• Une année de plus et pour fêter ça le plus gaiement possible arrive de Paris ce samedi celle qui revient de New York. Je la retrouve à la gare où son train à vingt minutes de retard pour cause de « difficultés de gestion du trafic ». Un premier cadeau m’échoit : un parapluie américain à baleines renforcées qui remplacera celui perdu un mercredi dans le train.

    Le soir venu, c’est Chez Riquette, rue Malpalu, que nous dînons. L’américano est notre apéritif et pour le vin Monsieur Riquet nous conseille un brouilly. La cuisine est bien bonne et l’ambiance itou. La bande-son passe de Compay Segundo à Mistinguett puis aux chansons bêtes et sentimentales des années quatre-vingt qu’aiment les garçons qui aiment les garçons. 

    Dimanche matin, jour de mon entrée officielle dans l’année du Puy-de-Dôme (un département qui m’a été bénéfique), je ne me sens pas aussi vieux qu’un volcan mais ne suis pas ravi de me rapprocher de ma fin. Après qu’une maladresse d’elle a plongé la salle de bains dans le noir, nous petit-déjeunons en bas sur le bar de la cuisine américaine quand un bruit de chute venu d’en haut nous surprend. Monté, je découvre l’un des cadres contenant une photo de la jeune Valérie Valère sur le parquet et un autre sur l’étagère du dessous. Comment ce dernier a-t-il fait pour passer d’une étagère à l’autre ? Il vaut mieux ne pas se poser trop de questions.

    Après un tour au marché où j’achète Lolotte d’Andréa de Nerciat (Zulma) et un passage au café Le Clos Saint-Marc, il est l’heure de l’ouverture des cadeaux. Ils sont particulièrement bien choisis : une cafetière dont je ferai grand usage et le catalogue de l’exposition Balthus Cats and Girls (Yale University Press) que celle qui me fait le plaisir d’être avec moi ce jour a eu la chance de voir au Met.

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  • Une place en or dans la corbeille pour un ciné-concert qui demande du recul, c’est à quoi j’ai droit ce jeudi soir à l’Opéra de Rouen, une aimable guichetière s’étant penché sur mon cas. Au programme : Metropolis de Fritz Lang dont je ne connais que des extraits. Pour meubler le silence, si je puis dire, Martin Montalon a travaillé pendant des années à une composition « pour seize instrumentistes et dispositif électronique » qu’il propose ici dans sa version révisée de deux mille onze suite à la découverte en deux mille huit à Buenos Aires d’une copie du film avec des passages inédits ; sous sa baguette, l’Ensemble intercontemporain créé par Boulez en soixante-seize.

    Deux heures trente sans entracte est-il écrit sur le livret programme et répète chacun autour de moi jusqu’à ce qu’un soupir de soulagement général suive l’annonce au micro de la promesse d’une pause de vingt minutes au bout d’une heure. J’ai près de moi l’un des médecins du public. Il souffre d’une sorte de tic respiratoire particulièrement gênant pour son entourage.

    Metropolis nous raconte la vie des ouvriers de la ville basse et des possédants de la ville haute. La musique amplifiée et transformée par la technique moderne provient d’un peu partout dans la salle. Le chuintement de mon voisin se mêle à celui des jets de vapeur interprétés sur scène. La critique sociale et l’ode à l’architecture américaine cèdent vite le pas au fantastique, ce que je regrette car c’est un genre auquel je suis désormais étranger. Je suis en revanche conquis par la musique de Martin Montalon.

    Quelques-un(e)s filent à l’entracte, d’autres commentent le découpage et la beauté graphique de ce film qu’on ne qualifiait pas alors d’Art et d’Essai et nous revoilà assis dans le noir pour la deuxième partie qui commence par un intermède et se poursuit avec un remake de Jeanne d’Arc au bûcher et beaucoup de galopades dans des escaliers.

    Tout se termine bien. Le patron et le chef des ouvriers rebelles se serrent la main. On sait qu’ils ont eu depuis de nombreux enfants.

    L’écran relevé, Martin Montalon et les musiciens sortent de la pénombre et saluent sous de chauds applaudissements. Très masculin l’Ensemble intercontemporain, n’y figurent que deux femmes, l’une à la flûte, l’autre à la harpe.

    *

    Un homme à la harpe, je ne sais pas si ça existe (je ne parle pas de la celtique).

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  • Ce mercredi matin, c’est la jolie blonde à casquette et aux yeux maquillés comme des ailes d’oiseau qui autorise le train où je suis assis à quitter Rouen. Le ciel est bleu quand j’arrive à Paris où deux heures plus tôt s’est posé l’avion de celle qui revient de New York. Nous ne nous verrons pas ce jour. En attendant l’ouverture du Book Off de la Bastille, je lis Libération au café du Faubourg.

    Ce journal va très mal et cela m’attriste. Je ne l'achète plus pour un tas de raisons déjà évoquées il y a longtemps, mais je fais partie des rares à avoir eu dans les mains son numéro zéro et l’ai acheté pendant des années « tous les jours au même endroit » comme il était conseillé alors afin que chacun puisse le trouver, puis m’y suis abonné quand j’habitais dans la campagne lointaine où je le recevais avec un jour de retard. Je crains que le dernier article ne soit pour bientôt et dans la rubrique nécrologique. Aujourd’hui, dans la colonne des décès, on trouve ce simple avis d’un qui est mort le huit février : « Je m’isole ».

    Après Book-Off, d’où je repars avec un seul livre, je rejoins Châtelet à pied et à midi déjeune au bar restaurant Impasse Beaubourg : épaisse côte de porc, pommes sarladaises, large part de creume-beule, un quart de côtes-du-rhône, Je règle les dix-huit euros soixante-dix et décide d’aller voir au bout de l’impasse ce que propose l’annexe de la Galerie Templon. C’est Garouste, des peintures récentes exposées sous le titre Contes Ineffables (jeu de mots à la manière de l’actuel Libération) et dont l’inspiration vient de là, des contes, des légendes et des fables ; de l’habituel Garouste, toujours agréable à regarder mais sans plus. Quelques sculptures du même sont aussi montrées, dans le même genre.

    L’essentiel de l’exposition étant dans le bâtiment principal, je traverse la rue Beaubourg. La porte poussée, j’y trouve d’autres œuvres, en plus grand nombre, et quelques visiteurs. L’un des tableaux s’appelle et montre Wagner, Méphistophélès et l’Homonculus. Wagner n’est pas ressemblant mais Méphistophélès a bien la tête de Gérard Garouste.

    Changeant de salle, je me trouve nez à nez avec lui, ce Haut Normand de l’Eure, un peu plus vieux que sur sa peinture. Il porte de petites lunettes, un chapeau à la Léautaud, un pantalon de velours beige et une gabardine mastic. Il n’est pas seul, un homme à cheveux grisonnants l’interroge, casque de scouteur dans le bras, micro rouge au bout de la main, de France Inter, la radio populaire.

    Leur discussion porte d’abord sur l’un des tableaux inspiré des aventures de Tintin, des Cigares du Pharaon, on y voit un Garouste déséquilibré dans un sarcophage rouge flottant sur une mer agitée, puis sur l’anecdote d’un tableau repris à un collectionneur pour y effectuer une retouche repartant tellement transformé qu’il ne pouvait plus passer la douane. Garouste est d’humeur radieuse, comme le sont cycliquement ceux qui souffrent de troubles bipolaires.

    Quand l’interrogateur en a terminé, une dame présente lui demande pour quelle émission.

    -Un temps de Pauchon, lui dit-il et il en profite pour demander à la curieuse de parler dans son micro pour dire « Un temps de Pauchon, c’est fini pour aujourd’hui mais on se retrouve demain », ce qu’elle fait avec une voix d’institutrice.

    Lorsque je ressors le temps a changé, ciel couvert et risque évident d’averse. J’y échappe néanmoins jusqu’au soir passant par chez Boulinier, Gibert Joseph et le Book-Off de l’Opéra.

    Pour le retour, c’est encore la voie détournée, Argenteuil, La Frette-Montigny, cette fois pour cause de « personnes se trouvant sur la voie ». A l’arrivée, avec vingt-cinq minutes de retard, dans une nuit noire, une grosse drache s’abat sur la ville. Un autre voyageur, originaire d’Afrique, commente ainsi la chose : « Merde, y a pas de soleil », ce qui suffit à me faire sourire.

    *

    Encore raté les soldes cette année, pas moyen d’y aller au début faire la fourmi dans la fourmilière, de plus il faisait beau, ensuite repoussage de jour en jour sous prétexte qu’il y a encore le temps et pour finir, la dernière semaine, il pleut tout le temps, pas envie de courir les rues et les magasins. On me verra jusqu’à la fin de l’hiver avec la même veste aux manches élimées.

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  • Pas eu moyen d’avoir une meilleure place que Bé Cinq en orchestre, ce mardi soir pour Rayahzone d’Ali et Hèdi Thabet, pièce venue de Belgique pour trois danseurs et cinq musiciens soufis, autant dire que je me sens au creux de la vague, condamné à être gêné par les têtes de devant. Je lis le livret programme où il est question de spirituel et de divin. Pas de quoi m’emballer mais au moins, me dis-je, il y aura la musique soufi qui me rappellera certains bons moments du défunt festival Ramdam au Hangar Vingt-Trois du temps où Ahmed Merghoub en était Directeur (innocenté des accusations de harcèlement moral qui pesaient sur lui, il a désormais fonction de Conseiller à l’Opéra de Rouen).

    A l’approche de la fermeture des portes, contrairement à ce qui m’avait été dit, de nombreuses places sont encore libres mais trop tard pour bouger sans gêner un tas de monde, j’y renonce et suis bientôt pris par ce que j’entends et vois, oubliant l’arrière-plan religieux au profit de la musique et des évolutions des trois danseurs, Lionel About et les frères Thabet.

    L’un de ces derniers a une particularité qui nécessite un accessoire l’aidant à tenir debout. Il prouve plus tard qu’il peut parfois s’en passer. Les cinq chanteurs et tambourineurs sont de premier ordre et m’enchantent. Cette prestation évite bien des pièges dont celui des bons sentiments. J’en apprécie particulièrement l’humour et la violence chaleureuse. Cela se passe dans un décor de chantier d’une construction qui ne sera jamais terminée.

    *

    Ils ne manquent pas d’air ces intégristes catholiques qui veulent interdire certains livres pour enfants dans les écoles et les bibliothèques alors qu’eux-mêmes bourrent en permanence le crâne de leur progéniture avec leur croyance. Pauvres moutard(e)s qui n’auront plus tard d’autres idées que celles de leurs parents, idées relayées par les enseignant(e)s des écoles religieuses.

    *

    L’une de ces professeur(e)s d’école privée est au bout de ma ruelle avec sa classe ce mardi matin :

    -Dieu n’est pas seulement dans la Cathédrale que vous voyez là, il est aussi avec nous, savez-vous pourquoi ? Parce qu’il y a ici un élève qui s’appelle Théo, et Théo en grec ça veut dire Dieu.

    *

    Ce qui me fait songer à ce couple d’instits de Val-de-Reuil ayant appelé ainsi leur fils parce qu’alors étaient à la mode les prénoms courts en o, du genre Léo ou Enzo, bien embêtés le jour où ils en avaient découvert l’étymologie, qu’ils ignoraient malgré cinq années d’études universitaires.

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  • Après-midi violoncelle à l’Opéra de Rouen ce dimanche, je suis au bout du dernier rang d’orchestre côté impair près de la plus grosse des spectatrices abonnées dont le défaut est de se parfumer trop. Derrière moi, au premier rang de corbeille, les abonné(e)s de première catégorie (à fauteuil fixe) disent du mal du Vaisseau Fantôme : « Trois fois moins de musiciens qu’il en aurait fallu » « Des enfants qui chantaient peu et en plus des niaiseries » « Le pire, certains artistes professionnels qui chantaient faux eux aussi ». Leur conclusion : chaque année le niveau baisse un peu plus.

    Les violoncellistes de l’Orchestre sont six à jouer. Les filles ont mis de belles robes longues et les garçons ont opté pour la tenue décontractée, pas de cravate et un peu de couleur (ce n’est réussi que pour l’un dont la couleur de polo est parfaitement assortie à celle des protège-partitions).

    Après le gros concert d’hier soir, cette après-midi a des allures de repas léger, de quasi diète. On y entend une composition de Pablo Casals puis une série de transcriptions (Mozart, Bruch, Bizet, De Falla, Grieg). Tout cela glisse un peu sur moi et en endort un du rang précédent.

    Les applaudissements sont chaleureusement mesurés. Florent Audibert annonce un bonus mais comme il ne parle qu’aux premiers rangs, je ne puis comprendre le nom du compositeur ni celui de l’œuvre. Il s’agit d’un mambo qui permet à nos six musicien(ne)s de se lâcher (comme on disait autrefois). A l’issue, les applaudissements sont cette fois enthousiastes.

    Cela me fait penser à l’une de ces lettres que l’on envoie ou reçoit et dont le propos le plus important se tient dans le post-scriptum.

    *

    Pour remonter le niveau à l’Opéra de Rouen, on peut compter sur le candidat Bures (droite centrée) à l’élection municipale. S’il est élu Maire de Rouen, il promet « le retour des tournées à succès du théâtre de boulevard. Le lieu idéal est, bien sûr, l’actuel Opéra. ». Cet intellectuel est dans le parti de Copé, le nigaud qui s’effraie d’un livre pour enfants intitulé Tous à poil !.

    *

    Rouen, île Lacroix, sur le trottoir, une merde de chien plantée de petits drapeaux bleu blanc rouge.

    *

    Les drones, ça ne sert pas seulement à tuer les méchants. Ce lundi après-midi, l’un tourne au-dessus de l’abbatiale Saint-Ouen, piloté par un barbu. C’est pour faire des photos. Sur l’une, peut-être, moi le nez en l’air faisant le badaud.

    *

    Eclaircissement d’un de mes lecteurs : « à propos de la caméra qui se trouvait devant Luciano Acocella. Elle était simplement destinée à envoyer l'image du chef sur un écran en coulisse. En effet, pendant le 1° mouvement de la 1° symphonie de Mahler, 3 trompettistes jouent en coulisse (pour un effet de fanfare lointaine). Ces trois trompettistes ont ensuite rejoint leur place dans l'orchestre, ce qui permit à une personne assise derrière moi de glisser à son voisin « c'est incroyable d'être en retard... ».

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  • Quatre semaines que je n’ai pas mis l’oreille et l’œil à l’Opéra de Rouen, ayant laissé passer Le Vaisseau fantôme dans sa version modèle réduit, une miniature participative que d’aucuns y étant embarqués ont rebaptisé Le Canoë fantôme. J’y retourne donc avec plaisir ce samedi soir et, m’installant sur une chaise au premier rang, constate au nombre de pupitres et d’instruments présents sur le plateau que le concert sera grand format.

    Derrière moi, on se donne les dernières nouvelles du village :

    -Au Crédit Mutuel, on a perdu notre Directeur. A deux ans de la retraite, on l’a envoyé à Evreux. Je pense que c’est une punition.

    Les musicien(ne)s entrent, les habituel(le)s et des renforts, dont Ayako Tanaka dans le rôle de cheffe d’attaque des premiers violons en remplacement de Jane Peters occupée ailleurs, un emploi que tenait autrefois Bertrand Mahieu mais il a disparu depuis le début de la saison, je ne sais pas si c’est une punition. Le chef est encore Luciano Accocella. Une petite caméra est installée face à lui afin de faire de sa performance un film souvenir.

    Tout ce beau monde attaque le Prélude à la légende de Michel Tabachnik, chef d’orchestre et compositeur suisse dont il fut question dans un tragique fait divers, courte œuvre envoûtante datant de mil neuf cent quatre-vingt-neuf, puis Jane Peters fait son entrée. « Bon choix de robe », me dis-je.

    C’est le jour de son examen annuel. Elle joue cette fois le Concerto pour violon en ré majeur de Erich Wolfgang Korngold, qui fut petit prodige viennois puis contraint à l’exil par le nazisme et aspiré par la musique hollywoodienne. Son concerto tient de ces deux univers, nostalgie viennoise et galopade dans la pampa. Une fois encore, Jane Peters obtient une mention très bien avec les félicitations du public.

    Après l’entracte, c’est la Symphonie numéro Un, dite Titan de Gustav Mahler, bien connue pour sa citation de Frère Jacques au troisième mouvement, ritournelle enfantine initiée à la contrebasse par Gwendal Etrillard qui ne peut que me serrer le cœur (comme on dit). Le dernier mouvement en est monumental, claquant à coups de cuivres, de percussions et de timbales. L’une des cloisons des bords de scène se fissurerait que je n’en serais pas étonné.

    C’est un triomphe pour l’Orchestre et son chef qui, lorsqu’il quittera Rouen, saura que ce n’est pas poussé dehors par le public.

    *

    Le départ prochain du directeur musical, le Maestro Luciano Acocella, est désormais officiel. Une association de spectateurs s’est créée pour s’en offusquer. Il y aurait eu bisbille avec Frédéric Roels, directeur artistique et général, lequel promet merveille du successeur, l’Anglais Leo Hussain qui désormais n’aura que le titre de chef principal (autrement dit : « Occupe-toi de ta baguette. »).

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  • Quand j’arrive ce samedi un peu avant quatorze heures au Tribunal Administratif de Rouen, une greffière est occupée à relever les identités de toute une famille tunisienne venue des Yvelines. Elle me demande ensuite mon nom. Je refuse de le lui donner, m’étonnant de cette pratique. « C’est pour que le Juge sache si des membres de la famille sont présents dans la salle », me dit-elle, une réponse qui me laisse dubitatif. Les autres membres du Réseau Education Sans Frontières peuvent entrer sans qu’on leur demande rien.

    C’est pour une deuxième famille que nous sommes là, un couple originaire du Kosovo, résidant à Rouen avec ses trois enfants, l’un scolarisé au collège Georges-Braque, l’une au collège Fontenelle, la dernière à l’école maternelle Guillaume-Lion. Ces deux collégiens et leurs parents arrivent accompagnés d’autres originaires du Kosovo, puis une policière et un policer amènent le jeune homme tunisien de Versailles embastillé au Centre de Rétention de Oissel. Ses deux nièces, vêtues de rose Minnie, lui font fête.

    Le Juge et sa greffière font leur entrée. La première affaire examinée est celle du jeune Tunisien qui a reçu une Obligation de Quitter le Territoire Français. Quand il a rejoint ses parents en France avec ses deux sœurs, il était malheureusement majeur. Une de ses sœurs est protégée par sa minorité ; l’autre, mère des deux fillettes roses, par son mariage. Maître Solenn Leprince, du cabinet Eden, s’efforce de convaincre le Juge qu’il serait aberrant que son client soit renvoyé en Tunisie où il n’a aucune attache alors que toute sa famille réside en France et qu’il y fait vivre ses parents avec son salaire régulier de travailleur employé au noir. La plus jeune des sœurs pleure silencieusement.

    L’audience est suspendue. Le Juge part délibérer. Quand il revient, c’est pour annoncer qu’il annule le placement du jeune homme au Centre de Rétention. L’Obligation de Quitter le Territoire Français reste valable. Toute la famille quitte la salle avec le jeune homme libéré, mais pas tiré d’affaire.

    Solenn Leprince plaide alors pour la famille qui a fui le Kosovo où elle était en danger de mort et n’a pas été autorisée à demander l’asile en France à cause de la directive Dublin Trois. Le premier pays de l’Union Européenne où elle a mis le pied étant la Hongrie, le Préfet veut la renvoyer là-bas, d’où elle serait forcément renvoyée au Kosovo. C’est la raison de l’assignation à résidence qui fait suite à une autre qui avait été levée après une tentative de suicide de la mère des trois enfants. L’avocate s’appuie sur l’état psychologique de sa cliente, très dégradé par ce qu’elle a subi au Kosovo et par la peur d’avoir à y retourner.

    Le Juge s’en va délibérer. Quand il revient, c’est pour annoncer qu’il annule l’assignation à résidence et qu’il enjoint au Préfet d’autoriser dans le délai d’un mois cette famille à faire une demande d’asile en France.

    Nous nous quittons donc contents vers seize heures.

    *

    Etrange tenue que celle de la policière et du policier : une simple veste d’uniforme passée sur une tenue civile et complétée de la ceinture avec les armes réglementaires. Tenue de ouiquennede peut-être.

    *

    Avant l’audience, je discute avec un lecteur que je ne me soupçonnais pas, responsable local d’un parti politique que je n’ai jamais ménagé dans mon Journal (comme tous les autres). Ce n’est pas de ça dont nous parlons mais d’un village où je suis passé lors de mes dernières vacances en Auvergne. Il en est originaire.

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  • Parmi les livres achetés chez Book-Off mercredi dernier Le Rat et l’abeille (Court traité de gastronomie préhistorique) de Raymond Dumay publié chez Phébus, un exemplaire plutôt en mauvais état (je me demande comment il a pu arriver dans cette boutique qui n’accepte que les livres en très bon état).

    Je ne le lirai pas, le sujet ne m’intéresse pas. Je l’ai pris parce qu’à l’intérieur sont collées une critique élogieuse du Canard Enchaîné du sept mai quatre-vingt-dix-sept (le jour des dix ans de l’une que je connais bien) et surtout deux lettres manuscrites de l’auteur à l’un de ses amis nommé René Delmas à qui ce livre a dû appartenir.

    La première est datée du quatre juin quatre-vingt-dix-sept et dit ceci :

    « Je ne saurais te dire combien je suis touché par ta lettre. Tu as acheté mon livre et tu as pris la peine et le temps de m’en écrire –et bien. Double exploit qu’à ce jour tu es le seul à avoir réalisé. Si tu penses un instant à l’inquiétude que j’ai pu éprouver en me lançant dans cette aventure, une spécialité abordée à 80 ans ! tu comprendras mon bonheur de recevoir tes éloges, en particulier sur mon style, qui est plus moi-même que moi, mais si peu « scientifique ».

    Quand je dis « à bientôt », je ferai de mon mieux. A vous deux. »

    Et la seconde du quinze juillet de la même année :

    « Merci, merci. Moi aussi j’ai été éberlué par ces éloges démesurés –déclenchés peut-être par ta lettre à Jérôme Garcin. Tu étais l’œil du public !

    N’empêche que cette préhistoire me rend heureux. Je compte y baigner encore un volume ou deux.

    Mais auparavant je serai passé par le Limousin. Qu’on cause un peu. L’amitié en retour. »

    Raymond Dumay, auteur également du fameux Guide du vin du Livre de Poche, n’aura pas l’occasion d’un nouveau bain de préhistoire. Un autre bain lui sera fatal quelques années plus tard. Il mourra noyé en mer à la suite d’un malaise.

    René Delmas, quant à lui, ne doit plus être davantage de ce monde pour que son livre, arrivé chez Book-Off par un chemin mystérieux, soit entre mes mains.

    *

    Ce vendredi après-midi, rentré du Socrate où je lis la correspondance de Max Jacob, j’entends sur France Culture dans l’émission de Marie Richeux, Pas la peine de crier, le comédien Olivier Broche, qui mardi dernier y lisait un extrait de Passe-Temps de Paul Léautaud, lire cette fois un petit bout de La Colo de Kneller d’Etgar Keret, ce livre que m’a offert Philippe Dumez, puis évoquer Rapport sur moi et L’invité mystère de Grégoire Bouillier, que j’ai fait découvrir au même Dumez. Il n’y a pas de hasard, que des coïncidences (dit-on).

    *

    Un bon Pas la peine de crier ce vendredi puisqu’on y entend ensuite une chanson de Raoul de Godewarsvelde Adieu pour un artiste.

    *

    Marie Richeux prend souvent le métro parisien. Le jour où je l’y croiserai, je la reconnaîtrai à sa voix.

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  • Ce mercredi, poussé dans le dos par la pluie et le vent, je suis de retour un peu tôt à la gare Saint-Lazare et ne le regrette pas, constatant que tous les trains vers la Normandie sont affichés avec de sérieux retards. Il est sept heures moins cinq, je dois prendre le dix-neuf heures trente, préfère grimper dans le dix-huit heures trente encore à quai, bien que mon billet à tarif réduit ne m’en donne pas le droit. A peine y suis-je assis que son départ est annoncé. Je me vois déjà arriver à Rouen en avance dans un train en retard.

    Mon espoir est vite déçu. Nous empruntons une voie inhabituelle au ralenti passant par Conflans-Sainte-Honorine puis Chanteloup-les-Vignes. Cette voie est surélevée et lorsque de temps à autre le conducteur met les gaz, j’ai l’impression d’être dans un avion qui décolle. Des ralentissements suivent, malheureusement. Je découvre au passage qu’il existe une gare nommée Thun-le-Paradis.

    Après Porcheville, c’est Mantes où le train retrouve sa voie habituelle mais pas la vitesse nécessaire à une prompte arrivée. Le bandeau déroulant continue d'afficher une arrivée à Rouen à dix-neuf heures trente-quatre. Il est une heure de plus. Autour de moi on soupire. Depuis le départ, pas un seul message ne nous a informés de la situation.

    Vers Val-de-Reuil, mon voisin consulte son téléphone.

    -Le dix-neuf heures cinquante est déjà arrivé. Je ne comprends pas. Comment a-t-il fait pour nous dépasser ?

    Je lui apprends que nous sommes passés par une voie détournée. Sans doute le suivant a-t-il pris la voie directe rouverte au trafic.

    Il est plus de vingt et une heures quand nous arrivons à Rouen. L’invisible contrôleur prend enfin la parole. Il présente les excuses de la Société Nationale des Chemins de Fer Français pour ce retard d’à peu près une heure et demie dû à une rupture d’alimentation du côté de Mantes-la-Jolie.

    Je ne suis pas le plus à plaindre, n’en ayant pris que dix minutes, et rentre dans le vent normand qui vaut le parisien. A peine suis-je arrivé qu’une nouvelle drache s’abat sur la ville.

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  • Par un train moins matinal que d’habitude, j’arrive à Paris où le temps est le même qu’à Rouen ce mercredi, averses et vent. Je passe donc sous terre pour rejoindre le Book-Off de la Bastille où j’entre dix minutes après l’ouverture. Comme à l’accoutumée, il y règne une énergie de ruche côté employé(e)s et une sorte d’automatisme égocentré côté client(e)s. J’y passe un certain temps.

    Il ne pleut guère quand je sors. Je rejoins la place de la Bastille et cherche où déjeuner, trouve, boulevard Beaumarchais, Le Bistrot des Vosges qui propose de la cuisine du Massif Central : « Saveurs et Emotions de l’Aveyron » et doit son nom à la place proche. Son plat du jour « Saucisse d’Auvergne, purée maison » m’en fait pousser la porte. Je m’installe dans la véranda à une table nappée de carreaux rouges et blancs. Le quart de vin rouge est du Marcillac Domaine Laurens, bien bon. Derrière moi se tient un autre esseulé qui confie son état d’âme au serveur. Il travaille à l’Assemblée Nationale et s’ennuie dans ce quartier de Ministères. Ce serveur n’écoute que d’une oreille, s’animant toutefois lorsque le fonctionnaire déprimé évoque la météo, la tempête, la douceur des températures, soupçonnant un changement climatique :

    -C’est accentué cette année, c’est accentué, commente-il en me desservant.

    Il veut savoir si ça a été et je réponds oui, gardant pour moi mon dépit d’avoir trouvé cette saucisse et cette purée bien sages, manquant de rusticité. Un café et l’addition, ça fait un peu plus de vingt euros.

    Le ciel devient menaçant lorsque à pied je prends le chemin de Châtelet, passant devant l’église Saint-Paul au moment où en sort un cercueil suivi d’un grand nombre de jeunes filles et garçons qui doivent enterrer l’un(e) des leurs ou l’un(e) de leurs profs (le lycée Charlemagne est à côté). Après un passage chez Mona Lisait, je vais voir où en est le nouveau Boulinier de la place Joachim-du-Bellay. Les livres à cinquante centimes sont passés à vingt, s’alignant sur la rive gauche. J’y fouille pendant qu’il pleut.

    Une accalmie me permet de traverser la Seine et de voir ce qu’on propose dans les bacs de Joseph Gibert puis le bus Vingt et Un m’emmène à Opéra pour un café Chez Edmond suivi d’un furetage dans le deuxième Book-Off.

    Il drache sévèrement quand j’en sors. Je me réfugie au Gaillon, un Péhému chinois faisant face à Drouant, pas le même standigne mais tout aussi littéraire puisque j’y suis, buvant un café et examinant mes achats : Brebis galeuses de Caio Fernando Abreu (José Corti), Etudes léopardiennes de Sergio Solmi (Allia), Fantômes viennois d’Adolf Placzek (Anatolia/ Le Rocher), Lettres d’amour de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais et Amélie Houret de La Morinaie (Fayard), Instants de mémoires de Violet Trefusis (Christian de Bartillat), Les Mauviettes de Dennis Cooper (Pol), Cruel bonheur d’Hugo Claus (Castor Astral), etc.

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