• Bruits de presse, Frédéric Taddeï aurait des ennuis parce qu’il a invité Marc-Edouard Nabe (le parrain de son fils) dans son émission de télévision Ce soir (ou jamais !), lequel Nabe entend maintenant régler ses comptes avec Dieudonné et Soral dont il fut proche. Jamais regardé cette émission mais j’écoute Taddeï sur France Cul avec intérêt et suis content qu’il invite certains qu’on n’entend pas ailleurs (Gabriel Matzneff par exemple).

    « Je suis un grand admirateur du style littéraire de Nabe », déclare Taddéï. Ah bon. Personnellement, je trouve que Nabe écrit extrêmement mal. J’ai entre les mains l’un de ses romans autoédités (en vente dans les pharmacies ou les boucheries parisiennes), six cent quatre-vingt-six pages dont au moins la moitié de dialogue insipide. Pour le reste, ce ne sont que positions idéologiques et généralisations hâtives écrites à la truelle. Echantillon : Les trentenaires font les malins, mais ils sont dans l’amateurisme généralisé. Tout est raté, loupé, à côté de la plaque, bricolé, massacré, salopé avec l’alibi de la modernité, du trash et du bad, et l’assurance d’être dans son droit de tout faire mal, puisque l’époque le leur donne. Le moindre professionnalisme dans tout domaine est ressenti comme une faute. Et tout ça avec la certitude d’être subversif alors qu’ils bouffent à tous les râteliers du lieu commun. Les plus convenues petites vedettes de la branchouillerie bobo sont là comme dans les autres supports qu’ils dénigrent et dont ils croient s’éloigner. Le but c’est que tout s’annule : on prend plusieurs idées qu’on croit fortes et en les réunissant on arrive au néant, un néant confortable dans lequel les trentenaires amorphes se lovent. Ce roman, que je n’ai fait que feuilleter, s’intitule L’homme qui arrêta d’écrire. Il aurait mieux fait, en effet.

    Ce samedi, au Vascœuil, je préfère lire pour la troisième fois les Pensées de Leopardi, en prenant les notes qui me permettront d’en parler un jour ou l’autre.

    *

    Ce roman de Nabe fit l’objet à sa sortie d’un article de Pierre Marcelle dans Libération, courageux chroniqueur puisqu’il le lut entièrement, jusqu’à découvrir page cinq cent quatre-vingt-seize « un baroque «tout ce que j’ai acquéri». »

    *

    Dans la ruelle ce lundi midi, des lycéennes et lycéens, assis sur le pavé ou debout contre le mur :

    L’une : Ma mère, elle est fan de Stromae.

    Une autre : La mienne aussi, je lui ai offert le cédé.

    Un : Moi, c’est mon père, il a acheté le vinyle.

    La première : Le vinyle ? Ça existe encore les vinyles ?

    Lui : Ben oui.

    Une dernière : Et il a un truc pour écouter les vinyles ?

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    Des fans de Stromae, il y en a aussi chez mes ami(e)s du réseau social Effe Bé, surtout des femmes, quelques hommes aussi. Ça me laisse coi, moi qui trouve cela tellement mauvais.

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  • On ne peut pas dire que les élections municipales rouennaises passionnent les foules, je n’en entends jamais parler et pour trouver quelque chose à lire sur le sujet il faudrait se baisser, comme l’autre jour dans ma ruelle où les soutiens de l’un des candidats de la droite centrée (ou du centre droitier), le nommé Bures, avaient laissé le nouveau numéro de son journal de campagne sur le pavé, faute de pouvoir franchir interphones et digicodes, et je ne me baisse pas pour lire ce genre de littérature.

    Toutefois ce matin me parvient via Internet le programme du nommé Robert, en fonction depuis que Fourneyron fait Ministre à Paris. Qu’en retenir ? Rien. Il se propose lui aussi, comme Bures, de gérer les affaires courantes, boucher des trous ici, refaire une place ailleurs, ouvrir une nouvelle ligne de bus, organiser des kermesses gastronomiques, estudiantines et de musiques zactuelles, etc.

     « Avec cet inventaire de « mini-projets », le maire sortant, dont l’image technocratique colle au costard, veut ainsi prouver qu’il est un élu de proximité, à l’écoute de ses citoyens et prudent dans l’utilisation de leurs impôts. » écrit perfidement Céline Bruet, la journaliste de Paris Normandie.

    « Un programme ne doit pas être une succession de projets pharaoniques. » déclare Robert en écho. Autant dire qu’avec lui (ou avec Bures) Rouen continuera son chemin vers le statut de petite ville de province, cependant que les villes voisines poursuivront leur développement : Caen où se construit une pharaonique Médiathèque (architecte : Rem Koolhaas), Amiens où s’organise le pharaonique déménagement des étudiant(e)s vers le centre ville dans la Citadelle (architecte : Renzo Piano).

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    Fourneyron, qui a sabordé la Médiathèque de Rouen (architecte Rudy Ricciotti), avait quand même un ou deux projets audacieux dans son programme lors des dernières municipales, comme ce remonte-pente électrique pour vélos vers les Hauts de Rouen, jamais réalisé, je me demande pourquoi.

    Il aurait pourtant été utile à certains profs des Beaux-Arts pour rejoindre les nouveaux locaux de leur Ecole l’an prochain.

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    Rien pour moi à l’Opéra de Rouen avant le mois de février, c’est le moment de l’opéra participatif que Frédéric Roels, Directeur, a importé de Belgique, une initiative qui aurait plu à Philippe Muray, le contempteur de l’homo festivus.

    Pauvre Wagner dont on fête les deux cents ans en charcutant son Vaisseau Fantôme. Le voilà réduit de moitié, pour un public de moutards et leurs parents, choristes d’un soir.

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    Et dire qu’il y aura même des adultes non munis d’enfants pour aller ouïr et voir cette version allégée. C’est comme s’ils lisaient Moby Dick dans la version de la Bibliothèque Verte.

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  • Ce jeudi main, je rejoins le Tribunal Administratif de Rouen à l’appel du Réseau Education Sans Frontières afin d’y soutenir une femme marocaine arrivée en France en deux mille neuf avec ses quatre enfants. L’une de ses filles est régularisée mais la deuxième, Chaïma, vingt ans, scolarisée au lycée Fernand-Buisson d'Elbeuf est également menacée par une Obligation de Quitter le Territoire Français, les deux  autres enfants ont treize et sept ans. On voit par là que la promesse de Valls de ne plus s’en prendre aux lycéen(ne)s pendant l’année scolaire n’est pas tenue (comme n’a jamais été tenue celle de ne plus enfermer d’enfants en Centre de Rétention).

    Il est onze heures moins dix lorsque j’arrive et déjà beaucoup de monde venu d’Elbeuf est sur place, mais j’apprends de l’huissier que le Tribunal est très en retard et que l’audience prévue pour onze heures aura au moins une heure de retard. C’est suffisant pour me décourager. Je rentre chez moi.

    *

    La citation de la semaine, via Etienne Klein, un matin sur France Culture : Au train où vont les choses, les choses où vont les trains vont bientôt cesser d'être des gares. (Pierre Dac)

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  • Ce mercredi, à Paris, après avoir envisagé d’aller quand même voir l’exposition Vallotton au Grand Palais mais y ayant renoncé car peu envie de subir la longue attente sous la pluie, je me rabats sur le Centre Pompidou mais suis encore une fois détourné de mon projet car que vois-je ? La librairie Mona Lisait de la rue Saint-Martin est ressuscitée.

    Une banderole l’annonce et précise que pour fêter cette réouverture tous les livres sont à moins trente pour cent. Un camion est garé devant, d’où les employés ayant sauvé leur emploi déchargent des meubles d’exposition. Je salue celui qui semble être le nouveau boss. Il m’apprend que ce sera la seule à rouvrir, que tout le stock des autres librairies est en train d’être apporté ici et qu’à terme la maison changera de nom.

    Effectivement, il y a des livres empilés dans tous les coins. Une sérieuse corvée de rangement est en vue. Je suis heureux de reprendre mes marques et choisis de quoi faire une première dépense. A la caisse, je retrouve la femme qui craignait de devenir, au mieux, caissière chez Monoprix.

    Avant de partir, je laisse mon adresse mail sur le cahier prévu à cet effet afin d’être tenu au courant de la suite.

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    Je déjeune au Péhému chinois de la rue du Faubourg Saint-Antoine d’une habituelle cuisse de canard confite aux pommes rissolées avec un cruchon de côtes-du-rhône. Près de moi, lancés dans un concours d’ego, un auteur metteur en scène et l’un de ses comédiens. Ils ont envoyé des invitations à tous les critiques de théâtre. Aucune réponse, à part une fille qui tient un blog et qui leur a proposé d’organiser un concours où elle ferait gagner des places gratuites pour leur pièce.

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    Dans le bus Quatre-Vingt-Six que je prends entre la place Mireille-Havet et le Collège de France, une lolita asiatique qui lit Les Chants de Maldoror.

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    Pas moyen de croiser un scouteur sans se demander si ce n’est pas encore Hollande fuguant de l’Elysée.

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    Chez Léon, rue d’Isly, un trentenaire costume cravate comptable de son état démontre que deux ouisquis et deux bières suffisent pour rentrer chez soi en zigzagant.

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    Parmi les livres rapportés de Paris : les trois tomes de la Correspondance de Max Jacob (L’Arganier) et D’un lit à l’autre, roman licencieux, illustré par Derain, qu’écrivit Maurice de Vlaminck (avec Fernand Sernada) pendant son service militaire (sVo Art Editions).

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  • Ma mère a eu deux sœurs, lesquelles ont eu chacune une fille, mes cousines donc. A la mort de leur mère (grand-mère Jeanne pour moi), les trois sœurs se sont brouillées, en cause l’héritage, une minuscule maison sise à Bondy (Seine-Saint-Denis). La plus jeune des sœurs a disparu avec sa fille, la plus jeune de mes cousines. C’était il y a trente ans peut-être.

    L’autre jour, cette cousine disparue me contacte via Effe Bé, ce qu’elle aurait pu faire depuis longtemps et de bien des façons (mon nom est dans l’annuaire du téléphone). Elle a maintenant cinquante-quatre ans et est mariée avec un camionneur.

    D’elle, j’avais gardé deux images : la petite fille qui venait en vacances chez nous à Louviers chaque été, et la jeune fille qui j’avais eu du mal à reconnaître lors des quatre-vingts ans de grand-mère Jeanne à Bondy, ne jurant que par David Bowie et aimant manifestement davantage les filles que les garçons. Elle a dû bien changer, me suis-je dit, d’autant que sur Effe Bé elle poste des photos de chats et de voitures peintes de chevaux bleus.

    Bien qu’elle m’ait retrouvé par hasard, sans me chercher, sans même en avoir l’idée, la voilà qui m’annonce que son mari ayant de la famille en Normandie elle passera me voir en avril. J’en suis à me creuser la tête pour savoir comment lui expliquer qu’on ne débarque pas comme ça chez moi quand je constate qu’elle fait partie des admiratrices de Dieudonné.

    Désolé, lui écris-je, je ne fréquente pas les antisémites, ni celles et ceux qui les approuvent.

    *

    Ainsi donc, il est admis et même bien vu de s’intéresser aux textes des mémorialistes et des historiens relatifs aux frasques sexuelles d’Henri le Quatrième, de certains Louis ou de Napoléon, mais s’il s’agit de celles du Président régnant, transformé en Daft Punk et roulant scouteur pour retrouver sa comédienne, condamnation quasi générale de qui s’y intéresse, journalisme de caniveau, etc.

    *

    Tous les matins sur France Culture Tewfik Hakem veut me faire croire qu’Un autre jour est possible alors que son émission est enregistrée.

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    Bis repetita placent, Sébastien Bailly, journaliste indépendant saborde Grand Rouen qu’il avait recréé après avoir quitté Paris Normandie. Aujourd’hui, il s’agit de rejoindre le gratuit Côté Rouen 76actu. Je vais devoir apprendre à me passer d’informations aussi intéressantes que « Le batteur de Julien Doré est rouennais ».

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  • Dimanche, c’est à onze heures qu’est fixé le rendez-vous à l’Opéra de Rouen pour la première partie de la troisième période des quatuors de Beethoven par le Quatuor Ysaÿe, cadeau d’adieu. Guillaume Sutre (premier violon) vit à Los Angeles, Luc-Marie Aguera (second violon) à Rouen, Yovan Markovitch (violoncelle) près de Paris et Miguel da Silva (alto) se partage entre Paris et Genève. C’est l’une des raisons de la séparation mais pas la principale, comme l’explique Miguel da Silva : « Nous préférons nous arrêter au meilleur de notre jeu. »

    J’ai une place décentrée en corbeille. Aussi je préfère m’installer ailleurs, dans le carré des personnalités, derrière le fauteuil de Robert, Maire. Je le pressens absent mais n’ose quand même pas occuper sa place et je fais bien car arrive Nicolas Mayer-Rossignol, Président de la Région Haute-Normandie, venu en famille. Il discute un peu avec le patron du gratuit Côté Rouen, assis à ma droite. Je reste discret.

    « Comment maintenir l’attention du public sur un tel concert ? » a-t-on demandé à Miguel da Silva. « Je crois que le discours de Beethoven et la concentration partagée sur scène entre interprètes suffisent à capter l’écoute. »

    La démonstration en est faite depuis deux jours et à nouveau ce matin pour l’Opus 127 bien que celui-ci soit troublé encore une fois par une tousseuse qui finit par aller faire entendre sa coqueluche ailleurs. Suit l’Opus 132 au très beau mouvement lent.

    Je rentre déjeuner à la maison puis retrouve au foyer celles et ceux qui l’ont fait sur place, des qui lisent, un qui corrige ses copies, et l’ami Masson cravaté, chose inédite. « Avec toi, c’est une cravate pour un adieu », lui dis-je. Il ne s’agit cependant pas d’enterrer le Quatuor.

    Je retrouve ma place indue. Les quatre font une nouvelle entrée à la Beatles et donnent l’Opus 130 avec la Grande Fugue Opus 133. Un nouvel entracte, puis ce sont l’Opus 131 (« Après cela, que reste-t-il à écrire ? » Schubert) et enfin l’Opus 135. Un nouveau triomphe est au bout de l’effort. En bonus, le Quatuor joue la Deuxième finale de l’Opus 130, écrite par Beethoven à la demande de son éditeur qui trouvait la Grande Fugue trop complexe, comme l’explique Luc-Marie Aguera.

    Après de longues minutes d’applaudissements debout, de vivats, de mercis, les Fab Four quittent la scène and never more.

    *

    Les Quatuors de Beethoven : des mouvements lents qui ne font pas songer à la tristesse, des rapides qui ne font pas songer à la gaîté, une musique qui n’implique pas l’émotion, qui se suffit à elle-même. C’est du moins ainsi que je l’ai reçue.

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  • « Je compare souvent l’intégrale de Beethoven à un Everest. (…) Je n’ai jamais gravi l’Everest mais j’ai déjà couru des marathons ! Et j’envisage cette intégrale de la sorte. C’est une course à envisager dans son ensemble, non pas par petites étapes mais comme un parcours. ». Ainsi s’exprime Miguel da Salva, l’altiste fondateur du Quatuor Ysaÿe.

    En attendant que repassent les coureurs, j’observe, ce samedi soir, en loge sept, et donc étant passé du premier rang au dernier, un couple de spectateurs qui lit le journal, chacun le sien, jamais vu ça à l’Opéra de Rouen. Un autre couple s’installe deux rangées devant moi, dont la femme porte une veste scintillante qui suscite l’admiration ironique de son voisinage immédiat.

    -Les gens de la campagne, quand ils viennent en ville, ils se font beaux, leur répond-elle.

    A dix-neuf heures, revoici le Quatuor. Nous en sommes à l’Opus 59 n°1 dont le début est responsable de l’endormissement sonore d’un homme situé quelque part à ma gauche et de la toux inextinguible d’une femme située devant le staff. Cette dernière s’enfuit en sautant par-dessus le dossier de son fauteuil et le dormeur est réveillé par les toux qui suivent la fin de ce premier mouvement. On peut alors se concentrer sur la musique.

    Un premier entracte puis l’on reprend à vingt heures trente pour l’Opus 59 n°2 et l’Opus 59 n°3.

    Un second entracte (et là il me faut un café) puis l’on reprend à vingt-deux heures trente pour l’Opus 74 et l’Opus 95.

    Il serait difficile de parler de ces Quatuors de la période dite médiane sans user de superlatifs, aussi je préfère m’en abstenir. Il en est de même pour l’interprétation des quatre fringants quinquagénaires. Tout cela s’achève naturellement une nouvelle fois en triomphe, public debout, acclamations et vivats.

    Rentré chez moi à minuit moins le quart, je ne peux rien faire d’autre que me laisser tomber dans mon lit.

    *

    Chaque entrée et sortie du Quatuor me fait songer à la traversée d’Abbey Road par les Beatles.

    *

    La peste soit de ces tousseurs et tousseuses à cause de qui je ne peux savoir si le silence après Beethoven, c’est encore du Beethoven.

    *

    Le matin de ce samedi, passage par la vente de livres du Secours Pop où il y a toujours quelques livres à trouver et d’autres qui ne sont pas pour moi mais qu’il m’amuse de voir classer empiriquement. Ainsi Thérapie, le roman de David Lodge, dans les ouvrages de psychologie/psychanalyse et, mieux encore, Graine de mandarin du physicien Jacques Friedel, dans les ouvrages de jardinage.

    *

    Ce qui me fait songer au temps où je fréquentais la Fnaque et y avait entendu une dame demander les ouvrages de Teilhard de Chardin, à qui le vendeur répondit en lui indiquant où étaient les livres sur les jardins.

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  • Pendant trois jours en neuf concerts les dix-sept quatuors de Beethoven, c’est ce que propose, à l’Opéra de Rouen, ce ouiquennede, le Quatuor Ysaÿe qui se sépare après trente ans de vie commune. Certes, seul l’un d’entre eux est là depuis le début et le vrai concert d’adieu aura lieu le vingt-quatre janvier à la Cité de la Musique, mais on ne va pas faire la fine oreille et je suis donc au premier rang ce vendredi soir pour les six premiers quatuors donnés par Guillaume Sutre (premier violon), Luc-Marie Aguera (second violon), Miguel da Silva (alto) et Yovan Markovitch (violoncelle).

    Autour de moi, on essaie de comprendre, à partir des indications incohérentes du livret programme, comment s’organise la soirée. J’ai eu droit pour ma part à un petit papier explicatif, étant passé voir les guichetières dans l’après-midi, mais nul ne me demande éclaircissement.

    A dix-neuf heures, les quatre héros du ouiquennede s’installent, attaquent l’Opus 18 n°3 et conquièrent le public. Pendant l’Opus 18 n°1, la dame rousse à ma droite se met à tousser affreusement et prend la fuite en laissant son sac.

    -Tu as déjà réussi à te débarrasser de ta voisine, me félicite, au premier entracte, l’ami Masson, venu sans son chapeau, qui me surveillait depuis le balcon.

    Je lui explique que je n’y suis pour rien mais que j’ai été bien content de la voir partir. Autour de nous, on mange. Certain(e)s sont venu(e)s avec leur propre sandouiche au jambon.

    A la reprise, vers vingt heures trente, la dame tousseuse vient aimablement s’excuser, expliquant qu’elle a trouvé place en loge où elle gênera moins en cas de récidive. Elle n’est pas la seule à tousser. L’intervalle entre les mouvements est mis à profit par une quantité de bronchiteux pour expectorer. Une antenne de Médecins du Monde aurait été la bienvenue dans une tente sur le parvis. Je ne sais pas comment le ressentent les musiciens qui en sont maintenant aux Opus 18 n°2 et n°5. « Quel bonheur ! » s’exclame un monsieur à cheveux blancs. Je suis d’accord avec lui.

    Pendant le second entracte, je discute avec l’un de mes lecteurs, mi-parisien mi-rouennais, ancien éditeur, notamment dans un domaine qui m’intéresse particulièrement (selon sa propre expression).

    Il est vingt-deux heures, nous en sommes à l’Opus 18 n°4 puis à l’Opus 18 n°6. J’observe les quatre interprètes, leurs regards de complicité, leur assurance, leur plaisir de jouer encore une fois ensemble.

    C’est un triomphe à l’issue de cette première soirée, une ovation debout justifiée. Le Quatuor salue, visiblement ému (comme on dit)

    *

    Au retour, je trouve ce message de l’ami de Stockholm : « Je vous envie, Rouennais abonnés, beaucoup ! J'aime beaucoup la Grande Fugue et la Cavatina de l'op 130, le 131, le préféré de Rohmer (je le sais grâce à tes dons de chineur et au livre De Mozart en Beethoven), le 74 dit les Harpes avec plein de pizzicati, le 132 avec le Chant de reconnaissance d'un guéri à la Divinité dans le mode lydien, mon moment préféré et cité hyper souvent chez Godard, les Rasumovski ne sont pas mal non plus et les quatuors du début sont très très frais... »

    De quoi me permettre d’ouïr mieux la suite.

    *

    L’avenue parisienne du dix-neuvième arrondissement où habite désormais celle qui est temporairement à New York n’est pas la plus courte de Paris comme je le croyais après lecture de l’article de Ouiquipédia à elle consacrée. Une autre est gagnante dans le seizième arrondissement, l’ami d’Orléans m’en avait alerté, l’ancien éditeur parisien me le confirme.

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  • Comme les autres années, je trouve ce vendredi à dix heures moins le quart tous les professionnels et assimilés dans la copieuse file d’attente de la vente de livres d’occasion de la section rouennaise du Secours Populaire Français à la Halle aux Toiles. Deux dames ne sont pas dupes, qui disent haut et fort que c’est les femmes qui lisent, que s’il y a une grosse majorité d’hommes ici, c’est qu’ « ils sont là pour le bizenesse ».

    Elles n’ont pas complètement raison. A l’heure prévue, la porte s’ouvre, la dame du Secours Pop se colle contre le mur pour ne pas être emportée par la meute. Chacun se repère. Livres d’art, de philosophie et d’histoire ont la côte. Je fouine par-ci, par-là, et tombe (si je puis dire) sur un cageot en plastique plein de Saint-Simon. Et quels ! Les huit volumes des Mémoires en Pléiade. Cinquante euros le tout, ils proviennent de la Médiathèque François-Truffaut au Petit-Quevilly (Petit-Cul pour les intimes), portent le cachet réglementaire « Annulation Inventaire » et ont l’air d’être neuf. Il semble qu’on ne veuille plus lire les classiques dans la banlieue rouennaise. Les acheter ou pas ? L’ami de Stockholm m’en a dit si grand bien qu’à cause de lui, ou grâce à lui, je me dis oui. On verra bien si ça m’intéresse. Si non, ce sera pour le bizenesse.

    Je donne mon cageot à garder aux dames du Secours Pop et poursuis mon butinage. Quand j’en ai assez, je fais comme il faut faire, sans me disputer avec elles comme c’était le cas dans le passé, je prends un ticket avec une lettre au guichet A, vais présenter ma lettre (V comme Victor) au guichet B tenu par un homme à qui je paie et qui crie ma lettre vers le guichet C où un autre homme me redonne mes livres. Au fil des ans, je me suis adapté à la démocratie populaire, je ne risque plus le camp de rééducation par le travail.

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    Evidemment, j’y retourne au début de l’après-midi, au prétexte de donner quelques livres à cette bonne œuvre, et trouve encore de quoi me plaire car les bouquinistes du matin n’y voient pas très clair. Ainsi, publié par William Blake and Co, Chambres d’amour, textes et photos de Bernard Faucon, l’exemplaire numéro cent quarante-cinq sur deux cents, signé par l’artiste, sous couverture d’Arches, deux cent cinquante grammes. Il me coûte quatre euros et me donne à penser : Depuis quelques mois, presque chaque nuit, je rêve d’amour. Au réveil, je me sens vieux, rejeté de ce cercle de protections magiques qui entoure la jeunesse, en proie à toutes les menaces du temps.

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    Autre livre sortant du lot, celui-ci acheté un euro chez Book-Off mercredi dernier : Compartiment fumeurs, les poèmes de jeunesse de Zoé Valdès publiés chez Actes Sud, avec un envoi de l’écrivaine : « A mes amis Yves Simon et Stéphanie Chevrier, en poésie et vie, toujours. Paris, le 31 janvier 2002. »

    Un jour, les couples se séparent et leurs livres sont dispersés au hasard. La jeunesse s’enfuit et la vie aussi.

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  • Rassuré sur la bonne arrivée de celle que j’imagine endormie dans la chambre de Convent Avenue, je me dirige ce mercredi doux, le jour pas encore levé, vers la gare de Rouen. Place des Carmes, dans les arbres autour de la statue de Flaubert, chante un merle déboussolé.

    A Paris, où je suis accueilli par un soleil radieux, je vais à pied jusqu’au Printemps devant lequel sont garés des camions de Canal Plus (venu filmer le début des soldes ?). La ligne Neuf du métro m’emmène à la station Charonne. Je trouve la rue de Nice où je livre à son acheteur un livre que j’ai vendu via Internet puis descend la longue rue de Charonne, frôlant le passage de la Main d’Or au théâtre mal fréquenté, et arrive au carrefour avec la rue Ledru-Rollin.

    Avant que n’ouvre Book-Off, je bois un café au comptoir du Café du Faubourg en lisant Le Parisien. Il y est question des librairies indépendantes parisiennes. Elles ne vont pas très bien. C’est pourtant sans une once de culpabilité que j’entre, quand le rideau métallique se lève, dans l’antre de l’occasion à bas prix, pas ravi de découvrir qu’à l’intérieur un vieil habitué qui se dit bouquiniste mais doit surtout vendre sur Internet puisqu’il téléphone régulièrement à je ne sais qui pour communiquer des codes barre et savoir ainsi si l’achat est rentable, a déjà rempli un panier. Il y a donc ici des passe-droits.

    Sorti de là, le temps toujours beau et doux, je me dirige vers le Marais et entre, rue de Turenne, chez Emmanuel Perrotin, galerie d’art sise dans un bel hôtel particulier dont les escaliers sont du meilleur métal et les hôtesses nombreuses, jeunes et jolies. On peut y voir deux expositions : Body Loud du photographe new-yorkais Ryan McGinley et, après être passé par une impasse en travaux, dans un deuxième bâtiment, mêmes escaliers, mêmes hôtesses, Dérobés de la bien connue Sophie Calle.

    Body Loud montre des photos d’adolescent(e)s nu(e)s dans la nature l’été dernier, images de grande taille souvent, très colorées, rougeoyantes parfois, jusqu’au kitsch, qui me plaisent moins que ce que j’espérais, hormis celle intitulée Petra (Pieces), impressionnante fausse noyée.

    Dérobés de Sophie Calle est comme d’habitude une bonne idée, faire parler des visiteurs, ou des membres du personnel de musées, d’œuvres qui y ont été volées à partir d’un cadre vide, leur demandant ce qu’ils y voient ou de décrire à l’aide de leur mémoire la toile qui n’y est plus. Cela fait beaucoup de texte que je n’ai pas le courage de lire entièrement, debout dans ce sous-sol, certes luxueux. Je note une seule phrase, dite par une visiteuse : « Je vois mon reflet donc je vois ma tristesse. »

    Marchant toujours, je rejoins le Quartier Latin, déjeune vers une heure Chez Kelly, rue de la Harpe, salade de saumon fumé, tartiflette, dame blanche, un quart de bourgogne, quatorze euros quarante, passe chez Taschen, rue de Buci, mais on n’y solde pas les calendriers, furète chez Gibert Joseph, prends le bus Vingt-Sept jusqu’à l’Opéra et rejoins le deuxième Book-Off.

    C’est Chez Léon que j’attends le train du retour en relisant les Pensées de Leopardi dont certaines sont aussi les miennes.

    *

    Nos amis les commerçants sont fébriles, qui commencent les soldes à moins cinquante pour cent et même moins soixante-dix pour cent ; « sacrifiés mais pas résignés », ils n’ont pas encore revendu leur Audi.

    *

    Ce qui fait la force du petit commerce de la librairie, rappelle Le Parisien : « le conseil du libraire ». Pas avec moi, aussi peu enclin à suivre les conseils du libraire que ceux du médecin (faites du sport, mangez du poisson).

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