• C’est sans illusions que je me rends ce vendredi à dix-huit heures au rassemblement de soutien à Léonarda devant le Palais de Justice de Rouen, sûr de ne voir là que peu de monde et uniquement les habitué(e)s. C’est le cas. Sont présent(e)s des membres du Réseau Education Sans Frontières, de la Ligue des Droits de l’Homme, de Droit au Logement, des syndicats Sud et Unef, de la Jeunesse Communiste, d’Alternative Libertaire, de la Fédération Anarchiste, du Nouveau Parti Anticapitaliste et cætera. Christine Rambaud, Socialiste Première Adjointe à la Mairie de Rouen, devenue cette semaine marraine d’un enfant de Sans Papiers, n’est évidemment pas là. Brillent aussi par leur absence les Ecologistes.

    Trois collégiennes passent, demandent s’il va y avoir une marche. A cent ou cent cinquante, pas question de manifestation, elles repartent avec un numéro du Monde Libertaire. Je discute avec deux connaissances qui me reprochent de leur saper le moral quand je leur dis qu’on est de plus en plus minoritaires, que je serais curieux de savoir combien parmi les lycéens et les étudiants qui étaient dans les manifs anti Le Pen en deux mille deux votent désormais pour le Front National et qu’après cette affaire, Valls ne verra pas sa popularité décroître, peut-être même augmentera-t-elle.

    Au mégaphone s’expriment successivement une des membres du Réseau Education Sans Frontières, un représentant de la Ligue des Droits de l’Homme, un Jeune Communiste et un lycéen de la Vallée du Cailly. C’est le seul lycée du coin à avoir été bloqué ce vendredi. Ses élèves ont tenté d’entraîner les lycées rouennais à leur suite, avec un peu de succès chez Corneille et beaucoup moins chez Jeanne-d’Arc et Saint-Saëns. Rien à voir avec l’effervescence parisienne qui malheureusement va cesser pour cause de vacances.

    Valls va s’en sortir facilement, dis-je à mes deux interlocuteurs, il va aller chercher une solution à sa gauche, c'est-à-dire chez Sarkozy, en repêchant la circulaire qui permettait aux enfants de Sans Papiers de finir l’année scolaire (pour mieux les expulser pendant les vacances, certes).

    *

    Donc Léonarda aurait un père violent et serait fille d’Italie par sa mère. D’aucuns se servent de cela pour la discréditer alors qu’elle n’y est pour rien.

    Personnellement, j’en tire deux conclusions :

    Renvoyer Léonarda, sa sœur et sa mère dans un pays où elles ne pourraient sûrement pas déposer plainte contre lui comme elles l’ont fait en France, c’est de la mise en danger de la vie d’autrui.

    Une Police des Frontières pas capable de déceler une telle supercherie mérite de se faire redresser le képi.

    *

    Au marché à la brocante du Clos Saint-Marc, ce samedi matin, d’un acheteur ayant une bonne tête d’intellectuel à lunettes d’écaille :

    -Et en plus, on va lui payer l’avion pour la faire revenir.

    Ajoutant :

    -C’est comme les gamins qui sont dans la rue. C’est les mêmes qu’étaient dans la manif pour la retraite. C’est juste pour pas aller en cours.

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  • Sorti de l’Orangerie, je longe la Seine du haut du jardin des Tuileries jusqu’au pont des Arts par lequel je traverse la Seine, direction Saint-Germain-des-Près. Je salue Carolina en son petit jardin, puis par les rues Mazarine et Saint-André-des-Arts, arrive au Quartier Latin, remontant le boulevard Saint-Michel jusqu’à chez Gibert Joseph. Alors que je suis à fouiller dans les bacs, deux moutards me demande Gibert Jeune, peut-être croient-ils qu’avec un nom pareil cette librairie est pour la jeunesse. Je ne le leur demande pas et les renseigne aimablement.

    Midi sonne quand je pousse la porte d’un de ces vrais faux restaurants à la française de la rue de la Harpe. Il porte un nom pompeux : L’Hostellerie de l’Oie qui Fume. L’accueil y est aimable. J’y déjeune en compagnie de duos (couples d’un certain âge, amies dont deux jeunes Japonaises) et d’un isolé qu’occupe son téléphone. Salade de saumon fumé, tartiflette, dame blanche, le tout pour seulement dix euros, avec un quart de vin bon à quatre euros vingt. Il ne pleut pas encore lorsque j’en sors et rejoins toujours à pied la rive droite.

    Quelle n’est pas ma surprise de constater que le Mona Lisait de la rue Saint-Martin est toujours ouvert. Je demande ce qui se passe à l’un des vendeurs qui m’explique qu’un vice de procédure en est la cause mais qu’une nouvelle décision identique à la précédente va être prise incessamment. Je n’y entre pas, me dirige vers le Centre Pompidou où je fais renouveler ma carte d’adhérent pour deux ans (soyons optimiste).

    -On refait la photo ou pas ? me demande la jeune femme du bureau.

    -Non, ce n’est pas la peine, lui dis-je.

    -Vous n’avez pas beaucoup changé.

    -Vous êtes gentille. J’y suis surtout hideux.

    Elle me dit que c’est la faute de la ouaibe-cam.

    Je ressors aussitôt, ne voulant pas ajouter d’autres images à celles de Frida Kahlo, et constate que ça y est, il pleut. Me voici contraint de prendre le métro pour rejoindre la Bastille. J’étais pourtant d’humeur marcheuse.

    La fin de l’après-midi se passe chez Book-Off où certains viennent s’abriter, regardant les livres comme si c’était la première fois qu’ils en voyaient. Je trouve là pour un euro La fille manquée d’Han Ryner. L’anarchiste individualiste y raconte ses amitiés particulières (comme on dit) quand il était la fille manquée du collège Saint-Louis-de-Gonzague de Forcalquier de mil huit cent soixante-dix-sept à mil huit cent soixante-dix-neuf. Cette histoire publiée en mil neuf cent trois a été rééditée cette année par GayKitschCamp, maison spécialisée dans le genre, sise à Montpellier, dont j’ignorais l’existence.

    *

    Paris, Gibert Joseph, un sexagénaire à un autre : « Ça fait la quatrième chute qu’elle fait, je passe mon temps à l’hôpital, je commence à en avoir marre. » Il parle de sa vieille mère.

    *

    Rouen, place du Vieux-Marché, discussion de clochards, l’un d’eux : « Moi, depuis que j’ai des enfants, c’est pour eux que je vis. »

    *

    Au courrier des nouvelles du Musée des Beaux-Arts rouennais. Sylvain Amic, maître des lieux, y annonce fièrement pour le printemps prochain ce qu’il qualifie en son jargon de « grande exposition évènementielle » Cathédrales, 1789-1914, un mythe moderne. On n’est sortira donc jamais de cette Cathédrale monétisée.

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  • Quitter Rouen à sept heures vingt-six avec un train qui arrive à l’heure à Saint-Lazare me permet de rejoindre à pied ce mercredi le Musée de l’Orangerie en arrivant juste à l’heure de l’ouverture, neuf heures, et de constater que d’autres m’ont précédé, alignés en deux longues files, l’une plus imposante que l’autre, celle des sans billets, au bout de laquelle je trouve ma place derrière quatre Japonaises. Un panneau promet une heure d’attente que rien ne permet d’égayer hormis la tête dépitée de ceux qui ont déjà leur billet quand ils découvrent qu’ils ne peuvent entrer immédiatement et doivent eux aussi faire la queue (comme on dit).

    Trois quarts d’heures plus tard, je passe la porte puis le détecteur de métaux et me voici en compagnie des œuvres de Frida Kahlo et de Diego Rivera, unis bien au-delà de la mort.

    Les peintures, les dessins préparatoires aux fresques et les reproductions d’icelles du muraliste m’indifférent. Ses titres me hérissent : Heureux l’arbre qui donne des fruits, J’aimerais être un homme aux nombreux savoirs.

    Je ne suis là que pour Frida dont sont montrées une quinzaine de toiles intéressantes et des natures mortes. Parmi les toiles qui m’intéressent : Le petit défunt Dimas Rosas à l’âge de trois ans (curieux titre qui donne à penser d’un enfant mort peut continuer à grandir), La petite Virginia (laquelle ressemble beaucoup à Frida), Ma nourrice et moi (l’une de ses peintures qu’elle préférait, qui la montre bébé à tête d’adulte tétant) et bien sûr les autoportraits, de son premier, à la robe de velours, fait pour celui avec qui elle était lors de son accident, au minuscule à cadre de coquillages où son cou est prisonnier de ficelles rouges. Terribles sont ses toiles montrant la douleur physique : Sans espoir, Hôpital Henri-Ford et La colonne brisée sur laquelle elle se montre comme une écorchée à la peau percée de clous avec pour colonne vertébrale une colonnade fissurée.

    Je fais plusieurs fois le tour de cette modeste exposition à dix euros dont les œuvres viennent du Museo Dolores Olmedo de Mexico puis vais revoir la collection permanente (ce qu’il en reste, une partie est à Mexico), des tableaux pas vus depuis longtemps, m’attardant devant le balthusien La nièce du peintre d’André Derain, La noce du Douanier Rousseau et Arlequin et Pierrot de Pablo Picasso.

    Me reste à revoir la curiosité qui fait venir ici tant de monde : la salle des Nymphéas du nommé Monet dans laquelle on a parqué des scolaires (niveau maternelle et niveau collège) mais personnellement je suis plus intéressé par ce que je découvre avant de sortir, aux toilettes, un vécé japonais avec douchette, que je n’ose essayer.

    *

    « Oh my God ! Je suis une star à la télé française maintenant. » déclare Léonarda, la collégienne descendue de son car scolaire pour être envoyée au Kosovo, pays où les Roms ne peuvent pas aller à l’école.

    « Nous n'avons pas de maison ici, on ne connaît personne. Ce n'est pas comme en France, il n'y a personne pour nous aider. On est comme les clochards. On a dormi sur un banc. Je ne comprends même pas la langue d'ici. » déclare-t-elle à l’Est républicain, ajoutant pour France Inter « Tout ce que je veux, c'est, avec ma famille, revenir en France, recommencer les cours pour avoir un avenir. Le truc le plus important, c'est l'école ».

    Manuel Valls, celui qui a déclaré que les Roms ne veulent pas s’intégrer, n’est pas là pour répondre, parti mettre de l’ordre aux colonies.

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  • Ce mercredi, à dix-sept heures, à la Mairie de Rouen, trois élu(e)s dont une Socialiste parrainent les trois enfants (dont deux scolarisés à l’Ecole Pouchet) d’un couple de Sans Papiers. Je n’y serai pas, étant à Paris. Aurais-je été à Rouen que je n’y serais pas allé davantage, lassé de tant d’hypocrisie. Valls saque et ses copains assurent la diversion.

    Ce Manuel Valls, qui avait vocation à quitter le territoire quand il est devenu Français puisque l’Espagne était un pays sûr (Franco mort depuis plusieurs années) comme le lui rappelait il y a peu un descendant de Manouches dans L’Humanité, montre chaque jour qu’il est pire que Sarkozy, Hortefeux, Besson et Guéant. Ainsi, ses services n’ont pas hésité à interpeller Léonarda, collégienne de quinze ans, fille de Sans Papiers, en pleine sortie scolaire, ce que le raconte l’une de ses professeur(e)s sur le site Mediapart : « je n'ai pas compris tout de suite ce qui se passait, j'ai cru que c'était la mère de Léonarda qui voulait être rassurée et en fait, c'était le maire de Levier, commune de résidence de Léonarda, qui m'a précisé qu'il savait que nous nous rendions à Sochaux et il me demandait expressément de faire arrêter le bus. Dans un premier temps j'ai refusé en précisant que ma mission était d'aller à Sochaux avec tous les élèves inscrits pour cette sortie pédagogique (visite de lycées + visite de l'usine Peugeot). Le maire de Levier, Albert Jeannin, m'a alors passé au téléphone un agent de la PAF qui était dans son bureau : son langage était plus ferme et plus directif, il m'a dit que nous n'avions pas le choix que nous devions impérativement faire stopper le bus là où nous étions car il voulait récupérer une de nos élèves en situation irrégulière : Léonarda Dibrani cette dernière devait retrouver sa famille pour être expulsée avec sa maman et ses frères et sœurs ! Je lui ai dit qu'il ne pouvait pas me demander une telle chose car je trouvais ça totalement inhumain ... il m'a intimé l'ordre de faire arrêter le bus immédiatement à l'endroit exact où nous nous trouvions, le bus était alors sur une rocade très passante, un tel arrêt aurait été dangereux ! Prise au piège avec 40 élèves, j'ai demandé à ma collègue d'aller voir le chauffeur et nous avons décidé d'arrêter le bus sur le parking d'un autre collège (Lucie Aubrac de Doubs). J'ai demandé à Léonarda de dire au revoir à ses copines, puis je suis descendue du bus avec elle, nous sommes allées dans l'enceinte du collège à l'abri des regards et je lui ai expliqué la situation, elle a beaucoup pleuré, je l'ai prise dans mes bras pour la réconforter et lui expliquer qu'elle allait traverser des moments difficiles, qu'il lui faudrait beaucoup de courage... Une voiture de police est arrivée, deux policiers en uniforme sont sortis. Je leur ai dit que la façon de procéder à l'interpellation d'une jeune fille dans le cadre des activités scolaires est totalement inhumaine et qu'ils auraient pu procéder différemment, il m'ont répondu qu'ils n'avaient pas le choix, qu'elle devait retrouver sa famille...Je leur ai encore demandé pour rester un peu avec Léonarda et lui dire au revoir (je la connais depuis 4 ans et l'émotion était très forte). Puis j'ai demandé aux policiers de laisser s'éloigner le bus pour que les élèves ne voient pas Léonarda monter dans la voiture de police, elle ne voulait pas être humiliée devant ses amis ! Mes collègues ont ensuite expliqué la situation à certains élèves qui croyaient que Léonarda avait volé ou commis un délit. Les élèves et les professeurs ont été extrêmement choqués et j'ai du parler à nouveau de ce qui s'était passé le lendemain pour ne pas inquiéter les élèves et les parents. »

    *

    Qu’on ne compte pas sur Christiane Taubira pour faire face à Valls sur ce sujet. Le Tribunal d’exception installé dans l’aéroport de Roissy, destiné à faciliter l’expulsion des Sans Papiers, est désormais en fonction. C’est pas de ma faute, a dit en substance la Ministre, c’est Sarkozy qui l’avait décidé, et puis comme on a fait des frais, il fallait bien l’ouvrir. Plainte a été déposée par les associations défendant les Droits de l’Homme.

    *

    Sarkozy, quand il était au pouvoir, toute son action disait « Votez Front National », Valls, maintenant qu’il commande, toute son action dit « Votez Front National », et après ces politiciens de droite et de gauche s’étonnent quand est élu un Conseiller Général d’extrême droite.

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  • Dimanche après-midi, dans la fosse sur l’une des nouvelles chaises plus confortables que les anciennes et surtout ne couinant pas, j’assiste au concert de l’Ensemble Pygmalion à l’Opéra de Rouen. Sur scène des femmes et des hommes entre trente et quarante ans pour la plupart, dans la salle des femmes et des hommes entre soixante et quatre-vingts ans pour la plus grande partie, la musique est baroque.

    Sous la conduite de Raphaël Pichon, l’orchestre, le chœur et les solistes interprètent In exitu Israël de Jean-Joseph Cassanéa de Mondoville puis Quam dilecta Tabermacula de Jean-Philippe Rameau, de quoi me plaire.

    A l’entracte, le public se partage entre les uns qui trouvent ça « très beau » et les autres qui trouvent ça « superbe ». Pendant ce temps, l’accordeur de clavecin est à l’ouvrage. Avant la reprise, ce sont les cordes qui s’accordent en petit comité avant de sortir pour rentrer avec l’ensemble de l’Ensemble.

    Il s’agit maintenant de Deus Judicium Tuum de Georg Philipp Telemann puis de In Convertendo de Jean-Philippe Rameau, deux interprétations saluées par beaucoup d’applaudissements.

    Dans l’escalier de la sortie, on trouve maintenant cela « excellent » et on félicite le chef Raphaël Pichon.

    -Il est jeune, en plus.

    -Ça n’empêche pas le talent.

    *

    Un peu énervé ce lundi après-midi d’apprendre que samedi au concert de Joseph Arthur à la Maison des Arts du Grand-Quevilly, réputé complet et archicomplet, de nombreuses personnes ne sont pas venues alors qu'elles avaient réservé, à peine quatre-vingts présent(e)s quand la jauge était de cent, et que conséquemment certain(e)s qui n'avaient pas réservé ont pu entrer.

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  • Je viens de relire le premier volume des Papiers collés de Georges Perros (qui en comporte trois), un écrivain que j’apprécie particulièrement, ancien comédien parisien exilé en Bretagne, vivant avec femme et enfants (cinq) du petit salaire que lui donnait Gallimard contre la lecture de pièces de théâtre qu’il recommandait de ne pas publier. Poète et faiseur de notes invétéré, comme il se qualifiait lui-même, ses Papiers collés en rassemblent un certain nombre de longueur inégale, telle celle-ci :

    Il y longtemps que je ne sais plus rien confier d’important à personne. Alors je parle pour éviter le silence. Je me réfère à l’anecdote, toujours accueillie. L’autre enchaîne, qui pense peut-être sourdement la même chose, et l’on se serre la main, souvent lourds de phrases à hurler, mais à quoi bon les faire éclater, celles-là justement qui ne sauraient trouver grâce ou réponse.

    De ses développements, parfois je préfère ne retenir qu’une phrase, plus percutante isolée, la rapprochant de ses propres maximes :

    A vingt-huit ans, aujourd’hui, je suis devenu ce que j’avais rêvé d’être, c’est-à-dire à peu près rien.

    Le premier homme qui a pensé au suicide a humilié la vie pour l’éternité. La vie est une grande vexée.

    On a de l’humour dans la mesure où l’autre ne s’aperçoit de rien.

    Le comble du pessimisme : croire en Dieu.

    Debussy a composé toute sa musique assis dans un aquarium.

    Est écrivain tout individu que la vie, c’est-à-dire les autres et lui-même, le ciel, les évènements, ne finissent pas.

    Trop vieux pour se marier, il prit une jeune maîtresse.

    Tout homme est ethnologue quant à l’autre. Inutile d’aller voir les Indiens.

    Le plus évident, le plus dur à se faire comprendre, c’est que nous n’avons absolument rien à nous dire, que toute parole interceptée par un semblable est détruite, malaxée, réduite ou exagérée.

    Si seulement on était capable de supporter les gens qu’on aime.

    Il est certain que les hommes se donnent beaucoup de mal pour être malheureux. Mais le sont-ils ?

    Certaines de ses notes s’étendent sur plusieurs pages, véritables études consacrées à la Bretagne (Il y a chez la jeune fille bretonne quelque chose de terriblement vierge et de terriblement putain.), au théâtre, à Rilke, Constant, Valery, Ponge, Claudel, Kierkegaard ( A vingt-quatre ans, Kierkegaard s’éprend d’une enfant, de dix ans sa cadette.)

    Ce premier volume s’achève par l’évocation du cimetière où il aimerait être enterré :

    Cimetière : J’aimerais être en pente, histoire de glisser un peu par temps humide, sur laquelle quatre hauts murs interdiraient aux visiteurs toute indiscrétion (…) Nul promeneur du dimanche, ou touriste macabre, n’y pourrait faire pénétrer sa mauvaise odeur, nulle fleur arrachée n’oserait embellir –pour quels yeux ?– notre petit lopin de terre si durement, si paresseusement, si atrocement gagné, mon Dieu.

    Georges Perros est mort en mil neuf cent soixante-dix-huit à l’âge de cinquante-huit ans d’un cancer du larynx. Il est enterré au cimetière marin de Tréboul, commune de Douarnenez. Seul ou bien accompagné, j’y suis allé faire le touriste macabre plusieurs fois, posant sur sa tombe une fleur arrachée.

    *

    Son problème avec les femmes : n’être pas un amant très performant.

    *

    L’une de ses expressions : Une soirée baliverneuse

    *

    Saint-Exupéry était un homme très bien, je n’en doute pas. Quelques-unes de ses pages respirent profondément. Pourquoi les gens qui en font leur idole sont-ils, la plupart du temps, des imbéciles ? écrit-il, ce que j’ai constaté aussi.

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  • Assis en fond d’orchestre à l’Opéra de Rouen ce vendredi soir, je vérifie qu’effectivement pour les genoux la rénovation des fauteuils n’a rien changé, toujours aussi peu de place. Heureusement, je n’ai personne à ma droite (pour ne rien arranger certains dossiers sont un peu affaissés, leur séjour en Belgique ne les a pas redressés). Au moins, j’ai bonne vue sur les touches du piano où courent les doigts éclairés par en haut de Frédéric Aguessy. Celui-ci joue Liszt, la Paraphrase sur la Valse du Faust de Gounod, sans partition et avec brio.

    Viennent ensuite, toujours de Liszt et sans partition, Bagatelle sans tonalité et l’un peu trop longue Sonate en si mineur dont Clara Schuman disait dans son Journal : Que de bruits sans raison. Plus aucune pensée saine, tout est embrouillé : on ne parvient même plus à y retrouver un enchaînement harmonique clair. (ai-je lu dans le livret programme sous la plume de Luca Dupont).

     Frédéric Aguessy est applaudi comme il le mérite et donne en remerciement un petit bout de Bach. A l’entracte, autour de moi, on ne se prive pas de critiquer son manque de charisme et même son physique. Je retourne caser mes genoux à ma place. Derrière moi, une enseignante se réjouit d’échapper aux Assises de l’Education qui doivent se tenir un mardi après-midi, jour où elle est en congé.

    Cela reprend avec la cantate Faust et Hélène qui valut à Lili Boulanger, sœur de Nadia, le prix de Rome, il y a juste cent ans (elle mourut cinq ans plus tard de tuberculose intestinale à l’âge de vingt-quatre ans). Cette composition est chantée par Marie Gautrot (Héléne), Xavier Rouillon (Faust) et Vincent Billier (Méphistophélès) accompagnés au piano avec partition par Frédéric Rouillon. J’écoute sans passion et applaudit comme il convient.

    On en a fini avec le commerce du Diable.

    *

    Une affichette sur certains magasins de l’hypercentre de Rouen pleure le manque à gagner consécutif à la destruction du Pont Mathilde et invite le quidam à signer une pétition contre les bouchons. La semaine prochaine, ce sera une pétition contre la pluie.

    *

    Raté, ce samedi, le concert de Joseph Arthur à la Maison des Arts du Grand-Quevilly. « Complet », me dit celle qui répond à mon appel téléphonique en début d’après-midi.

    -Vous connaissez Aurélie ?, me demande-t-elle lorsque j’insiste pour en être, laissant entendre que si on connaît la maîtresse des lieux, il y a peut-être moyen de s’arranger.

    Pas envie de ça. Je raccroche.

    Cette sale manie d’organiser des concerts dans des lieux pas faits pour ça, bars trop petits, librairies exiguës, salles d’exposition encombrées, dont on exclut les moins rapides et les non connus de la direction, alors que les concerts, il y a des salles pour ça (au Grand-Quevilly, à vingt mètres de la Maison des Arts : le Théâtre Charles-Dullin).

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  • Il en est question chez Boulinier, ce mercredi matin, entre le patron et un interlocuteur bien renseigné, de la faillite des librairies Mona Lisait spécialisées dans la vente des invendus, des livres neufs à prix réduit. Je les écoute du sous-sol où je fouille dans les bacs. Le patron pose des questions de professionnel. Il veut savoir qu’elles étaient celles qui marchaient le mieux.

    -Rue Pavée et Saint-Martin, lui répond l’autre.

    -Et il y a beaucoup de stock ?

    On dirait qu’il veut faire le repreneur. Je passe chez Gibert Joseph puis chez Book-Off Bastille puis déjeune au Rallye d’un coq au vin trop sec avec des tagliatelles fades puis vais voir de quoi il retourne.

    Rue Pavée, la pancarte annonçant la fermeture pour la veille « après vingt-cinq ans d’échanges » est toujours là et le magasin est ouvert. Une femme demande quand à l’un des vendeurs.

    -Ce soir, lui répond-il, on ne pensait pas pouvoir ouvrir aujourd’hui.

    Ici, ce n’est pas comme aux magasins de la Vierge, on ne brade pas, point de charognards, ce pourquoi j’entre. Fip fait le fond sonore, comme d’habitude. Dire que je ne foulerai plus d’un pied incertain les énormes pavés du rez-de-chaussée dédié à ce qu’on appelle les beaux livres (avec son rayon érotique) et ne monterai plus à l’étage dédié à la littérature et aux sciences humaines. Je prends en plusieurs exemplaires Tendre à. de Marie-Laure Dagoit (Derrière la Salle de Bains).

    -Ce n’est pas la peine que je sorte ma carte de fidélité, dis-je au caissier.

    -Ah non.

    Je lui demande s’il y a encore un espoir que certaines des librairies soient reprises.

    -Aucun.

    Je lui dis comme ça me rend triste cette histoire, ajoute qu’évidemment c’est surtout pour lui et ses collègues que c’est grave. Il me remercie et divise ma facture par deux.

    -Ça fera un trou dans l’inventaire mais au point où on en est.

    La voiture à Mappy me filme encore une fois rue des Blancs-Manteaux alors que je me dirige vers la rue Saint-Martin. Là, aucune pancarte n’annonce la fermeture imminente. Je demande pourquoi à la vendeuse qui se trouve au sous-sol (littérature et sciences humaines).

    -Pas envie, me répond-elle.

    -J’ai lu que c’est de la faute de la Cégété si la librairie Le Merle Moqueur a retiré sa proposition de reprise, c’est vrai ?

    -Oui, me dit-elle, j’étais à la réunion, le gars de la Cégété n’y connaissait rien, il a tout fait capoter.

    Elle le qualifie d’un mot énergique que je n’écris pas. Le Merle Moqueur acceptait de reprendre le passif, toutes les librairies et tout le personnel.

    -Oui mais avec trente pour cent de salaire en moins.

    -Non, ce n’est pas vrai, me répond-elle, moi j’aurais gagné trois cents euros de moins par mois mais j’étais prête à ça. Il faut dire aussi qu’il y a des gens dans cette maison qui se prennent pour de grands libraires et qui voulaient plus, alors qu’on n’est pas des libraires, on est des vendeurs de livres. Et maintenant, on est tous au chômage. Moi, à l’âge que j’ai, je serai bien contente si je trouve une place chez Monoprix.

    Je prends en plusieurs exemplaires L’amour est une région bien intéressante d’Anton Tchékhov (Cent Pages) et retrouve cette vendeuse à la caisse.

    -Donnez-moi un euro symbolique, me dit-elle.

    Je lui souhaite bon courage.

      *

    Chez Book-Off, un quinquagénaire à sa fille adolescente :

    -T’as vu, y reprennent les quarante-cinq tours, je vais vendre les miens, j’en ai plein le placard, c’est plus de mon époque.

    Si justement. (Cette façon insupportable qu’ont les fondus de musique rock de dire à tout bout de champ « A mon époque », c’est-à-dire quand j’étais jeune et que la musique que j’écoutais était la meilleure du monde).

      *

    A la gare Saint-Lazare, une annonce qui me plonge brusquement dans mon passé : « Le train pour Ermont-Eaubonne est supprimé faute de matériel ».

      *

    Dans le train pour Rouen, une vieille accrochée à son sac : « On n’est à l’abri de rien aujourd’hui »

      *

    Autres livres rapportés de Paris : Cent onze Gourmelin (Cahier de l’art mineur 16/17), Ecrits intimes d’Isabelle Eberhardt (Payot), Le Désespéré de Léon Bloy (Underbahn), Casanova ou la loi du désir de Corinne Maier (Imago), le tout pour cinq euros.

    Ce dernier livre dédicacé par son auteure : « Pour Sara voisine et néanmoins amie (je plaisante) ».

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  • Sans la vigilante attention de l’amie Maria, qui depuis Caen n’ignore rien de ce qui se passe dans le domaine culturel à Rouen, je n’aurais point su que ce mardi soir un certain Yann Kerninon venait parler de son livre Vers une libération amoureuse (Propositions romantiques, érotiques et politiques) (Libella Maren Sell) à la Neoma Business School de Mont-Saint-Aignan. Ignorant tout de ce livre, j’apprends que son auteur est « philosophe, pédagogue, prestidigitateur, performeur, réalisateur de film, leader d’un groupe de métal parodique, marié et père de famille » et qu’il a aussi écrit Tentative d'assassinat du bourgeois qui est en moi (Libella Maren Sell), lequel a obtenu le prix du Pamphlet en deux mille neuf et a été traduit en Inde. C’est suffisant pour que j’aie envie d’aller prendre cette leçon de rattrapage sur l’amour.

    Mappy me montre où est la Neoma Business School et un bus Teor m’y mène passant par la campagne à vaches blanches. A l’arrivée, je découvre que cette école de bizenesse n’est autre que l’ancienne Rouen Business School auparavant Sup de Co. Bel endroit, un peu caché, où se côtoient des bâtiments d’époques diverses disposés dans un parc. J’y entre sans que quiconque ne soit là pour me demander ce que je viens y faire et demande à un étudiant fumeur où se trouve la salle de conférence.

    A sa porte, des garçons en costume cravate, ce sont les élèves organisateurs, membres de l’association Des Mots & Débats. Je parle un peu avec deux d’entre eux contents de voir quelqu’un de l’extérieur venir ouïr Kerninon. Après un peu d’attente, c’est l’ouverture des portes. Je me case au milieu des quelques dizaines d’étudiant(e)s présent(e)s volontairement. Le F B Eye, bureau des images, s’apprête à filmer la soirée.

    L’orateur a une bonne tête et des bretelles apparentes. « Il est jeune », dit une fille derrière moi. « Pas si jeune que ça, il a trente-huit ans », lui répond un garçon renseigné. L’un des organisateurs le présente puis nous sont montrés trois petits films sur son ouvrage. Je note : « Le grand ennemi de l’amour, c’est le fantasme, il s’agit de le tuer au profit du désir. »

    Yann Kerninon explique que la seule définition de l’amour qu’il ait pu trouver, c’est « Ce à quoi nous ne nous attendions pas ». Il évoque la difficulté à le vivre dans la durée et rêve d’un avenir dans lequel l’exclusivité et la jalousie ne seraient plus de mise, un nouvel amour venant renforcer (et non plus remplacer) l’amour en cours. Oui oui oui… (c’est mon commentaire mental).

    Je note encore : « Nous sommes des pervers puritains qui fantasment un mariage religieux dans un club échangiste ». Au bout de quarante minutes, c’est le moment des questions et pour moi l’occasion de constater que ces étudiant(e)s de la Neoma Business School en connaissent un rayon en littérature et en philosophie. L’un cite Céline L'amour c'est l'infini mis à la portée des caniches, un autre parle de Lévinas, une troisième s’adresse à l’invité en ces termes :

    -J’ai lu votre œuvre…

    -Dites mon livre, l’interrompt Kerninon.

    Il répond toujours un peu à côté des questions, comme le font beaucoup dans sa situation. Je ne lève pas le doigt, gardant les miennes pour moi, préférant entendre ce que la jeunesse qui m’entoure dit sur le sujet.

    « Je sais pas pourquoi il est là », dit un garçon derrière moi, Il ne parle pas de l’invité, mais de moi.

    Un bus Teor plein d’étudiant(e)s me redescend à Rouen dans le noir. J’y songe à mon âge et à ce à quoi je ne m’attends pas.

    *

    « Pitoyable Corinne Rondeau, une bêtise d’anthologie qu’il sera intéressant de réécouter dans quelques années. Elle devrait rester dans son domaine de compétence. D’ailleurs, sa hargne ne s’explique-t-elle pas par le fait que ce film donne une image peu flatteuse du milieu qu’elle côtoie et dont elle fait partie. », c’est le commentaire que je laisse sur la page de La Dispute, l’émission de France Culture que j’écoute rentré chez moi, après que cette critique en arts plastiques a descendu La Vie d’Adèle, un commentaire victime de la censure du modérateur.

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  • Comment peut-on être élève de classe de Première et brusquement se retrouver institutrice dans une classe maternelle ? C’est l’une des questions que je me pose pendant les trois heures de La Vie d’Adèle, chapitres 1 & 2, le film d’Abdellatif Kechiche, palmé d’or à Cannes, dont c’est l’avant-première rouennaise ce lundi soir à l’Omnia. Où sont passées les six années d’études nécessaires pour aller de la situation première à la seconde ? L’histoire d’amour entre Adèle et Emma ne dure pas aussi longtemps que cela. On ne sait pas combien de temps elles sont ensemble ; pas plus d’une année, me semble-t-il. Impossible qu’elles se rencontrent quand Adèle est au lycée et que celle-ci soit devenue institutrice quand elles se séparent. Autre objet d’interrogation : une fille qui fait les Beaux-Arts (comme on dit) devient donc artiste et expose illico dans la galerie la plus renommée de la ville (Lille), jamais vu ça ailleurs qu’avec Emma, au cinéma.

    Cela dit, La Vie d’Adèle est un film remarquable dans lequel joue excellemment Adèle Exarchopoulos, aussi crédible en institutrice qu’en lycéenne, parfaite dans son rôle de fille terre-à-terre issue du milieu populaire et se heurtant au monde des nantis d’où est issue Emma, la fille aux cheveux bleus. L’écriture cinématographique maîtrisée de Kechiche (le roi du plan rapproché) traite parfaitement le sujet : l’amour, comment il naît, comment il vit (avec de très belles séquences sexuelles), comment il meurt.

    Je sors de là n’ayant pas trouvé le temps long. Il est vingt-trois heures lorsque j’arrive dans ma ruelle. Un des voisins fume nerveusement devant la porte cochère. Il a oublié ses clés.

    *

    D’aucuns se demandent s’il faut aller voir ce film parce que Léa Seydoux qui joue Emma s’est plainte de son réalisateur, un vrai bourreau. Comme si les artistes ou les écrivains intéressants pouvaient être autres qu’excessifs, dérangés, vicieux, manipulateurs, pervers. C’est ce qui fait leur talent.

    *

    Sale nouvelle ce lundi : la fermeture pour faillite des librairies Mona Lisait. J’irai ce mercredi constater l’étendue du désastre.

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