartement, nous en sommes à boire un thé sur notre plate-forme aérienne quand Kean débarque en pyjama. Il est moins jeune et plus gros que sur les photos qui décorent les murs. Il nous donne des serviettes, le code Internet et repassera demain, nous dit-il, pour la carte de la laundry du sous-sol, l’ampoule de la lampe qui ne fonctionne pas et les draps qui manquent cruellement dans notre lit.

    Notre nuit est belle et profonde devant la grande baie vitrée éclairée par l’activité humaine qui ne s’arrête jamais.

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  • C’est d’abord pour écouter la communication de Loïc Boyer au colloque international La retraduction en littérature de jeunesse que je prends un Teor Un pour Mont-Saint-Aignan vendredi matin, mais comme le sujet m’intéresse en tant que tel j’arrive à la Maison de l’Université dès dix heures.

    Je trouve peu de monde dans la salle de conférence. Les colloqueux et les colloqueuses s’écoutent les uns les autres. Ne leur tiennent compagnie que quelques étudiant(e)s. Presque tout le monde prend des notes.

    Roberta Pederzoli, de l’Université de Boulogne, est en train d’évoquer les retraductions des contes de Perrault en italien. Je note le mot parataxique.

    Lui succède Muguraş Constantinescu de l’Université de Suceava. Elle évoque la retraduction des contes de Perrault et de Mme d’Aulnoy en roumain. Je note cette réjouissante citation L’enfant et l’éducation sont de parfaits prétextes à l’aseptisation et à la médiocrité sans avoir le temps d’attraper le nom de son auteur.

    Des questions? demande la présidente de séance, Catherine Delesse, de l’Université de Nancy, Il y en a, en français et en anglais, posées par les colloqueux et les colloqueuses à leurs collègues. Les étudiant(e)s s’abstiennent. Je songe aux romans de David Lodge.

    Après une pause café, intervient Chiara Galletti, de l’Université de Tampere, en anglais. Je comprends donc peu, suffisamment pour saisir qu’elle évoque à travers les livres de Tove Jansson, la question de la ghost translation (le traducteur fantôme est un expert en langue, il fait une traduction littérale, laquelle est ensuite réécrite littérairement par celui qui sera crédité de la traduction, souvent un écrivain reconnu pour ses compétences stylistiques).

    C’est enfin le tour de celui qui m’amène ici, ainsi présenté par la présidente : « Loïc Boyer, graphiste indépendant, créateur du site Cligne Cligne Magazine, responsable de collection chez Didier Jeunesse ». Il commence par rappeler que le graphiste fait le lien entre texte et image puis en vient à son sujet « Les albums retraduits sont-ils formellement réactionnaires ? ». Plutôt que d’albums retraduits, il est question d’albums republiés. Images à l’appui, via PowerPoint, Loïc Boyer montre que « ces nouvelles éditions ont l’air plus anciennes qu’elles ne le sont ». « Comme ces étudiants qui se laissent pousser la barbe pour avoir l’air plus vieux », ajoute-t-il (lui-même barbu). Je remarque qu’on ne prend plus de notes dans la salle. C’est qu’on n’est plus dans son domaine de compétence (comme on dit ici). L’intervention de Loïc Boyer est destinée à mettre un peu d’air dans le colloque. Il s’y prend bien, comme s’il faisait ça toutes les semaines. Le timbre de sa voix, son intonation, son débit et ses traits d’esprit ne sont pas sans me rappeler ceux de Thomas Clerc, chroniqueur au RenDez-Vous de Laurent Goumare sur France Culture.

    Il conclut en répondant à sa question (« Les albums retraduits sont-ils formellement réactionnaires ? ») :

    -Oui … mais c’est pas grave.

    Après quelques questions, c’est l’heure du déjeuner. Colloqueuses et colloqueux mangent ensemble, étudiant(e)s je ne sais où, et moi au Colbert d’une bruschetta au jambon de pays, emmental, pommes de terres, salade. A la table voisine, on parle de polycopiés et de conseils d’administration. En face, un ouvrier et son apprenti mangent en lisant chacun leur Paris Normandie sans échanger un seul mot.

    Je prends un café et retourne la Maison de l’Université pour y entendre la première intervention de l’après-midi : « Tomi Ungerer : la traduction palimpseste », menée conjointement par Anne Schneider, de l’Université de Caen, et Thérèse Willer, Conservatrice du Musée Ungerer à Strasbourg. J’en suis déçu. Je connaissais déjà l’essentiel de ce que Thérèse Willer dit d’Ungerer. Quant à Anne Schneider, elle soulève un problème de traduction dans l’édition allemande (un passage sur l’étoile jaune édulcoré par rapport à la version française) mais avoue ne pas avoir la réponse à sa question, n’ayant interrogé ni le traducteur ni l’éditeur allemand.

    Je ne reste pas pour la suite, c’est en anglais. Teor me ramène à Rouen.

    *

    Le soir venu, je retrouve Loïc Boyer pour un dîner en tête à tête à la Rose des Vents, le restaurant brocante rue Saint-Nicolas, où il est bien connu. Nous y mangeons et buvons des choses délicieuses aux noms compliqués tout en devisant.

    *

                La parataxe est un mode de construction par juxtaposition de phrases ou de mots sans aucun mot de liaison, m’apprend Ouiquipédia.

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  • Ce jeudi soir, à l’heure à laquelle se pose l’avion de celle repartie à New York pour deux mois, je suis en corbeille à l’Opéra de Rouen où c’est concert du festival Le temps des Cuivres. Frédéric Roels, maître de la maison, explique au micro que l’ordre inscrit sur le livret programme est dans le désordre.

    On commence par le Concerto pour trompette en ré majeur (d’après Vivaldi) de Johan Sebastian Bach. A la trompette, c’est le renommé Matthias Höfs. A la baguette, Roberto Fores Veses, lequel opère habituellement à la tête de l’Orchestre d’Auvergne. Applaudissements, le clavecin est évacué dans la coulisse côté cour.

    J’aime beaucoup moins le Concerto pour cor numéro deux en mi bémol majeur de Richard Strauss, œuvre de fin de vie, néo romantique. S’ajoute à mon déplaisir le jeu outré du corniste renommé Hervé Joulain. A l’issue, sa fausse modestie m’exaspère.

    Vient la création mondiale de Trumpet Dances, trois pièces signées Wolf Kerschek (The what was it, why it just came here Tango, The nobel but sad waltz, Balken children dance) qui me plaisent beaucoup. A la trompette, c’est toujours Matthias Höfs. Cette musique pimpante aux accents américains me fait songer à celle qui est là-bas. Wolf Kerschek, né en soixante-neuf, n’a pas l’honneur d’avoir son nom sur la couverture du livret programme. Il l’aurait mérité. A l’invitation du trompettiste, il saute sur scène tel un cabri, veste grenat, lunettes, longs cheveux frisés, et reçoit un bon paquet d’applaudissements.

    Pendant l’entracte, je me plonge dans le livret programme afin de savoir qui il est. Eh bien, pas un mot sur lui.

    A la reprise, c’est la Sérénade numéro un en ré majeur de Johannes Brahms, œuvre qui me réconcilie un peu avec ce compositeur.

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    Le cor, instrument ingrat, je m’attends toujours à voir surgir des coulisses un cerf suivi d’une meute de chiens et de chasseurs.

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    Quand en finira-t-on avec les simagrées lors des saluts, ces embrassades, ces après vous je vous en prie, votre talent est bien supérieur au mien mais bon si vous le dites, tenons-nous la main. Roberto Fores Veses en fait des tonnes dans ce domaine.

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  • L’énième épisode de l’affaire dite de Tarnac est judiciaire et se joue à Rouen ce mercredi après-midi. En février deux mille douze, Charles Torrès, forgeron rouennais, a été interpellé chez son vieux père à Roncherolles-sur-le-Vivier, près de Rouen, par la Sous-Direction AntiTerroriste (Sdat). Celle-ci le suspectait d’être le forgeur des crochets ayant arrêté les Tégévés en deux mille huit. Lavé de tout soupçon pendant la garde à vue, il est aujourd’hui jugé pour avoir refusé de donner son Adéhenne lors de cette mésaventure. Hier mardi, il a appris, comme tout le monde, par Le Monde qu’au moment où on lui proposait le prélèvement volontaire, cet Adéhenne avait déjà été prélevé à son insu grâce à l’un de ses cheveux récupéré par la Sdat.

    Lorsque j’arrive au Palais de Justice, l’un des policiers de garde me demande ce que je viens faire ici. « Assister à un procès », lui dis-je. Je franchis le portique après m’être délesté de mes objets métalliques. J’entre, suis un long chemin labyrinthique jusqu’à l’accueil du Tribunal de Grande Instance. On m’explique que ça va se passer salle cent quatre, là où se tient le Tribunal Correctionnel. Je suis une demi-heure en avance. Il y a là déjà beaucoup de monde mais ce sont des notaires venus assister à la prise de fonction d’une consœur. A en juger par leur habillement, la profession va bien.

    Par la petite porte de côté entrent deux policiers en tenue de combat. Ils discutent avec l’huissier, ressortent. Je suppose qu’il y en d’autres en réserve, prêts à agir en cas de désordre. A treize heures trente, le Tribunal arrive et s’occupe de la dame notaire qui prête serment, jurant de faire son travail avec loyauté et probité. Tous les notaires s’en vont. Sont ensuite évoquées, en présence d’une flopée d’avocats, deux affaires qui seront renvoyées à plus tard, l’une d’accident et assurance, l’autre d’Urssaf et de cédérom peut-être trafiqué. On n’entend pas grand-chose. Ma voisine, qui est venue pour la même chose que moi, demande à un avocat pourquoi la Présidente ne se sert pas de son micro. « Il est cassé », nous répond-il.

    On en vient à l’affaire du forgeron. Charles Torrès entre dans la salle suivi d’un grand nombre de soutiens (« pas de photos, pas de téléphones », prévient l’huissier). Debout à la barre, n’ayant pas enlevé son manteau, il répond aux questions de la Présidente « oui il est bien lui-même, oui il reconnaît les faits ». La parole est donnée au deux avocats de la défense.

    Maître William Bourdon, du barreau de Paris, rappelle le contexte spécifique dans lequel se déroule ce procès puis plaide la Question Préalable de Constitutionnalité (Cupécé) s’appuyant sur le fait que lorsqu’il a refusé le prélèvement d’Adéhenne, « celui-ci » (le forgeron) ignorait que son Adéhenne avait déjà été analysé à son insu. S’il l’avait su, aurait-il refusé ? Il évoque la liberté pour un gardé à vue de ne pas s’auto incriminer, ce pourquoi le Conseil Constitutionnel doit être saisi spécifiquement sur deux articles qu’il cite.

    Sa consoeur, prénommée Marie mais dont je ne saisis pas le nom, est aussi percutante que lui. Elle dénonce l’impossibilité pour Charles Torrès d’avoir eu un refus éclairé, qualifiant d’escroquerie cette manière de prélever dans le dos puis de demander ensuite un prélèvement volontaire.

    Madame la Procureure répond que le Conseil Constitutionnel a déjà été saisi sur ce texte pour un autre de ses articles et que sa décision favorable au texte est générale, qu’elle s’applique pour tout le texte.

    Le Tribunal se retire pour délibérer. Pendant ce temps, le greffier et l’huissier discutent du nombre de soutiens présents, qu’ils évaluent à une centaine.

    Quand le Tribunal revient, c’est pour dire qu’il n’y pas lieu de transmettre à la Cour de Cassation pour qu’elle saisisse le Conseil Constitutionnel.

    L’affaire doit donc être évoquée sur le fond. La Présidente évoque succinctement l’affaire numéro un (Tarnac) puis la deux (Adéhenne). Elle demande à Charles Torrès, toujours en manteau, des précisions sur son travail de forgeron. À quoi il répond qu’il est auto entrepreneur spécialisé dans les outils, travaillant de façon irrégulière, surtout avec des archéologues. Elle l’invite à s’exprimer sur le refus qui lui est reproché. Le forgeron demande l’autorisation de lire un texte, n’étant « pas à l’aise à l’oral ». Il raconte sa première garde à vue de trente-cinq heures aussitôt suivie de sa deuxième garde à vue pour refus de prélèvement, indiquant au passage la présence dans la salle d’audience d’un policier vêtu d’un blouson de moto appartenant à la Direction Centrale du Renseignement Intérieur (Décéhairi, autrefois Airgé). Il évoque ses raisons de contester les prélèvements d’Adéhenne puis conclut : « Ce qu’on me reproche d’abord dans ce refus de se soumettre au prélèvement d’Adéhenne, c’est mon refus de me soumettre ». Il est applaudi par une bonne partie des présents, ce qui énerve la Présidente.

    Madame la Procureure déclare qu’elle trouve le point de vue du forgeron honorable et respectable mais que pour elle l’infraction est constituée, elle demande donc un mois d’emprisonnement avec sursis.

    L’avocate conteste, disant que puisque « celui-ci » n’était plus suspect, il n’y avait pas lieu de lui demander un prélèvement. S’appuyant sur la jurisprudence, elle cite des cas semblables qui ont abouti à la relaxe.

    Maître Bourdon prend le relais, expliquant que le dossier transmis par la Sdat au Tribunal de Rouen est un « dossier de misère », un dossier incomplet où ne figure qu’une des quatre auditions de Charles Torrès, celle de l’interrogatoire d’identité. Lui a la totalité du dossier car il est l’avocat des mis en examen de Tarnac mais il ne peut en parler sans violer le secret de l’instruction. Le Tribunal de Rouen ne sait pas tout, on veut l’utiliser pour obtenir une condamnation qui justifierait a posteriori l’expédition des policiers cagoulés à Roncherolles-sur-le-Vivier. Il demande donc la relaxe.

    La Présidente déclare que le jugement sera rendu le six mars. Elle lève l’audience. Il est seize heures. Je ne m’attarde pas avec celles et ceux qui discutent dans la salle des pas perdus.

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    Dans sa plaidoirie, Maître Bourdon a qualifié le cheveu récupéré par la Sous-Direction AntiTerroriste de « pépite légale ».

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    Détail cocasse : Charles Torrès a un vrai jumeau qui a donc le même Adéhenne que lui.

     

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    L’avocate s’appelle Marie Dosé, m’apprend Grand Rouen.

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