• Hasard du moment, je lis ou plutôt relis (cette fois en prenant quelques notes) Je déballe ma bibliothèque de Walter Benjamin, ouvrage publié chez Rivages dans la Petite Bibliothèque, regroupant divers textes consacrés aux livres, le premier donnant son titre à l’ouvrage, lequel est sous-titré « Une pratique de la collection », tandis que j’occupe l’essentiel de ma journée à reconstituer la mienne, après en avoir ôté les livres que je veux revendre.

    Si Walter Benjamin déballe la sienne, c’est qu’elle est dans des caisses suite à un déménagement. Je déballe ma bibliothèque. Voilà. Elle n’est donc pas encore dressée sur les étagères, le léger ennui du classement ne l’a pas encore enveloppée. D’autres déménagements suivront, volontaires d’abord, forcés ensuite. Benjamin, pourchassé par les nazis, devra abandonner ses livres. Il  se suicidera à la frontière entre la France et l’Espagne, le vingt-six septembre mil neuf cent quarante.

    Dans Je déballe ma bibliothèque, Walter Benjamin se remémore les façons dont il s’est procuré les livres qu’il sort des caisses :

    … compte parmi les plus beaux souvenirs du collectionneur l’instant où il a bondi au secours d’un livre auquel il n’avait peut-être jamais consacré une pensée dans sa vie, à plus forte raison un souhait, parce que le livre en question restait ainsi délaissé, abandonné sur le marché libre et que lui l’achetait, comme dans les contes des mille et une nuits le prince peut acheter une belle esclave, afin de lui rendre la liberté. Pour le collectionneur de livres, en effet, la vraie liberté de tous les livres se trouve quelque part sur ses propres rayons.

    Propos qu’il poursuit dans le deuxième texte intitulé Pour collectionneurs pauvres :

    … la production croissante de livres, en accélération constante jusque très récemment, a eu pour conséquence que s’est glissée, entre les livres anciens mis dans le commerce par la librairie spécialisée et les livres nouveaux de la librairie d’assortiment, une troisième catégorie intermédiaire bien discrète, dont presque personne ne s’occupe et qui attend sans la moindre défense le collectionneur prêt à leur donner asile : ce sont les livres vieillis.

    Tout cela, on le trouve dans les voitures à livres, dans les rayons de soldes des grands magasins, où s’empilent les volumes à 45 ou 95 pfennigs, dans les papeteries des villes de province et qui sait, veut-on bien jeter un œil, peut-être même dans sa propre bibliothèque.

    Les textes qui suivent recensent les marottes de l’amateur de livres que fut Walter Benjamin : Livres de malades mentaux pris dans ma collection, Romans de servantes du siècle précédent, Ce sur quoi nos grands-parents se cassaient la tête (essai sur les livres à rébus), Vue perspective sur le livre pour enfants, Abécédaires d’il y a cent ans, Jouets russes. Le volume s’achève par la Liste des écrits lus, recension faite par l’auteur, comprenant mil sept cent douze entrées (les numéros un à quatre cent soixante et un n’ayant pas été conservés).

    Une partie de la bibliothèque de Walter Benjamin sera retrouvée en Union Soviétique après la Guerre. Seule sa collection de livres pour enfants restera intacte puisque captée par son ex-femme au moment du divorce et emmenée par elle en Italie.

    Que deviendra ma bibliothèque le jour où je n’y serai plus ? C’est une question que je pose régulièrement et davantage depuis que celle qui me tient la main envisage de s’installer durablement à New York.

    *

    Parmi toutes les façons de se procurer des livres, la plus glorieuse, considère-t-on, est de les écrire soi-même. Walter Benjamin (Je déballe ma bibliothèque)

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  • Vendredi vers vingt-trois heures trente, je suis réveillé par un voisin qui déplace les poubelles puis ouvre violemment la porte cochère pour faire sortir du jardin la moto d’un de ses peutes. J’ouvre la fenêtre et demande à ce barbu jamais vu si ça ne le dérange pas de réveiller le voisinage.

    -Il faut vous calmer monsieur, me dit-il d’un ton suffisant.

    Je le traite d’abruti avant de refermer la fenêtre, ne peux me rendormir tout de suite mais suis quand même debout à cinq heures afin d’aller au vide grenier du Houlme.

    Celui-ci est cette année resserré près de la Mairie, le vaste terrain des années précédentes étant désormais loti. De laids immeubles d’habitation et des bâtiments à usage mystérieux sont en construction. La nouvelle organisation est chaotique. Une femme en ticheurte jaune tient le rôle de la hurleuse en chef. L’installation des vendeurs et vendeuses se termine par un accrochage de voiture avec une boîte à lettres. Je parcours plusieurs fois les allées et n’y trouve rien pour moi.

    De retour à la maison, je m’affaire à préparer l’arrivée de celle qui me rejoint ce ouiquennede quand mon téléphone sonne. C’est elle qui m’apprend que suite à des travaux, son train aura moult retard. Au lieu d’être là à dix heures trente, ce sera midi. Nous déjeunons à l’intérieur, la faute au temps pourri, et ne ressortons pas avant le lendemain matin sept heures.

    Nous sommes au vide grenier rouennais de la Calende plus matinaux que bien des exposant(e)s. Celle qui m’accompagne à la joie de trouver là pour quelques euros le Pollux dont elle rêvait et qu’elle cherchait depuis plusieurs années. J’ai moins de chance, ne trouve rien à mon goût. A une femme qui cherche des livres de science-fiction, je donne le Missel des dimanches. Elle me remercie et le feuillette sans y voir malice.

    Après un tour au marché du Clos Saint-Marc, puis une boisson chaude au café du même nom et un nouveau passage au vide grenier de la Calende (« Elle est en verre ou en plastique, votre carafe ? » demande l’un. « Oh, je ne m’occupe pas de ça, répond le vendeur, qu’elle soit en cristal ou en plastique, j’en veux quinze euros. »), nous pouvons nous installer au soleil dans le jardin dont la paix est bientôt troublée par les anti mariage gay qui manifestent bruyamment près du Musée des Beaux-Arts.

    Ce tintamarre dure longtemps puis le calme revient tandis que nous déjeunons agréablement avec comme dessert un délicieux kouign amann de la boulangerie de la rue Saint-Nicolas, sorte d’avant-goût d’une semaine en Bretagne prévue pour la fin du mois de mai. Après le repas, elle photographie son Pollux dans l’herbe parsemée de pâquerettes.

    L’après-midi, nous nous baladons le long du Robec jusqu’à atteindre le four à pain où justement l’on a cuit. Un pain rustique devient le nôtre, dont elle emporte le soir venu une moitié à Paris.

    *

    Autre nouveau voisin : celui du troisième étage qui fume à toute heure de la nuit la tête sortie par un Velux, sorte de périscope humain dont la toux est la balise sonore.

    *

    Ces cathos perturbateurs d’inauguration d’expo impressionniste, on les verra les autres jours au Musée, admirant Monet et Sisley. Cette peinture est la leur. Aucun risque, en revanche, de les croiser à l’expo Keith Haring à Paris.

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  • Aller voir Eblouissants reflets, 100 chefs-d’œuvre impressionnistes au Musée des Beaux-Arts de Rouen deux jours après avoir vu l’exposition Keith Haring, The Political Line au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, c’est comme boire une infusette après un café serré, mais bon j’ai la possibilité d’être à l’avant-première ce vendredi et donc à dix heures, dans le froid revenu, je fais partie de celles et ceux qui attendent en haut des marches  Sur l’esplanade Marcel-Duchamp, des ouvriers s’affairent autour de la tente de réception qui servira lors de l’inauguration officielle de dimanche. Près de moi, une Amie du Musée regrette de ne pas en être : « Oui mais quand même, on a déjà le privilège de voir l’exposition avant tout le monde », lui répond une autre.

    « Quarante Monet, dix-sept Sisley… C’est du jamais vu en province ! » a déclaré Sylvain Amic (directeur de la maison) à Paris Normandie en début du mois. Il est là à l’ouverture des portes, saluant les entrant(e)s, ce qui flatte le vieux couple que je côtoie au vestiaire où je laisse mon sac à dos dans un casier.

    Plutôt que de rester avec le gros de la troupe, je file à mon pas, ce qui me permet d’être seul devant les meilleures œuvres et de constater une fois encore que Monet écrase tous les autres.

    Je reviens ensuite au point de départ, une salle sans grand intérêt baptisée « Le peintre, ce Narcisse », c’est qu’il est question de l’eau ici, d’où ce titre passe-partout et vide de sens, Eblouissants reflets, bien fait pour le public de province, amateur de peinture décorative et apolitique. Je m’attarde ensuite le temps qu’il faut dans chaque salle : « Le voyage aux Pays-Bas » (illustré par Jongkind et Monet), « L’armada des peintres » (où sont montrés les tableaux de ports), « Ponts » (dont deux Charing Cross de Monet, « C’est connu », remarque une dame), « Canotages » (Renoir, Caillebotte, La Barque de Monet venue de Marmottan, et deux Jean-Louis Forain, « Connais pas », dit la même dame), « Le bateau-atelier » (avec trois Vétheuil de Monet), « Arbres au bord de l’eau » (Monet, Sisley, Caillebotte, Cézanne), « Sisley et la Seine » (avec la série Inondation à Port Marly, première du genre, Bougival, Argenteuil « C’est dommage que ça ait bougé », dit une autre dame) et là, catastrophe, une salle « Rouen et son Ecole » (le lobby local, Amis du Musée, etc. a encore frappé), la suivante n’est pas mieux, consacrée aux Néo Impressionnistes (des Seurat et Signac de seconde zone ainsi que des croûteux), mais ouf la dernière est entièrement consacrée au Claude : « Monet et l’horizon », nymphéas, Etretat et trois superbes Venise (une dame s’approchant des cartels : « C’est Etats-Unis, Chicago, New York, on aurait dû y penser. »)

    Quoi encore ? Une armada de gardien(ne)s que l’on sent fraîchement recrutée, des portions de murs et de sols en aluminium reflétant peu, des bancs blancs mous, des photographies de ce temps-là et aussi des vues stéréoscopiques : tu te colles sur le binoculaire, tu vois et t’es déçu.

    « C’est une sacrément belle expo » dit une dame (les hommes ne disent rien et sont bien moins nombreux). Si l’on veut. Ce qui est sûr, c’est que c’est une exposition pour mémères et pour pépères et donc celui que ses gardes du corps surnomment Pépère y aurait été à sa place, mais Hollande ne viendra pas dimanche comme il était prévu.

    Couard, il craint les ouvriers de Petroplus et les anti mariage gay. Du coup, Aurélie Filippetti, Ministre de la Culture, qu’il devait amener dans ses bagages, a déclaré que son agenda l’obligeait à ne pas être là. Ne restent que les deux Ministres locaux. Plus personne pour faire le discours, Pierre Bergé devra inaugurer lui-même.

    *

    Un qui s’est fait débarquer de Normandie Impressionniste, c’est Jacques-Sylvain Klein qui faisait Commissaire Général la fois précédente et tentait de faire accroire que l’Impressionnisme était né en Normandie. Paris Normandie m’apprend qu’il est toujours accroché à cette idée farfelue : « Je la défends maintenant à Paris après l’avoir défendue dans la région. Au fait, j’ai un scoop: 52 % des toiles de Monet ont été peintes en Normandie! »

    *

    Retour du mauvais temps, retour au Socrate café d’hiver ce vendredi après-midi. Dehors, une escouade de gendarmes mobiles repère les lieux. Pépère ne sera pas là mais les manifestants de droite oui.

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  • Un livre lu jusqu’à la fin, c’est La vie comme une fête, une suite d’entretiens avec Marcel Jouhandeau à laquelle ont collaboré Régine Desforges, Jean Falgor, Chantal Noetzel et Béatrice Shalit, un ouvrage publié par Jacques Ruffié chez Pauvert en mil neuf cent soixante-dix-sept.

    J’en prélève tout ce qui concerne ce cher Paul Léautaud :

    Paul Léautaud avait des goûts particuliers et une insolence très spéciale. Un jour, je déjeunais chez Mme Gould, et Paul Léautaud était assis à côté de moi, parce qu’il y avait plus d’hommes que de femmes. Françoise Supervielle en face de lui. Comme tout le monde se taisait, je crois tout naturel de dire à Léautaud : « Savez-vous qui est en face de vous ? » Il me dit : « Non. » « Eh bien c’est la fille de Jules Supervielle. » Léautaud de s’écrier : « Vous avez pu lire une ligne de celui-là ? » J’aurais voulu être à cent pieds sous terre (…)

    Quand je circulais le matin dans mon quartier avec Paul Léautaud (il arrivait que Paul Léautaud vînt me prendre à la maison le matin pour aller déjeuner chez Mme Gould), nos voisins, qui m’avait aperçu avec lui, m’arrêtaient le soir pour me demander : « Monsieur Jouhandeau, ce matin, vous vous promeniez avec un homme célèbre. Qui est-ce ? » Etrange réflexion ! Son aspect était singulier. Il portait une sorte de manteau macfarlane en loden et un petit chapeau coquin avec une plumette et un foulard de couleur vive. (…)

    Il m’a amusé comme personnage, il avait le don de s’exprimer comme il était permis à lui seul. Il m’a quelquefois accablé, il m’a fait souffrir, mais j’aimais lui servir de cible. Je suis moins amateur de ses livres que de son personnage. L’homme l’emportait sur l’œuvre. (…)

    Par exemple, après le déjeuner, un jour, Jean Paulhan qui était la discrétion même, se manifestait plus qu’à l’habitude chez Mme Gould, et chez Mme Gould, Léautaud buvait beaucoup plus qu’à son ordinaire –ce qui n’était pas beaucoup–, il mangeait aussi un petit peu plus. (…) Ce jour-là, Paulhan s’ébrouant plus qu’à l’ordinaire, Léautaud étend le bras et dit : « Voyez-le, notre Boileau avec sa perruque dessinée par Braque ! » C’est tout Paulhan en deux traits. Boileau, car il est un des hommes qui connaissent le mieux la langue française dans ses soubassements, en même temps qu’il fait preuve d’une grande excentricité de pensée. (…)

    Ce qui est effrayant c’était de circuler avec lui en ville. Une fois, j’ai pris l’autobus en sa compagnie. Il commence par le paysage : « Regardez-moi ça ! C’est affreux, il n’y a plus rien de bien, regardez ces maisons ! et puis les gens, regardez-moi ces gueules ! » Nous étions sur la plate-forme, quand un enfant se met à pleurer. Lui : «  Qu’on l’étrangle ! vous entendez ces cris, c’est intolérable ! Dire qu’on interdit aux chiens de monter et qu’on accepte que cette volaille vienne nous casser les oreilles ! »

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  • Il fait grand soleil ce mercredi lorsque j’arrive à Paris. Je rejoins Havre-Caumartin à pied puis le métro m’emmène à Alma-Marceau, station entièrement dédiée à Keith Haring à l’étonnement de certains voyageurs qui découvrent un artiste et apprennent qu’en surface le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris l’expose sous le titre The Political Line.

    Je vais d’abord boire un café au Galliera puis m’installe sur les marches du Musée après avoir photographié les nus des portes majestueuses. Je suis le premier, pas longtemps seul. Une file se constitue bientôt ordonnée en deux par les gardiens et leur superviseuse, d’un côté les avec billets, de l’autre les sans billets.

    Le mien acheté et mon sac déposé, j’entre et en prends plein les yeux dès la première salle. Consacrée aux œuvres du début, on y trouve déjà tout ce qui constitue l’univers de l’artiste et l’alphabet graphique qu’il utilisera durant sa courte carrière. Nous sommes en soixante-dix-huit, l’année des Manhattan Penis Drawings for Ken Hicks (parmi ces dards : les deux tours du World Trade Center) et d’Everybody knows where meat comes, it comes from the store, puis viennent les grandes peintures acryliques sur bâche vinyle, impressionnantes, ludiques et violentes, dirigées contre l’Etat, le capitalisme, la religion, les mass media (comme on disait), le racisme, la menace nucléaire, etc. C’est une virulente et profuse critique des Etats-Unis des années quatre-vingt, et au-delà de la société de consommation (à laquelle participa l’artiste en ouvrant boutique de produits dérivés).

    J’aime particulièrement la peinture sans titre où l’on voit une truie vomir un flot de marchandises et que certains tètent aux seins et Andy Mouse - New Coke (charge amicale contre un Warhol disnéisé et cocafié).

    L’une des salles est sonorisée avec la musique à danser de l’époque. Une autre est plongée dans une semi-obscurité afin qu’en surgissent les parties fluorescentes. Son gardien porte des lunettes noires. On y voit un Saint Sébastien en érection percé d’avions faisant office de flèches, une œuvre datant de quatre-vingt-quatre, en quoi je vois une prémonition du Onze Septembre. S’y trouvent aussi une Petite Sirène et un Schtroumpf couverts de dessins. Ailleurs, ce sont des vases en terre cuites ou de géants totems qui servent de supports au prolifique artiste.

    Quoi noter encore? The Great White Way (peinture sur bite géante rose), Michael Stewark, USA for Africa (hommage révolté à l’artiste graffiteur noir mort roué de coups par des policiers qui seront acquittés), A Pile of Crowns for Jean-Michel Basquiat (hommage triangulaire, enchevêtrement de couronnes, à la mort de celui-ci), Untitled – Photographers (peinture en noir et blanc, miroir pour celles et ceux qui ici ne font que photographier), Broome Street (où un homme chute dans un escalier, peinture judicieusement exposée au bas de quelques marches assez peu visibles). Sont aussi montrés des dessins à la craie évoquant les plus de cinq mille réalisés par l’artiste dans le métro de New York, ses collages de coupures de journaux contre Reagan et des œuvres réalisées en collaboration avec LA II, jeune graffeur de quatorze ans.

    J’arrive dans la dernière salle, consacrée à la fin, le sida et la mort à trente et un ans, où l’on peut voir le triangle rose Silence=Death, le diptyque Untitled for James Ensor montrant un squelette éjaculant sur des fleurs qui renaissent et un autoportrait à gros points.

    Keith Haring meurt en mil neuf cent quatre-vingt-dix, le jour de mon anniversaire.

    Je rebrousse l’exposition, croisant un peu plus de monde au fur et à mesure que je remonte la chronologie et rencontrant Fred Le Chevalier. Nous échangeons nos impressions puis repartons chacun de notre côté. Aucune visite guidée n’est là pour me perturber. Celle suivie par cinq ou six enfants d’âge maternel fait preuve de discrétion. Assis en rond autour d’une jeune fille, ils vont d’œuvre en œuvre jusqu’à la mort. Pas mal d’autres enfants sont présents, amenés par leurs parents ou grands-parents. Ils trouvent cela joli. Peu d’adultes leur expliquent de quoi il s’agit vraiment. C’est pourtant l’occasion rêvée de montrer à ces moutards dans quel monde on les a jetés.

    Revenu au point de départ, je fais encore une fois le parcours. Chaque œuvre demande au moins cinq minutes pour être totalement explorée. Entré à dix heures, je ressors à midi, ébloui au propre comme au figuré. Place de Tokyo, capitale du Japon (comme le dit la pancarte), il fait beau.

    Je reprends le métro à Alma-Marceau jusqu’à Bastille, déjeune sur le trottoir au Péhému chinois où je commence à être connu (tomate mozzarella, sauté de porc, frites de la maison, côtes-du-rhône, café, quinze euros et quelque), passe l’après-midi à errer sous le chaud soleil avec des pauses café et libraire, pensant un peu trop.

    Durant le retour vers Rouen, je lis l’un des livres achetés, les poèmes de Raymond Carver publiés en édition bilingue chez Dix/Dix-Huit sous le titre Là où les eaux se mêlent. La lune toute ronde avance à la même vitesse que le train.

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  • La voici enfin votée la loi autorisant le mariage d’une fille avec une fille et d’un garçon avec un garçon, des semaines et des semaines de débats stériles pour faire ce que d’autres pays ont déjà fait depuis longtemps et en quelques jours, cette lenteur mise à profit par le magma des opposant(e)s constitué de givré(e)s, de cathos, de sarkozistes, de fachos et de centristes, lesquel(le)s n’ont pas fini de nuire.

    Bien que non concerné et contre le mariage en général, je me rends à l’invitation de l’association Ellegébété (Lesbiennes, Gays, Bi et Trans) Droits de Cité, devant l’Hôtel de Ville de Rouen, où doit se tenir pour l’occasion, à dix-neuf heures, un « rassemblement festif ». Sur place, je ne vois que quelques dizaines de personnes qui attendent on ne sait quoi. Une poignée de jeunes gens arrivent dont le plus petit porte un mégaphone. Prévoyant un bout de discours et pas la queue d’une fête, de plus n’aimant pas perdre mon temps, je me carapate.

    *

    Avec cet exploit qui a abouti au réveil de l’homophobie, ce falot de Hollande n’est pas prêt de mettre en œuvre une autre de ses promesses législatives : celle de donner à chacun(e) le droit de mourir dans la dignité, et là j’aurais pu être concerné.

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  • Un ami de trente ans, c’est ainsi que je qualifiais Frère M…, moine du Bec, amitié relative certes, un catholique reste un catholique (je n’ignorais pas, l’ayant appris par d’autres, qu’il ne voyait pas d’un bon œil certains aspects de ma vie).

    Cette amitié à guillemets est terminée, close par deux lettres à lui envoyées.

                La première date du onze mars deux mille treize :

                « N’ayant pas reçu d’invitation pour l’anniversaire de tes 50 ans dans les ordres, j’ai d’abord cru à un oubli. Puis tu as eu X… au téléphone et tu lui as clairement fait comprendre que je n’y serais pas le bienvenu.

                Qu’ai-je donc fait pour que toi que je croyais mon ami me jettes ainsi la pierre ?

                Je te demande une explication franche et précise. »

                La seconde, postée le vingt-deux avril deux mille treize :

                « Il y a plus d’un mois, je t’écrivais afin d’obtenir une explication sur ton brusque changement de comportement à mon égard.

                « Il n’aura pas le courage de me répondre », disais-je alors à celles à qui j’en parlais.

                Mon intuition s’est confirmée.

                A l’hypocrisie, qui te faisait me critiquer derrière mon dos, notamment sur le fait que je sois avec quelqu’une de bien plus jeune que moi, tu ajoutes la lâcheté.

                Je ne doute donc pas que les portes du paradis te seront grand ouvertes. »

                Ce même jour, j’envoie une missive à la Communauté de l’abbaye Notre-Dame du Bec :

                « Frère M… ayant cru bon de ne plus me compter au nombre de ses amis pour une raison que j’ignore mais qui a peut-être à voir avec mes activités d’écriture, je vous informe que vous ne me verrez plus à l’abbaye. »

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  • Peu à peu, le soleil s’installe et je passe de mon café d’hiver (Le Socrate) à mon café d’été (Le Son du Cor). Il est donc temps de solder ce que j’ai noté dans le premier au fil des jours mauvais.

    *

    Déjeuner de travail : il drague sa collègue en lui parlant de sa femme et de ses enfants (comment il s’en occupe bien) ;

    -Tu sais moi, je suis persuadé que quelqu’un qui a une famille unie et tout ça, travaille mieux.

    *

    Une prof d’école privée :

    -Les élèves s’en foutent. Les collègues s'en foutent. Tout le monde s’en fout. Si j’avais su que ça se passait comme ça quand j’étais à la fac, moi j’aurais même pas étudié.

    *

    Un type à chapeau, endormi à sa table. La patronne d’une voix de stentor : « Faut rentrer chez vous monsieur, vous dormez. »

    *

    Une grand-mère, s’apprêtant à recevoir son petit-fils : « A quinze ans, t’en fais pas ce que tu veux. »

    *

    Une femme à propos de sa compagne de voyage : « Elle a soixante-dix-sept ans, ses enfants ne veulent plus qu’elle aille à l’étranger toute seule. »

    *

    Une fille à une autre : « Ça marchera pas avec Marc, il est trop lisse, trop gentil. »

    *

    Enfin, un peu trop belle pour être vraie, racontée par une retraitée à une autre, l’histoire de la caissière de chez Leclerc devant qui une bourgeoise dit à son petit-fils : « Tu vois, si tu ne travailles pas bien à l’école, c’est un travail comme ça que tu feras. » et la caissière lui répondant : « J’ai bac plus cinq, les études ça ne sert à rien. »

    *

    Au Son du Cor, ce dimanche, pas grand chose à tirer des conversations des bobos à poireaux et à gariguettes, retour du marché : « Ça va par ce beau temps, tout le monde est content. »

    Je reviens quant à moi de trois vide greniers, Les Damps, Romilly-sur-Andelle, Quèvreville-la-Poterie, Assis à l’une des rares tables au soleil, je tente de lire deux ouvrages achetés à Romilly : Pas à pas jusqu’au dernier de Louis-René des Forêts (Mercure de France) et Des putains meurtrières de Roberto Bolaño (Titres Christian Bourgois).

    Louis-René des Forêts m’ennuie avec ses notations d’avant mourir (comme il m’a toujours ennuyé, comme m’ennuient ceux à qui il me fait penser, Butor ou Leiris), c’est une succession de banalités :

    Mais tant qu’on est en vie, rien n’est joué, et voilà de quoi redonner cœur à l’ouvrage, fût-ce momentanément, (…) rien ne reste en l’état, tout est temporaire, hormis cet inconcevable non-être où nous allons devoir contre notre gré retourner pour l’éternité.

    Roberto Bolaño, dont j’entends dire régulièrement grand bien sur France Culture et que je découvre avec ce recueil de nouvelles, ne me captive pas davantage. A la page cent deux, soudain il parle de moi :

    Il achète des livres qu’il feuillette et dont il ne finit jamais la lecture.

    *

    Après plusieurs années de travaux, la maison à pans de bois faisant face au terrain de boules du Son du Cor est enfin restaurée. Au rez-de-chaussée, à la place du local d’une association de locataires, une galerie de photos moches.

    *

    La bonne blague du dimanche est sur le site de Paris Normandie : « « Nous à Grand-Quevilly, on a toujours été pour Laurent Fabius, (…). Ici on ne peut pas voter pour les riches… », assure Annick, 58 ans, sans emploi. »

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  • Par Grand Rouen j’apprends ce jeudi l’existence d’une artiste nommée Essica dessinant à l’encre de Chine des fillettes torturées, de quoi me donner envie d’aller y voir de plus près. Ce pourquoi, vendredi à dix-huit heures, je pousse la porte de l’Hôtel de l’Europe, rue aux Ours, où elle expose sous le titre Jeux d’enfant.

    Avec l’aide d’un jeune homme, Essica termine l’accrochage de neuf dessins au mur du bar, petites filles ligotées ou hurlantes en noir et blanc, tracées rageusement, parfois une tache rouge, sanglante, l’une des fillettes traînant un nounours à la tête tranchée. Ces petites filles n’en font d’ailleurs qu’une. Nous faisons connaissance.

    Elle m’emmène dans les étages jusqu’à la chambre Comic Strip au décor paisible de bandes dessinées des années cinquante. Des reproductions de ses dessins y sont visibles, montées dans des caissons rétro éclairés. Ils font office de veilleuses pour cette chambre dont les occupant(e)s pourront faire de beaux rêves.

    Essica est une jeune femme sereine, ancienne élève havraise de l’École Supérieure d’Art et de Design Le Havre/Rouen (Esadhar). Elle fait aussi des vidéos dans lesquelles elle se met en scène de façon dérangeante. On ne peut les voir que sur son site. Je lui dis que ce serait bien de les montrer dans l’un des lieux où l’on expose l’art contemporain à Rouen mais elle n’y est pas prête.

    D’autres arrivent dans la chambre Comic Strip. Je redescends et discute un moment avec le propriétaire de l’établissement en buvant un verre de bon vin blanc.

    *

    Qu’une diplômée de l’École Supérieure d’Art et de Design Le Havre/Rouen soit capable de produire des œuvres personnelles, c’est quasiment une surprise. Il est vrai qu’elle est havraise.

    *

    Rouen, jeudi matin, deux brocanteurs sur le marché du cours Clemenceau. Leur cerveau est comme leur marchandise, d’occasion.

    L’un ayant boutique en ville, à propos de l’attentat de Boston :

    -C’est encore un coup de la Céhiha. C’est comme pour les tours, ça se voyait depuis le début.

    L’autre, vendant sur place :

    -Ce que personne sait pour les tours, c’est qu’y zont enlevé des tonnes d’or avant qu’elles s’écroulent.

    *

    Rouen, vendredi matin, rue de Le Nostre, deux types en costume noir ressemblant à des policiers en civil courent comme des dératés.

    L’un au téléphone :

    -On est dans la rue, on arrive, on arrive.

    Au bout est le siège de la Crea. Un homme en sort en qui je crois reconnaître Fabius. Il monte dans la voiture immatriculée soixante-quinze où ont pris place les deux affolés. Elle démarre à toute vitesse, suivie d’un fourgon noir dans lequel se tiennent d’autres hommes.

    Rentré chez moi, j’apprends via France Culture que des otages viennent d’être libérés et que Fabius est en route pour le Cameroun.

    *

    David Douillet qui vient faire l’éléphant dans le magasin de faïence rouennaise. Il envisage de se présenter pour la droite à la municipale. « Rouen mérite sûrement mieux… », déclare Catherine Morin-Desailly, marrie (elle se voyait déjà en haut de l’affiche).

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  • Déjà parlé plusieurs fois dans ce Journal de Georges Hyvernaud lors de précédentes lectures (et du passage oublié qu’il fit à Rouen avant la guerre), là j’ai lu Lettre anonyme, projet de roman resté en chemise, qu’a fait paraître Le Dilettante en deux mille deux, avec une préface de sa femme Andrée.

    J’aime particulièrement comment ça commence :

    Tout a un nom. Les rues ont un nom –les chevaux, les chiens, les ministres. Même Dieu. Il s’appelle Dieu. C’est comme ça qu’on l’appelle. Il ne répond pas, c’est son affaire, mais il n’a pas réussi à devenir anonyme.

    En un sens, Dieu doit être un fantassin somnambule. Son métier ne le passionne guère. Du fond de son éternité, il n’aperçoit les mondes, et le notre en particulier, qu’assez confusément. Il tire sur nous en tireur distrait et fatigué. Les projectiles divins tombent là ou ailleurs. Ça démolit des pays ou des siècles, ça fait des histoires sans qu’il ait des intentions particulièrement agressives. On ne peut pas lui en vouloir.

    Le narrateur est un type qui s’ennuie. Il passe son temps à épier Chabrelu, son voisin d’en face, qui s’ennuie lui aussi avec sa femme :

    Il reste là avec la constance ingénue d’un pot de géraniums ou d’une cage à serins.

    Pour mettre un peu d'inattendu dans la vie de ce voisin (et dans la sienne), il dépose dans sa boîte à lettres une lettre anonyme lui annonçant que sa femme le trompe. Plus que l’histoire, dans ce livre inachevé, c’est le style d’Hyvernaud qui m’intéresse. Il peut rendre jaloux. Deux échantillons :

    La masse houleuse de la concierge, surchargée de lainages, et sa face de tireuse de cartes annoncent des dispositions accueillantes au romanesque quotidien.

    Coincée entre une poissonnerie et un bistrot, la librairie Leuf défendait faiblement, dans une rue vouée au commerce des victuailles, la dignité des valeurs spirituelles.

    *

    Hyvernaud, prisonnier en quarante, libéré en quarante-cinq, publie en quarante-neuf La Peau et les os où il raconte sa captivité, livre soutenu par Sartre, Martin du Gard, Calet, Guérin et Cendrars mais qui passe presque inaperçu. En cinquante-trois, il fait paraître Le Wagon à vache, récit de la vie d’après, qui est un échec cuisant. Il renonce alors à toute publication.

    « Lorsqu’il meurt, le vingt-quatre mars mil neuf cent quatre-vingt-trois, un seul critique, Jean José Marchand, évoque sa disparition. » indique la quatrième de couverture.

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