• Téléphonage matinal ce mercredi, c’est le plombier (l’agence Cegimmo ayant fait cette fois le nécessaire). Il arrive une demi-heure plus tard, trentenaire dynamique, qui a tôt fait de régler le problème des toilettes. Quant à la fuite à l’étage, selon lui cela ne vient pas du cumulus mais de chez la voisine dont la salle de bain est derrière la cloison mais qui ne réside pas là, louant son appartement, actuellement libre. Il va me falloir la contacter, nouveau souci.

    L’après-midi, rêvassant au Son du Cor entre deux Facéties du Pogge, je m’imagine débarrassé de tous ces problèmes matériels en vivant à l’hôtel, comme l’ont fait en leur temps Simone de Beauvoir ou Albert Cossery, mais aujourd’hui cela demande bien plus d’argent et tous ces livres où les mettrai-je ? Une chansonnette de Gilbert Bécaud tourne dans ma tête :

    Et maintenant, que vais-je faire

    De tout ce temps que sera ma vie

    De tous ces gens qui m'indiffèrent

    Maintenant que tu es partie

    Elle n’est pas partie, mais nous ne sommes plus ensemble (comme on dit). Elle a aussi de quoi penser, s’interrogeant sur son avenir au moins autant que moi, m’écrivant cette nuit qu’elle a décliné l’invitation à la soirée organisée pour la fin des travaux du magasin de luxe où elle s’est épuisée pendant des jours « l'écœurement d'avoir à mettre ma plus jolie robe pour me balader au milieu d'autres qui ont trente mille euros sur le dos et qui n'ont rien à dire d'autre que "c'est absolument formidable". »

    *

    La bouquiniste du cours Clemenceau ce jeudi matin, dont je fouille l’étalage :

    -Il y a beaucoup de livres en étranger.

    *

    D’Adorno, in Minima Moralia, ce propos arrivé jusqu’à moi par l’intermédiaire d’une amie du réseau social Effe Bé:

    Être sociable, c'est déjà prendre part à l'injustice, en donnant l'illusion que le monde de froideur où nous vivons maintenant est un monde où il est encore possible de parler les uns avec les autres.

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  • Lundi un peu avant dix-huit heures, j’entre chez mon dentiste. La secrétaire me regarde d’un drôle d’œil et vient me voir quelques minutes plus tard.

    -Vous êtes sûr que vous avez rendez-vous ?

    -Oui, lui dis-je, à dix-huit heures.

    Pas trace de mon nom sur le cahier de rendez-vous, je lui demande si on est bien le deux juillet. Que non, je suis arrivé avec un jour d’avance, mais ça tombe bien, me dit-elle, la personne prévue ce lundi n’est pas là. Ainsi m’assois-je dans le fauteuil comme si j’y étais attendu et subis vaillamment les assauts de la roulette.

    Un endroit où l’on ne risque pas d’être en avance mais où l’on doit revenir pour cause de retard, c’est l’agence immobilière Cegimmo. Ni le plombier, ni le menuisier promis il y a une semaine ne m’ont appelé. J’y repasse donc ce mardi matin et suis d’un calme olympien lorsque la secrétaire s’étonne et me dis une nouvelle fois qu’elle va faire le nécessaire.

    *

    Avoir réussi à vendre via Internet La Femme égarée de Tim Winton et ne pas le retrouver, c’est ce qui m’arrive ce mercredi matin.

    *

    Excellent titre de une de Libération : Batho, la coulée verte (que les non Parisiens ne comprendront pas tous).

    Guimauve le Conquérant n’a donc pas de difficulté à faire preuve d’autorité face à une femme. Face à Montebourg, c’est autre chose.

    *

    Bientôt les grandes vacances (comme on disait autrefois), les écoliers et les écolières se répandent dans les rues de Rouen pour une sortie de dernière semaine.

    Une fâcheuse institutrice à ses élèves, rue Eau-de-Robec :

    -Nous sommes dans la rue des drapiers. Pourquoi y z’étaient heureux d’être là ? Parce que là y avait de l’eau.

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  • C’est dans le désordre que je lis les carnets d’André Blanchard, terminant ce dimanche Contrebande (Le Dilettante) qui regroupe les notes allant de deux mille trois à deux mille cinq, une période qui voit l’auteur, toujours employé d’une galerie d’art contemporain à Vesoul, perdre sa mère (comme on dit).

    Au début, je retrouve le plaisir et l’intérêt de mes précédentes lectures puis je déchante un peu. Blanchard, à cet âge qui est aussi le mien dans le temps où il raconte (je suis né deux semaines après lui), est par trop dans le spleen et sa déprime le conduit à des propos ronchons et convenus, ainsi :

    Le pas au courant que je suis, surtout pour les choses bien dégueu, voit garée devant la galerie une voiture avec cette inscription sous la marque : Picasso. Ainsi les héritiers de cet oncle d’Amérique –lui la découvrit dans les arts– n’en avaient encore pas assez. Ils auront vendu son nom, et pour le foutre sur une bagnole !

    et encore :

    C’est un spectacle désolant, et blessant, celui sur lequel on tombe en cheminant par les trottoirs de la ville : des canettes en débris. Ces videurs de bière que sont les S.D.F., qu’est-ce qui leur passe par la tête, ayant éclusé, de casser : est-ce ce dépit d’avoir fini ? ou de ne pas savoir au juste à qui s’en prendre ? ou de s’être un peu plus enfoncé ?

    Il en est de même quand il évoque l’école, l’ordinateur, la banlieue. Heureusement reste le style, bien que non indemne de tics. Son habitude de parler de lui au pluriel finit par m’irriter :

    Feuilleter nous fait rabâcher.

    C’est nous prendre pour né de la dernière pluie.

    Notre lot ? En décrocher un de consolation.

    Oui, dans ces années deux mille trois deux mille cinq, Blanchard ne cesse de se plaindre, Dommage que le ciel n’existe pas, j’eusse été prioritaire., notamment de ne pas être reconnu, écrivant que si Cioran a pu avoir une telle renommée, c’est qu’il bénéficiait, lui, de la grosse machine Gallimard ; tout en reconnaissant que Pleurer sur soi, c’est se brader.

    *

    Evoquant la sortie de Messe basse en mil neuf cent quatre-vingt-quinze et d’Impasse de la Défense en quatre-vingt-dix-huit, Blanchard écrit en deux mille trois : Je fus sollicité par la télévision nationale, par Libération pour être le portrait de la dernière page, par Le Matricule des anges pour être le sujet de leur dossier, et je ne compte pas le reste, où on voulait débarquer ici, par exemple pour me tirer le portrait, comme me le demandait Monier. A tout cela j’ai répondu Niet ! et sans état d’âme, même si je me rendais compte que, là, je laissais filer le train sans moi.

    J’ai dans ma bibliothèque le numéro quatre-vingt du Matricule des anges daté de février deux mille sept, André Blanchard y figure en photo de couverture et le dossier est à lui consacré.

    L’un des avantages du train, c’est qu’il repasse.

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  • Point de pluie prévue et même du soleil en perspective, voilà qui est rassurant le jour du vide grenier de Bois-Guillaume, l’un des plus courus de la région. Je monte la côte de Neufchâtel, arrive au carrefour de la Mairie, tourne à gauche, me gare devant la maison commune (comme on dit).

    Descendu de voiture, je constate que j’ai bien fait. Une longue file de voitures où se mêlent exposants et visiteurs est quasiment bloquée entre le carrefour et le stade où se tient le déballage. Je la remonte, arrive au point de contrôle des vendeurs où un organisateur interroge longuement chaque conducteur, pas étonnant que derrière ce soit le bouchon. L’un des deux hommes que je suivais s’adresse au contrôleur tatillon et lui explique qu’il devrait aller plus vite, la route étant bloquée jusqu’à la Mairie. C’est courageux, surtout qu’il est d’origine arabe. L’interpellé reste correct, se contentant d’un exaspéré :

    -Je vous remercie de vos conseils.

    Dans les allées du vide grenier qui s'étale sur trois terrains de sport, j’en entends qui se plaignent d’être restés bloqués une heure dans leur voiture. D’autres fulminent contre les toilettes des sportifs, « c’est dégueulasse comme tous les ans ». S’agissant des acheteurs de livres, la plupart de mes concurrents sont là mais je m’en tire assez bien, achetant même trop, comment résister à un livre à cinquante centimes.

    Le soleil n’est pas encore là lorsque ayant décidé de rentrer, un peu avant dix heures, j’entreprends d’alléger mes sacs en mettant quelques ouvrages dans mon sac à dos. La tête dans les livres, j’entends un « Je ne peux pas résister, je ne peux pas résister »

    -Je sais bien que c’est impoli mais c’est plus fort que moi, il faut que je voie ce que vous avez trouvé.

    C’est l’un de mes concurrents, arrivé tard pour cause de sommeil, autrefois relieur et un peu libraire, un véritable amoureux des livres, pas l’un de ceux qui n’achètent ici que pour revendre et qui lorsqu’ils me croisent me fusillent du regard.

    *

    Samedi après-midi, cinq heures d’Amélie Nothomb sur France Culture, c’est le moment de passer l’aspirateur, mais comme je ne peux faire ça pendant tout ce temps, j’en entends une partie, celle où l’invitée raconte qu’elle répond aux lettres que lui envoient ses lecteurs et lectrices. Elle en a invité une, récompensée de si bien la comprendre. Elle est très fière d’avoir une telle lectrice.

    Dimanche après-midi, le soleil enfin là, je termine sur le banc du jardin la lecture d’un des carnets d’André Blanchard, Contrebande, qui couvre les années deux mille trois deux mille cinq. Ce dernier a une fille, lycéenne, admiratrice d’Amélie Nothomb. Elle lui écrit et, la semaine suivante, le téléphone sonne chez les Blanchard. C’est Amélie qui est « très fière d’avoir une telle lectrice ». Voilà notre Blanchard sur le cul, admiratif de l’écrivaine et encore plus de sa fille, se demandant si elle ne serait pas plus brillante que lui.

    *

    Signe des temps : Causette, magazine féminin ou féministe ou entre les deux, doit faire son autocritique pour avoir présenté sous un jour indulgent l’histoire d’amour entre une prof et l’une de ses élèves mineures. Un texte digne des autocritiques autrefois en vigueur au Parti Communiste, qui commence ainsi : « Nous nous sommes plantés. Et pas qu’un peu. Avoir pu laisser penser, ne serait-ce qu’un quart de seconde, que Causette pouvait cautionner, accepter ou, pire, justifier une « atteinte sexuelle sur mineur » (qui n’a pas encore été jugée, mais c’est l’incrimination pénale qui a pour l’instant été retenue dans cette affaire), est évidemment grave. »

    En deux mille treize, Gabrielle Russier, suicidée dans sa prison pour les mêmes faits, est plus que morte.

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