• Samedi dès neuf heures moins le quart, je suis dans la file de celles et ceux qui attendent l’ouverture de la Halle aux Toiles où se tient la vente annuelle de livres d’occasion au profit d’Amnesty International et dès le feu vert donné par une femme à chasuble jaune, j’essaie d’être aux bons endroits avant la concurrence.

    Rien d’extraordinaire dans mes achats mais mon sac est quand même bien empli quand je quitte les lieux. Voulant couper par l’intérieur de la Cathédrale où les pierres ne chutent plus, je me heurte à une messe. Un orchestre est en chaire chantant la gloire de Dieu à l’électricité, comme chez les protestant(e)s. Je fais donc le tour du bâtiment, bénéficiant d’un autre genre de chanson. L’un des Brassens de rue, pas vu depuis longtemps, un colosse qui chante a capella, est à la manœuvre rue Saint-Romain, évoquant ses amours d’antan.

    L’après-midi, par l’intérieur, je fais le chemin inverse avec un sac également empli. Je fais don de son contenu à l’association, des classiques en édition de poche dont ne veulent pas les bouquinistes parce qu’ils les ont déjà.

    *

    Nouvelle apprise à mon retour de Basse-Normandie : jeudi dernier, un jeune Kosovar demandeur d’asile convoqué à la Préfecture de Rouen a été arrêté sur place par la Police. C’est une première. Du temps des Ministres de l’Intérieur de Sarkozy, ce genre d’arrestation déloyale était prohibé. Avec Valls, maintenant, c’est le changement.

    Ce jeune Kosovar est passé le lendemain par la case Tribunal Administratif. Celui-ci l’a maintenu en rétention à Oissel.

    *

    Pas revu Valérie Rouzeau, ce samedi après-midi au Café Perdu où elle était présente pour le ouiquennede poésie du quartier Damiette. De sa soirée au Trianon Transatlantique devant presque personne, je fis un texte que refusa de publier Décharge pour ne pas lui faire de la peine, ce qu’osa Diérèse.

    *

    Pas marché avec les Salopes contre les agressions sexuelles ce même samedi après-midi, bien que je sois en accord avec leur manifestation. Un de leurs slogans que j’aime particulièrement : « Oui, je suis une salope mais pas la tienne ».

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  • A l’Hôtel de la Mer de Granville, c’est la femme de ménage qui sert le petit déjeuner (sommaire mais seulement six euros) tout en s’occupant du repassage. Il fait encore un peu nuit lorsque j’en ai fini, aussi vais-je reprendre un café en terrasse Au Tout Va Bien, regardant passer les automobilistes pressé(e)s par le travail et des cars scolaires presque vides.

    Un dernier regard pour le port et je prends la route du retour, direction Villedieu-les-Poêles. Je m’y arrête à la recherche de la ouifi. Elle se trouve au bar de l’Hôtel Le Fruitier mais la connexion est mauvaise. Le bar L’Agora, qui ne l’a pas, m’envoie à l’autre bout du bourg au Samovar qui l’a. C’est ouvert. La patronne est en cuisine, à l’épluchage. Elle refuse de m’admettre avant l’heure officielle, dans un quart d’heure. Pour la première fois en Basse-Normandie, on ne fait pas tout pour m’être agréable. Vais-je garder un mauvais souvenir de la ville du cuivre ? Non, car redescendu au centre et l’Office de Tourisme étant maintenant ouvert, j’y suis admis avec le sourire par la femme à l’accent anglais qui le tient.

    Cela fait, j’erre au hasard dans la vallée de la Vire et m’arrête à Guiberville au grand restaurant routier qui porte ce nom, trois salles dont l’une en véranda où je m’installe à l’ombre après avoir payé mon repas (douze euros quatre-vingts centimes) et reçu un ticket « menu complet ». J’ai la vue sur l’immense parquigne privé où se garent camions de toutes sortes, portant conteneurs, troncs d’arbres, bottes de paille, citernes de gaz, etc. Une serveuse anorexique prend ma commande : buffet d’entrées, tartine viroise à l’andouille, fromage, tiramisu. Sur la table, une bouteille de vin dont je ne bois que deux verres. Le café est en sus. Je le prends au comptoir avec les costauds du volant.

    Ensuite, c’est l’autoroute fatigante, dans une chaleur d’été, parmi de nombreux camions, et l’arrivée à Rouen, avec les difficultés conséquentes à la destruction du pont Mathilde.

    *

    Concours de belote à Villedieu-les-Poêles. Comme lot : de la viande.

    *

    Au Guiberville : deux couples de quinquagénaires arrivent dans la même voiture (les hommes devant, les femmes derrière). Ils s’installent. Il est question d’aller aux toilettes. L’une des femmes aux deux hommes :

    -Allez-y d’abord, on ira après, on reste ici pour garder nos sacs, on sait jamais.

    Le seul qui soit assez proche pour fouiller dans les sacs, c’est moi.

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  • Un silence absolu toute la nuit, je dors bien dans la petite chambre d’hôtes de Blainville-sur-Mer dont la ouifi est malheureusement inopérante. Au matin, le coq ayant à peine chanté, je me rends au petit déjeuner à la première heure, espérant échapper aux occupants des autres chambres situées dans le bâtiment principal. Hélas, tout ce monde arrive en même temps que moi, trois couples de retraités dont l’un avec sa fille restée au foyer. Tous en sont au dernier jour de leurs vacances et sont pressés de rentrer. Je subis stoïquement les conversations indigentes et les excès de cérémonie de l’hôtesse.

    Il a un peu plu cette nuit mais le soleil est de retour et la chaleur aussi qui m’incitent à poursuivre jusqu’à Granville. En chemin, je m’arrête à Bréhal, gros bourg où j’espère trouver la ouifi. Je m’en enquiers à l’Office de Tourisme où une dame charmante m’annonce que je n’ai pas à chercher plus loin.

    Elle m’ouvre la grande halle qui jouxte l’Office, très beau bâtiment où une table devient mon bureau.

    Ayant fait ce que j’avais à faire, je file à Granville, me gare dans le port et prends la dernière chambre libre à l’Hôtel de la Mer, quarante et un euros, vue sur quelques maisons de la ville haute. Je fais ensuite le tour de ce port où je retrouve le Marité, le trois-mâts dont la Mairie de Rouen n’a plus voulu.

    A midi, je déjeune en terrasse ombragée (vue sur le parquigne du port) au Sea & Savours (Mer & Saveurs) qui ne sert que du poisson sauvage, optant pour le menu à dix-huit euros (salade de chèvre chaud et saumon fumé, moules de Jersey marinières, profiteroles) Le vin est hors de prix Je me rabats sur la bouteille de cidre fermier à dix euros du Gaec de l’Ouëffrie à Barenton (Manche). Tout cela est fort bon et je n’ai à subir qu’un deux ans prénommé Gaspard relativement calme dont le papa (comme il s’appelle lui-même) s’occupe d’une façon excessive au dam de la maman (comme elle s’appelle elle-même) : « Laisse-le donc manger tout seul ».

    -Gaspard, tu veux goûter papa ?

    Il ne s’agit pas d’une immonde proposition pédophile mais d’une formulation approximative. Oui, Gaspard veut bien goûter ce que mange son géniteur et dans vingt-cinq ans il aura du bide comme lui.

    Je prends le café à quelques encablures Au Tout Va Bien puis vais m’asseoir sur un banc de la promenade qui domine la plage où l’on se baigne en ce jour de chaleur orageuse. J’y termine Une femme à Berlin tandis que l’eau se retire, laissant apparaitre la piscine d’eau de mer aux huit plongeoirs.

    Il est temps de grimper les escaliers que mène à la ville haute. J’en parcours le chemin de ronde jusqu’à la pointe du Roc et retour, encore une promenade qui me rappelle bien des souvenirs. Là-haut je trouve un banc qui domine le port. Au loin sont visibles Saint-Pair, Jullouville et Carolles, autres lieux de mon histoire personnelle, que je choisis de ne pas revoir. Demain, je rentre.

    *

    De la place du Casino, je lève les yeux vers cet Hôtel Michelet où je n’aurais pas été capable de reprendre une chambre, pour constater qu’il n’existe plus.

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  • Aux Courlis de Portbail, le petit-déjeuner se prend dans la véranda, face au havre et aux moutons qui paissent sur la lande. J’y suis bien, jusqu’à ce qu’arrive, sorti d’un gîte, un affreux couple de retraités (lui en survêtement gris immonde façon pyjama) qui entend également déjeuner bien que ce ne soit pas prévu. L’hôte doit retourner à la boulangerie pour ces deux malotrus que je laisse à leur tête-à-tête muet.

    Je reprends la descente du Cotentin par la façade ouest et ne voilà-t-il pas qu’une ondée s’abat du côté de Lessay, comme une erreur du décorateur. Cela ne dure pas, il fait à nouveau sec quand je me gare à Agon-Coutainville où je trouve la liste des chambres d’hôtes à l’Office de Tourisme.

    Bientôt je suis logé dans une petite maison indépendante du dix-septième siècle, quartier de Gruchy, à Blainville-sur-Mer, ancien village de pêcheurs. Sur le conseil de mon nouvel hôte, je me rends au bord de mer pour y déjeuner au Grand Herblet, restaurant les pieds dans l’eau.

    Côté terrasse abritée, ce ne sont que vieilles et vieux. A l’une des deux tables plein soleil, trois commerciaux discutent de celui qu’ils appellent « le client ». A l’autre, c’est moi-même qui observe le monde. Une femme descend sur la plage et se met en maillot, m’offrant le spectacle de ses grosses fesses blanches. « Tiens, une sirène » commente l’un des trois d’à côté qui n’ont pas vu la lune.

    Je prends en photo un bateau sorti de l’eau par un tracteur. L’opération se déroule en plusieurs temps. Le bateau se présente proue face au sable de la plage. Le plus jeune des pêcheurs saute dans l’eau et va chercher un tracteur à remorque adaptée. Pendant ce temps, le bateau fait des ronds dans l’eau. Le tracteur descend en marche arrière le plan incliné bétonné jusqu’à avoir les roues dans l’eau et le bateau vient se caler sur la remorque. Il n’y a plus qu’à le tirer sur la terre ferme (comme on dit) et l’emmener je ne sais où. Cela se reproduit plusieurs fois durant mon repas : six huîtres de Blainville (sept euros cinquante) et une choucroute de la mer à dix-neuf euros dans laquelle je trouve un morceau de polystyrène.

    Je le signale au garçon qui vient desservir. Grand émoi, le chef arrive avec ses excuses. Il m’offre le verre de sauvignon qui figurait sur ma note (un autre ayant été oublié). Nous nous quittons bons amis.

    Je reprends la voiture et vais jusqu’à la pointe d’Agon où je vagabonde dans les landes à moutons, découvrant en chemin un ovale de menhirs à la gloire de Fernand Lechanteur, Normand et poète (1910-1971).

    Vers seize heures, je suis de retour à Agon-Coutainville où je bois un café à La Moule Rit (attention : jeu de mots). La bande son est celle d’un été dépassé. On y entend Coutin qui aime regarder les filles sur la plage quand elles se déshabillent. Point de filles sur cette plage, rien qu’un cheval tirant un sulky.

    Si ma chambre est petite, le jardin de la maison est immense et aménagé de divers bancs et d’une gloriette. C’est là, sous un soleil bien revenu que je lis la suite d’Une femme à Berlin avant d’aller voir de plus près les maisons de pierres de Gruchy. Du vingt-trois bis de la rue des Landelles sortent deux voitures de gendarmerie. Le voisinage zyeute.

    C’est pas seulement à Paris

    Que le crime fleurit

    Nous au village aussi l’on a

    De beaux assassinats

    chantait Brassens qui a droit à une place à son nom dans l’immense jardin de la maison d’hôtes : « Place Georges Brassens (1921/1981) ». Il était donc plus jeune que moi quand il est mort. Il me semblait si vieux.

    *

    Blainville-sur-Mer : les gars de la ville déjeunent d’un sandouiche face à la mer, sans descendre du camion.

    *

    Etre enfant à la campagne et croire que les tracteurs c’est pour le travail des champs.

    Etre enfant au bord de l’eau et croire que les tracteurs c’est pour le travail de la mer.

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  • Ce mardi matin, après un café croissants en terrasse, sous le soleil déjà bien présent, au Café du Port à Carteret, je prends la route qui mène à Portbail et me gare à l’entrée, avant la belle église à tour fortifiée. Je fais bien car c’est le marché hebdomadaire sur la place centrale et dans la rue principale. Que de souvenirs j’ai ici sur fond de chanson de Souchon me trottant dans la tête.

    Là-bas, dans l'Cotentin, j'te jure mon amour :

    J'f'rai tout pour que nos baisers durent toujours

    Hélas, on le savait tous les deux

    Que l'amour est une chose variable,

    Ici

    et me voici donc seul à prendre un café près du pont qui enjambe le havre. L’endroit que nous avons connu a changé. Rénové, il s’appelle désormais Aux Treize Arches.

    La jeune femme de l’Office de Tourisme me donne la liste des chambres d’hôtes et me voici bientôt sonnant Aux Courlis près de l’endroit où stationne ma voiture. La seule chambre avec vue sur le havre est bientôt mienne pour la nuit et quarante euros, petit-déjeuner inclus.

    De retour au cœur de la « gentille bourgade » (comme dit mon Guide du Routard datant d’il y a seize ans), je m’assois quelques minutes sur un banc qui n’est pas sans histoire : « Vous êtes sur le banc où David Fanshawe (1942-2010), compositeur anglais, de renommée internationale, et explorateur venait s’asseoir pour admirer cet endroit, se ressourcer entre deux explorations, et trouver son inspiration. »

    Je traverse ensuite le havre par le vieux pont et marche jusqu’à Sainte-Marie-de-la-Mer et son port de la Caillourie. Deux belles épaves depuis longtemps échouées attirent mon appareil photo.

    A midi, en terrasse Au Rendez-Vous des Pêcheurs, je choisis le menu du jour à onze euros cinquante (filets de hareng pommes à l’huile, jambon cuit frites, glace pistache rhum raisin) et l’agrémente d’une fillette de muscadet à sept cinquante. Derrière moi, ce ne sont qu’Anglais(e)s. A ma gauche, on a fait connaissance, un couple de retraités qui se dit de Rouen mais rentre ce soir dans sa maison près d’Elbeuf et une jeune visiteuse médicale de chez Servier (« C’est vrai qu’il y a eu un problème mais quand même on a exagéré »). Le retraité s’inquiète de son diabète et s’offre une consultation gratuite :

    -On a arrêté les croissants, maintenant on prend du pain brioché.

    -C’est pareil, répond la cruelle.

    -Oh bah si on peut plus rien faire alors.

    Près de nous volent une nuée de papillons qui font dire à cette jeune femme que l’air doit être bon malgré La Hague. Elle demande à l’homme s’il est allé à la pêche.

    -En arrivant à un certain âge, j’arrive plus à mettre le bouchon. Alors on s’est promené. Le chien en a bien profité.

    C’est un labrador paisible, contrairement au moutard qui pleure en anglais derrière moi. Une dame anglaise demande à la serveuse un peu d’eau pour sa médication.

    Pour me remettre de cet entourage et surtout de la consommation de la fillette, je vais m’asseoir sur un banc face au grand large et y poursuis la lecture d’Une femme à Berlin sous le chaud soleil parfois rafraîchi d’une petite brise.

    Le soir venu, c’est encore assis sur ce banc que me voient les quelques habitants de la gentille bourgade qui sortent de chez eux (où donc est passée la foule du marché du matin ?). Je risque la plaque à mon nom. Deux vieux discutent deux bancs plus loin :

    -On a eu une bien belle journée d’été.

    -Oui et dans trois mois ce sera Noël.

    C’est de la jolie maison de Portbail que j’assiste au coucher du soleil et à la montée des eaux du havre.

    *

    David Fanshawe a une notice sur Ouiquipédia version anglaise. C’était un ethnomusicologue et un compositeur d’œuvres chorales et de musique de films. Il est mort d’un avécé à soixante-huit ans.

    *

    Déjà, au temps où mon Guide du Routard était d’actualité, la dame qui tenait le café d’avant les Treize Arches nous avait dit, à celle qui me tenait alors la main et à moi : « Profitez-en bien les amoureux, ça ne durera pas toujours ».

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  • L’église de Barfleur sonne tous les quarts d’heure pendant la nuit, plus guère d’églises qui aient cette liberté. J’aime l’entendre entre deux phases de sommeil, comme j’aime être réveillé à deux heures du matin par les marins pêcheurs. Un bateau est déchargé avec un bras articulé directement dans un camion. Un autre quitte le port où clignotent les sémaphores.

    Au matin, c’est à nouveau marée basse et le petit-déjeuner se prend à côté, au Café de France tenu par le frère de ma logeuse. Au comptoir sont deux gars d’ici dont un chasseur qui raconte ses vacances en campigne-car dans les gorges du Tarn : « Aline, j’y aurais mis une olive dans le trou du cul, j’en aurais tiré de l’huile tellement elle serrait les fesses. » Côté temps, « on n’est pas prêt d’avoir de l’eau » même si le ciel est couvert pour l’instant.

    Je choisis de rejoindre la pointe de la Hague en longeant la côte et sans m’arrêter à Cherbourg. En revanche, je fais halte dans le joli port d’Omonville-la-Rogue que connaît bien celle qui n’est pas avec moi, pour y avoir de la famille, avec à l’esprit notre passage en ces lieux autrefois, puis fais le crochet d’Omonville-la-Petite où je salue Jacques Prévert et Alexandre Trauner aux tombes voisines pareillement fleuries. Je monte ensuite jusqu’au Val où habitait le premier dont on peut visiter la maison. On y entre par une porte basse et étroite (Jacques Prévert mesurait un mètre soixante et onze, m’apprend la gardienne). La pièce principale est à l’étage sous le toit, vaste atelier à longue table, où je suis seul, de même dans les deux petites chambres d’amis et au rez-de-chaussée, autrefois cuisine et salle à manger dont le dallage est dû à Trauner et où est montrée une exposition consacrée à Prévert et la chanson. Parmi les documents affichés se trouve une photo des Rolling Stones datant de mil neuf cent soixante-huit : « Best wishes Jacques, Bill Wyman ».

    Devant la pénurie de restaurants ouverts le lundi, je ne peux qu’envisager rejoindre la ville de Beaumont jouxtant la fichue usine radioactive qui défigure le paysage sur des kilomètres. Mal m’en prend : une manifestation de la Cégété bloque le rond-point à l’arrivée (dont je réussis à m’extraire) et le Restaurant de la Poste que me recommande une dame du pays propose certes un menu ouvrier (avocat garni, cuisse de dinde, tarte au citron meringuée, un quart de vin, pour douze euros cinquante) mais sa cuisine est sommaire.

    Le carrefour n’est plus bloqué lorsque je retourne au Nez de Jobourg et à la Pointe de La Hague, petit bout de Bretagne ou d’Irlande en Normandie. Je suis le sentier des douaniers sous un soleil resplendissant. La mer est d’un bleu parfait. Aurigny est bien visible.

    Se loger s’avère également difficile. Longeant la mer, frôlant la centrale en activité et celle en construction à Flamanville, j’arrive à Carteret. Avec l’aide de la jeune femme de l’Office de Tourisme, je trouve une chambre à cinquante euros sans petit déjeuner en la Résidence Maison d’Hôtes L’Ermitage dont le nom ronflant cache des chambres sans charme et décaties. Du moins ai-je la vue sur la mer absente (pour cause de marée basse) par un Velux.

    C’est à la terrasse de l’Hôtel de la Marine, le plus luxueux de la ville et la seule ensoleillée en fin d’après-midi, que je prends un café au prix parisien en continuant ma lecture d’Une femme à Berlin. La mer est toujours basse et le port de Carteret a triste mine.

    Heureusement, quand la nuit tombe, l’eau revient rapidement dans le port. De mon Velux, j’observe la rentrée des bateaux de pêche et les camionnettes blanches venues chercher le poisson qui se succèdent au débarcadère en un ballet continu. A vingt et une heures, tout est terminé. Que non, arrivent un gros camion frigorifique et le dernier bateau, L’Héritage, de couleur orange, immatriculé à Jersey.

    *

    Prévert, je me demande ce qui lui a pris de venir se perdre là, de plus en tournant le dos à la mer, juste une petite coulotte passant au bout de son jardin.

    *

    Au mur du bureau de la Résidence Maison d’Hôtes L’Ermitage : des affiches à la gloire de l’Heupéherre. Parmi ceux qui dorment ici : des ingénieurs d’Heudéheffe. Je me tiens à carreau.

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  • Ces chambres d’hôtes du Rouge Cul à Crasville étant desservies par une cuisine collective où dine encore la jeune famille à mon retour du Saint-Michel, ce n’est pas avant une heure avancée de la nuit que je peux dormir. Je n’en suis pas moins debout à sept heures ce dimanche et une demi-heure plus tard en train de déjeuner tandis que l’hôtesse me raconte sa vie, comment elle se levait à cinq heures pour aller à l’usine. Son mari ramasse le lait dans le coin avec son camion. Tous deux ont commencé à travailler à quatorze quinze ans. Ils ont construit eux-mêmes le bâtiment des chambres, trois ans de travaux. Ça rapporte bon an mal an entre mille deux cents et neuf cents euros par mois en moyenne. Cette année, ce sera plutôt moins, bien qu’il ait fait beau cet été, la terre était sèche, elle n’a pas eu de mal à défouir ses pommes de terre.

    Je redescends à Saint-Vaast et vais jusqu’au fort de la Hougue dont je fais le tour, marchant quand il le faut en équilibre sur la digue, puis en passant par Réville, me souvenant de la bonne nuit passée chez la dame aux chevaux avec celle qui ce jour est à Rouen (cette dame nous avait appris que c’est par ici que sont formés les agents secrets français, où exactement ? c’est un secret), j’arrive à Barfleur.

    Ce port est l’un de mes préférés. J’en fais moult photos puis m’attable au Café des Goélands où l’on sert le café avec un mini Carambar. La clientèle est locale, elle parle d’un été indien pour qualifier la belle journée qui commence, la première de l’automne, vingt-cinq degrés prévus.

    Une maison nommée Les Transats propose des chambres avec vue. L’aimable dame est d’accord pour m’accueillir sous les toits dans ce qui est un vrai appartement mansardé. Le prix pour un célibataire est de cinquante-cinq euros. J’y domine les bateaux de pêche au repos pour la journée.

    Pour déjeuner, je choisis Le Comptoir de la Presqu’île car « chez nous pas de surgelés » ce qui jette la suspicion sur les deux autres restaurants du port : tartare de saumon, lotte cuisinée au lard, deux verres de muscadet, vingt-six euros.

    Je fais ensuite le tour du port et m’installe sur la digue d’en face où je poursuis la lecture d’Une femme à Berlin près d’un frère et d’une sœur qui pêchent les crevettes. Le temps s’est couvert, mais il fait encore chaud. La jeune femme de mon livre, en ayant assez d’être violée par chaque Soviétique qui passe, choisit un officier comme violeur officiel afin qu’il la protège de tous les autres. C’est un Ukrainien qui dans le civil fait la collecte du lait.

    Quand je cesse de lire, j’observe sur les rochers en contrebas un homme zigouillant au couteau un énorme poisson qu’il vient d’attraper. Les goélands se battent pour la tête et les tripes.

    En fin d’après-midi, un vent frais se lève, plus d’eau dans le port, les bateaux sont sur le flanc.

    *

    « Belles, blondes, sauvages », ce sont les moules de Barfleur.

    *

    A l’angle de la rue Saint-Nicolas, près de l’église à tour carrée, une plaque : « Le peintre Paul Signac habita cette maison de 1932 à 1935. Il aimait la compagnie des pêcheurs en travaillant face à la mer et au phare de la pointe de Barfleur. »

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  • C’est à Isigny que je petit-déjeune dans un Péhemmu quelconque de croissants quelconques et d’un double café, puis je mets le cap sur Utah Beach, commune de Sainte-Marie-du-Mont, village doté d’une église à magnifique clocher et d’édifiants témoignages de l’héroïsme des locaux et des vaillants combattants américains. Je longe ensuite le bord de mer jusqu’à arriver à Saint-Vaast-la-Hougue, très beau port où l’on vend la pêche du jour sous un ciel partagé en nuages et soleil, celui-ci prenant le dessus. « La lune tient le temps » commente un marin à la sagesse ancienne. Le bourg est également animé ce samedi matin d’un marché fort fréquenté où l’on croise plus de chiens que d’enfants. Je contemple toute cette agitation de la terrasse du Café du Mouillage.

    Je marche ensuite vers la Hougue, pénétrant dans une chapelle des Marins où l’on pleure des disparus en mer.

    A midi, je déjeune en terrasse au Restaurant du Débarcadère, six huitres du pays et une marmite de moules avec des frites, le quart de chardonnay est à trois euros vingt et le café à un vingt, prix de bon aloi. La clientèle est nombreuse et de passage. Un Parisien se croit à Saint-Vaste. Il demande à la serveuse de tout apporter sur la table « en mode tapas » et sa compagne d’ajouter « on est en mode mariage pressé ».

    Le marché a disparu durant le repas. Je rapproche ma voiture de l’embarcadère et grimpe dans le bateau à roues qui mène à Tatihou. Je passe un bon moment là-bas, grimpe dans la tour Vauban puis reviens avec le bateau de seize heures, un peu inquiet question logement. Ici c’est cher, dans l’arrière-pays c’est pris, la faute aux grandes marées et aux mariages.

    Grâce à la dame de l’Office de Tourisme de Quettehou, je trouve enfin une chambre d’hôtes à Crasville, près Montebourg, au lieu-dit Le Rouge Cul, dans une bâtisse neuve avec vue sur la mer au loin, quarante euros petit déjeuner compris mais sans la ouifi « ça ne passe pas par ici. » J’y suis tranquille jusqu’à l’arrivée d’un couple avec enfants en bas-âge.

    Vers dix-neuf heures trente, je prends la fuite, retourne à Quettehou où je commande une pizza petit modèle qui s’avère énorme et bonne dans un bar où se regroupent celles et ceux qui s’ennuient le samedi soir. En sortant, je regarde comment s’appelle cet endroit qui m’a épargné une heure de vie familiale : le Saint-Michel.

    *

    -Vous êtes en vacances et vous avez oublié votre portable ?

    -Je n’en ai pas.

    -Ah bon !

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  • Partir en vacances, ce n’est pas simple quand on n’est plus accompagné, mais ce vendredi matin j’y vais, direction la lune qui montre sa face ronde au travers des nuages. Ceux-ci s’éclaircissent peu à peu et derrière ma voiture, sur l’autoroute qui va à Caen, le soleil monte. Arrivé dans la capitale bas-normande, je prends la direction Ouistreham, me perds un peu, ce qui me vaut de passer trois fois sur le Pegasus Bridge et de trouver du super à un euro quarante-cinq.

    Je longe ensuite le bord de la terre où eut lieu le Débarquement jusqu’à Port-en-Bessin. C’est là que je déjeune, au Café Brasserie de la Criée, avec vue sur les bateaux de pêche (buffet d’entrées, aile de raie pommes frites glace rhum raisin pistache pour onze euros et quelque). Le quart de merlot est à trois euros et la clientèle populaire, moitié d’ouvriers, moitié de marins pêcheurs : « Y z’ont prévu du beau pour toute la semaine » « Tu manges tout de suite où tu reprends une petite rincette » « Habillé comme ça si tu tombes en panne t’as pas besoin de mettre le gilet ».

    Je reprends la route jusqu’à la pointe du Hoc, haut-lieu du Débarquement, site peuplé d’adeptes du tourisme de guerre, pas particulièrement remarquable, puis m’arrête dans le bourg suivant, Grandcamp-Maisy, autre port de pêche. J’y trouve une chambre de célibataire à quarante-trois euros à l’Hôtel Du Guesclin. Mes bagages posés, je fais le tour du pays croisant moult pêcheurs à épuisettes et à bottes, c’est la grande marée.

    Au Café du Port, tandis que le soleil décline, je lis Une femme à Berlin, le journal anonyme d’une jeune Allemande pendant l’effondrement du nazisme, publié chez Folio. Elle se fait violer plusieurs fois par les soldats soviétiques.

    *

    « Selon les estimations disponibles, plus de cent mille Berlinoises furent victimes de viols en cette fin de guerre. » écrit Hans Magnus Enzensberger dans sa présentation d’Une femme à Berlin.

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  • C’est la pagaille en gare de Rouen ce mercredi matin, le train pour Dieppe annoncé voie Quatre est soudain reporté voie Huit, mouvement de masse de celles et ceux qui l’attendent, quelques minutes plus tard il est annulé, le prochain devant partir voie Quatre, mouvement inverse des voyageuses et voyageurs. Pendant ce temps arrive sans être annoncé celui que je dois prendre pour Paris. Le voyage s’effectue normalement. Derrière moi, deux jeunes hommes discutent. L’un d’eux, récent père, déclare benoîtement qu’il y a des enfants qui s’élèvent tout seuls.

    Mon périple commence par le Quartier Latin, Boulinier, Gibert Joseph, puis je passe rive droite chez Mona Lisait, rue Saint-Martin, où j’achète pour le quart de son prix neuf Le livre des livres érotiques (Editions du Chêne), ouvrage richement illustré, signé par Emmanuel Pierrat (no comment, comme on dit en anglais). Il est onze heures, l’heure d’ouverture de Pompidou, où je vais amortir ma carte d’adhérent.

    L’étage « Art moderne » étant fermé pour cause de nouvel accrochage, je parcours celui consacré à l’« Art contemporain » où je m’attarde un peu devant des œuvres nouvelles : Papillon Gallery Projet, Wall Drawings de Michaël Craig-Martin (série de dessins stylisés sur des murs aux couleurs crues, dont un escabeau qui me donne envie d’y grimper et un meuble à dossiers aux tiroirs entrouverts où je manque fourrer ma main), Ghost de Kader Attia (dans une salle en coin que peu voient où l’on ne doit entrer qu’à douze, cent dix femmes voilées en position de prière, réalisées en aluminium alimentaire et vides d’intérieur), Chatte de Beaubourg de Jason Rhoades (roues de charrette auxquelles sont suspendues des écritures en néon : conque, petit jardin, raie publique, abricot, moule, etc., c’est un peu facile) et The View de Leandro Erlich (des écrans vidéos montrant des scènes d’intérieur comme autant de fenêtres éclairées de l’immeuble d’en face que l’on mate chacun à son tour par une fenêtre munie d’un rideau vénitien).

    Une heure plus tard je déjeune au Rallye, rue du Faubourg-Saint-Antoine, d’un confit de canard pommes sautées salade côtes-du-rhône. Après le café, je traverse la rue pour me procurer chez Muji, la marque sans marque, des carnets où noter choses et autres, puis retraverse pour aller fureter chez Book Off.

    En fin d’après-midi, je suis dans l’autre bouquinerie japonaise, celle de la Bastille. On y met les invendus dans des cartons. Je demande à l’un des employés ce que deviennent ces livres. Après une première réponse qui se veut drôle « on les mange », il m’indique que cela part « au recyclage ». Il n’en sait pas plus mais imagine une machine à broyer le papier.

    *

    Deux autres livres rapportés de la capitale : no copyright, recension des graffitis de la Sorbonne en Soixante-Huit (Verticales) et Lolita, cartographies de l’obsession (Nabokov, Kubrick) (Puf).

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    Carnets Muji à inaugurer dès ce vendredi, en vagabondage dans le Cotentin.

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