• Jeudi dernier, passant à l’Opéra de Rouen chercher mon billet pour le double Te Deum (Charpentier, Lully), j’apprends que je suis à l’orchestre un peu trop sur le côté. « Rien de mieux pour l’instant », me dit la guichetière qui me conseille d’attendre. Je repasse samedi après-midi et constate qu’une bonne fée s’est penchée sur mon cas, je suis maintenant en corbeille dans le carré des abonné(e)s de première catégorie.

    C’est donc là que j’étudie le livret-programme ce dimanche après-midi : à la direction musicale Vincent Dumestre, orchestre du Poème Harmonique, chœur Capella Cracoviensis. La dame à cheveux blancs songe à s’asseoir à sa place personnelle puis décide de tenter une chaise devant la scène, s’expliquant avec les placeuses d’un funèbre:

    -Je me mets dans la fosse.

    Dernière moi, on n’est pas moins sombre, une dame parle des deux décès qu’elle a appris le même jour. Un peu de gaîté est bienvenue, offerte par ces deux Te Deum, celui de Charpentier composé pour célébrer une victoire militaire de Louis le Quatorzième et celui de Lully pour célébrer le baptême de son fils dont le parrain était ce même Louis le Quatorzième.

    Le chœur et l’orchestre s’installent. Les musicien(ne)s s’accordent longuement. Frédéric Roels, directeur artistique et général de l’Opéra, tirant derrière lui le fil rouge d’un micro, nous explique que les deux compositeurs étaient rivaux mais sont ici réconciliés, merci d’éteindre vos téléphones, et je vous informe que Vincent Dumestre dédicacera à la fin du concert et parlera avec qui veut. Les solistes arrivent et enfin le chef.

    -Ah, voilà Vincent ! s’écrie une jeune femme de mon voisinage.

    Ça démarre comme à la télévision, la faute à l’Eurovision qui a dénaturé le Te Deum de Marc-Antoine Charpentier, mais on oublie vite et je me laisse prendre, notamment par les performances vocales des solistes Amel Brahim-Djelloul (dessus), Aurore Bucher (dessus), Reinoud Van Mechelen (haute-contre), Jeffrey Thompson (taille) et Benoît Arnould (basse).

    Avant le second, Vincent Dumestre prend la parole, laissant clairement entendre que des deux il préfère celui de Jean-Baptiste Lully qui permet des jeux subtils entre le chœur, les solistes et ce qu’il appelle le petit chœur composé des cinq solistes augmentés de trois autres. Il n’a pas tort. Les trois solistes masculins font des merveilles. Les deux femmes n’en ont pas l’occasion. Lully aurait-il davantage pris garde à elles s’il avait eu une fille, c’est ce que je me demande.

    Une bonne portion de ce Te Deum est bissée suite à de copieux applaudissements. Je rentre par un vent glacé, songeant à Lully mort de son beau Te Deum dix ans après sa création (le dirigeant pour fêter une guérison du roi, il se blessa avec sa canne d’où une fatale gangrène).

    *

    Paris Normandie semble bien renseigné sur ce qui se passe à l’Opéra de Rouen, une brève donne le bilan de la création mondiale de l’opéra Lolo Ferrari. Ce n’est pas brillant : « Pas vraiment aidé par les conditions météo, l’Opéra de Rouen a bouclé les trois représentations de la création contemporaine Lolo Ferrari par un maigre bilan : à peine 2000 entrées dont, semble-t-il, près de la moitié d’invitations. La recette de billetterie se monterait à 19.000€ pour un coût de plus de 550.000€. Raide! ».

    Frédéric Roels a du souci à se faire avec celles et ceux qui ont pour principale préoccupation ce qu’on fait de leurs impôts. Il pourra toujours leur répéter (il aime cette formule) que « l’opéra est l’art de la démesure ».

    *

    Démesure relative quand on la compare avec la dépense engagée par les régions normandes et les départements hauts normands pour promouvoir Normandie Impressionniste et l’Armada de Rouen dans la capitale. « Coût de la campagne de pub’: 260 000 euros » annonce 76 actu.

    Et où donc toute cette publicité ? A Saint-Lazare, la gare des Normands, là où tout le monde connaît déjà l’existence de ces deux évènements.

    Si on m’avait demandé mon avis, je l’aurais collée aux flancs des taxis ou au cul des bus.

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  • Temps incertain, pluie annoncée, mais comme pas une goutte de la nuit je prends le risque d’aller à ce qui est pour moi le premier vide grenier de l’année deux mille treize. Sur le pont Corneille, ce dimanche à sept heures et quart, je vois venir des punkachiens pas encore couchés, trois garçons, une fille, trois chiens. Je sens qu’ils parlent de moi mais je n’entends ce qui s’en dit que lorsque nous sommes proches. C’est la fille à cheveux roses qui parle :

    -Non, c’est un artiste

    -Un artiste ? lui dis-je.

    -Peut-être, me dit-elle

    Le plus embieré me demande alors une cigarette et désolé je ne fume pas, nous poursuivons chacun notre chemin. Comment ma petite voiture a-t-elle supporté le froid et la neige, va-t-elle démarrer sans problème ? Eh bien oui, elle me conduit vers Pîtres dans la vallée de l’Andelle.

    Arrivé sur le plateau, je constate que la neige est encore là dans les fossés et un peu distrait oublie de tourner à gauche avant Pont-de-l’Arche. Je fais demi-tour au premier rond-point et sur le petit bout de route rebroussé croise deux cygnes en vol. Le ciel est à moitié nuageux à moitié bleu, mais point de soleil. Dans la vallée de l’Andelle, une petite voiture blanche me précède. Je la suis jusqu’à Pîtres et me gare derrière elle.

    -J’vous ai laissé un p’tit bout de place, me dit avec un accent da Rouen la femme à cigarette qui en sort.

    Elle me tient la conversation, m’apprend qu’elle c’est les poupées et me souhaite bonne chine quand on arrive aux premiers vendeurs.

    A Pîtres, on n’est pas plus gais qu’ailleurs et plutôt pauvres. Je n’attends pas de merveilles et logiquement je n’en trouve pas. Qu’importe, le plaisir c’est que c’est le premier de l’année, derrière il y a le printemps et un peu plus tard le retour de celle qui dort à New York. La route sur laquelle se situe ce déballage est étroite. En conséquence, il n’a lieu que d’un côté ce qui rallonge d’autant la marche à pied. Côté vendeuses et vendeurs, comme les années précédentes, on se plaint des gens :

    -Les gens, c’est neuf, et y veulent le payer cinq euros.

    Je vais jusqu’au bout, reviens et décide d’en rester là. Un aimable policier municipal m’indique par quelle voie détournée regagner Rouen. A la sortie du village, je m’arrête pour faire pipi dans la neige.

    *

    « Bonne chine », « vous allez chiner », des expressions que je déteste et n’emploie jamais.

    *

    Appel à candidatures : « La Drac Haute-Normandie inscrit dans le cadre du dispositif de la Commande publique le projet d’une intervention artistique pour la Ville de Rouen, sur la dalle centrale du quartier de la Grand’Mare, Hauts de Rouen. L’œuvre envisagée devra inciter à l’arrêt, à la rencontre, et faire de la dalle un lieu incontournable. » Pauvres habitant(e)s de la Grand Mare à qui l’on fait croire que l’art cela doit servir à quelque chose (spécialement dans le domaine de ce que les politiciens(ne)s appellent la convivialité).

    *

    « Incontournable », encore un mot qui m’insupporte, de plus usé jusqu’à la corde, mais qui plaît encore à la Direction Régionale des Affaires Culturelles de Haute-Normandie.

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  • Lourd volume que ce Dictionnaire Flaubert dû à Jean-Benoît Guinot, publié par CNRS Editions, trouvé à petit prix à Paris, rue Pavée chez Mona Lisait, il a pour avantage lorsque le soir je m’endors sur sa lecture qu’il me réveille quand il va choir.

    Ses multiples entrées, noms communs, noms propres (personnages de ses livres, personnes de son entourage, lieux visités, etc.) sont illustrées de courts extraits des textes de l’ermite de Croisset (comme on dit dans le Nouveau Dictionnaire des Idées Reçues), tirés de ses romans, récits de voyage, correspondances, carnets intimes, etc. ou d’écrivains parlant de lui (Sand, Zola, Maupassant, Goncourt, etc.)

    La lecture de ces presque huit cents pages conforte mon goût pour la correspondance de Gustave. J’en tire quelques pépites.

    Bédouin : Je veux ne faire partie de rien, n’être membre d’aucune académie, d’aucune corporation, ni association quelconque. Je hais le troupeau, la règle et le niveau. Bédouin, tant qu’il vous plaira ; citoyen, jamais. A Louise Colet (vingt-trois janvier mil huit cent cinquante-quatre)

    Cabinet : Destiné à mariner sur place j’ai fait orner mon bocal à ma guise et j’y vis comme une huître rêveuse. A Ernest Chevalier (douze août mil huit cent quarante-six)

    Ecclésiastique : Etant à la cathédrale de Rouen, pour un enterrement, un employé des pompes funèbres m’a appelé « M. l’abbé », jugeant d’après ma culotte de soie et ma douillette que j’appartenais à l’Eglise ! Je prends le chic ecclésiastique maintenant !!! A Léonie Brainne (trente décembre mil huit cent soixante-dix-huit)

    Jachère : J’aime mieux une jachère complète qu’un demi-labour. A Louise Colet (neuf août mil huit cent cinquante-trois)

    Misanthropie : Ce n’est pas parce qu’un imbécile a deux pieds comme moi, au lieu d’en avoir quatre comme un âne, que je me crois obligé de l’aimer, ou tout au moins de dire que je l’aime, et qu’il m’intéresse. A Louise Colet (vingt-six mai mil huit cent cinquante-trois)

    Natation : Tout à l’heure, je vais aller m’esbattre comme un triton dans les ondes de la Séquanne, où nageant ores sur le ventre, ores sur le dos, emmy les nefs, à la marge des isles bordées de feuillages, ie cuyde ressembler aux Dieux marins des tapisseries de haulte lisse. A sa nièce Caroline (sept août mil huit cent soixante-seize)

    Niche : Par une corde plus ou moins longue, sentiment, habitude, devoir, nous sommes tous plus ou moins comme des chiens à la niche. –Nous avons beau tirer dessus, japper contre les passants, et aboyer à la lune les larmes aux yeux, nous ne dépassons pas une certaine étendue d’esclavage, et plus nous faisons d’efforts, plus le nœud  se resserre, plus nous nous étranglons nous-mêmes. A Henriette Collier (trois avril mil huit cent cinquante-deux)

    Télescope : Plus les télescopes seront parfaits et plus les étoiles seront nombreuses. A Mademoiselle Leroyer de Chantepie (six juin mil huit cent cinquante-sept)

    Vieillesse : Je me perds dans mes souvenirs d’enfance comme un vieillard. –Je n’attends plus rien de la vie qu’une suite de feuilles de papier à barbouiller de noir. Il me semble que je traverse  une solitude sans fin, pour aller je ne sais où, et c’est moi qui suis tout à la fois le désert, le voyageur et le chameau ! A George Sand (vingt-sept mars mil huit cent soixante-quinze)

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  • Mardi, la tempête de neige a donné un air de fin du monde à la ville de Rouen, la faute surtout aux nombreux magasins, restaurants et cafés fermés, leurs propriétaires ou gérants habitant à la campagne et étant bloqués par les congères. Quelques vernissages n’ont pu avoir lieu ce jour-là, mais ce jeudi Rouen a repris son aspect normal, et côté vernissages pas de problèmes, j’enchaîne.

    A dix-sept heures trente, j’entre dans la grande galerie de l’Ecole des Beaux-Arts pour celui de l’exposition collective Le moindre geste et y trouve une classe de ladite, des professeurs et des artistes en plein travail. Agnès Geoffray parle des photographies qu’elle expose, des images retouchées de façon réparatrice, dit-elle. On y voit notamment une femme nue emmenée à la Libération pour être tondue rhabillée par ses soins. Les autres artistes et les profs lui posent des questions. L’un de ces derniers regrette que les élèves se taisent. Je les regarde. Certains ont l’air de s’ennuyer. Un autre artiste prend la parole à la suite de la retoucheuse. Il évoque une œuvre de lui accrochée derrière la cimaise, là où il n’y a pas assez de place pour tout le monde. Parler d’une œuvre qu’on ne peut voir, on est vraiment dans l’art conceptuel. Je fais le tour des autres œuvres de moindre geste, dont des vidéos où il ne se passe évidemment pas grand-chose. Rien qui me passionne à priori et je n’ai pas envie de lire les explications sur les intentions des auteurs, je suis un adepte du moindre effort.

    A dix-huit heures quinze, j’arrive à la Galerie du Pôle Image pour l’exposition Muotokuvia/Portraits de la photographe finlandaise Nelli Palomäki et avant même d’être entré, par ce que j’en aperçois à travers les vitres, je sais que ça va me plaire. Que des portraits récents, en noir et blanc, tirages pigmentaires sur aluminium, des grands formats carrés, pris en divers endroits, certains sur fond noir de jeunes femmes à Londres, d’autres de jeunes garçons en institution militaire à Saint-Pétersbourg, enfin d’enfants vêtus de vieux vêtements au Musée Victor Hugo de Villequier, mais pour moi l’important n’est pas là, il est dans le regard des modèles qui fixent l’objectif, où affleure une certaine détresse. Un cadreur de télévision filme les premiers arrivés, après avoir sans doute interrogé Didier Mouchel, le maître des lieux, et Nelli Palomäki, vêtue de noir.

    La télévision partie, beaucoup arrivent, plus moyen de bien voir les photos. Je prends un gobelet de merlot ardéchois. Ce n’est pas qu’il soit meilleur qu’avant (« on fait ce qu’on peut », m’a dit Didier Mouchel quand j’arrivais), mais comme l’exposition me plaît, je suis indulgent. Le maître des lieux prend la parole, présente la photographe et ses différentes séries. Nelli Palomäki fait de même en anglais et indique qu’elle est prête à répondre à toutes les questions.

    -All the French people speak English very well, lui rappelle Didier Mouchel.

                Moi le premier, pourtant j’en aurais des questions à lui poser, auxquelles je dois renoncer, sur l’une des photos présentée, qu’elle n’a pas évoquée, celle qui la montre à l’âge de vingt-sept ans en compagnie de son père, lui le regard fier, presque arrogant, en tenue d’ouvrier forestier, elle sous son bras, collée à lui, l’air timide, presque écrasée, un bonnet marqué Finland sur la tête. Pourquoi l’a-t-elle faite ? Pourquoi tient-elle à ce qu’elle soit présente dans cette exposition ? Pourquoi n’en parle-t-elle pas spontanément ?

    *

                Zoé Lauwereys, jeune journaliste pour un an à Grand Rouen, n’hésite jamais à payer de sa personne pour les besoins de sa profession. Elle a récemment adopté un mec, passé une nuit au gymnase Graindor, disséqué un cadavre au Céhachu (ou presque). La voici maintenant qui essaie de peindre une Cathédrale comme Claude Monet à l’Office de Tourisme. Ça m’a rappelé un texte de moi écrit lors de l’édition précédente de Normandie Impressionniste.

                Le relisant, j’ai constaté que dans le rôle du professeur, la plasticienne Edith Molet Oghia était remplacée par le peintre François Priser (l’art ne nourrit pas son homme) et que le prix était à la baisse : cinquante euros par personne au lieu des soixante demandés en deux mille neuf.

                Comme ça peut inspirer des articles à Zoé Lauwereys, j’en redonne la fin :

    Oui mais quoi faire à l’Office de Tourisme de Rouen quand tout le monde saura peindre une cathédrale comme Claude Monet ?

    J’ai quelques idées :

    Réussir une belle césure à l’hémistiche comme Pierre Corneille

    Vivre presque cent ans comme Bernard de Fontenelle

    Se transformer en pont levant comme Gustave Flaubert

    Mettre à nu une mariée comme Marcel Duchamp (réservé aux célibataires)

    et enfin (c’est plus difficile) :

    Devenir commissaire d’exposition comme Laurent Fabius.

    *

    Le nombre du jour : trente-quatre (paires de chaussettes acheté ce jeudi matin chez Céhéha).

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  • Chez Linda, Shuter Street, nous dormons à l’étage. Face à la nôtre, une autre chambre où semble être un jeune homme. Entre les deux, la salle de bains que j’occupe le premier ce lundi matin. Quand j’en sors, c’est pour trouver par terre devant la porte la serviette du voisin qui revendique ainsi, comme dans un internat, le droit de prendre ma suite. Celle qui s’apprêtait à l’occuper doit attendre. Au petit-déjeuner, nous côtoyons à nouveau la femme seule et solitaire. Elle nous dit qu’elle est allée sur la tombe de sa grand-mère. Celle que j’accompagne sort fumer sur le trottoir devant la maison double, moitié pour l’invisible Linda et son frère, moitié pour les hôtes. Je lui tiens compagnie. Nous regardons passer employé(e)s et étudiant(e)s se pressant vers le travail, à pied, en vélo, en voiture, en bus ou en taxi. De l’autre côté de la rue se trouve un parc avec des terrains de sport.

    Après un brossage de dents, nous partons à la recherche de la gare Greyhound et y achetons deux billets pour Niagara Falls le lendemain mardi. Puis on se dirige vers la vieille ville, quartier de rues semi piétonnières (églises, marché couvert mais fermé le lundi). Je repère un restaurant mais comme il n’est que onze heures, on continue jusqu’à la Distillerie, un bâtiment industriel reconverti dans l’art contemporain, d’où la présence de bobos et de cafés restaurants branchouilles. Rien ne nous y retient. Pour déjeuner, nous sommes contraints de revenir sur nos pas jusqu’au restaurant repéré près du marché couvert. Il se nomme le Paddington’s et ce sera encore une fois pour elle une salade Caesar au Chicken et pour moi un Swiss Burger cuit « medium » et non pas « rare » (c’est interdit par le gouvernement nous dit la serveuse), avec des French Fries, un thé, un café. Je paie avec des dollars américains, ce qui ne réjouit pas cette même serveuse :

    -American dollar is a very bad money, me dit-elle.

    Elle les encaisse néanmoins. Dehors, il fait soleil mais le vent est devenu glacial. On descend quand même au port où un cargo vert, le Wigeon, se fait vider de sa canne à sucre. Le long du bassin, une fausse plage avec fauteuils confortables nous accueille quelque temps, mais le froid finit par nous en chasser. De retour à la maison, nous prenons un jus d’orange avec muffin dans la cuisine communautaire. Quand nous pénétrons dans la chambre, nous remarquons des affaires déplacées. Celle que j’accompagne téléphone à Linda avec l’appareil de la cuisine. Cette dernière explique qu’elle y a fait entrer un photographe. Elle se fait dire notre désapprobation.

    Le soir venu, on retourne à l’Imperial Pub Library. Un escalier latéral nous incite à monter à l’étage où l’on découvre une deuxième salle : confortables fauteuils, juke-box, baby-foot, livres vieux et en foutoir, musique jazz à la radio. Nous commandons un pichet d’un demi-litre de chardonnay local et des sweet potatoes fries. Une clientèle mélangée nous tient compagnie. Certain(e)s sortent fumer sur une grande terrasse où il fait trop froid pour se tenir longtemps.

    Au bout d’un moment, un serveur vient nous voir pour nous annoncer qu’il n’y a plus qu’un peu de ces douces pommes de terre frites et qu’en conséquence elles nous seront offertes.

    *

    Je n’aime toujours pas Toronto, la plus grande ville du Canada avec ses deux millions six cent mille habitant(e)s, qui n’a pas voulu de moi. A sa décharge néanmoins, c’est la première fois depuis New York qu’on croise moult jolies filles dans la rue, spécialement des Asiatiques.

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  • Dimanche après-midi, à l’Opéra de Rouen, c’est la deuxième représentation de Lolo Ferrari, une création mondiale due à un trio belge : le compositeur Michel Fourgon, le librettiste Frédéric Roels (par ailleurs maître des lieux) et le metteur en scène Michael Delaunoy. J’arrive suffisamment en avance pour entendre sans écouter la présentation qu’en fait un intervenant pédagogique. L’histoire, on la connaît. Sa représentation sous forme d’opéra est susceptible de faire fantasmer ceux qui aiment les gros lolos. Pas moi donc, qui n’aime que ceux chantés autrefois par Daniel Balavoine.

    Je suis en corbeille, bien placé, pour suivre cette narration chantée que je trouve acceptable mais qui ne m’excite pas l’esprit (comme aurait dit Léautaud), ni l’oreille. Je ne sais ce qu’il en est du reste du public. Les applaudissements sont mesurés.

    Dans sa note d’intention, Frédéric Roels déplore que beaucoup d’opéras créés ces dernières décennies n’aient pas trouvé leur public. La faute, dit-il, à « un livret soit à trop grande prétention formelle, soit trop conventionnel par rapport à la forme musicale investie. » Il évite ces deux écueils, mais je ne suis pas certain pour autant que Lolo Ferrari soit donné ailleurs qu’ici.

    Je rentre par un vent frisquet. De la neige est annoncée dans ses bagages.

    Le soir venu, je poursuis la lecture du Dictionnaire Flaubert de Jean-Benoît Guinot (CNRS Editions) et arrive à l’entrée « Téton ». Elle est illustrée par un extrait d’une lettre envoyée à son ami Louis Bouilhet par Gustave, âgé de vingt-neuf ans, le dix février mil huit cent cinquante et un. Je ne suis pas surpris d’y lire que Flaubert, lui les aurait aimés les airbags de Lolo Ferrari, ces seins énormes qu’il compare à des citrouilles et qui lui donnent une drôle d’idée :

    Et c’est qu’il y en a, monsieur, tant d’espèces de tétons différents. Il y a le téton pomme, le téton poire, -le téton lubrique, le téton pudique, que sais-je encore ? Il y a celui qui est créé pour les conducteurs de diligences, le gros et le franc, téton rond que l’on retire de dedans un tricot gris, où il se tient là bien chaudement gaillard et dur. Il y a le téton du boulevard, lassé, mollasse et tiède, ballotant dans la crinoline, téton que l’on montre aux bougies, qui apparaît entre le noir du satin, sur lequel on frotte sa pine, et qui disparaît bientôt. Il y a les deux tiers de tétons vus à la clarté des lustres au bord des loges de théâtre, tétons blancs et dont l’arc semble démesuré comme le désir qu’ils vous envoient. Ils sentent bons, ceux-là, ils chauffent la joue et font battre le cœur. Sur la splendeur de leur peau reluit l’orgueil, ils sont riches et semblent vous dire avec dédain : « Branle-toi, pauvre bougre, branle-toi, branle-toi. » Il y a le téton canaille, fait comme une gourde de jardinier à mettre des graines, mince de base, allongé, gros du bout. C’est celui de la femme que l’on baise en levrette, toute nue, devant une vieille psyché en acajou plaqué. Il y a le téton desséché de la négresse qui pend comme un sac. Il est sec comme le désert et vide comme lui. Il y a le téton de la jeune fille qui arrive de son pays, ni pomme, ni poire, mais gentil, convenable, fait pour inspirer des désirs et comme un téton doit être. (…) Il y a enfin le téton citrouille, le téton formidable et salopier, qui donne envie de chier dessus. C’est celui que désire l’homme, lorsqu’il dit à la maquerelle : « Donnez-moi une femme qui a de gros tétons. » C’est celui-là qui plaît à un cochon comme moi, et j’ose dire, comme nous.

    *

    Rouen sous la neige, les travaux de repavage des bordures du jardin sont stoppés. Point d’ouvriers ce mardi avec qui échanger quelques mots quand je vais chercher mon courrier, deux jeunes gens courageux et un patron nature. Celui-ci l’autre jour me montrant les bâtiments à pans de bois qui entourent le jardin : « C’est vieux tout ça, c’est des vieilles baraques. »

    *

    Un passant glissant la tête par la porte entrouverte :

    -C’est les pavés de Soixante-Huit, vous les remettez ?

    *

    Je ne suis pas mécontent de mon jeu de mot sur la visite de Hollande en Côte d’Or : « Le mou tarde à Dijon ». J’espère que Le Canard Enchaîné ne va pas me le piquer.

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  • Après avoir vu, à l’Omnia de Rouen ce dimanche matin, Un sauvage honnête homme, le film de Maria Pinto consacré à Jean-Jacques Pauvert, je me plonge dans le troisième et dernier volume du Journal Littéraire de Paul Léautaud afin d’en retrouver les passages où est évoqué celui qui n’est encore que jeune homme, mais dégourdi.

    Mercredi cinq décembre mil neuf cent quarante-cinq :

    Ce matin, lettre d’un M. Jean-Jacques Pauvert, il me semble que ce nom ne m’est pas inconnu, habitant Sceaux, qui a créé une revue « pour défendre le droit des artistes et la liberté de l’esprit ». Il a pensé qu’il faut faire quelque chose « pour la liberté, la joie de vivre et l’amour de l’art » et me demande s’il peut compter sur moi pour son premier numéro, ne dissimulant pas qu’il n’y en aura peut-être pas un second.

    « La joie de vivre » ! Outre que cette expression est niaise au possible, il tombe bien avec moi.

    Mardi onze décembre mil neuf cent quarante-cinq :

    Tantôt visite de ce M. Jean-Jacques Pauvert, qui fonde une revue pour réclamer le retour de la liberté d’écrire comme on pense. Je n’avais pas encore répondu à sa lettre : une lettre de moins à écrire, -en admettant que je me sois décidé à lui répondre. Dix-neuf ans ! Il gagne sa vie en faisant des besognes dans des journaux. La fabrication de son premier numéro, rien que le côté impression, 75 000 francs. Comme je lui disais que je ne dépenserais jamais 75 000 francs pour des entreprises de ce genre, il m’a répondu qu’il a quelques concours de gens que son projet intéresse et qui veulent y aider. Il a son papier. Il a l’autorisation dans ces termes qu’il m’a répétés : à condition que votre revue ne soit pas mise en vente, et envoyée sous pli fermé. Il a vu Salmon qui s’est réservé pour le second numéro. Il va m’apporter à lire l’article-programme qu’il a rédigé pour le premier. Il voudrait que je sois dans ce premier. Si son texte m’excite un peu l’esprit, nous verrons cela.

    Jeudi treize décembre mil neuf cent quarante-cinq :

    Je parle avec Arland, sans le nommer, du jeune Jean-Jacques Pauvert, de la revue qu’il va faire paraître, de l’autorisation qu’il a obtenue, et sous quelle condition : ne pas mettre en vente et envoyer sous pli fermé. Il me dit d’un ton assuré : « Ce n’est pas vrai. Il n’a pas eu l’autorisation. On ne donne plus aucune autorisation. Ce qu’il dit de l’envoi sous pli fermé en est la preuve. »

    Il faudra que j’éclaircisse cela avec le jeune Pauvert s’il revient me voir.

    Comme je suis un peu renversé de ce que me dit Arland et que je lui dis : « Mais, alors, on n’est pas libre d’écrire ce qu’on veut ? Je croyais que… », il me répond du même ton assuré : « Mais non, on n’est pas libre, pas du tout. »

    Vendredi vingt-huit décembre mil neuf cent quarante-cinq :

    Tantôt, visite du jeune Jean-Jacques Pauvert.

    Lundi neuf décembre mil neuf cent quarante-six :

    Ce soir, visite du jeune Jean-Jacques Pauvert. Bien six mois que je ne l’avais vu.

    Il est devenu éditeur. J’ai reçu le premier petit volume qu’il a publié. Il est allé trouver Montherlant pour lui demander un texte. Montherlant lui a répondu qu’il en avait un tout prêt pour lui, mais qu’il venait d’être frappé d’une interdiction de rien publier pendant un an, à compter d’octobre dernier. Le jury chargé d’examiner son cas était composé de six écrivains. Quatre se sont défilés. Deux sont restés pour décider de son sort. Dans ces deux, le nommé R. C’est bon à savoir. R. a écrit un excellent article sur le Choix de pages. Je me proposais de le remercier, le jour que j’aurais le courage de me mettre à écrire toutes les lettres de ce genre que j’ai sur la planche. Je m’abstiendrai.

    Cette décision, du délai d’une année à ne pouvoir rien publier à compter d’octobre de cette année, rendue, il a été constaté qu’on fait erreur, et que c’est à compter d’octobre 1945 que courait l’année. Elle se trouve écoulée et Montherlant retrouve sa liberté.

    Jean-Jacques Pauvert m’a raconté que Montherlant, après lui avoir raconté la décision d’interdiction dont il venait d’être frappé, s’est mis à lui dire : « C’est extraordinaire. On s’en prend à moi. Et H., et I. ? On ne leur dit rien, on ne s’occupe pas d’eux ? » Il faut avouer que c’est peu joli de sa part.

    Jean-Jacques Pauvert est devenu le représentant, le mandataire, le démarcheur d’une sorte de société de cinéastes bibliophiles colossalement riches, -ce qui n’est pas fait pour étonner,- qui font imprimer pour eux seuls, à environ 50 exemplaires, des textes qui leur plaisent, ces exemplaires donc hors commerce. (…)

    Ce jeune et charmant jeune homme a déjà toutes sortes de relations dans le monde littéraire. Cocteau (il est vrai que c’est encore seulement par téléphone), Albert Camus qu’il juge comme moi un utopiste, écrivant dans les nuages (…), le critique littéraire Maurice Nadeau (…)

    Jean-Jacques Pauvert m’a dit aussi, ce que je note sous toute réserve, (…) qu’il paraît que Gide est « terrifié », c’est le mot que Pauvert a employé, à la pensée de ce que mon Journal peut contenir sur lui. (…)

    Chaque fois que Jean-Jacques Pauvert vient me voir, cadeau d’un paquet de tabac. C’est quelque chose !

    Jeudi treize février mil neuf cent quarante-sept :

    A table, on parle du livre de souvenirs de Maurice Sachs qui vient de paraître. Jean-Jacques Pauvert m’en parlait justement hier, à propos du chapitre qu’il contient sur Cocteau, et surtout du chapitre sur Sachs lui-même, sa jeunesse, ses faits et gestes, extrêmement émouvant selon Jean-Jacques Pauvert. Même jugement de Paulhan.

    Jeudi vingt-six juin mil neuf cent quarante-sept :

    A sa dernière visite, le jeune Jean-Jacques Pauvert m’avait fait valoir la publicité qu’il fait pour la petite plaquette qu’il devait éditer avec le fragment de mon Journal à paraître dans L’Arche, cela pour m’amener à revenir sur mon refus de faire cette plaquette. Ce matin, longue lettre de lui, dans laquelle il revient sur le sujet dans le même sens, et en même temps sur la question de l’édition du Journal, m’offrant de me faire rendre visite par je ne sais quelles gens pour lesquels cette édition devait être faite, ou me faire déjeuner avec eux à Paris, -cela également pour me faire revenir sur mon refus de faire cette édition.

    Je lui ai fait sur le champ ma réponse, et dûment motivée, ajoutant qu’il n’a à s’en prendre qu’à lui : je maintiens mon non, pour les deux affaires.

    (…)

    Eté à Paris, pour la subsistance du Chinois. Passé au Mercure. Vu M. Hartmann, survenu dans le bureau des abonnements. Il me parle le premier de la plaquette Jean-Jacques Pauvert (Editions Palimugre) et de l’annonce parue dans la Bibliographie, qu’il me fait chercher par Maurice et qu’il me montre. Tirage annoncé : 100 ex. à 175 francs l’exemplaire. Après le titre ceci : « Le texte le plus sentimental de l’auteur du Petit Ami. » M. Hartmann me dit que cette annonce, ½ page, coûte au moins 15 000 francs. Je le regrette pour le jeune Pauvert. Comme je le lui ai dit dans ma lettre : « Pourquoi avez-vous fait de la publicité avant que la plaquette fût imprimée. »

    Jeudi douze février mil neuf cent quarante-huit :

    Marcel Aymé a pu voir le plaisir que j’avais à le connaître par mes paroles d’accueil quand Mme Gould me l’a présenté (privilège de l’âge). Je le lui ai exprimé et répété. Jean-Jacques Pauvert, qui m’a un jour parlé de lui, m’a dit qu’il parle très peu et écoute ce qu’on lui dit, sans guère un mot. Assis à côté l’un de l’autre, dans un coin du petit salon, au café, il n’a guère fait que m’écouter, répondant seulement d’un mot ou deux à mes questions. Il habite Montmartre, rue des Saules, un endroit tranquille, dit-il.

    Mercredi dix-huit février mil neuf cent quarante-huit :

    Enfin, il (Anacréon) m’a fait part de la proposition de Daragnès de faire l’édition de mon Journal sur les mêmes bases et dans les mêmes conditions que celles que je devais faire avec Jean-Jacques Pauvert. Tirage, droits d’auteur, tels que je les fixerais. J’ai dit à Anacréon qu’il n’a rien à espérer à ce sujet, le travail à faire pour une édition complète m’assommant et que je n’espère guère m’en occuper jamais moi-même.

    C’est la dernière occurrence du nom de Jean-Jacques Pauvert dans le Journal de Paul Léautaud qui s’achève le vendredi dix-sept février mil neuf cent cinquante-six (cinq jours avant sa mort à quatre-vingt-quatre ans). Le jeune Pauvert n’a jamais pu publier quoi que ce soit du vieux Léautaud, dont il a maintenant dépassé l’âge de la mort.

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  • Antoine Martin Production invite à l’Omnia de Rouen ce dimanche matin à onze heures. On peut y voir gratuitement Un sauvage honnête homme, un documentaire de Maria Pinto consacré à Jean-Jacques Pauvert.

    J’y suis, centré à la dernière rangée de la salle trois, observant qui vient là, têtes vaguement connues et inconnues, moyenne d’âge la cinquantaine, des Marie-Laure, Marie-Christine, Marie-Odile, des Christian et des Antoine, de vieux couples qui se parlent avec une agressivité latente.

    Le film commence dans la pénombreuse bibliothèque de Jean-Jacques Pauvert d’où surgissent certains des livres qu’il a édités et dans le bruit des emmerdeurs et emmerdeuses qui arrivent en retard et dérangent tout le monde, l’une des choses dont j’ai horreur au cinéma, où l'on ne ferme pas les portes quand ça commence comme au théâtre ou à l’opéra, puis apparaît le très vieil homme qu’il est devenu, presque quatre-vingt-sept ans. Il ressemble un peu à Popeye, casquette de marin breton mais face à la Méditerranée que dominent sa maison et la forêt attenante. Le voici face à des photos d’autrefois, écrivains qu’il a publiés, sa deuxième femme avec qui il a vécu soixante ans, lui en jeune homme au physique moderne, tel que le raconte Paul Léautaud dans son Journal Littéraire (il faut que je m’y replonge). Il évoque les années qui ont suivi la Libération, « une dictature de la connerie dont on ne sortira que dans les années soixante ». La réalisatrice délaisse ensuite la biographie pour s’intéresser avant tout aux rapports de Pauvert avec Sade et l’univers sadien. Annie Le Brun, la spécialiste d’icelui, fait une apparition, un oiseau fantastique également. Le comédien Ugo Broussot lit Pauvert et Sade. Les oiseaux chantent. Le vieil homme fait souvent silence, puis reprend le fil de ses idées qu’il ponctue parfois d’un rire enfantin. Ce film pourrait aussi bien être un documentaire sur la grande vieillesse quand elle se passe bien ou même une fiction. La voix de la réalisatrice n’est présente qu’à la séquence finale où la conclusion est laissée à Sade, tirée des Cent vingt journées de Sodome : « Oh quelle énigme que l’homme ! » « Oui, il vaut mieux le foutre que le comprendre. »

    Le Jean-Marc de l’Omnia, toujours gentil et positif (ce qui ne manque pas de m’énerver), toujours parlant plus souvent qu’à son tour, organise le débat auquel participent Maria Pinto, Ugo Broussot et (restant muet) Antoine Martin. La première à poser une question dans le micro est une mineure assise au premier rang qui veut savoir combien le Marquis de Sade a écrit de livres. Le micro remonte dans la salle permettant à celui qui a reconnu la musique du film (Canteloube) d’en faire mention et de s’en féliciter. D’autres prennent la parole sans attendre le micro. Celui qui l’a en main attend sagement qu’on la lui donne. Il a tort, il ne l’aura jamais. C’est que d’autres ont à montrer comme ils ont bien compris les intentions de la cinéaste et sa façon de filmer. La dernière question est posée par « Moâ qui ai connu Jean-Jacques ». Un godet est offert à la sortie dont je me passe.

    *

    De Jean-Jacques Pauvert, dans Un sauvage honnête homme, le rejet de toutes les théories et l’hypothèse que c’est grâce à la prison que Sade a pu aller jusqu’au bout de ses idées.

    *

    Bourdonnements autour de La Ruche. Samuel Martin dont je parlais l’autre jour des dessins m’a envoyé un mail sympathique pour me dire que le titre de son exposition est bien Génériques :

    « La Ruche ne s'est pas emmêlé les pinceaux, le titre de l'expo est le bon, bien qu'elle montre en grande partie la série Yes Future. »

    Il ajoute : « Ces scènes se lisent (…) comme des génériques de fin, tout a eu lieu et les personnages concluent cela par la nudité et la destruction ; ou un générique de début annonçant un nouveau départ. »

    Dans ma réponse, je le remercie et lui dis que  « je trouve dommage que l'auteur donne au regard du spectateur une direction si fléchée ».

    La Ruche, quant à elle, m’écrit moins finement sur le réseau social Effe Bé :

    -Monsieur Perdrial, La Ruche est implanté dans un lieu excentré de Rouen certes, mais qui permet de faire découvrir l'art contemporain à un public non initié, et surtout a faire venir la vie dans un hôpital. Nous sommes là pour promouvoir la jeune création contemporaine et fournissons un gros travail bénévole en ce sens. Quel est le rapport avec le déménagement de l’école des beaux arts?

    -Madame La Ruche, il y a de l'humour dans mes textes parfois.

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  • Ce n’est pas sans mal que j’ai obtenu une place pour la dernière représentation de La grande et fabuleuse histoire du commerce de Joël Pommerat au Théâtre de la Foudre au Petit-Quevilly, m’y étant pris très tard, après avoir entendu l’auteur parler de ses pièces sur France Culture, mais c’est bon j’en ai une et donc en métro, ce vendredi huit mars au soir, je vais jusqu’à François-Truffaut, commune du Petit-Cul.

    La guichetière m’explique que j’ai le choix entre une place au premier rang, c’est-à-dire trop près, et une dans la deuxième moitié des gradins, c'est-à-dire trop loin. Je choisis trop près.

    Plus qu’à attendre dans le couloir qui mène à la salle. Un homme en sort. Il hèle sa collègue qui tarde à venir :

    -Alors, c’est l’heure, je sais bien que c’est la Journée de la Femme mais quand même.

    Ce qui montre que travailler dans la Culture n’évite pas la beauferie de base. La femme ne répond rien et me dit bonjour en m’appelant par mon nom bien qu’on ne se connaisse pas. Je m’assois au premier rang. C’est près et surtout en contrebas mais pas plus gênant que ça. Je vois bien sur le plateau le décor qui consiste en une chambre d’hôtel deux étoiles d’il y a quelques décennies. Autour de moi, on s’installe : « T’as trouvé ton numéro ? ».

    La grande et fabuleuse histoire du commerce se passe dans le monde de ceux qu’on appelait autrefois des représentants et maintenant des commerciaux. Toutes les scènes ont lieu dans les hôtels après le travail. La pièce est en deux temps Dans le premier, mil neuf cent soixante-huit, un jeune homme inexpérimenté rejoint un groupe de quatre vendeurs d’âge mûr. Dans le second, deux mille, quatre débutants d’âge mûr sont formatés par un jeune chef. Aux deux époques, il s’agit de fourguer de l’inutile au prétexte d’aider le quidam : pistolet d’alarme dans la première, guide des droits sociaux dans le seconde. Le monde marchand en prend un coup mais heureusement sans discours idéologique. Dans les personnages, joués par les mêmes acteurs dans les deux moitiés de pièce, apparaissent des vies personnelles pas roses. Tout cela est subtil, jouant sur les différences et les ressemblances entre les deux époques (la deuxième étant la pire) et l’inversion du dominé dominant jeune vieux. J’ai entendu Joël Pommerat expliquer sur France Culture comment il bâtit ses pièces à partir de témoignages réels. Ici, il n’oublie pas de remercier Marie-Cécile Lorenzo-Basson pour l’utilisation d’extraits d’intervious de sa thèse La vente à domicile : stratégies discursives en interaction. Autre point fort : l’utilisation de discrets micros qui évitent ce qui m’insupporte souvent au théâtre, l’acteur hurlant à tout bout de champ. Je passe donc une excellente soirée.

    Les applaudissements sont conséquents pour « les cinq comédiens exceptionnels de présence et de retenue » (comme dit le programme) : Eric Forterre, Ludovic Molière, Hervé Blanc, Jean-Claude Perrin et Patrick Bebi.

    Le métro arrive en même temps que moi à la station François-Truffaut. Avant vingt-deux heures je suis à la maison où m’attend un mail de celle qui est encore au travail à New York, cherchant à me consoler un peu du sale coup que vient de me faire l’un que je croyais mon ami de trente ans.

    *

    Quelle surprise, voici maintenant Le Major fâché avec son éditeur. Play with Cathedral ne lui plaît pas (trop petit, mauvaises couleurs, la suite au prochain épisode). Les Editions Point de Vues doivent l’avoir saumâtre et regretter la prise de risque que constitue la publication d’un ouvrage dont les piles décorent encore leurs vitrines et leurs étagères, sans compter les ennuis qu’elles pourraient avoir le jour où un ayant droit des images détournées tombera dessus.

    *

    Autre surprise rouennaise qui n’en est pas une : on a retrouvé le corps de l’étudiant sorti éméché d’un bar de nuit proche de la Seine, il était coincé entre une péniche et le quai.

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  • C’est au Conservatoire que l’Opéra de Rouen donne concert de musique de chambre ce jeudi soir. J’y suis le premier arrivé. La guichetière explique à une élève qu’elle pourra avoir une place à cinq euros un quart d’heure avant la fermeture des portes puis me donne la mienne.

    A l’ouverture, je m’assois à ma place habituelle et étudie le petit bout de livret programme, simple feuille A Quatre pliée en deux avec en photo le timbalier Philippe Bajard dont est fan celle qui travaille à New York. Des Etats-Unis, il est question ici, la soirée est titrée Musique américaine à l’ère industrielle.

    Cela commence par la Dark Music de William Bolcom, une courte composition de peu d’effets, jouée en discrétion par Philippe Bajard aux timbales. Il les maîtrise à légers coups de baguettes et appuis ponctuels sur les pédales, comme s’il pilotait un vaisseau spatial. A ses côtés, Anaël Rousseau est au violoncelle. Il a dû le prendre en stop.

    Suit le Quatuor pour piano et cordes d’Aaron Copland, œuvre en trois mouvements datant de mil neuf cent cinquante, qui me sied.

    Après l’entracte, c’est Differents Trains de Steve Reich. Tandis qu’un technicien branche les instruments du quatuor à cordes sur un amplificateur, Tristan Benveniste (violon) présente cette composition qui mêle musique vivante sur scène et musique et voix enregistrées, où Steve Reich évoque deux sortes de trains, ceux qu’il prenait aux Etats-Unis pour aller de chez sa mère à chez son père, divorcés, et ceux que d’autres Juifs devaient prendre à la même époque en Europe. L’exécution est à la hauteur de l’attente et suscite les applaudissements.

    A la sortie, une dame se rappelle avoir déjà entendu ça à l’Opéra de Rouen, peut-être pour une chorégraphie d’Anne Teresa De Keersmaeker. C’est bien possible.

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    Bonne nouvelle pour le forgeron de Rouen qui avait refusé de donner son Adéhenne (sans savoir que la Police Antiterroriste que le lui avait déjà prélevé dans le dos), le Tribunal l’a relaxé, comme le raconte Paris Normandie dans son édition de jeudi : « Exit donc la légitimité du prélèvement qui nécessite « des éléments graves et concordants ». A défaut de se prononcer sur la légitimité, le tribunal a justifié hier sa décision en expliquant qu’il n’avait pas suffisamment d’éléments laissant penser que pendant sa garde à vue le prévenu avait commis les faits qui lui étaient reprochés ». La dernière phrase est totalement bancale, mais on comprend.

    *

    Rouen : Gérard Boudin, le peintre nuagiste tant apprécié des élu(e)s d’ici de gauche et de droite est mort au Céhachu. Je me demande ce que ses héritiers vont pouvoir faire de tous ses tableaux nuageux.

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