•  Ce mardi, à neuf heures quarante-cinq, j’arrive au Tribunal Administratif de Rouen pour y soutenir, à l’appel du Réseau Education Sans Frontières, deux familles de l’agglomération rouennaise menacées d'une Obligation de Quitter le Territoire Français. Le Tribunal se présente à l’heure dite, même Présidente, même Rapporteur Public que la dernière fois, lorsque j’étais parti avant que l’on s’occupe de la famille pour laquelle j’étais venu, lassé.

    Cette fois le premier dossier est celui d’une des deux. Des Arméniens dont les trois enfants sont scolarisés au Petit-Quevilly. Le Rapporteur Public justifie l’Obligation de Quitter le Territoire Français au prétexte que l’Arménie est un pays sûr. L’avocate demande à ce que cette famille ne soit pas expulsée avant que son appel devant la Cour Nationale du Droit d’Asile ne soit jugé. Le dossier est mis en délibéré comme ils le seront tous.

    Une autre famille d’Arméniens suit. Le Rapporteur Public, visiblement souffrant, doit s’asseoir pendant son exposé. Il n’en continue pas moins à énumérer articles de loi, jurisprudences, tirets et alinéas avec un plaisir évident.

    Le dossier suivant concerne un homme non présent dont j’ignore l’origine. « Son état-civil ne correspond plus à son apparence féminine » indique Monsieur le Rapporteur. Ce transsexuel vit avec un homme dont les revenus sont jugés insuffisants, « sans être marié ». On ne connaîtra pas le point de vue de l’avocate, celle-ci demande au Tribunal de s’en remettre à ses écritures.

    Une courte suspension permet au Tribunal de revenir dans une formation un peu différente. Le Rapporteur Public est le même et s’il se dispense d’un rapport dans l’affaire suivante ce n’est pas parce qu’il est malade mais parce les textes le lui permettent désormais, ce qui complique le travail des avocat(e)s ne sachant sur quels points insister lors de leur plaidoirie. Il est question d’une étudiante du Havre originaire d’Afrique. Elle n’a jamais pu prendre rendez-vous avec la Sous-Préfecture, la demande se faisant obligatoirement via Internet et le site sous-préfectoral n’étant jamais accessible. Son avocat dit clairement ce qu’il faut en penser.

    Arrive le cas d’une famille irakienne père mère fils et fille serrés les un(e)s contre les autres. Fuyant les islamistes, ils se sont retrouvés dans un camp de réfugiés en Syrie d’où le fils a été envoyé aux Etats-Unis, les parents (tous deux ingénieurs) et la fille mineure en France. Le fils ne supportant pas la séparation est arrivé en France. Le voici maintenant sans papiers, ne pouvant retourner ni aux Etats-Unis dont il s’est absenté trop longtemps, ni bien sûr en Irak. A la fin de sa plaidoirie, son avocat demande à ce que, très exceptionnellement, la parole soit donnée à ce jeune homme, ce qu’accepte sans enthousiasme Madame la Présidente : « Aujourd’hui, c’est mon anniversaire, je veux vivre ici avec ma famille ».

    C’est au tour de la deuxième famille pour laquelle le Réseau Education Sans Frontières est présent (nous sommes une huitaine), encore un dossier dispensé des conclusions du Rapporteur, donc je ne sais pas de quel pays d’Afrique est originaire l’homme présent ici, père de deux enfants de nationalité italienne, francophones, scolarisés au Grand-Quevilly, l’une en seconde au lycée Val-de-Seine, l’autre au collège Léonard-de-Vinci, excellents élèves. Le dossier est mis en délibéré.

    *

    Langue judiciaire : ne pas dire « il est prouvé que », dire « il est constant que ».

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    Rien que pour entendre un membre du Tribunal Administratif reprocher à deux homos ne pas être mariés, j’ai bien fait d’être là.

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    Pendant ce temps, le gouvernement socialiste met la dernière main au projet sarkoziste de Tribunal dans l’aéroport de Roissy, celui-ci destiné uniquement aux Sans Papiers et hop dans l’avion, le retour de la justice d’exception, et Martine Aubry, Maire de Lille, se débarrasse de ses huit cents Roms. Je l’ai écrit l’an dernier à New York et je le répète : les Socialistes sont des salauds, jamais plus je ne voterai pour eux au second tour.

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  • Juste en face de ma maison se trouve La Page Blanche, une sorte de galerie d’art où dessinent, peignent et parfois exposent des dames que leur milieu social oblige à combattre l’ennui et l’oisiveté. Elles y organisent aussi des soirées contes, ou chansons, ou danses, pour lesquelles se déplacent des comme elles, parfois accompagnées d’un mari.

    Depuis quelques semaines, devant les fenêtres, deux vraies fausses Roues de bicyclette y sont installées. Aussi ne suis-je pas surpris ce dimanche après-midi de Journée du Patrimoine de voir afficher pour seize heures une causerie avec Patrice Quéréel qui est à Marcel Duchamp ce qu’est le Loriot d’Honfleur à Alphonse Allais.

    Ce spécialiste des avant-gardes d’avant-hier (comme aurait dit Maurice Nadeau) arrive dans sa salopette rose, bientôt rejoint par les quelques groupies qui le suivent n’importe où dont son filmeur coutumier (lequel était la veille en admiration devant Laurent Ruquier, beauf télévisuel, m’apprendra le lendemain une photo du site Paris Normandie). Les dames artistes habituées du lieu sont également là, venues s’encanailler, ainsi que des curieux qui passaient par la ruelle. En fait de causerie il s’agit d’un cours magistral : Duchamp sa vie son œuvre.

    A l’issue, ce petit monde s’agite. C’est qu’il est question de passer aux travaux pratiques : aller sous la conduite du piqué de Duchamp rebaptiser une rue du voisinage. On cherche à entraîner le touriste de passage « Vous connaissez Marcel Duchamp, le grand artiste révolutionnaire ?  Venez avec nous, on va débaptiser une rue ». La propriétaire de la Page Blanche, elle aussi vêtue de rose, court derrière avec un escabeau.

    Au retour, Patrice Quéréel est couronné de fleurs puis cela s’achève comme il est d’usage chez les bourgeoises d’un certain âge, avec des petits gâteaux.

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    « Je suis actuellement au Royaume-Uni pour des raisons de santé assez fragile. Il s’agit d’un cancer en phase terminale. » m’écrit sans rire une certaine Flavia Silvia Pellicano qui veut faire de moi son héritier.

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    Autre mail, d’une lectrice, pour m’apprendre qu’elle aussi a cru voir Salman Rushdie. C’était à Rouen, place Jacques-Lelieur, il était au bras d’une jeune femme. Mon hypothèse: Rushdie a été cloné en grand nombre pour déjouer la fatwa (le mien était quand même peut-être le vrai).

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  • Le temps s’améliore temporairement ce dimanche à Rouen. Dès sept heures, je suis sur le quai. On y sort les livres des cartons, pas très rapidement. Parmi les vendeurs, les particuliers sont devenus infime minorité. Je trouve là essentiellement des bouquinistes professionnel(le)s ayant boutiques en ville et vendant pour un jour hors les murs, des bouquinistes ayant habituellement un stand au marché dominical du clos Saint-Marc, des bouquinistes venus d’ailleurs, d’autres faisant le métier plus ou moins clandestinement. S’y ajoutent des associations de charité. La Croix-Rouge est également présente, prête à intervenir en cas de chute dans la Seine ou de mal de tête consécutif à de la lecture sur place. Une grande tente pleine de tables où nul n’est suscite ma curiosité.

    J’arpente sans grand succès. Une dame propose trois livres de Laurent le Fabuleux dont celui qu’il a écrit en tant que critique d’art.

    -Vous êtes de la famille de Laurent Fabius ?

    -C’est ma fille qui est de cette tendance, me répond-elle

    Un professionnel propose une vente flache à moins cinquante pour cent de sept heures à dix heures. Avant sa fin je ne suis plus là, mais au-dessus de Rouen, à Bihorel. Cette année le vide grenier se tient entre supermarchés et hachélèmes. Y vendent donc plus de pauvres que de riches. J’en fais l’aller et le retour puis redescends à Rouen et me rends à pied dans le quartier de la Croix de Pierre où l’on vide aussi les greniers. En ce milieu de matinée la foule l’envahit, difficile d’y voir quoi que ce soit.

    Après déjeuner, tandis qu’arrivent les nuages, je suis de retour au Quai aux Livres, découvrant à quoi sert la grande tente : à humilier publiquement des auteur(e)s du coin qui attendent en vain acheteuses et acheteurs pour leurs livres étalés.

    La foule n’est là que pour les livres d’occasion et j’en ai quelques-uns dans mon sac.

    A l’un des stands, j’aperçois une chanteuse de ma connaissance. Je l’évite. Il y a quelque semaines, j’ai trouvé à Paris chez Book-Off une biographie d’Henri Pourrat, écrivain qu’elle apprécie et l’ai achetée à son intention. Bien contente, m’a-t-elle écrit. Nous nous sommes fixés un rendez-vous en ville pour que je lui remette l’ouvrage. Elle l’a ensuite annulé, trop prise par la sortie prochaine de son premier cédé. Quinze jours plus tard, comme elle ne me récrivait pas, je lui en ai proposé un deuxième, qu’elle a annulé une heure avant, à cause d’un imprévu. « J’attends que tu me recontactes » lui ai-je écrit. Elle ne l’a jamais fait. J’ai vendu la biographie de Pourrat au Rêve de l’Escalier.

    *

    A la Croix de Pierre, j’interroge :

    -C’est combien vos livres ?

    -Ça dépend.

    -D’accord. Merci. Au revoir.

    *

    Parmi mes achats : Passage de l’Odéon de Laure Murat (Fayard), évocation des librairies d’Adrienne Monnier et de Sylvia Beach, Médecin des dames (Editions de la Différence), essai sur ces docteurs mondains à clientèle féminine présents notamment dans la littérature fin dix-neuvième début vingtième et le numéro soixante-treize/soixante-quatorze de la revue Le Pont de l’Epée (mil neuf cent quatre-vingt-un) dont le dossier est consacré à Conrad Moricand, l’astrologue qui en fit voir à Henry Miller (cette dernière achetée cinquante centimes aux anarchistes de L’Insoumise).

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  • Je ne sais ce qui a pris les organisateurs du vaste vide grenier des Andelys de choisir pour date ce samedi quinze septembre, jour de la Fête de L’Humanité, fête pendant laquelle il pleut quatre fois sur cinq. Aux aurores, ça tombe à fond et je reste à la maison.

    Vers dix heures, une éclaircie m’incite à visiter le petit vide grenier local de la rue d’Orléans d’où je reviens bredouille.

    L’après-midi, comme ce sont les Journées du Patrimoine, je vais voir où en est la transformation de la chapelle du lycée Corneille en auditorium. On n’est pas rendus, semble-t-il. Presque dix ans après le début des travaux, seuls les retables sont redorés. Il va maintenant falloir creuser sous le bâtiment (par où le public entrera) pour y loger une cafétéria, un vestiaire et des sanitaires, aussi construire un escalier et puis installer un ascenseur et encore suspendre une grosse boule au plafond afin d’améliorer la qualité sonore des concerts que l’Opéra de Rouen y donnera peut-être un jour.

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    Même choix de date et même punition pluvieuse pour la braderie de Rouen. Insupportable innovation : rue de la Jeanne, un commerçant en bagagerie muni d’un micro fait le bateleur de foire devant sa boutique. Cette pollution sonore, sans doute autorisée par la Mairie, suscite évidemment l’attroupement. Autre source de pollution sonore : une voiture Renault parcourt la ville pour supplier les piéton(ne)s d’acheter des voitures Renault.

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    Devant l’église Saint-Maclou presque débarrassée de ses échafaudages, les tailleurs de pierre font des démonstrations de Journée du Patrimoine, vêtus de blouses moyenâgeuses, façon parc d’attraction.

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    Sur les trottoirs, des affichettes se réjouissent qu’Alain Le Vern, après ses démissions de Chef de Région et de Sénateur, se confie en exclusivité à Paris Normandie. Où le pourrait-il ailleurs ? Il n’y a qu’un quotidien dans le coin, comme dans pas mal d’autres coins de la France, que les gens du coin appelle Le Journal.

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    Avec un nom pareil, le peube Yesterday était destiné à finir en nostalgie rouennaise. Le voilà fermé définitivement, ce qui ne peut que m’attrister en songeant aux bons moments passés dans ses murs, bien accompagné. Où donc pourra-t-on trouver maintenant à Rouen un endroit où fumer au mépris de la loi ?

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  • Je suis dans ma maison et j’attends que la pluie cesse. Elle finit par céder ce jeudi où c’est la soirée de présentation de programme au Centre Dramatique Régional de Haute-Normandie Théâtre des Deux Rives Direction Elizabeth Macocco (la dame veut son nom en première page du programme ainsi que sur les affiches). Sans me mouiller, je monte la rue Louis-Ricard et arrive parmi les premiers, rejoint par un nombre honnête d’amateurs de théâtre à mon image : que des vieilles et des vieux (on pourrait se croire à l’assemblée générale du Club des Aînés).

    Quand vient l’autorisation de pénétrer dans la salle, je m’installe à ma place favorite, guère occupée par mes fesses ces dernières années. Il en sera de même cette saison, la programmation ne m’enchante pas.

    Une saison qui est celle du départ d’Elizabeth Macocco, arrivée avec la promesse municipale de lui offrir un Grand Théâtre, non tenue. Il y aura bien un Centre Dramatique National mais, de même que la Médiathèque de Rouen a été sabrée par les Socialistes locaux au profit d’un réseau de petites bibliothèques, ce sera un réseau de petits théâtres (Les Deux Rives, La Foudre, Le Centre Marc-Sangnier). David Bobée fera le Directeur.

    Des tapis sur le sol, deux fauteuils rouges, un piano dans un coin, Elizabeth Macocco (lunettes sur la tête) et Catherine Dewitt (lunettes sur le nez) énoncent sans tonus le programme de la saison. Un pianiste (lunettes rouges) offre quelques intermèdes. D’autres sont le fait de jeunes comédien(ne)s, ici appelé(e)s Les Compagnons, des stagiaires (sans lunettes). Elles et eux viennent faire ouap dou ouap de temps à autre, histoire de vérifier qu’on n’est pas complètement morts.

    A l’issue, le rideau s’ouvre sur la table du buffet, duquel je ne m’approche pas, au risque de ruiner ma réputation, aucune envie de parler à qui que ce soit, ne fut-ce que pour dire bonsoir.

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    Un truc pour augmenter l’épaisseur de l’offre culturelle : le co-accueil, et hop le même spectacle dans le programme de deux salles différentes.

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    Amusé de voir là les deux filles de La Foudre et du Centre Marc-Sangnier, jamais présentes les années précédentes, obligées cette année pour cause de mise en réseau, pas l’air de s’amuser non plus.

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  • Je suis à Paris ce mercredi onze septembre deux mille treize, le jour du quarantième anniversaire du coup d’état militaire de Pinochet au Chili qui est aussi celui des quarante ans de ma première rentrée d’enseignant. Cela se passait au collège de La Saussaye dans l’Eure. J’allais être chargé de la classe préparatoire à l’apprentissage, un très mauvais souvenir. Ce jour-là, pendant la réunion avec le principal (que l’on appelait peut-être encore directeur), un vieux prof communiste s’esquivait toutes les demi-heures afin d’écouter les informations sur son autoradio. Il revenait à chaque fois davantage déprimé.

    C’est par chez Boulinier que je commence ma tournée des librairies d’occasion puis à dix heures j’attends l’ouverture de Joseph Gibert en compagnie d’autres impatients. Un passant me bouscule légèrement, homme un peu corpulent vêtu d’un costume fripé blanc cassé. Il se retourne, s’excuse d’un mot incompréhensible. Ce visage, cette paupière lourde derrière les lunettes, me disent quelque chose, mais le temps qu’un nom me vienne, l’homme a disparu vers le Luxembourg : Salman Rushdie.

    Est-ce possible que Salman Rushdie se promène seul dans Paris ? Si ce n’était pas lui, c’était un parfait sosie (être le sosie de Salman Rushdie ne doit pas être une sinécure). Le hasard faisant les choses, l’un des livres de Rushdie est dans les quelques bacs de livres bradés laissés en place par l’envahissante rentrée scolaire. Je n’y trouve rien pour moi et entre dans la magasin dédié aux cédés où j’achète à prix soldé ceux de Gérard Manset Manitoba ne répond plus, Barbara Carlotti l’Amour, l’Argent, le Vent et L Initiale.

    Je grimpe ensuite la colline Sainte-Geneviève en frôlant la rue Laplace (Laplace, on aurait pu lui donner une place plutôt qu’une rue) et atteins la rue Mouffetard où je fais une pause au Verre à Pied, endroit qui a su garder l’esprit parisien. J’y reste un moment à boire un café en lisant Le Monde. Le correspondant d’alors de ce journal au Chili y raconte les ennuis qu’il eut avec les putschistes du onze septembre, comment notamment on lui confisqua un livre sur le cubisme croyant que cela avec un rapport avec Cuba. A midi, je suis au Pot d’Or, rue du Pot-de-Fer. J’y mange japonais à ma volonté avec un quart de vin blanc.

    L’après-midi, en métro, je vais de Book-Off en Book-Off, trouve à la Bastille pour deux euros Fatras, un album de dessins de Tomi Ungerer (Editions Vents d’Ouest) et suis séduit à l’Opéra par le cédé qu’on y écoute : Johnny Cash at Folsom Prison que je paie quatre euros.

    Vers dix-huit heures, avant mon train, je suis Chez Léon où, je le découvre, les frites sont toujours possibles, même si ce n’est plus la vieille dame qui les prépare (ce soir, s’appuyant sur sa canne, elle apprête une table pour huit venant dîner).

    *

    Au Verre à Pied : la quinquagénaire actrice qui entreprend le patron alors qu’il inscrit le menu du jour sur le tableau (elle, je ne la connais pas) : « Il y a un temps pour tout, on court après les gens et après c’est eux qui vous courent après. » Il ne fait même pas semblant de l’écouter. Elle, revenant à la charge : « Il y a un temps pour tout, d’abord on est dans l’humilité et puis vient une certaine fierté. » Elle lui montre le programme d’une manifestation culturelle où elle a sa part.

    -Il manque un s à conférences, lui dit-il

    -Ah bon, vous avez remarqué ça.

    Ce patron s’y connaît en art, notamment dans le domaine de la sculpture du dix-neuvième siècle. Avec un client du comptoir, il évoque les statues du quartier dont il nomme les auteurs. La femme accompagnant l’homme :

    -C’est trop intellectuel ici, je vais retourner tapiner.

    Il est alors question de la retraitée de l’Hôtel de Ville :

    -Ben oui, Anne Hidalgo, celle qui veut être Maire, elle est à la retraite depuis qu’elle a cinquante-deux ans. Elle a eu trois enfants, ça lui a permis de quitter son travail tôt.

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  • Une après-midi au Son du Cor je lis Facéties et compagnie de Christian Dotremont de Jacques Calonne (Editions Quadri, exemplaire numéro six cent quatre-vingt-cinq), un ouvrage hommage au peintre poète belge du mouvement CoBrA qui choisira en mil neuf cent soixante-huit de retourner dans son village natal, Tuervueren, où il s’installera à Pluie de Roses, maison d’accueil pour vieillards. Il a quarante-six ans et s’y sent bien car, dit-il, « Ils font moins de bruit que les jeunes ». Christian Dotremont passera là une dizaine d’années avant de mourir à l’âge de cinquante-six ans au sanatorium Rose de la Reine à Buizingen.

    Des anecdotes relatives au facétieux Dotremont, je retiens une poignée :

    Projet : un théâtre à deux entrées. Lorsque les spectateurs sont installés, on lève le rideau : ils se trouvent face à face.

    Projet avec Seeger, en 1946 : une loterie, tous les billets sont gagnants, les lots sont constitués par d’autres billets de loterie.

    Disait Dotremont : « On peut toujours compter sur la mémoire, elle oublie tout. »

    Signe de ponctuation de son invention et qui apparaît parfois dans ses lettres : la virgule d’interrogation.

    A Dublin, en 1963, il se fait photographier devant la maison natale de James Joyce, lisant un roman de Simenon.

    -Monsieur, êtes-vous Français ?

    -Non, intellectuel.

    D’un couple dont la femme était fort belle : « Ça ne m’intéresse qu’à moitié. »

    *

    Moqué je suis, par l’un de mes fidèles lecteurs, en raison de mon «juste pas envie» d’hier : « Et pourquoi pas «juste pas possible»? Tu regardes trop de séries américaines en véheffe et en cachette. »

    Il m’explique à quoi il fait allusion : « À un tic de langage anglophone qui se répand de manière agaçante en français par la faute de traductions audiovisuelles paresseuses. Just great / just impossible / just awesome et par chez nous c’est surtout juste pas possible qui prend, mais il y en a d’autres. Mais just et juste n’ont pas le même sens. L’équivalent le plus proche serait Tout bonnement, ou tout simplement, mais ça passe moins bien en post-synchro. »

    Damned, j'ai dû attraper ça l'année dernière. Je vais faire en sorte de m'en débarrasser.

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  • Il est passé le temps où je devais courir pour avoir une chance d’obtenir une place de concert au Rive Gauche et au Hangar Vingt-Trois dont la programmation dans le domaine qui m’intéresse, la chansonnette, m’enchantait.

    Au Rive Gauche, cette saison, il n’y a que Sophie Hunger. Elle pourrait peut-être me plaire, oui mais à vingt-cinq euros la place je ne prendrai pas le risque. Au Hangar Vingt-Trois l’unique spectacle estampillé Chanson c’est Elise Caron, oui mais pour les enfants. Le seul qui m’aurait fait bouger naguère, c’est Jacques Higelin, qui passera par Charles-Dullin, oui mais la dernière fois il m’a saoulé avec sa logorrhée verbale, alors niet.

    Reste le Trianon Transatlantique, mais les débutant(e)s qu’il propose cette année ne m’attirent guère.

    *

    Sans moi également, la manifestation de protestation contre la énième loi sur les retraites, juste pas envie.

    *

    Rouen, rue Guillaume, une affichette sur une porte : « Le cabinet du Docteur X est fermé temporairement pour cause de santé ».

    Pour cause de santé, et non pas pour cause de maladie.

    *

    Quinquagénaire parlant d’un film qui lui a plu : « Ça m’a botté », l’impression de réentendre cette expression pour la première fois depuis la fin des années soixante-dix.

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  • Je suis le seul ce dimanche en fin de nuit dans le tunnel de la Grand-Mare mais lorsque j’arrive à Isneauville, il en est tout autrement. Je me gare avant le village, devant son collège excentré qui ne le sera bientôt plus, un vaste lotissement étant annoncé, et marche un peu longuement sur le sentier piétonnier ce qui permet au jour de se lever. Sur place, tout est quasiment installé. Les voitures évacuent sous l’œil de la Police Rurale dont le véhicule a été muni d’une sono. L’un des policiers est au téléphone avec l’un de ses collègues, il lui explique qu’il est occupé à faire reculer une camionnette :

    -Il s’est engagé à contresens, ce con-là.

    A en juger par ce je vois, côté livres cette année à Isneauville on lit surtout Musso. Pour les vêtements, c’est comme d’habitude, « de la marque », ainsi que disent les acheteuses venues d’endroits plus populaires. Ces filles sont aussi empressées que les acheteurs de vinyles dont je croise l’un, de ma connaissance, un sac empli et une guitare dans le dos.

    Une jeune femme vendeuse me dit bonjour que je connais mais d’où. Elle me rafraîchit la mémoire (comme on dit) : vendeuse de fromages au marché du clos Saint-Marc le dimanche quand elle était étudiante. Je lui achetais un neufchâtel chaque semaine. Nous sommes quelques années et quelques kilos plus tard.

    Deux jeunes musulmanes bâchées cherchent des Barbie pour leurs filles. Dans ce domaine aussi la concurrence des acheteurs professionnels est rude. Je parcours deux fois l’ensemble des rues à déballage, retrouvant le stupéfiant cerisier en cage. Son propriétaire balaie sa terrasse. Il a bien la tête à ça. « C’est contre les oiseaux, je pense » doit expliquer la vendeuse installée devant à chacun(e) qui s’étonne.

    Il est neuf heures, et déjà trop de monde m’empêche de voir ce que je cherche. Le soleil brille bien quand je reprends le chemin piétonnier.

    Direction Amfreville-la-Mivoie où je trouve à me garer facilement. Je comprends pourquoi au bout d’un moment. Le vide grenier a quitté son emplacement habituel, le voici repoussé au bout du bourg, en bord de Seine. Je me serais bien passé de cette nouvelle longue marche. Après avoir longé une palissade de chantier sur laquelle un autochtone a installé une banderole « Non à l’immeuble » (il va perdre la vue sur la Seine), j’y suis enfin.

    Amfreville n’est pas Isneauville. On y parle une langue que tous ne peuvent comprendre :

    -Je les endure bien, mes deux paires de chaussettes.

    -Isneauville, j’y vais pas, on n’y vend que des loques.

    Côté vendeuses et vendeurs on craint de ne pas rentrer dans ses sous. Je ne fais qu’un aller et retour et marche une nouvelle fois longuement jusqu’à ma voiture.

    Ce n’est qu’en début d’après-midi que je me rends au premier vide grenier rouennais organisé dans le jardin de l’Hôtel de Ville. L’ambiance y est agréable. J’y croise des têtes connues dont l’une en train d’essayer un casque pour vélo.

    -Ne me prends pas en photo, me dit ce cycliste que je doute de voir en ville porteur de son acquisition.

    Après de tels efforts, je vais me poser au Son du Cor. Ce dimanche ensoleillé est peut-être le dernier de deux mille treize.

    *

    Une femme à Berlin (Journal 20 avril-22 juin 1945), texte anonyme d’une jeune Allemande narrant l’arrivée des Soviétiques dans les ruines du nazisme, et Barbara, extraits de concerts de 1964 à 1974, deux de mes achats.

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  • Ce samedi, aux aurores, me voici grimpé à Mont-Saint-Aignan où sur le parquigne de la Fac de Lettres se tient un coutumier vide grenier. Las, il n’est plus ce qu’il était. Autrefois, j’y voyais des étudiant(e)s déjà rentré(e)s ou des enseignant(e)s vendre des livres. Aujourd’hui, je n’y vois que les habitué(e)s des vide greniers de parquigne de centre commercial, gens sans lectures proposant un bric-à-brac d’objets usagés dont ils espèrent tirer un maximum, « une déchetterie au ras du sol » entends-je dire d’un autre déçu derrière moi.

    Je ne reste pas, espérant que ce soit mieux à Poses au bord de la Seine, mais là aussi je déchante, deux fois moins d’exposant(e)s que les années passées et pas un livre hormis le porno pour ménagères à nuance de gris. Je pousse jusqu’à Val-de-Reuil et c’est pire : le déballage promis est introuvable.

    *

    Le midi, au Son du Cor et au soleil, je lis Petites nuits, les Carnets 2000/2002 d’André Blanchard (Maé-Erti Editeurs). Il ne va pas fort à cette époque, Blanchard, vient d’avoir cinquante ans, d’être viré de la galerie d’art municipale dont il faisait le gardien, craint en plus d’avoir une maladie grave et son éditeur le fait attendre plus que de raison, d’où pas mal d’apitoiement sur lui-même et aucune note sur mon carnet à l’issue de ma lecture (tout s’arrange avant la fin, le Maire le réengage, ses vertiges n’ont pas de cause grave et son livre est enfin publié).

    *

    Aucune femme ne sera Maire de Rouen l’an prochain. Fourneyron (Ministre de Gauche) renonce parce que le sport c’est trop de boulot et Morin-Desailly (Sénatrice de Droite) renonce pour maladie nécessitant un traitement de six mois.

    Ce sera donc Robert (Gauche) ou Bures (Droite) ou Chabert (Centre). La compétition entre ces deux derniers bénéficiera à l’actuel, mais il ne faut pas désespérer de Robert, il a déjà perdu une fois son titre de Maire, il peut le faire encore.

    *

    La défection de la Sénatrice réjouit chez les Socialistes. L’une, par ailleurs employée municipale dans la Culture, exprime son bonheur via le réseau social Effe Bé : « Les "raisons médicales" ne sont pas réjouissantes du tout mais cette nouvelle dégage le paysage! ». Ce propos la montre telle qu’elle est, telle que j’ai pu moi-même la découvrir il y a quelques mois.

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