• Avoir une voiture oblige à la bouger au moins une fois par semaine, ce que je fais ce lundi vers onze heures. Elle m’emmène à Saint-Martin-de-Boscherville, charmant village connu pour son abbaye Saint-Georges. Je me gare sur la place centrale et fais le touriste d’arrière-saison entrant d’abord dans la vaste et haute église dont je fais le tour en ne pénétrant surtout pas dans l’« Espace réservé à la divine liturgie » puis en me baladant sous un beau ciel bleu parsemé de nuages blancs dans des rues quasiment désertes. Les seul(e)s habitant(e)s dehors le sont pour des emplettes à la boucherie, à la pharmacie ou à la boulangerie. Personne n’est au café La Belle de Mai quand j’y entre à midi. Je demande à déjeuner (c’est aussi une crêperie qui fait plat du jour). Le patron, après un instant de surprise, m’installe dans la salle de restaurant. Il me met Radio Classique, la station qui démontre que cette musique n’est pas réservée à une élite. J’écoute donc Dvorak et Berlioz ainsi que des publicités choisies, dont l’une en forme de faux reportage pour un produit magique contre la ménopause. « Pour votre santé, buvez plus », entends-je. Je ne me le fais pas dire deux fois et commande un quart de merlot qui s’avère fort bon. Côté nourriture, ce sera terrine campagnarde et parmentier de pot au feu avec sa salade. Trois habitué(e)s arrivent entre l’entrée et le plat, mettant un semblant d’animation mais leur conversation sur un prochain voyage au Costa Rica ne m’intéresse pas. Avec une crêpe caramel beurre salé et un café, ça fera vingt euros cinquante.

    Ma petite voiture rouge me ramène à Rouen. Le soir venu, c’est à pied que je vais au Conservatoire où c’est Hommage à Franck Zappa. Je ne sais pas où j’étais pendant les années Zappa car je ne connais aucun de ses morceaux. Cet été, une série d’émissions de France Culture à lui consacrées m’a donné à penser que j’avais peut-être raté quelque chose. C’est l’une des raisons qui me pousse ici, l’autre étant que je n’y ai pas mis l’oreille depuis longtemps.

    N’ayant pas la moindre idée d’en quoi consiste cet hommage, je m’inquiète un peu de voir que sont surtout présents des parents venus admirer leur progéniture. Cette soirée a pourtant fait l’objet d’une publicité visant à y amener des admirateurs dudit Zappa. J’en repère quelques-uns dans la salle.

    Claire Paris-Messler, Directrice, qui semble avoir perdu la belle exubérance de ses débuts, développe le propos convenu du rapprochement nécessaire entre la musique savante et la musique populaire et Claude Brendel, Directeur adjoint, n’évoque Franck Zappa que pour signaler le vingtième anniversaire de sa mort ce quatre décembre.

    De la musique de Zappa, il y aura peu, servant de support à des danses laborieuses. Le programme est surtout composé de classiques (Schubert, Granados, Bartok) et de musiques de diverses régions du monde, tout cela interprété par des élèves filles plus ou moins débutantes. Les parents filment. Je me demande ce que je fais là. Je trouve quand même un intérêt aux prestations de Stella Rakotoarijao (chant et piano) dans Ambreakable d’Alice Keyz, de Nathalie Beauval (chant) pour les Noëls de Joseph Canteloube et de Hang Lin (accordéon) pour Asiaflash de Franck Angels.

    Redescendant vers chez moi, je marche derrière l’un des admirateurs de Zappa jusqu’à ce qu’il bifurque dans le jardin de l’Hôtel de Ville où je le vois uriner sur un buisson, peut-être de dépit.

    *

    Je veux mourir dans la dignité, c’est le titre d’un opuscule d’Hervé Catta, responsable d’une certaine Association pour la Culture Citoyenne domiciliée à Neuilly, trouvé ce lundi midi dans l’église de Saint-Martin-de-Boscherville. Désormais, la technique des cathos de droite, amplement utilisée dans l’affaire du mariage gay, est de reprendre à leur compte les formules de l’adversaire afin d’embrouiller les esprits. Ce Catta cite aussi le Mythe Errant vantant les services de soins palliatifs et propose au bout de ses seize pages une Carte de Vigilance Fin de Vie qui démarque celle de l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (la seule association dont je sois membre).

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  • Profitant de la gratuité du premier dimanche du mois, je me rends vers quatorze heures au Musée des Beaux-Arts de Rouen afin d’y visiter tranquillement les expositions Les Trésors de l’Ombre et Le Temps des Collections.

    Je commence par la première qui s’étend dans plusieurs salles où je ne croise que deux couples de quinquagénaires. Y sont visibles, sous un éclairage restreint, des œuvres dessinées françaises du dix-huitième siècle signées d’artistes connus ou inconnus (du moins de moi), trop nombreuses pour moi qui n’arrive à me concentrer que sur la première dizaine puis regarde les autres de plus en plus rapidement. Beaucoup d’explications sont affichées, que je n’ai pas le courage ou l’envie de lire.

    Je passe au Temps des Collections qui présentent six petites expositions scénographiées par Olivia Putman « Le mécénat exceptionnel de la Matmut a permis l’organisation générale du projet ».

    La première exposition est un hommage de la fille à sa mère, Andrée Putman. Elle montre les dessins préparatoires de son travail de rénovation de ce vénérable Musée il y a vingt ans. Une moquette épaisse en damier noir et blanc permet d’y marcher souplement. Les cinq autres sont dispersées parmi la collection permanente dont je fais le tour, ne croisant que peu de monde et encore moins de gardien(ne)s, revoyant de-ci de-là mes tableaux préférés, sauf Rigolette qui cherche à se distraire hors les murs pendant l'absence de Germain. Je passe vite dans quatre, également mises en scène à coups de carrés blancs et noirs et à grand renfort de moquette moelleuse, et arrive dans les trois nouvelles salles Duchamp Esprits de famille « Les œuvres du projet « Un esprit de famille » ont été restaurées grâce au mécénat du Crédit Agricole Normandie Seine ».

    Supprimée la salle Marcel Duchamp and guests (André Raffray et Dj Spooky), Jacques et Raymond, les deux frères, et Suzanne, la sœur, occupent presque tout l’espace nouveau. Marcel, réduit à portion congrue, est débarrassé de sa radicalité. Je trouve cela consternant. On ne m’ôtera pas de l’esprit que si Marcel n’était pas Marcel, les œuvres des trois autres seraient pour toujours dans les réserves.

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    Au Cimetière Monumental de Rouen, Marcel Duchamp est de même étouffé par sa famille. Il ne doit d’ailleurs pas occuper beaucoup de place dans le caveau si ce que raconte Philippe Katerine dans son journal graphique Doublez votre mémoire (exemplaire acheté un euro chez Book-Off) est vrai : Il s’est fait incinérer et quand on a vérifié le contenu de l’urne, il y avait ses clefs d’appartement, elles étaient restées dans sa poche. « Elles étaient là dans les cendres, elles n’avaient pas fondu ». Et ils les ont laissé dedans. (Sic, écrit-on pour signaler une faute d’orthographe). Sous le texte, le dessin d’un petit tas de cendres d’où dépassent les clefs de Marcel.

    *

    A quelqu’une qui s’étonnait de voir Putman fille faire le même métier que Putman mère, j’ai répondu : C’est souvent comme ça dans ce milieu, sa mère aurait eu une usine de cassoulet que la fille vendrait du cassoulet.

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  • Plus d’un mois après les insultes racistes dont a été victime la Ministre de la Justice Christiane Taubira, des rassemblements contre le racisme sont organisés dans diverses villes de France. Quelle réactivité !

    Je me doute bien que les organisateurs (associations, syndicats et partis de toute la gauche) vont une nouvelle fois faire la démonstration de leur faiblesse mais je vais quand même à celui de Rouen ce samedi à quinze heures devant le Palais de Justice.

    Effectivement, nous ne sommes que quelques centaines, juste de quoi occuper l’espace entre la station de métro et la rue de la Jeanne et nuire ainsi à la vente du vin chaud et des bonnets de Noël. Bien plus nombreux sont celles et ceux qui courent de magasin en magasin dans les rues avoisinantes. Je salue quelques membres du Réseau Education Sans Frontières. Un syndicaliste de la Céheffedété vient me serrer la main puis retourne avec ses copains de drapeau. Je ne vois pas qui ça peut être. Huit jeunes gens de l'Union Nationale Lycéenne font grumeau autour de leurs pancartes. L’une, grande blonde à lunettes, remarque le nombre impressionnant de chapeaux noirs. C’est qu’ici sont des bourgeois de la ville, membres du Parti Socialiste, coiffés à la Mythe Errant, qu’on n’avait pas vu depuis longtemps dans une manifestation. Parmi eux, sans chapeau mais avec une grande écharpe grise décontractée, Robert (Maire) que j’ai déjà vu ce matin vers neuf heures en cravate avec les pompiers rue Damiette, constatant les dégâts d’un spectaculaire incendie, La Cave Royale (restaurant à couscous) ayant mis le feu jusqu'au grenier à trois heures du matin (cela fumait encore beaucoup).

    Pourquoi faut-il qu’il n’y ait que des gens de gôche dans la rue pour protester contre le racisme ? J’aimerais bien voir là des gens de droite. Eh bien oui, il y en a au moins un : Nicolas Zuili, de la droite centrée, conseiller municipal d’opposition. Il sauve l’honneur de son camp.

    L’autre camp n’est pas le mien non plus. Je sais que la plupart de celles et ceux qui manifestent ici contre le racisme applaudissent au texte de loi qui instaure la pénalisation des clients de prostitué(e)s voté nuitamment à l’Assemblée Nationale en présence de vingt-cinq député(e)s. J’ai de plus en plus de mal à les côtoyer.

    Que les Ecologistes pour avoir voté non à ce projet de loi anti prostitution promu par la féministe socialiste de tendance puritaine Najat Vallaud-Belkacem. Ils remontent un peu dans mon estime. Les Rouennais ne sont pas là, occupés à des magouilles de Congrès à Caen.

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    Ce vendredi, au marché du Clos Saint-Marc, parmi la centaine de personnes qui fouillent dans la drouille, altercation entre une femme blanche et une femme noire qui veulent le même objet. La femme noire finit par céder et s’en va. Une autre femme blanche : « Ça ira mieux quand on aura tous un bonnet bleu blanc rouge. » Approbation générale.

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  • Vertu du commerce, un restaurant haut de gamme étant maintenant en fonction dans l’Espace Monet-Cathédrale, les grilles du passage Maurice-Lenfant sont ouvertes en grand et je peux de la sorte, pour aller à l’Opéra, éviter en partie la traversée du marché de Noël où dans l’une des cabanes sont vendues des cigarettes électroniques (produit traditionnel nouveau).

    C’est du premier balcon que j’assiste ce vendredi soir au retour à Rouen de la troupe de Sasha Waltz désormais résidente de Berlin, bien longtemps qu’elle n’y était venue.

    Pour le festival Automne en Normandie, c’est Continu et c’est complet, beaucoup de filles et de jeunesse.

    Une première partie donne à voir sept danseuses en longues robes noires évoluant au son des percussions de Robyn Schulkowsky présente sur scène pour jouer Rebonds B de Xenakis. Pour la suite, la  musique est enregistrée (Xenakis encore, Varèse, Vivier, Mozart).

    La deuxième partie est une longue et impressionnante chorégraphie mettant en mouvement les vingt danseuses et danseurs de la troupe, des filles habillées en fille et des garçons en garçon, ce qui devient rare. Cette danse de masse me plaît beaucoup.

    En revanche, après l’entracte, j’aime beaucoup moins la troisième partie que je trouve décousue, dont les passages sans musique sont troublés par des tas de toux, et le truc de faire tracer avec leurs pieds et mains sur un immense rectangle blanc les chemins erratiques parcourus par les danseuses et danseurs me semble un peu facile. Il en résulte une sorte de tableau à la Cy Twombly qu’à la fin le plus doué des danseurs envoie valser.

    Je rentre par des rues éclairées de guirlandes de Noël. Celles-ci sont désormais blanches, fini de rêver en couleurs mais ce symbole de pureté est parfait pour des lieux où l’on ne veut plus voir ni mendiants ni prostituées.

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    « Comment l’individu se comporte-t-il par rapport au groupe ? Comment celui-ci l’intègre-t-il et le rejette-t-il ensuite, quelles forces agissent à l’intérieur du groupe ? » se questionne Sasha Waltz dans le livret programme. Ces chorégraphes racontent toujours la même chose.

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